(terminé) The wrath of the lamb [Hannibal]

The wrath of the lamb

feat. Hannibal

Péniblement, il se redresse. Une douleur vive le submerge, qu’il rejette superbement au profit de l’instinct qui le domine alors… La nécessité splendide, violente de représailles qui ne peuvent s’accomplir que dans la tourmente, le sang. Le regard de Will croise celui d’Hannibal. Ils n’ont besoin d’échanger aucun mot. Plus que jamais, ils savent. Hannibal saute sur leur victime, un bras s’enroule autour de son cou et l’immobilise tandis que Will fond sur lui avec au cœur une rage indescriptible, mu par une pulsion si intense qu’aucun mot ne saurait convenablement la décrire. La lame transperce son abdomen et macule son visage d’une cascade vermeille. Dans le même temps, Hannibal complète leur œuvre, plante ses dents dans la chair de sa gorge qu’il arrache sans ménagement pour la recracher plus loin. Le grand dragon rouge tombe à genoux, dans un hurlement à arracher l’âme. Ensemble, ils contemplent le dernier râle de la bête. Leur œuvre. Leur dessein. Un flaque poisseuse de sang s’étend au sol, dessine des ailes rouges au dragon déchu… Non noires. Noires au clair de lune, ainsi qu’il l’avait suggéré quelques semaines plus tôt, dans le confort relatif de sa cellule, quand une barrière transparente les séparait encore… Barrière aujourd’hui abattue… Le peu de frontière encore susceptible de les dissocier s’est définitivement effondré. Leur œuvre est aussi son baptême… L’épreuve des flammes vaillamment remportée, une épreuve de laquelle l’on ne revient pas.

Noir au clair de lune, le sang dont sa chemise et son visage sont à présent détrempés. Will, accroupi au sol, le souffle court, contemple une main noircie d’hémoglobine et loin du dégoût auquel il aurait autrefois pu prétendre, il se sent… euphorique… comme grisé. Douce intoxication qui éteint la douleur autrefois ressentie. Il n’éprouve plus rien d’autre qu’une indescriptible allégresse. Dans un souffle, il le confirme finalement. Oui, ça semble vraiment noir à la lueur de la Lune… Sa main se tend dans sa direction presque instinctivement, tandis qu’il se rapproche, pantelant. Il l’aide à se redresser, et si les forces lui manquent, la gravité de ses blessures conjuguées à l’ivresse du moment, il ne fait plus que rechercher son giron, son souffle court, haletant, à quelques centimètres seulement de son visage. Il y a de la douceur dans la voix d’Hannibal quand, en retour, il prend la parole. La sincérité des termes employés ne l’autorise pas à douter, même un instant, de l’honnêteté de son propos. C’est ce qu’il a toujours voulu pour lui. Pour eux deux.

Will le regarde comme s’il le voyait pour la toute première fois. Positivement incapable de nier ce qu’il s’est si souvent efforcé de taire et de contredire, il soutient son regard et s’y amarre avec fermeté alors qu’un fin sourire daigne étirer ses lèvres. C’est magnifique. Il le confesse comme un ultime aveu. Hannibal hoche simplement la tête alors que Will s’agrippe à lui comme à ce qu’il lui reste encore de souffle. Plus que jamais, il ressent ce besoin de contact, cette nécessité de se confondre à lui et quand il se laisse reposer entre ses bras, le soulagement est puissant, infini. Il n’est plus question de prétendre être un autre, plus question de nier sa nature. Il s’y abandonne en même temps que de s’abandonner aux bras d’Hannibal.

Et maintenant ? Il ne s’est jamais senti aussi fort et aussi faible en même temps. En contrebas, il entend les vagues cogner violemment les roches. Il suffirait d’un geste sans doute, d’une impulsion de sa part pour les précipiter dans le vide. Tout serait fini, alors. Leurs vies s’achèveraient sur ce point d’orgue ultime. Ainsi s’assurerait-il de ne jamais avoir à redescendre après avoir atteint le sommet. Ainsi, il n’aurait pas à affronter cette part de lui-même qu’il tente autant qu’il ne lui sera autrement pas possible d’ignorer. Les vagues cognent contre la roche… Le son des vagues se mêle aux battements chaotiques de son cœur. Seuls quelques centimètres séparent leurs visages l’un de l’autre. Puis aucun. L’instinct qui aimante ses lèvres aux siennes, il ne cherche pas à l’expliquer, il ne veut pas l’expliquer. Il pourrait les précipiter dans le vide, il le pourrait encore. Il n’en fait rien… Il abandonne le peu de souffle qu’il lui reste contre les lèvres d’Hannibal, prisonnier d’un instant qu’il préfèrerait ne jamais voir s’arrêter, jusqu’à presque sentir le sol se dérober sous ses pieds…

