Que serait-il capable de lui offrir qui ne soit pas, venant de lui, un cadeau empoisonné ? Maladroit socialement, peu importe en présence de qui il se trouve, il se demande si cette maladresse n’atteindrait pas son paroxysme avec Abigail. C’est que s’il a été souvent père en pensées pour elle, il n’a pas tant eu l’occasion de l’être concrètement, et dans ces moments-là, même, a-t-il vraiment fait autre chose sinon échouer ? Qu’importe la manière dont il l’observe, cette conclusion s’impose à lui à chaque fois, pris dans cette contradiction qu’il n’imagine pas pouvoir démêler, celle de pouvoir être enfin là pour elle. Tout en sachant pertinemment qu’il ne devrait pas être là pour elle.
Que lui offrir qui ne soit pas un cadeau empoisonné ? Rien, sans doute, car tout ce qui émane de lui porte naturellement la trace de leurs décisions passées, il ne peut pas lui garantir ce qu’il veut naturellement pour elle. Ni le bonheur, ni la sécurité. Il voudrait lui offrir d’être heureuse, il voudrait lui donner cette chance d’être libre, qu’elle n’a finalement jamais connu, mais il n’a pas son pouvoir… Les jours passés depuis ses retrouvailles avec Abigail, il n’a eu de cesse de songer à Garret Jacob Hobbs, et à ce que représente pour lui le fait de le savoir en vie. En dehors d’Hannibal, il ne pense pas avoir un jour ressenti à ce point le désir, pour ne pas dire le besoin, d’assassiner quelqu’un. Pourtant, Hobbs est toujours en vie. Lui offrir de tuer le père serait peut-être un cadeau élégant – il serait en tout cas au goût d’Hannibal, ça c’est certain, mais Will ne s’y résigne pas.
A la place il songe qu’au fond, le cadeau qu’il daigne lui offrir, à l’occasion de son anniversaire, est sans doute encore davantage un cadeau qu’il s’offre à lui-même, un tant de paix, une accalmie, qui saurait lui faire oublier que leurs démons respectifs ont désormais trop d’ampleur et de réalité pour être simplement ignorés.
Il a chargé le coffre de sa voiture de tout le matériel nécessaire, du matériel de pêche, évidemment. Il n’était pas question d’aller chercher Abigail chez elle, trop risqué, ni chez lui, ce serait prendre le risque – pourtant inévitable (et Will ne réalise pas encore qu’il est trop tard pour cela) – qu’Abigail retrouve Hannibal. Alors il lui a donné rendez-vous à mi-chemin, aux abords d’un parc où elle pourrait l’attendre tranquillement.
« Tu n’as pas eu de difficultés à venir ? » demande-t-il une fois Abigail installé. C’est plus fort que lui, il ne peut s’adresser à elle sans songer d’office aux difficultés qu’elle pourrait avoir rencontrées, la plus grande étant représentée par son père, bien sûr. En insistant pour la revoir, il la met en danger, il prend le risque que son père découvre qu’il est là, ça non plus il ne l’ignore pas. « Au fait… » Il extirpe un paquet de la boîte à gants, qu’il tend à Abigail. « Joyeux anniversaire. »
C’est un cadeau qui n’a rien d’extravagant mais contient plusieurs livres de référence, chers et assez rares, qui pourraient lui être précieux dans ses études. Une manière de l’encourager sur la voie qu’elle a choisie, malgré des réticences qu’il ne lui a pas cachées lors de leur première rencontre. Et aussi parce que c’est un cadeau qui pourra éventuellement passer inaperçu aux yeux de son père, et dont elle n’aura pas à se justifier.
Dernière édition par Will Graham le Jeu 21 Avr 2022 - 21:05, édité 1 fois
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Mer 24 Nov 2021 - 22:25
The quiet of the stream. Abigail était une jeune femme secrète. Par nécessité, et par habitude. Elle n'était plus certaine de connaître le véritable sens du mot "envie", désormais. Ni même celui de choix. La liberté, pour Abigail, n'était qu'un vague concept. Cela valait pour sa liberté d'agir, sa liberté de ressentir, et sa liberté de désirer. D'aspirer à un avenir meilleur. Comment penser à l'avenir lorsque le passé ne cessait de la rattraper et de s'imposer dans son présent ? Et donc, pour cette raison, Abigail n'avait communiqué la date de son anniversaire qu'à très peu de personnes, et ne comptait pas le fêter outre mesure.
Par moments, elle parvenait à saisir certaines impressions de liberté. Des illusions, bien sûr, mais des illusions qui étaient bénéfiques pour sa santé mentale fragilisée. L'université avait été la première de ces illusions. Autrefois, elle y avait renoncé parce que son nom de famille et sa réputation de fille de cannibale, et cannibale elle-même, la poursuivait. Les victimes de son père la poursuivaient. Puis, après l'université, étaient venues les relations sociales, celles qui n'incluaient pas de condamnation à mort.
Cette sortie avec Will représentait pour elle la finalité de ces ébauches de liberté qu'elle ne cessait d'analyser. Curieusement, Abigail voulait croire que sa démarche était sincère. Pour elle qui avait été corrompue durant des années, modelée selon les envies et ambitions de son père, puis d'Hannibal, elle voulait croire que Will, malgré ses talents pour la manipulation, était le mieux attentionné de ces trois hommes qui régnaient sur son existence.
- Aucune, répondit-elle après avoir attaché sa ceinture. Il me croit en cours.
Naturellement, elle répondit à la question sous-jacente. Mais elle estima qu'il n'était pas nécessaire de développer. Avait-elle séché quelques cours pour pouvoir profiter de sa journée d'anniversaire avec Will ? Sans doute. Mais elle ne se préoccupait pas de cela. Elle avait, en termes de préoccupation, des affaires bien plus graves et sérieuses.
L'attention de Will pour son anniversaire était une surprise. Le paquet qu'il lui tendit d'autant plus. Elle avait estimé que ce moment avec lui était son cadeau. Curieuse, elle découvrit donc les livres et eut un sourire.
- Merci. C'est vraiment... Ils ont l'air super.
Elle appréciait cet effort, tout particulièrement après qu'il lui ait ouvertement transmis sa désapprobation quant à son choix d'études et de carrière. En cela, il différait tout particulièrement de son père biologique. Will, en cet instant, respectait sa décision. C'était précieux.
Troublée par cette aisance qu'elle avait à se sentir sereine avec lui, elle se racla la gorge et sortit de sa poche un petit paquet qu'elle posa sur le tableau de bord. Sous le papier cadeau, se trouvait un hameçon de pêche, le plus élégant qu'elle ait réussi à trouver dans un magasin.
- C'est pour toi. Bon anniversaire en retard, Will, souffla-t-elle.
Will accueille la réponse d’Abigail d’un simple hochement de tête. Il n’insistera pas, ne lui demandera pas plus de détails sur sa vie auprès de son père, ou encore sur lui, il sait d’avance qu’elle évitera le sujet ou qu’elle fera du moins son possible pour détourner l’attention. Difficile de l’en blâmer quand lui-même sait difficilement nier son intention de se débarrasser tôt ou tard de cet homme dangereux (pour les jeunes femmes qu’il fait disparaître, c’est certain, mais surtout pour Abigail, et c’est surtout cela qui l’inquiète). Ce simple « Il » plane telle une menace lourde et tacite sur leur conversation et sur leur relation. Et ce continuera d’être le cas tant qu’il sera là, et par trop susceptible de faire du mal autour de lui.
