"Mais je t'ai raconté cette histoire un million de fois."

Rien à faire, la petite boule à thé n'en démord pas. Elle veut que je raconte, encore et encore et encore. Pour sa défense, la cuillère n'a pas arrêté de parler, la dernière fois, ce qui était dur à suivre, autant pour écouter que pour réciter. À côté d'eux, le sucrier vaque à ses occupations. Bon, je suppose que j'ai encore un peu de temps avant de servir l'infusion... 2 minutes et quarante secondes pour être exact. Je suppose que vous, chers lecteurs, vous avez au moins tout ce temps devant vous. Mon monde me manque, parfois, souvent. Du coup, j'aime parler de ma transition à ceux que ça passionne, et qui d'autre est plus passionné que des instruments de cuisine ? Vous voyez ? Même le tamis semble extatique !

"C'était il y a 4 ans. Ou peut-être était-ce il y a 1460 jours. J'étais tranquillement chez moi en train de prendre des nouvelles de mon porte-manteau quand, tout à coup, mon paillasson m'a demandé de regarder par la fenêtre. Je me suis donc exécuté... Enfin, je ne me suis pas exécuté-exécuté, j'ai fait ce qu'il m'a dit... et ne me regarde pas comme ça, l'horloge, je ne fais pas toujours ce que tout le monde me dit ! Mais oui, je vérifierai tes points de graissage ce soir, c'est une promesse. Bon, j'en étais où ? Ah oui, je regarde par la fenêtre, me frotte les yeux comme si j'étais dans un dessin animé ou un film pour enfant, et je finis par sortir dehors. La lune était rouge."

Je fais une pause oratoire, en prenant une pose oratoire. Oui, je le fais très bien, un coude sur le plan de travail, le regard fixé sur mes ongles, les sourcils relevés et un air nonchalant sur le visage. La bouilloire ne tient plus et se met à siffler.

"C'est LA que c'est arrivé !"

Tout le monde a retenu son sursaut.

"Je suis arrivé ici, dans ce corps d'humain, et avec des oreilles trop petites... Je n'avais pas d'amis alors, je ne me sentais pas à ma place, le thé avait un drôle de goût. J'ai décidé que ma grande règle de ce monde était "on n'est jamais aussi bien servi que par la soie !" et j'ai commencé à fabriquer du thé moi-même. Puis, je me suis dit que c'était un peu long et en plus, il paraît que c'est une plante à la base ! Oui oui ! Le thé est un petit arbuste ! Alors, j'ai commencé à faire pousser d'autres types de plante à cinq feuilles, des champignons, et de récolter des graines de certains arbres. J'ai décidé que pour partir en voyage, on pouvait soit prendre l'avion, mais c'est polluant, soit prendre le train, mais c'est cher, soit prendre un thé... C'est comme ça que tout a commencé !"

Oh, un dernier truc

"Du coup, je me suis fait appeler Harry, ce qui est étrange parce que je n'ai plus de poils... enfin... plus tout partout. Mais quand je me suis présenté sous le nom de Hare Marsh, c'est ainsi que les gens ont commencé à corriger. Du coup, je me présente comme ça, c'est un gain de temps. Les habils, ici, servent à pallier cette absence de poils et ne sont plus un simple aparât. Je regrette souvent mes pattes, et mes grandes oreilles, et discuter avec vous au grand jour !"

Les objets autour de moi attendent, inanimés et silencieux pour qui ne les connait pas.

"Allez-y, vous pouvez comman... thé !"

Et me voilà partit d'un énorme fou rire.