« On devrait… »

Rentrer ? Fuir ? Partir ? Se laisser mourir dans les bras l’un de l’autre ? Lui-même serait bien incapable de décider la manière de finir cette phrase tandis qu’il s’agrippe aux bras d’Hannibal comme si sa vie en dépendait, son front contre le sien. Ses jambes s’engourdissent, se dérobent sous lui…

« Vous devriez partir », se rattrape-t-il en même temps qu’il sent s’étioler ce qu’il lui reste de conscience.

The wrath of the lamb

feat. Hannibal

La réponse d’Hannibal est la seule que Will se sentait capable d’entendre en cet instant. Il ne veut plus faire mine de le rejeter alors même qu’il s’est si concrètement dévoiler à lui, alors qu’il lui a, de façon à ce point évidente, laissé entendre que les frontières entre eux ne sont plus seulement floues, elles sont dorénavant inexistante. Bien sûr qu’il ne se voit pas aller où que ce soit sans lui… mais le fait est également qu’il ne se voit aller nulle part, point. Peut-il, peuvent-ils, seulement survivre à un tel événement ? N’est-ce pas nécessairement le début en même temps que la fin ? Pour l’heure, Hannibal en appelle à des considérations plus pragmatiques, et qui ne sont sans doute pas un mal, en fin de compte, elles le poussent à s’ancrer dans le temps réel, au-delà de l’idéal atteint, au-delà de cette pure sensation d’euphorie et de sérénité qui a accompagné le meurtre, l’étreinte, le baiser.

Il se laisse entraîner à l’intérieur. Le moment avait été rapide (presque trop rapide), presque suspendu dans le temps. Ce n’est qu’à présent que Will prend pleinement conscience de l’ampleur des dégâts causés, qu’il prend conscience, aussi, de la quantité de verre brisé, des dégâts engendrés, autant de détails qui ne l’avaient pas le moins du monde effleurés jusque-là. Ils rejoignent ce qu’il devine être la chambre, une pièce qui n’a pas été touchée par l’intervention brutale du grand dragon rouge, et où ils peuvent, par conséquent, observer l’étendue des dégâts et envisager de nettoyer et soigner leurs plaies respectives. Elles sont impressionnantes, au-delà de tout le sang qu’ils ont perdu l’un et l’autre, mais aucune de leurs blessures ne semble létale si elle est prise en charge à temps. Contre toute attente, ils vont survivre.

Faible certes, mais bien vivant, Will prend doucement conscience de tout ce que cela implique, et plus encore alors qu’Hannibal attrape une main dans la sienne. Ses doigts glissent sur son alliance, obligeant Will à y porter le regard. Au moment de vouloir les précipiter dans le vide, pas un seul instant il n’a pensé à Molly ou à Walter. Il n’a pensé qu’à eux. Est-ce qu’ils ont contribué à le garder du côté des vivants ? Will voudrait prétendre que oui, mais ce serait mentir, et mentir effrontément, par ailleurs. Il a attendu ce geste de la part d’Hannibal, empreint d’une surprenante tendresse, pour revenir à cette réalité qu’il avait si facilement occultée avant cela.

« C’était mon intention… », admet Will sans se dérober à cette observation quand Hannibal suggère que ça a dû être son projet. Oui, mais ce n’était pas son dessein. Leur dessein. Il avait goûté une perfection qu’il voulait se donner d’autres occasions de vivre, pour vivre avec lui. « Je ne suis toujours pas convaincu de mon choix », reprend-il alors d’un ton éloquent. Le choix de les garder en vie, en somme. « Je pourrais bien changer encore d’avis. » Il marque une pause. « C’est ce qu’ils devront tous croire », reprend-il en reportant son attention sur Hannibal.

Se faire passer pour morts, et ainsi commencer une nouvelle vie. A deux.