Alors, il accepte que le sujet soit occulté, au moins temporairement, parce que c’est l’anniversaire d’Abigail, parce qu’il ne veut pas la mettre mal à l’aise, parce qu’il voudrait que ce moment soit une parenthèse, autant pour lui que pour elle. Au cours de laquelle ils ne remettront pas en cause leurs choix, leurs décisions, au cours de laquelle les éléments extérieurs, perturbateurs et dangereux qui laissent peser une lourde menace sur leurs existences, n’auront pas d’impact ou de pouvoir sur eux. La jeune femme accepte son cadeau, et Will veut croire qu’elle comprend la symbolique que revêt ce cadeau.
Il s’apprête à redémarrer le véhicule quand la jeune femme lui tend à son tour un paquet. Relativement indifférent à son propre anniversaire, il ne pensait pas qu’elle s’en souviendrait, tout comme elle-même ne s’était sans doute pas imaginé qu’il aurait retenu une telle date. « Tu n’étais pas obligée… »
Il sourit en découvrant l’hameçon de pêche, un cadeau parfaitement approprié aux circonstances, il faut le dire. « Il est superbe, merci beaucoup. »
Il dépose délicatement le paquet au-dessus du tableau de bord et démarre finalement le véhicule. « Je suppose que tu devines où je t’emmène », dit-il une fois qu’ils sont à nouveau engagés sur la route.
Bien sûr que cela n’a pas pu lui échapper et qu’elle le sait forcément et sans aucun doute possible. En témoigne ce cadeau, mais même sans cela, elle aurait forcément deviné. Si Will a en mémoire des souvenirs communs avec Abigail que cette dernière n’a jamais vécus, il lui a tout de même parlé de ces parties de pêche imaginaires, au cours desquelles il pouvait jouer auprès d’elle le rôle auquel il aspirait et dont on l’avait trop cruellement privé. L’emmener pêcher, c’était peut-être davantage un cadeau qu’il se faisait à lui-même plutôt qu’à elle, mais il espère tout de même qu’elle appréciera l’expérience. « Au fait », ajoute-t-il en désignant le hameçon d’un mouvement de tête. « Il faudra lui donner un nom. »
The quiet of the stream. La jeune femme haussa les épaules après que Will lui ait indiqué qu'elle n'était pas obligée de lui offrir un cadeau. Elle le savait, mais y avait tenu malgré tout. Elle profita du fait qu'il découvre le cadeau pour reprendre la parole avec une pointe d'amusement qui, immédiatement, lui donna l'allure de sa jeunesse :
- Tu sais, quand tu penses à moi pour ce genre de choses, je pense aussi à toi...
Car si l'affection de Will à son égard était indéniable, la sienne était tout aussi sincère. Elle avait pourtant été parfois très dure envers lui, après qu'il ait abattu son père. Sans doute parce que, tout comme lui l'avait alors considérée comme sa fille, elle lui avait trouvé des ressemblances avec son père qui, à l'époque, l'avaient effrayée. Désormais, elle comprenait mieux la situation. Et, surtout, elle avait eu le temps d'apprécier, après réflexion, la vigilance et la tendresse de Will à son égard, en comparaison avec la menace imposante qu'était la présence quotidienne de son père biologique. Chez Garrett, la possession l'emportait sur l'affection. Chez Will, elle avait le sentiment que c'était l'inverse.
Elle se cala plus confortablement contre le dossier du siège passager après qu'il ait découvert le hameçon. Elle était ravie que son attention l'ait fait sourire. Les sourires étaient si rares, chez lui, qu'elle se surprenait à les chérir. La distance n'était pas simple à placer avec lui. L'impression tenace qu'il la comprenait autant qu'elle le comprenait, sur tous les plans, était réconfortante.
Tout en regardant la route, elle acquiesça. Oui, elle avait deviné. Suite à leur dernière discussion, et suite aux indices laissés par Will, c'était chose difficile que de ne pas songer aux rêveries partagées par le profileur au sujet de la pêche et de l'enseignement qu'il aurait voulu lui faire.
- Oui. Je suis un peu nerveuse, en vérité. J'ai peur de faire fuir tous les poissons...
Et, bien sûr, l'opposition entre pêche et chasse était particulièrement symbolique de l'opposition entre Will et son père. Elle ne s'attarda pas sur cette pensée trop amère pour l'occasion et se laissa plutôt surprendre par la dernière phrase de son interlocuteur, vers qui elle tourna un regard interrogateur.
L’attention qu’Abigail lui apporte le rassure, de même que les paroles qu’elle lui adresse, l’assurance que son intention de renouer avec elle n’est pas à sens unique, rassure Will. Il sent Abigail sincère avec elle, et c’est ce qu’il souhaite. « J’en doute, tout est affaire de discrétion et de patience. Tu ne manques ni de l’un, ni de l’autre », observe Will quand Abigail, qui a évidemment très bien compris quel était le but de cette excursion, suggère qu’elle serait susceptible de faire fuir les poissons.
Il ne s’inquiète pas vraiment de cela. Et que la pêche soit fructueuse ou non n’est pas vraiment sujet à inquiétude pour lui non plus, il est plus soucieux d’un moment partagé avec celle qu’il considère comme sa fille que par ce qu’ils pourront récupérer au bout de la ligne. Et oui, Abigail sera sans doute une excellente pêcheuse. S’il ne tolère de comparer chasse et pêche que pour isoler leur dissemblance (souvenir d’une conversation qu’il est persuadé d’avoir eue avec la jeune femme et qui n'a pourtant jamais eu lieu), il dont admettre que l’exercice de ces deux activités exigent des qualités similaires. Et que si elle sait en faire preuve auprès de Garret Jacob Hobbs, elle le saura également en sa présence.
« Ceci », dit-il en tapotant doucement sur le paquet offert par Abigail « est un hameçon à leurre souple, ce qui veut dire qu’on peut l’utiliser sans appât. » Il laisse passer un temps de pause. « Nommer son appât – ou un leurre en l’occurrence – d’après une personne qui nous a été chère, et à qui nous avons été chère, est supposé garantir une pêche fructueuse. » Il esquisse un fin sourire. « Vieille superstition de pêcheur », ajoute-t-il simplement en balayant le souvenir d’une conversation qui, une fois encore, n’avait eu lieu que dans son esprit.
Il reporte son attention sur la route. En présence d’Abigail, tout a tendance à se confondre, ce qu’ils avaient eu l’occasion d’être l’un pour l’autre, ce qu’il n’avait pas voulu être pour elle et avait pourtant été, malgré lui, ce qu’il aurait voulu être et n’avait jamais été, ce qu’il espère devenir et ne sera sans doute jamais été. Et tandis que ces différentes versions de lui-même – et ces différentes versions d’Abigail – se confondent en un flou confus, il n’a plus tout à fait conscience de ce qu’il est susceptible d’être pour elle dans l’instant présent, au-delà de tous ses préconçus, de toutes ses inquiétudes et de toutes ses attentes, plus ou moins excessives.
Après quelques minutes, le véhicule s’engage sur un terrain plus accidenté, une route de terre et de cailloux. La voiture cahote légèrement jusqu’à sa destination, et tandis que Will coupe le contact du véhicule, il tente autant qu’il le peut de revenir à l’instant présent, et à ce qu’il sera susceptible d’être dans ce même instant présent. « On est arrivés. »
The quiet of the stream. L'explication de Will au sujet du hameçon fit sourire Abigail. Il semblait y tenir, à cette vieille superstition de pêcheur. C'était une facette de sa personnalité qu'elle découvrait et qui le rendait plus... Humain. Plus doux, également. Après leur dernière discussion et leur histoire commune des plus sinistres, c'était donc une découverte qui lui permettait de se sentir plus légère. Il y avait un peu de clarté chez Will et c'était celle-ci, bien plus que la noirceur dont il était capable, qui l'attirait. Son père biologique manquait cruellement de ce type de clarté.
- Eh bien... C'est ton hameçon, c'est à toi de lui donner un nom, observa-t-elle en conservant un léger sourire en coin.
Will semblait être perdu dans ses pensées. Il avait toujours le regard plus fixe lorsque tel était le cas. Abigail se surprit à observer son visage de biais pendant qu'il conduisait. Même si elle avait pris grand soin d'être imperturbable en apprenant la présence de Will, elle n'était en vérité pas aussi sereine qu'elle ne voulait bien le montrer. Le bonheur de le revoir l'emportait sur l'appréhension, mais une part d'elle continuait de se demander s'il ne s'agissait pas d'une illusion, ou pire, d'un piège odieux destiné à la tourmenter davantage en l'arrachant une nouvelle fois de sa vie - ou pour mieux lui ôter la vie, tout simplement.
Elle occulta ses pensées désastreuses et afficha un nouveau sourire quand Will coupa le contact du véhicule. Aussitôt, elle défit sa ceinture et sortit de la voiture avec enthousiasme. L'air frais lui fit le plus grand bien. L'impression de se retrouver seule en compagnie de Will, auprès de cette rivière, était apaisante. En cet instant précis, elle nourrissait l'espoir que rien ne pouvait leur arriver, à l'un comme à l'autre.
Se détachant de sa contemplation de l'horizon, elle reporta son attention sur Will et contourna le véhicule pour le rejoindre. Elle leva vers lui son regard curieux et attentif, puis, mains dans les poches de sa veste, l'interrogea :
Will se contente d’adresser une fine esquisse de sourire, sans doute un peu crispée, à la réponse d’Abigail… Au fond, il est assez terrible de songer qu’il pourrait lui donner plus d’un nom… et qu’en même temps, il serait préférable de ne lui en donner aucun. Ce n’est rien. Comme il l’a dit lui-même. Rien d’autre qu’une simple superstition de pêcheur, rien de véritablement important ou significatif, mais cette discussion le laisse songeur. Quand il voudrait ancrer son esprit dans l’instant présent, ce dernier menace sans cesse de s’évader vers d’autres contrées, brouillant les frontières entre les différentes réalités qui ont constitué une existence double, voire triple.
Pourtant, il voudrait n’être qu’ici et maintenant, en présence d’Abigail, et occulter ce sentiment de rêve un peu flou qui lui donne en certaines occasion l’impression de ne pas vivre vraiment ces moments… C’est peut-être pour ça qu’il privilégie de partager avec elle un moment qui n’a jusqu’ici été qu’onirique. Une manière de la garder captive d’un imaginaire auquel elle n’appartient plus, mais où elle pourrait être sereine, en sécurité, sans cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête.
Abigail ne lui reproche pas son silence, elle le respecte par ailleurs, elle aussi silencieuse. Elle le connaît suffisamment pour savoir qu’il n’est guère quelqu’un de bavard quoi qu’il en soit. C’est au moment de couper le contact du véhicule qu’il revient véritablement au moment présent. Mettre un pied dehors et savourer l’air frais, froid même il faut le dire, lui remet doucement les idées en place. Il tourne son regard vers Abigail : sans en être complètement certain, il a le sentiment de lire chez elle une sorte d’enthousiasme qui lui réchauffe le cœur. C’est peut-être la chose la plus simple, la plus désintéressée qu’il pourra jamais faire pour elle. « Déjà, il va falloir que tu enfiles ceci », dit-il en extirpant un gilet de pêche du coffre et en enfilant le sien. « En cette saison, et avec un hameçon comme celui que tu viens de m’offrir, on récupérera peut-être un beau brochet pour… » un dîner qu’ils n’ont sans doute aucune chance de partager ensemble. Il ne finit pas sa phrase, à la place, il tend progressivement à Abigail son équipement, tout en lui expliquant au fut et à mesure à quoi peut servir chacun des éléments qu’il met à sa disposition. « On y va ? »
Ces mots prononcés, il invite Abigail à suivre un chemin qui a fini par lui devenir familier (fait assez rare pour être signalé, dans ces lieux en constant changement). Arrivé au rebord d’une rivière relativement calme, il se montre patient et pédagogue, et à nouveau explique à Abigail comment préparer et utiliser sa canne à pêche. « Après aujourd’hui, tu n’auras même plus besoin de ma présence pour pêcher. »
The quiet of the stream. Le gilet de pêche n'était guère flatteur, mais Abigail se fichait bien de telles considérations. Elle enfila cet équipement sans broncher, attentive aux explications et aux instructions de Will. Ce dernier était d'un calme, en toutes circonstances, qui rendait l'écoute simple et naturelle.
Cette phrase, qu'il ne finit pas, la fit sourire tristement. Elle combla silencieusement les trous et se désola de ne pouvoir, en effet, simplement partager un repas avec celui qu'elle considérait comme un père adoptif, même s'il lui avait fallu du temps pour accepter ce constat.
L'environnement dans lequel ils se trouvaient l'apaisait. Il n'y avait qu'eux aux alentours, et leur seul sujet de préoccupation, en cet instant, était la pêche. C'était une activité qu'elle connaissait peu, mais qu'elle appréciait déjà pour la facilité qu'elle avait à vider son esprit pendant qu'elle se concentrait sur les directives de Will, sur sa présence et sur l'affection qu'il portait à cette activité.
Le dernier commentaire qu'il lui fit, en revanche, la fit relever vers lui ses yeux clairs et hausser un sourcil d'un air dubitatif et légèrement réprobateur.
- J'aurai toujours besoin de toi, le corrigea-t-elle avec douceur.
Elle ne précisa pas pour quel motif elle aurait toujours besoin de lui, et c'était une généralité volontaire. Elle venait tout juste de le retrouver et, déjà, elle savait qu'elle perdrait en stabilité émotionnelle si elle devait à nouveau supporter le manque de cette présence masculine qui avait souvent su la rassurer malgré, parfois, son manque de réceptivité.
Abigail dévisagea Will avec une sérénité attentive. Elle percevait un certain doute chez lui. Elle se souvenait de ce qu'il lui avait confié lors de leurs retrouvailles, au sujet des rêveries qu'il avait eues et qui l'avaient mise en scène. Elle maintint son observation pendant qu'elle l'interrogeait avec calme :
- Finalement, quel est le plus agréable ? Les rêves, ou la réalité ?
Tout soucieux qu’il peut être de partager sa passion avec Abigail, tout désireux qu’il puisse être de lui transmettre quelque chose qui n’appartienne qu’à lui, et donc qu’à eux, comme Garret Jacob Hobbs avait pu apprendre à sa fille à pêcher, il n’ignore pas la possibilité tout sauf infime que l’exercice paraisse laborieux, voire ennuyeux à Abigail. Après tout, une jeune femme de dix-neuf ans a peut-être mieux à faire que de rester fixement au bord d’une rivière, à attendre que l’on morde à l’hameçon… Abigail, en pensées, était attentive et intéressée, mais Abigail, dans ses pensées, ne venait jamais lui adresser que les paroles qu’il lui insufflait lui-même. Il avait plus longtemps côtoyé une vision idéalisée de celle qu’il considérait comme sa fille qu’il ne l’avait fréquentée, elle.
Alors oui, au moment de préparer leur matériel de pêche, Will redoute qu’elle s’ennuie, qu’elle estime même que c’était sans doute le cadeau d’anniversaire le moins appréciable qu’on puisse imaginer. Peu appréciable, et assez égoïste aussi. Lui apprendre à pêcher, est-ce vraiment une chose qu’il fait pour elle ou davantage une chose qu’il fait pour lui-même ? Il n’y a pas à s’interroger bien longtemps pour avoir la réponse à cette question.