The wrath of the lamb

feat. Hannibal

Hannibal ne semble guère surpris de ses aveux, sans doute parce que, s’il les lui a extirpés de lui-même, c’est qu’il savait d’ores et déjà ce qu’il devait en être. Will n’en est pas réellement surpris. S’il en est un et un seul qui sache véritablement comprendre son mode de fonctionnement et de quelle manière s’articulent ses pensées, c’est définitivement lui, lui qui a pu sonder son esprit de mille façons, qui toutes n’ont pas été professionnelles. Ce n’est pas le psychiatre aguerri qui a su lire au creux de ses prunelles ce quelque chose que d’autres ne faisaient qu’entrevoir sans savoir l’analyser, c’est l’autre, celui qui savait pouvoir lire en lui parce qu’il se découvrait en l’autre en retour… Pour cette raison, oui, la surprise n’est pas de mise. La colère non plus, semble-t-il, chose que Will apprécie de constater, lui qui, après avoir déposé, en état de faiblesse et donc de vulnérabilité totale, son cœur aux pieds de son vis-à-vis, n’aurait pas supporté qu’il se retrouve piétiné. Pas après avoir dû fournir tant d’efforts pour admettre la nature de ses sentiments et la force de ces derniers.

Il lui prouve une nouvelle fois à quel point ses pensées et ses intentions lui sont transparentes tandis qu’il observe douter fort de sa capacité à changer d’avis encore. Et il a tout à fait raison. Pour Will, il n’en est à présent plus question. Il a fait – enfin – la paix avec ses interminables atermoiements, et a fini par admettre également l’inéluctabilité de cette situation. Il a raison de douter, ou plutôt, il pourrait tout à fait afficher sa certitude quant à ce que Will décidera de faire à présent tant il est évident qu’il sait… Son choix est fait. Il avait encore eu une occasion d’abandonner à son sens de la justice autant qu’au hasard leur sort à tous les deux, comme un lancer de dés cosmique, comme une manière de décider sans décider tout compte fait. Son choix n’est contre toute attente pas un choix de raison mais un choix de cœur, tout compte fait. Une manière de se donner l’opportunité, encore, de savourer sa présence, l’euphorie de cet instant partagé où plus seul n’avait compté que le sang noir au clair de lune. Cette exaltation qui venait au temps de l’émotion grisante qui accompagne le fait de prendre une vie que de celle d’être avec lui… A sa place pour toujours. Ce qu’il a toujours voulu pour lui, et veut dorénavant pour eux deux.

« Pas d’adieux, non », confirme doucement Will en relevant son regard vers Hannibal.

Ils ne peuvent pas se le permettre et surtout, par lâcheté peut-être, Will trouve un certain réconfort au fait de partir sans se retourner, comme si sa vie passée ne lui appartenait déjà plus depuis longtemps… il n’est pas tout à fait convaincu, à vrai dire, qu’elle lui ait seulement appartenu un jour, en fin de compte. La première pensée qui lui vient, néanmoins, est pour ses chiens… mais les récupérer, ou même partir en cavale avec une meute de canidés ne serait pas la manière la plus efficace de passer inaperçus, c’est certain. D’un geste, Will retire l’anneau à son doigt, le glisse au creux de la main d’Hannibal. Une manière de lui promettre ce qu’Hannibal ne lui a pas demandé tacitement mais exigerait sans doute.

« Combien de temps avant que le FBI ne retrouve cet endroit ? »

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feat. Hannibal

La parole d’Hannibal comme une parole d’Évangile. La vérité, c’est qu’il n’a pas plus de raisons que lui de savoir combien de temps ils peuvent bien avoir devant eux avant qu’on ne les rattrape. Quelques heures, peut-être quelques minutes, comment savoir ? Deux des plus grands tueurs en série de cette ère en liberté, bien sûr que tout le FBI doit être en train de s’agiter. Et les voilà pourtant en train de s’agiter, le sang encore frais de leur ennemi, mêlé au leur, maculant leur peau et leurs vêtements. Et Will ne se sent pas oppressé. Étrangement, il ne se sent pas angoissé non plus par la perspective qu’on puisse bel et bien les retrouver, ou même de devoir montrer son vrai visage à tous ceux qui avaient cru le connaître ou lui avaient donné le bénéfice du doute. Il n’est plus celui qu’il a été, et il ne veut plus l’être non plus, il ne voudra plus jamais l’être. Les regards qu’il croiserait ne seraient plus familiers, car ils toiseraient ceux d’un étranger.