Ceci dit, Abigail semble réceptive, elle écoute soigneusement ses indications et ses recommandations, et il a le sentiment qu’il comprend ce qui l’attire, naturellement, dans un cadre comme celui-ci… Il veut la croire apaisée, et c’est ce qu’il veut, lui faire goûter à cette sorte de parenthèses qui saurait partiellement leur faire oublier tout ce qui peut exister en dehors du calme de la rivière.
Quand Abigail observe qu’elle aura toujours besoin de lui, Will se sent pris au dépourvu. Il détourne le regard, presque embarrassé, mais avec un sourire sincère. Il n’est pas certain de ce qu’elle affirme, mais il a envie qu’elle le pense. Il voudrait tenir un vrai rôle pour elle, et oui, quelque part, un rôle indispensable… En dépit des circonstances, en dépit de tout ce qui s’est passé, il continue de vouloir croire qu’il pourrait vraiment être un bon père pour elle. Au fond, Will songe que c’est lui qui a toujours eu davantage besoin d’elle que l’inverse, au point de se l’imaginer même quand elle n’était pas là. Et qu’est-ce qui était plus agréable ? Les rêves ou la réalité.
La réponse devrait aller de soi, mais pas tant que ça… Dans ses rêves, il pouvait s’imaginer Abigail en vie et hors de danger… elle était protégée des influences les plus néfastes… et en même temps, ce n’est pas entièrement vrai. Abigail telle qu’il se l’était imaginée à Florence l’encourageait à retrouver leur bourreau, entretenait un rêve et un désir qui étaient forcément dangereux pour elle, qui n’étaient jamais que son désir à lui. Même en rêve, Abigail n’était pas réellement en sécurité.
« Ce moment », répond-il finalement. « J’aime mieux te parler que me parler à moi-même », ajoute-t-il avec ce qui ressemblerait presque à de l’humour avant de fournir à Abigail les indications les plus précises pour tenir sa canne à pêche. « Et les poissons imaginaires ne sont pas très nourrissants », ajoute-t-il avec distance. « Je te retournerais bien la question, mais je doute qu’elle se soit vraiment posée pour toi », observe-t-il simplement, conscient que la majorité de ses interactions avec Abigail avaient été factices. Pas simple, en conséquence, de faire la part des choses.
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Dernière édition par Will Graham le Lun 6 Déc 2021 - 19:24, édité 1 fois
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Dim 5 Déc 2021 - 16:09
The quiet of the stream. Abigail faisait mine de rester concentrée sur la rivière et ses mouvements, guettant le moindre changement, la moindre tension sur la canne à pêche qui aurait pu lui indiquer qu'un poisson venait de mordre à l'hameçon. La surface de l'eau n'était pas stable, animée par le courant et par des souffles de vent frais, même froid, qui se perdaient dans leurs cheveux et soulevaient quelques mèches sur leur passage. Abigail trouvait tout cela apaisant. La vision des arbres regroupés, au loin, ajoutait à ce décor idyllique une touche de mystère qui n'était pas pour lui déplaire.
Mais, avant tout, son attention restait focalisée sur Will, même si elle avait pris soin de cesser de le fixer pour le laisser réfléchir à sa question. Elle l'avait posée pour alimenter leur conversation, par curiosité, aussi. Mais elle s'apercevait, en cet instant et grâce aux battements de son cœur, qu'une certaine appréhension s'était glissée sous cette question. Elle anticipait la réponse, sans parvenir à déterminer quelle option il choisirait. Naturellement, elle se doutait que l'imagination était plus douce que la réalité. Que, même s'il la connaissait bien, Will avait nécessairement construit une image idéalisée d'elle, face à laquelle elle ne pouvait ni ne voulait rivaliser. Elle-même était perdue quant à la personne qu'elle était et voulait être, mais elle ne voulait pas non plus se plier aux exigences d'un esprit qui n'était pas le sien. Même si, au fond, c'était déjà quelque chose qu'elle avait réalisé auprès d'Hannibal, qui avait imposé son emprise et ses convictions sur elle avec un succès impressionnant.
La réponse vint finalement, et Abigail en éprouva un soulagement qui lui fit clore brièvement les paupières, comme pour mieux apprécier les mots prononcés par Will. Elle reporta son regard sur lui après qu'il lui ait confié qu'il préférait lui parler que se parler à soi-même, ce qui la fit sourire.
Les derniers propos de son interlocuteur l'étonnèrent, et cette fois-ci, l'attention qu'elle portait à la pêche fut totalement effacée.
- Détrompe-toi, fit-elle avec sérieux.
Sourcils froncés, elle le dévisagea le temps de quelques secondes puis tourna le visage en direction de la rivière, découvrant qu'il était plus simple d'être honnête lorsqu'elle n'avait pas besoin de croiser son regard.
- Je me suis souvent imaginé ce qui aurait pu se passer si... Si on avait réellement pu fuir, tous les trois.
Bien malgré lui, Will ne peut s’empêcher de minimiser l’impact qu’il a pu avoir ou pourrait avoir sur la vie d’Abigail, peut-être parce qu’il a joué ce rôle bien plus longtemps en esprit qu’en réalité, peut-être aussi parce qu’il redoute qu’Abigail finisse par rejeter ses attentions et cette volonté de laquelle il ne sait se départir de faire partie de sa vie, de jouer pour de bon ce rôle de père, même si tout prête à croire que ce n’est pas plus possible dans ce monde que dans le précédent. Au fond, il ne sait pas vraiment se faire une idée de ce qu’Abigail ressent dans cette situation, ou de comment elle appréhende leur relation. Certes, elle est ici alors que rien ne l’y oblige, cet indice devrait en lui-même lui suffire, mais comme elle lui a trop de fois déjà échappé par le passé, il redoute que ce soit encore le cas.
Mais elle lui fait comprendre, une fois encore, qu’il se trompe, en effet, et qu’elle aussi a eu plus d’une occasion de songer à cette vie qu’ils n’auront jamais pu vivre, une vie qu’ils ne pourront jamais que fantasmer, et qu’ils n’auront su atteindre, en se sentant évidemment responsables, l’un et l’autres, des choix qu’il leur aurait fallu faire ou ne pas faire, quand le véritable responsable dans cette situation était pourtant le grand absent de ce tableau, celui qu’il était impossible de ne pas évoquer, même si Will faisait son possible pour l’ignorer, ils ne peuvent se retrouver sans que l’ombre d’Hannibal plane autour d’eux. C’est que sans lui, il faut sûrement lui reconnaître cela, ils n’auraient jamais fait partie de la vie l’un de l’autre, ou du moins pas d’une telle manière.
« Moi aussi », avoue Will, en s’adressant toujours davantage à la rivière qu’à son interlocutrice. « Et encore maintenant », confesse-t-il ensuite, quitte à se montrer complètement honnête vis-à-vis de cette situation.
Bien sûr que Will s’est cent fois demandé ce qui se serait passé s’il avant décidé de saisir la chance qu’Hannibal lui avait donné de se racheter, de fuir avec lui… S’il avait su qu’Abigail était là, bien vivante, ses hésitations se seraient pour de bon évaporées, mais ce n’était pas ce qu’Hannibal voulait, Hannibal voulait s’assurer sa sincérité, sa loyauté… Will ne lui avait offert ni l’un ni l’autre, et résultat des courses… oui, il est plus que tentant de se demander ce qui se serait passé s’ils avaient fui tous les trois. Dans un autre monde.