Il s’est passé quelque chose d’inexplicable en cet instant où il a basculé sans les faire basculer. Cela va bien au-delà de cet appétit de sang déjà assouvi, de cet appétit de lui qui, lui, ne sera jamais assouvi en revanche. C’est quelque chose d’aussi remarquable que violent, qui transcende la raison, qui dépasse, et de loin, ce que l’on pourrait considérer comme explicable. Un baptême, une renaissance... il ne saurait trop quel nom lui donner. Ce qu’il sait, en revanche, c’est que cette peau neuve qu’il se découvre l’exempte de ce sentiment de peur qui le parasitait jusqu’alors. Il devient si simple, alors, de ne se concentrer que sur ses sensations présentes, sur le moment, rendant l’intervention probable des autorités presque anecdotiques. Alors cette réponse laconique, et qui ne dit absolument rien, sait bel et bien suffire à Will, qui l’écoute et qui la cautionne sans en demander davantage. Suffisamment de temps, c’est assez. Et c’est peut-être ce changement, à peine perceptible à l’œil nu, mais qu’Hannibal sait reconnaître car il reconnaît tout de lui, qui lui fait prononcer ces mots, comme une proposition d’alternative à ce qu’il a lui-même proposé plus tôt.

« On abandonnerait toute velléité de départ en toute discrétion, alors », remarque-t-il sans rien dire, le regard baissé sur le poing ferme d’Hannibal, au creux duquel se trouve toujours l’alliance que Molly lui avait passée au doigt dans une autre vie, si lointaine que Will est à présent convaincu qu’elle a appartenu à quelqu’un d’autre. « Non pas qu’il en ait jamais été vraiment question », admet-il alors ensuite. Hannibal n’avait ni rejeté ni approuvé sa suggestion, il s’était contenté de quelques paroles évasives : « pas d’adieux, dans ce cas ». Il voulait seulement s’assurer qu’il n’y avait pas d’adieux dans tous les cas. Encore une manipulation, de fait ? Oui, mais plus consentie que jamais. « Que suggérez-vous ? » Il marque une pause. « Il faudra différer de vos méthodes habituelles », reprend-il doucement. « Je ne le mangerai pas. »

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feat. Hannibal

Ce basculement total vers un océan de possibles est aussi grisant qu’il est déstabilisant. Il s’était convaincu pendant longtemps que sa vie ne lui appartenait pas tout à fait, rongé par une instabilité manifeste contre laquelle il ne parvenait pas à lutter véritablement, puis finalement convaincu qu’il devait se fermer coûte que coûte à ses aspirations dans l’intention de ne pas devenir pour de bon ce monstre avec lequel il avait cru qu’il ne serait pas capable de vivre. Il avait aussi fallu admettre que tout marionnettiste fut-il vis-à-vis de lui, Hannibal était loin d’avoir tirer toutes les ficelles. Il l’avait dit lui-même, il avait murmuré à travers la chrysalide, et cela avait forcément impacté ses choix et son devenir, mais ce qu’il a fini par pleinement embrasser, cette nuit, n’appartient néanmoins qu’à lui.

C’est peut-être – très probablement même – cette curiosité naturelle qui l’a toujours caractérisé qui pousse Hannibal à se comporter ainsi, à le laisser libre de ce qui doit suivre en ne cherchant pas plus à avoir une incidence sur les événements que sur lui. Quelque part, il a achevé son œuvre, à présent, il ne lui reste qu’à en observer – en admirer s’il le peut – les effets les plus remarquables. Ainsi donc, il lui appartient de décider, et Will se satisfait de la conviction sincère et profonde que ce ne sont pas là que des mots.

Non, le discours de son interlocuteur est aussi profond que sincère : il pense chaque mot prononcé, et il attend. Peut-être est-ce là son ultime manipulation. Une fois qu’il aura admiré son œuvre, ne s’en lassera-t-il pas déjà, en quête d’une nouvelle à torturer et à modeler. C’est une probabilité qui devrait l’inquiéter et qu’il rejette dès l’instant où il sent ses lèvres se poser avec douceur sur ses doigts. Ce qu’ils échangent en cet instant va bien au-delà de la seule expérimentation, c’est une affaire de pulsion et de destiné, mais c’est aussi autre chose. A qui d’autre Hannibal Lecter accorderait-il tant de concessions. Sans pouvoir être tout à fait certain de la réponse à cette question, Will se plaît à croire qu’il est bien le seul.