Et évidemment que ces interrogations ne peuvent que le tourmenter encore quand on estime que cet autre monde, ils y sont. Ils sont là, vivants, tous les trois, et sa relation avec Hannibal a largement évolué dans la direction que ce dernier avait espérée (pour ne pas dire orchestrée) pour lui… La configuration rendrait la chose possible. Théoriquement.
« Comment est-ce que tu l’imagines ? »
L’issue la plus fantasmée aurait pu en être sublime… ou horrifiante. Will a du mal à envisager le premier scénario sans automatiquement songer au second.
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Invité
Mer 8 Déc 2021 - 19:17
The quiet of the stream.La jeune femme hocha la tête. Bien sûr, Will aussi avait dû imaginer toutes ces possibilités qui se seraient offertes à eux si les choses s'étaient déroulées autrement. Il les avait même sans doute bien plus imaginées qu'elle-même, en ce qu'il avait eu quelques années supplémentaires pour y réfléchir. En revanche, elle état étonnée d'apprendre qu'il y pensait y compris en ce temps-ci. Espérait-il, au fond, que tous les trois parviennent à mettre leur passif de côté pour donner une chance à cet étrange semblant de famille qu'Hannibal avait eu l'intention de leur offrir ? C'était une perspective... Intéressante. Pour ne pas dire attirante.
A son tour, elle se focalisa plus sur la rivière que sur son interlocuteur suite à la question de celui-ci. C'était une question qui méritait un temps de réflexion. Elle aurait pu se contenter d'énoncer des banalités rassurantes car peu sincères, ou de refuser de répondre, par facilité. Mais avec Will, Abigail ne voulait pas céder à la facilité. Il était certainement celui qui se souciait le plus de son bien-être, parmi les êtres de son entourage. Elle ne pouvait que lui en être reconnaissante, et accepter de faire pour lui l'effort qu'elle ne faisait que très rarement pour d'autres : celui de la vérité.
Elle eut un soupir.
- Je ne sais pas. C'est difficile à expliquer. J'imagine principalement des sensations, dans ces cas là. Je ne sais pas comment te les transmettre sous la forme de mots.
Elle eut un sourire gêné qui, en cet instant, la faisait véritablement ressembler à une jeune femme d'une vingtaine d'années qui osait s'exprimer sincèrement pour l'une des premières fois de son existence. Tout simplement parce qu'elle se sentait en sécurité, auprès de lui. Aussi bien physiquement que psychiquement. Elle ne le croyait pas capable de se servir de ses aveux et de ce qu'elle lui laissait entrevoir de ses pensées pour s'en prendre à elle.
- Parfois, j'imagine que cela aurait été cauchemardesque, et que toi et moi nous nous serions effacés sous l'influence d'Hannibal pour ne plus devenir que de pâles copies de lui. Et d'autres fois, plus souvent, j'imagine simplement que nous aurions été... Comment dire, comme apaisés. Qu'on se serait complétés. Comme une famille.
Will aurait compris, parfaitement compris, qu’Abigail fasse le choix de se dérober à sa question. Il a bien conscience de combien y répondre peut être complexe, et lui-même ne sait pas s’il serait à même d’y apporter la réponse la plus exacte possible, même avec la meilleure volonté du monde. Avec Abigail, la sincérité est de mise plus qu’avec n’importe qui d’autre, d’un côté comme de l’autre. Elle n’est pas toujours simple à exprimer ou à accepter, elle n’en est pas moins nécessaire, et ils semblent, tacitement, en avoir convenu sans jamais le dire directement. Il y a ces sujets qu’ils omettent volontairement, Garret pour Abigail, Hannibal pour Will, mais au moment de partager leur ressenti et leurs impressions, ils font l’effort de se montrer aussi honnêtes qu’ils peuvent l’être l’un envers l’autre, et c’est quelque part infiniment réconfortant.
Il comprend ce qu’elle veut dire quand elle affirme que ce qu’elle s’imagine se traduit plus facilement en sensations qu’en mots, il en est de même pour lui. Quand il songe à cette occasion manquée, à cette fuite en avant qui aurait pu être la leur, à ce moment fugace et ignorée où il aurait pu la sauver, il n’a pas tant à l’esprit des scènes très précises que des émotions, pour certaines prégnantes, pour d’autres subreptices.
Finalement, sa réponse se rapproche de celle que Will aurait donné à sa place, sans doute. Dans le plus probable des cas, cela n’aurait été une bonne chose ni pour elle, ni pour lui. Hannibal les aurait gardés sous sa coupe, réduit leurs possibilités de réflexion et d’action au minimum, les aurait modelés à son image… faut-il imaginer autre chose ? En réalité, peut-être bien que oui… Will a dû soustraire Abigail à ce tableau, mais sa relation avec Hannibal, quand bien même elle conserve quelques jeux d’influence qui semblent inhérents à leur mode de fonctionnement, n’est pas affaire de soumission, de domination constante. Il y a, dans cet équilibre instable, quelque chose de véritablement sincère. Will doute de nombreuses choses, mais pas des sentiments d’Hannibal à son égard. Comme il ne peut plus douter réellement non plus des sentiments qu’il entretient pour lui. A deux, ils sont capables de former un semblant de famille… diablement dysfonctionnelle, mais ils y parviennent tout de même. N’en seraient-ils pas capables avec Abigail ? Ce serait un risque trop grand à courir. Et pourtant, une part de lui continue de vouloir le croire. Qu’ils seraient bel et bien capables, en effet.
Comme une famille.
« La première suggestion est certainement la plus probable, mais… » Il laisse passer un temps de silence. « Si la seconde option était envisageable. Aujourd’hui, je veux dire… » Il hésite, il sait qu’il s’aventure sur un terrain infiniment glissant, qu’il ferait mieux d’occulter complètement. Seulement, il semblerait qu’il soit incapable de s’en empêcher. « Tu le voudrais encore ? »
Sans doute pas, non… Mais lui, toujours.
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Ven 10 Déc 2021 - 11:15
The quiet of the stream.Abigail s'était attendue à une question similaire. Elle avait tenté d'y réfléchir à l'avance afin de lui fournir une réponse satisfaisante. Et pourtant, elle s'apercevait que ce n'était pas aussi simple qu'elle l'aurait voulu. Un "non" franc aurait été la réponse évidente offerte par de nombreuses jeunes femmes, à sa place. Mais chez Abigail, sa soif d'indépendance et de liberté était facilement repoussée par sa peur irrationnelle de ne pas survivre seule.
- Je ne sais pas, répondit-elle sincèrement. Est-ce seulement possible ?
Elle ne pouvait plus décemment prétendre à l'innocence qu'elle aurait pu avoir par le passé. Hannibal l'avait tuée, et cela changeait tout. Elle savait qu'il serait toujours capable de la manipuler à sa guise. Les années écoulées lui avaient fait prendre conscience du lavage de cerveau auquel il l'avait soumise. Pour cette raison, elle redoutait une confrontation directe avec le psychiatre, même si elle se faisait de plus en plus la réflexion silencieuse que ce serait une nécessité. Ceci étant, l'idée même de famille impliquait un certain degré de confiance. Elle l'avait en Will. Elle ne pourrait jamais l'avoir envers Hannibal.
- C'est que tu aimerais.
C'était une supposition qui, en cet instant, avait une allure d'affirmation. Elle comprenait ce désir. Elle devinait que Will avait renoncé à toute possibilité d'être sauvé des griffes d'Hannibal et donc, pour cette raison, il acceptait pleinement son sort. Ces deux hommes étaient inexorablement liés. Mais où pouvait-elle bien prétendre se placer dans cette équation, désormais ? Tant de temps avait passé. Tant d'événements s'étaient produits sans qu'elle n'en sache quoi que ce soit.