« Nos méthodes », le corrige doucement Will. « Je ne décide pas en votre nom ni vous au mien. Nous décidons ensemble. »

Will se redresse assez laborieusement. Il tend la main vers Hannibal pour qu’il le suive, déterminé à ne rien faire qu’ils ne fassent ensemble. Encore diminué par ses blessures, il évolue difficilement dans ses vêtements encore maculés de sang, néanmoins, de ce pas encore traînant mais non hésitant, il se dérange vers leur victime, que le sang encore frais auréole d’une aura presque sacrée. Le Grand Dragon rouge a sans doute eu précisément la mort qu’il méritait. Après un temps d’observation, décision est prise. Armé des ustensiles qu’il trouve à sa disposition dans la cuisine, les omoplates de Francis Dolarhyde sont arrachées, sa peau étirée en ailes grandioses dans son dos, sa peau entièrement peinte à présent de son propre sang, que la lune rend d’un noir profond, mais auquel le jour rendra son rouge éclatant à l’arrivée des autorité.

« Le grand dragon rouge dans sa plus pure expression. »

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La fascination horrifique qu’il a pu ressentir en observant certaines des œuvres signées de la main de celui dont il ignorait alors encore le nom l’étreint presque naturellement, comme si cette œuvre n’était pas complètement la sienne, comme s’il n’en était qu’un simple spectateur… Mais cette émotion proche de l’exaltation qui l’étreint à cette pensée, celle d’être auteur et spectateur à la fois, est trop spécifique pour qu’il en ignore la puissance et la nature. S’il fallait, en cet instant, spécifier ce qu’il voit et ce qu’il éprouve, ainsi qu’Hannibal le lui a demandé tant de fois par le passé, Will n’est pas tout à fait convaincu des mots qu’il choisirait d’employer afin de s’exprimer. Cela exigerait de déployer un vocabulaire soit trop spécifique, soit trop éthéré.

Une chose est certaine, néanmoins, il éprouve au moment de donner corps à la mort la sensation d’être plus vivant que jamais, et c’est une sensation aussi vive que remarquable. Une sensation qu’il ne voudrait échanger contre rien… comme rien de ce qu’ils partagent ici et maintenant, en vérité. Ici, dans ce contexte tout particulier, et en cette compagnie spécifique, Will a le sentiment d’effleurer du doigt l’éternité, et c’est un sentiment trop grisant pour être exprimé. Hannibal ne lui demande cependant rien de tel. Lui aussi n’est jamais que dans l’instant quoi qu’il en soit. La communication a été totalement fluide, fluide parce que non-verbale. Ils n’avaient guère besoin de se dire quoi que ce soit pour parfaitement se comprendre l’un l’autre. Et ce n’est finalement qu’après quelques longues minutes d’un silence proche du recueillement que la voix d’Hannibal bien rompre le silence.

Son regard ne se détache pas du Grand Dragon rouge sous sa forme la plus accomplie tandis qu’il réfléchit à la question de son interlocuteur, à laquelle il ne compte pas apporter de réponse trop catégorique, quand bien même il le pourrait sans doute, car cette réponse, s’il prend le temps d’y réfléchir, est en réalité plutôt évidente. Pourtant, c’est une réponse détournée, de celles dont il a l’art, la manière et l’habitude, qu’il utilise pour finalement s’adresser à cet homme en présence de qui sa vie a changé du tout au tout, et ce en réalité depuis l’instant même de leur rencontre, même s’il était trop tôt encore, alors, pour en prendre pleinement conscience.

« Ce n’est pas un baptême à proprement parler. »

Parce qu’il a déjà tué. Plus d’une fois. Parce qu’il a déjà mis en scène la mort de ceux qu’il avait froidement exécutés. Mais ce n’est pas pour autant  qu’ils avaient la même portée symbolique. Ce n’étaient pas des coups d’essai, pas exactement des étapes non plus, c’était… autre chose, ce quelque chose qui avait jalonné ce chemin qu’ils n’ont pourtant pas cessé de parcourir.

« Je n’en ai pas besoin », fait-il posément. « Je n’ai pas besoin de quoi que ce soit », ajoute-t-il tranquillement en détournant cette fois le regard de sa création pour la poser sur Mutt. « Je me contenterais des souvenirs qui hanteront chacune des pièces que nos palais ont en commun à présent », ajoute-t-il alors, référence à une conversation si lointaine dans son esprit qu’elle semble avoir appartenu à une autre vie… mais c’est le cas, en réalité, de tout ce qui a pu précéder cet instant. Avant lui et après lui. Sans conteste. « Je n’ai besoin de rien », reprend-il ensuite en réduisant autant que possible l’espace entre eux, jusqu’à venir presser ses lèvres contre les siennes. « Je n’ai besoin que de toi », ajoute-t-il dans un souffle, renonçant définitivement au vouvoiement.

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feat. Hannibal

Il y en aura de nombreuses autres, des pièces communes à leurs palais de mémoire respectifs, et pour cause, ils le partagent, à présent, chaque souvenir qu’ils se créeront dorénavant, ils les créeront à deux. Will est incapable de s’imaginer exister indépendamment d’Hannibal… C’est une pensée qui n’avait pas attendu ce moment pour le saisir. Cela fait un moment qu’il ne se sait plus exister sans avoir Hannibal dans son sillage. Ils sont siamois, ils forment un tout… L’apprécier et l’accepter rend la chose plus facile, mais à la vérité, ces dernières années de son existence n’ont eu pour effet que de cimenter les murs de ces pièces de plus en plus nombreuses. Le moindre souvenir qui ne concernerait pas Hannibal, de près ou de loin, était relégué à moins qu’important. Même durant ces trois années qu’il a passées loin de lui, à prétendre savoir mener une vie nouvelle en compagnie de Molly, il n’avait jamais cessé de penser à lui, de se construire de manière opposée à lui, et donc encore et toujours par rapport à lui.

Combien avait-il passé de nuits sans sommeil à entendre sa voix au creux de son oreille ? Combien de fois avait-il lu et relu la lettre qu’il lui avait écrite, comme si glisser ses mains sur l’encre séchée pouvait l’aider à dépasser son obsession pour lui ? Cela fait longtemps que leurs palais n’ont plus que des pièces communes… Mais cette fois… Cette fois ils savent. C’est la promesse stricte et rigoureuse d’un avenir où tout ce qu’il feront ne se fera pas dans l’intention de détruire l’autre, mais au contraire de lui permettre de s’accomplir. Car oui, définitivement, ils ne s’accompliront pleinement que s’ils sont ensemble. Ce baiser, ce passage du vouvoiement au tutoiement, ce sont des preuves, des plus concrètes, de ce qu’ils doivent à présent représenter l’un pour l’autre, envers et contre tout, et c’est définitivement tout ce qui importe. Ça et rien d’autre.

Leurs lèvres s’embrassent comme si elles s’inquiétaient de se quitter un jour, fiévreusement, comme si chacun de ces baisers leur offrait un souffle vital et nécessaire. Désirer Hannibal n’a pas été immédiat pour Will, il a été fasciné, envouté, séduit, et quand son âme a fini par parler à la sienne trop bruyamment pour qu’il fasse abstraction, c’est alors son corps qui a pris le relai de son esprit. Comme la manière la plus concrète et la plus certaine de lui témoigner dans toute son ampleur la dévotion profonde qu’il ressent envers lui. Ce qu’il ressent, ce qu’il exprime, c’est de l’amour dans des proportions qu’il n’avait jusqu’alors jamais connues. C’est particulier, c’est évidemment déroutant mais c’est en même temps quelque chose de sûr et de puissant, son pilier le plus solide dans le tout instable qu’il a toujours incarné, plus ou moins malgré lui.

Ses lèvres peinent à se séparer des siennes, mais quand il s’y risque enfin, Hannibal fait remarquer l’évidence. Ils ont déposé ici leur signature, et c’est à présent une course contre la montre qui doit s’engager. Quand Jack et le FBI auront découvert les lieux et le cadavre encore frais de Francis Dolarhyde, il ne fait aucun doute que les conséquences retomberont immédiatement sur eux… Ils doivent prendre de la distance… Ou bien. Il hoche simplement la tête avant de reprendre la parole.