- Quelque part, j'aurais préféré continuer de lui obéir aveuglément. Mais je ne sais pas si j'en suis capable, à présent.
Et puis, bien évidemment, il y avait son père. Un père qu'elle aimait malgré le dégoût et la peur qu'il lui inspirait. Elle devinait, aisément, les envies meurtrières de Will à son sujet. Mais serait-elle capable de lui pardonner de passer à l'acte, cette fois-ci ? Rien n'était moins sûr. Plus elle y songeait, plus Abigail se rendait compte que l'emprise qu'avaient ces trois hommes sur elle était plus forte que jamais dans cette ville, de manière plus subtile que par le passé. Ce n'était pas une emprise directe, mais inconsciente. Là où l'affect avait remplacé la raison.
Will sait d’avance que la question qu’il vient de poser à Abigail ne trouvera pas de réponse simple et réconfortante : et pour cause, c’est bien normale, la réponse qu’il aurait le plus envie d’entendre est aussi la plus irréaliste, et ni lui, ni Abigail ne peuvent être dupes de cela, ils n’ont que trop conscience de l’impossibilité d’une suggestion qui, toute séduisante puisse-t-elle paraître, n’en deviendra pas saine ou réalisable pour autant.
Pour autant, Abigail ne lui oppose pas un « non » catégorique, et ce constat lui est plus doux qu’il ne le voudrait. Elle ne sait pas. Et au fond lui non plus. Ou bien si, il le sait, mais est obligé d’admettre que ce serait beaucoup trop dangereux, inconcevable… Impossible ? Peut-être pas. Pas totalement, en tout cas. Oui, c’est sûr, s’il faut examiner les faits rationnellement, ça n’a aucune chance de fonctionner mais… il y a un mais. Une part de lui reste convaincu de cette infime, très infime, presque ridicule possibilité. Qu’il pourrait convaincre Hannibal de ne plus jamais faire de mal à Abigail. Ils vivraient sous le même toit, ils s’apprivoiseraient, petit à petit, progressivement… Mais c’est une version de la situation qui l’arrange. Dans les faits, quand bien même Hannibal décidait de se « tenir sage » et de ne plus s’en prendre à Abigail, cela ne changerait sans doute pas grand-chose à cette influence qu’il a eu sur elle, qu’il aura toujours sur elle. Il ne pourra sans doute jamais être question de confiance, encore moins d’affection, entre ces deux-là. C’est peine perdue. C’est un projet auquel il doit renoncer pour de bon… il doit apprendre à le laisser derrière lui, mais c’est évidemment plus facile à dire qu’à faire.
« Je ne voudrais jamais une telle chose pour toi », répond simplement Will quand Abigail observe qu’elle aurait presque eu envie de continuer de lui obéir…
Cela aurait été plus simple ainsi… Plus simple, mais insatisfaisant. Leur situation ne peut pas l’être dans tous les cas, c’est bien le souci… Mais dans le schéma le plus idéal qu’il pouvait concevoir, Abigail ne supportait plus l’emprise d’aucun de ses pères : entreprise impossible, en somme ? Sans doute que oui, en effet… Après tout… il faudrait aussi qu’elle se libère de la sienne emprise. D’accord, il ne veut qu’être bienveillant envers elle, ce n’est pas pour autant qu’il peut ignorer l’influence éventuellement néfaste qu’il est capable d’avoir sur elle.
La question qu’elle lui pose ensuite le prend d’abord de court. Il est tenté de répondre qu’il n’y a pas réfléchi, ou qu’il s’arrangera pour que cela se fasse dans un certain… respect, non pas de cet homme, mais de l’affection qu’Abigail garde pour son géniteur. Sauf que ce serait mentir. Il s’est déjà vu tuer Garret Jacob Hobbs, dans un contexte qui n’était pas celui de la mort qu’il lui avait administrée. Et ce n’était jamais… respectueux.
« La question ne se posera que si tu m’autorises à le faire », répond-il évasivement.
En lui tranchant la gorge, comme lui-même l’a fait avec sa propre fille, voilà ce qu’il voudrait répondre.
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Ven 17 Déc 2021 - 0:02
The quiet of the stream.Abigail hocha doucement la tête. Will ne voulait pas une telle chose pour elle. Elle n'était pas sûre de le croire totalement, mais ces mots lui firent du bien. Même si, là encore, elle n'était pas tout à fait certaine du pouvoir véritable que pouvait avoir Will, la concernant. Elle le croyait volontiers lorsqu'il affirmait avoir à son égard les meilleures intentions. Mais elle savait qu'il était lui-même soumis à des émotions fortes, qu'il s'efforçait de refouler mais qu'il avait tout de même. Elle savait que, quoiqu'il en dise et qu'elle que soit l'évolution qui s'était opérée après sa mort à ce sujet, Hannibal conservait sur lui une certaine influence. Comment pourrait-ce en être autrement ?
La réponse évasive de Will l'agaça. Sourcils froncés, elle releva vers lui un regard lourd de reproches. Elle méritait, de sa part, mieux qu'une réponse qui n'était pas honnête. Qui n'était pas la réponse qu'il voulait véritablement lui donner. Elle le connaissait suffisamment pour savoir qu'il brûlait d'envie de lui faire part de sa décision.
- La question se posera quoique je décide, Will, rétorqua-t-elle fermement.
Le regard qu'elle posa sur lui à ce moment était froid. Elle ne lui en voulait pas pour ce projet qu'il avait de tuer son père, mais elle l'avertissait, à sa manière. Si elle comprenait les raisons qu'il avait de vouloir voir Garrett Jacob Hobbs écarté, elle ne les approuvait pas. Et ce qu'elle approuvait d'autant moins, c'était le mensonge et les secrets. Abigail avait passé l'âge des réponses évasives.
- Il y a longtemps que j'ai perdu mes espoirs de libre arbitre. J'en avais peu avant, et je n'en ai plus depuis que je vous connais, toi et Hannibal.
C'était un constat glaçant. Elle prononçait pourtant ces mots durs sur le ton de la conversation, avec un calme olympien qui en disait long sur l'état de résignation glaciale dans lequel elle s'était réfugiée. Avec cette même sérénité anormale, quoique cruelle, elle insista :
Bien sûr que Will ne peut pas se contenter de répondre évasivement et d’espérer que cela passe. C’est un sujet qu’il n’a pas forcément envie d’aborder ici ou maintenant, pas alors qu’il espère offrir à la jeune femme, en guise de cadeau d’anniversaire, quelque chose qui ressemble à un peu de normalité, à la vie qu’il aurait aimé être capable de lui offrir au quotidien tout en sachant pertinemment qu’il ne le pourra sans doute jamais. Ici, il aurait préféré éluder les sujets les plus compliqués, mais c’était impossible, bien sûr. Ils ne peuvent prétendre que tous ces sujets n’existent pas sous le prétexte de les passer sous silence : ça ne peut pas fonctionner ainsi, et surtout, ce ne serait pas rendre service à leur relation vacillante. Ils peuvent se soustraire au monde quelques minutes durant s’ils le veulent, oui, mais ils ne peuvent pas faire abstraction, aussi, les paroles d’Abigail, fermes et sans appel, ce regard froid qu’elle pose sur lui, le rappelle à la réalité de l’instant. Il n’est pas dans l’un de ses songes, il ne peut pas modeler l’instant au gré de ce qui l’arrange, au gré de ses fantaisies ou de ses besoins.