« Je prends le volant », déclare-t-il simplement avant de retourner dans la demeure afin d’y rassembler ce qu’ils peuvent emporter d’affaires afin de les loger dans le coffre du véhicule de police qui les a conduit ici. Il leur faudra très vite, bien sûr, trouver un autre moyen de locomotion, mais celui-ci fera l’affaire le temps de s’éloigner de la scène de crime. La voiture démarre et se fond doucement dans le paysage jusqu’à en disparaître. « Je sais qu’il nous faudra quitter le pays au plus vite, mais nous avons des choses à régler avant cela. Des promesses à honorer », reprend-il d’un ton neutre en songeant à Alana et à Margot, certes, mais à Bedelia surtout. Il est hors de question de partir sans avoir tout d’abord clôturé ce chapitre. Mais pas tout de suite, bien sûr, pour le moment, il faut surtout qu’ils s’isolent un temps suffisamment long pour laisser à leurs blessures le temps de guérir. Une fois le véhicule de police échangé contre un autre, plus discret, ils rejoindront un motel, rien qui soit dans les standards habituels d’Hannibal, règleront leur chambre en liquide, et saisiront cette occasion de planifier au mieux leurs projets de vengeance.

The wrath of the lamb

feat. Hannibal

Will ne pose pas de questions, ne cherche pas à savoir de quelle manière il espère remonter la trace de Bedelia et leur permettre de l’atteindre. Bien sûr, il a plus d’une idée à ce sujet, mais il ne se laisserait certainement pas distraire ou dissuader. Il laisse à ce sujet les rênes à celui qui la connaît le mieux, occultant au passage ce qui a terriblement le don de l’agacer concernant le fait qu’il la connaisse si bien. Ses doigts se crispent légèrement sur le volant de son véhicule à la pensée de leur escapade à Florence, cette période durant laquelle ils auront vécu en tant que mari et femme. Ce sentiment qui l’a bien souvent habité en présence de la psychiatre trouve une justification si simple qu’elle en est proche de triviale : il a été terriblement jaloux d’elle, et c’est encore ce sentiment de jalousie qui le pousse dans ses retranchements et l’invite si puissamment à vouloir d’elle leur victime privilégiée, au-delà même de la menace qui a pu être proférée. C’est un crime tout personnel, ils ne pourront pas tous l’être, ce serait bien trop dangereux. Mais à chaque règle son exception. A aucun moment Hannibal ne proteste ou ne le dissuade, et Will estime par conséquent que c’est une excellente chose pour lui, ou du moins choisit-il de le concevoir ainsi. Ils se soucieront, quoi qu’il en soit, des détails techniques plus tard. Ils auront tout le temps de décider, alors, de la manière dont ils voudront se débarrasser de celle sur qui il faudra tirer un trait sanglant.

Mais pour le moment, il ne peut être question d’intervenir à la hâte quoi qu’il en soit. C’est une chose qu’ils ne peuvent certainement pas se permettre. Non, il est important qu’ils reprennent tout d’abord du poil de la bête. Raison pour laquelle le chemin qu’ils empruntent ne les mènent pas sur des routes déjà connues d’eux deux mais sur des chemins plus escarpés, plus sinueux, à mesure qu’ils s’éloignent progressivement de toute civilisation. Les minutes et les heures défilent sur le bitume bosselé tandis que, non sans avoir changé à plusieurs reprise de véhicule, ils mettent le plus de distance possible entre eux et leur passé, entre ceux qu’ils furent et ce qu’ils font.

Le motel où ils décident de s’arrêter ne paie pas de mine, et il est bien loin des standards de luxe et de confort d’Hannibal, par ailleurs. C’est un sacrifice auquel le cannibale consent en leur nom à tous les deux, cela, Will l’a bien compris, et c’est une chose qu’il ne manque pas d’apprécier sincèrement… Chaque pas consenti dans une direction autre que celle présumée, dans l’unique but de marcher sur le même chemin que lui, est à observer comme un don précieux lui étant accordé, et qu’il doit savoir apprécier à sa juste valeur. L’endroit est presque trop miteux pour lui également, mais ils ne manqueront pas d’y trouver leur compte malgré tout. Il le faudra bien.

La porte se referme sur une chambre minimaliste, qui n’a l’espace d’accueillir qu’un seul grand lit. Des rideaux opaques plongent la pièce dans une semi-pénombre jusqu’à ce que Will daigne allumer la lumière pour révéler une pièce qui trahit un piètre souci d’entretien. Peu importe… cela fera l’affaire pour le moment. Cette solution de repli était la meilleure qu’ils pouvaient espérer pour la soirée. Will se laisse retomber sur le lit, assis sur le rebord, d’un geste, il attire Hannibal à lui, doigts agrippés autour de ses poignets.

« Et maintenant ? » souffle-t-il.

Son regard est sans équivoque.

The wrath of the lamb

feat. Hannibal

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