Will ne parvient pas à soutenir le regard d’Abigail, pas quand elle le regarde de cette façon-là. Alors, à la place, il fixe un point dans l’horizon, tandis que cette dernière lui apprend, avec ce calme tout caractéristique, ce ton résigné, qu’elle a perdu le peu de libre arbitre qu’elle possédait encore le jour où elle a croisé sa route, et celle d’Hannibal. Il voudrait de tout cœur démentir, lui assurer qu’elle a tort, qu’elle est libre encore d’agir et de penser comme bon le semble, qu’elle le pourra plus que jamais quand elle sera libérée une bonne fois pour toutes de l’emprise de Garret Jacob Hobbs, mais ce n’est évidemment pas le cas… Il ne peut pas le prétendre, et il ne peut pas lui mentir, rappelé à ce constat qu’il cherche à tout prix à nier tout en sachant, bien sûr, que c’est évidemment impossible.
Alors il lui répond, toujours sans la regarder, le cœur serré de ne pas savoir saisir l’opportunité qu’il a de la retrouver pour la protéger, la protéger vraiment. Bien sûr, la priver de son père revient, à ses yeux, à la protéger en partie… mais ça ne lui rendra sans doute pas ses capacités de choix pour autant. Pas tant qu’il sera dans son sillage, et donc Hannibal également. A moins bien sûr de prétendre disparaître de sa vie après la mort de son père, mais serait-il capable de cela ? Il n’a pas besoin d’articuler la réponse à cette question pour déjà la connaître, et c’est non. Bien sûr que non.
« Je compte lui ôter la vie de la même manière qu’il a voulu prendre la tienne… »
De la même manière qu’Hannibal la lui avait prise.
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Sam 18 Déc 2021 - 15:29
The quiet of the stream.Le silence de Will est toujours plus éloquent que ses mots, qu'il a tendance à économiser quoiqu'il en soit. Il ne dément pas ce qu'elle vient d'affirmer, il est donc conscient de la véracité de ses propos. Du moins, elle l'espère. Abigail s'est résignée au fait d'étouffer toute émotion qui pourrait surpasser son instinct de conservation.
Insister n'était pas pour elle de torturer Will, ni même de faire preuve de rancune pour la manière dont il avait su aller de l'avant après sa mort. Elle savait que certaines relations dépassaient l'entendement. Il n'était guère question de raison, entre Will et Hannibal. Tous deux avaient trop à perdre en se rapprochant autant. Ce n'était pas un concept qu'Abigail pouvait prétendre comprendre, mais elle imaginait que l'intensité des sentiments respectifs des deux hommes était plus forte que toute autre considération. Y compris sa mort.
La manière choisie par Will pour se débarrasser de son père, dans ce qu'elle soupçonnait être une rêverie récurrente pour lui, la fit sourire.
- Poétique.
Et revanchard. L'antipathie de son interlocuteur à l'égard de Garrett Jacob Hobbs était en vérité fascinante, pour elle. Comme si Will ne pouvait qu'en vouloir à son père. Pourquoi ? Pour la manière dont il l'avait traitée ? Pour l'avoir mis face à cette paternité corrompue et meurtrière ? Parce qu'il avait dû entrer dans son esprit et être confronté à toute la noirceur et la violence de Garrett ?
- Qu'est-ce qui te retient de le faire à présent ?
Un poisson choisit cet instant pour mordre à l'hameçon. Le mouvement de la canne à pêche surprit Abigail, qui eut un sursaut et tenta de ne pas lâcher prise.
- Oh, ça mord ! Je fais comment ? s'empressa-t-elle d'interroger Will, comme si la discussion qu'ils venaient d'avoir était suffisamment banale pour être évincée par cet événement.
Il avait bien mérité une pause dans l'analyse que faisait, malgré elle, la jeune femme.
Poétique, peut-être. Cruel, certainement… Will n’est pas certain de caresser l’ambition de prendre la vie de Garret Jacob Hobbs selon la méthode de ce dernier vis-à-vis d’Abigail dans le but de l’honorer de façon poétique. Certaines victimes méritent d’être honorées, oui, pas Hobbs. Comprendre au non de quelles mécaniques exactement Hobbs a eu le droit à sa « deuxième chance » lui échappe… Il a envie de penser que c’est une épreuve, rien de plus. Pour lui comme pour Abigail, à dépasser pour s’affranchir une bonne fois pour toutes d’un passé trop oppressant. Mais ça, bien sûr, c’est la supposition confortable, qui laisse à Will toute la latence de croire que Hobbs n’a été mené dans cet endroit que pour y mourir. Cette règle ne devrait-elle pas s’appliquer à lui également ? Oui, bien sûr. Pour qu’Abigail vive sereine, heureuse, et s’affranchisse de son passé, ce n’est pas seulement à l’influence de son père qu’elle devrait se soustraire, mais aussi à celle de Will, et à celle d’Hannibal. Et même s’il a souhaité leur mort, il n’est pas décidé à réitérer l’exploit ici.
Qu’est-ce qui le retient de le faire à présent ? Quoi qu’elle en pense, c’est bien elle qui le retient… mais au nom, certainement, d’une considération des plus égoïstes. Il redoute, oui, les conséquences d’un tel geste… certes, Abigail sera au moins débarrassée une bonne fois pour toutes de l’emprise de son père, mais Will redoute qu’elle ne lui pardonne pas, cette fois, d’avoir mis fin à la vie de cet homme. La première fois, il pouvait se dissimuler derrière des excuses : la vie d’Abigail était menacée, il a agi sous le coup de l’impulsion, de l’urgence, en légitime défense (avec dix balles, certes), cette fois, ce qu’il anticipe est un meurtre prémédité et de sang-froid, et cela change tout naturellement la donne.
Il veut lui répondre, aussi sincèrement qu’il le peut. Même si cet exercice d’honnêteté n’est pas chose facile pour lui quand il touche à des sujets à ce point délicats, il ne veut pas s’y soustraire pour autant, mais il doit bien avouer que le poisson qui mord à l’hameçon à cet instant a bien choisi son moment. Ça lui permet de faire une pause et de laisser la question en suspens, quand bien même, bien sûr, il faudra bien qu’il y réponde.
« Ramène ta ligne doucement, ne mouline pas trop vite, le poisson pourrait avoir une chance de s’échapper. » Will accompagne les gestes d’Abigail jusqu’à récupérer le poisson, qu’il l’aide à détacher du hameçon pour le glisser dans un seau prévu à cet effet. « Tu peux décider de le relâcher si tu le décides. Sinon, il est préférable de l’assommer, c’est la solution la moins douloureuse », observe-t-il en jetant un œil au poisson au fond du seau. « C’est une très jolie prise. » Il marque une pause, hésite, finit par daigner répondre à sa question. « Ce qui me retient, c’est toi. Ou plutôt… l’idée de te perdre une nouvelle fois. »
Bien sûr, en prononçant ces mots, il évite scrupuleusement son regard.
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Mar 21 Déc 2021 - 12:11
The quiet of the stream.La satisfaction de la pêche était similaire à celle qu'elle avait pu connaître lors des quelques fois où elle avait accompagné son père à la chasse. La satisfaction d'avoir attrapé sa prise, et celle, plus sinistre, de posséder un pouvoir de vie ou de mort sur l'animal. C'était une satisfaction brève, mais suffisamment complexe pour permettre à Abigail de s'oublier, quelques instants. En obtenant ce maigre pouvoir sur un autre être, elle oubliait qu'elle-même était soumise à ce même pouvoir de vie ou de mort. Chaque figure paternelle qu'elle avait possédait cette emprise sur elle. C'était une pensée dérangeante. Mais c'était une pensée obsédante.
Elle suivit avec application les instructions de Will. Elle observa le poisson s'agiter dans son seau. Son hésitation, quant au sort qu'elle réservait à l'animal, fut brève. A peine l'homme eut-il énoncé la possibilité de le garder qu'elle prit une pierre pour assommer le poisson. Elle dut s'y prendre à deux fois. L'étrange analogie qu'elle était en train de construire inconsciemment entre elle et cette prise lui fit esquisser un sourire cynique. Si elle ne pouvait espérer être libre, le poisson ne le serait pas davantage.
Mais cette distraction ne dura qu'un temps. Quand Will reprit la parole, elle releva le regard vers lui même s'il s'abstenait bien de croiser son regard, pour sa part.
- Je ne sais pas comment je réagirai si tu le tues une fois de plus, Will, finit-elle par articuler avec difficulté.
C'était là le plus de sincérité qu'elle pouvait lui offrir. Abigail avait un comportement imprévisible, y compris et surtout pour elle-même.
- C'est pire, tu sais. Mes cauchemars. Depuis que je suis ici, depuis qu'il est de retour... J'ai l'impression de ne pas avoir eu une seule nuit de paix. J'aimerais que les cauchemars cessent. Je crois que pour cela, il devra disparaître, lui aussi. Mais j'ai également peur que sa mort les empire.
Sans articuler le moindre mot, Abigail fait le choix le plus logique et sans véritablement d’hésitation, achève le poisson qui bientôt ne respire plus. L’acte n’est sans doute pas moins cruel que celui de la chasse. Il est du moins plus insidieux. Dans un cas l’on traque, dans l’autre, on appâte, il n’est pas dit que la seconde option soit beaucoup plus glorieuse, c’est un affaire de violence, malgré tout, à échelle animale, supposée procéder d’un apaisement auquel ils pourraient tout à fait prétendre en se contentant d’observer les eaux agitées de la rivière sans déranger sa faune. Ceci fait, Abigail daigne répondre à ses réflexions, avec la sincérité qui la caractérise, avec la sincérité qu’il attend d’elle par ailleurs, quand bien même elle peut lui être parfois – si ce n’est souvent – douloureuse.
Elle est sincère, elle ignore quelle sera sa manière de réagir s’il devait prendre la décision de tuer son père une fois encore, une décision qui ne serait pas cette fois impulsive, qui ne résulterait pas d’un sentiment d’urgence, mais serait tout à fait prémédité. Il est normal qu’elle ne puisse présumer de ce que sera sa réaction, Will ne peut pas prétendre non plus avoir idée des pensées qui ne traverseront, ou de la manière dont il appréhendera cette situation si elle doit se présenter. Quand elle se présentera… Il sait seulement qu’il faut qu’elle se présente. Garret Jacob Hobbs doit mourir. Dans quelles circonstances et de la main de qui, il l’ignore, il sait seulement qu’il ne peut pas en être autrement. Perdra-t-il Abigail en conséquence. Si ça doit être le cas, il faudra peut-être qu’il admette que c’est préférable, qu’il fallait que les choses se passent de cette manière. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire bien évidemment.
Alors il ne dit rien, et laisse Abigail poursuivre quand elle évoque ses cauchemars avec lui. Il n’est pas surpris d’entendre que ces derniers se sont aggravés. Abigail a été exposé à tant d’événements traumatiques. Il semble logique qu’elle en garde de terribles séquelles. Il semblerait même qu’il ne puisse pas être possible de s’en délester. Will s’en voudrait presque, de son côté, de constater combien les cauchemars sont absents de sa vie depuis qu’il est ici pour sa part – non, pas depuis qu’il est ici. Depuis qu’il a retrouvé Hannibal.
« Pour que tes cauchemars disparaissent, on devrait tous disparaître, je crois. » Il daigne enfin tourner son regard vers elle, et le sourire qu’il lui adresse ressemble davantage à une grimace.
Lui, son père, Hannibal. Il n’y a sans doute qu’ainsi qu’elle aurait la paix une bonne fois pour toutes. Que ce monde lui accorde une autre chance pour seulement l’exposer à tous ses démons est d’une injustice criante. Elle aurait pu prendre un nouveau départ, se libérer une bonne fois pour toutes des influences qui l’entourent… mais ces influences le poursuivent. Et Will n’arrive pas à lui promettre de disparaître de sa vie après l’hypothétique mort de son père. Même si c’est ce qu’il devrait très évidemment faire.
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Lun 27 Déc 2021 - 16:51
The quiet of the stream.L'affirmation de Will la fit sourire. Elle garda le silence un long moment, méditant sur sa réponse. Ce qu'il disait était chose vraie pendant qu'elle ignorait encore leur présence dans cette ville. Il avait été plus simple de suivre les indications de son père pour se préserver de sa brutalité. C'était un réflexe de défense logique. Elle n'était pas d'une nature à savoir ouvertement résister à de telles indications. L'autorité paternelle avait toujours eu, sur elle, une emprise trop grande.
Finalement, elle secoua doucement la tête et croisa le regard de son interlocuteur.
- Ce ne sont pas vos horreurs qui me hantent, Will. Ce sont les miennes.
Toutes les filles tuées par son père. Elle voyait, nuit après nuit, leurs visages. Elle les côtoyait toujours en rêve, ces amitiés éphémères. Destinées à être sacrifiées pour qu'elle-même puisse survivre. Ce n'était pas glorieux. Ce n'étaient pas des événements qu'elle pouvait oublier.
Bien sûr, ç'aurait été malhonnête que d'affirmer que ses cauchemars ne s'étaient pas aggravés depuis qu'elle avait retrouvé son père, puis Will et enfin Hannibal. Mais, fondamentalement, elle savait que la culpabilité dont elle souffrait était en grande partie la sienne. Si elle admettait désormais avec sincérité qu'elle avait ressenti du plaisir par le passé à éventrer Nick Boyle, c'était un acte qu'elle isolait pourtant des victimes sacrifiées pour satisfaire la soif de sang de son père. Pour ces dernières, elle ressentait de la culpabilité, qui n'était hélas pas suffisamment forte pour surpasser son instinct de conservation.
- Honnêtement, je ne parviens plus à imaginer un avenir dans lequel vous n'apparaissez pas.
C'était un constat tragique, en un sens. Mais réconfortant également. Will et Hannibal étaient des variables qu'elle connaissait et dont elle arrivait de mieux en mieux à anticiper les agissements. Savoir qu'ils seraient toujours à proximité avait ce je-ne-sais-quoi de rassurant qui l'agaçait parfois. Elle haussa les épaules et désigna d'un geste du menton le poisson capturé.
La nature des cauchemars d’Abigail, Will la connaît, en partie du moins, parce qu’Abigail s’était confiée à ce sujet autrefois, même s’il ne peut savoir quelle forme prennent à présent ces cauchemars, il peut l’imaginer en partie, et le fait est qu’il ne pense pas que quoi que ce soit puisse complètement mettre fin à ces cauchemars, en revanche, il sait ce qui est susceptible de les empirer, et il estime que sa présence ne s’arrange rien. Quand bien même c’est sans doute une réflexion trop autocentrée, qui en dit long sur ce qu’il cherche de son mieux à éluder et à ignorer. Abigail n’est plus une simple projection de son esprit dont il peut moduler les paroles, actes et pensées au gré des tribulations de son inconscient. Ce qui la concerne, ce qui la hante, ne le concerne pas toujours, entité indépendante qui gagnerait, très clairement, à obtenir une pleine autonomie qui serait largement méritée… mais à laquelle il est sans doute utopiste pour elle de prétendre encore, à ce stade.
Will devrait sans doute être satisfait d’entendre Abigail ajouter ne pas se sentir capable de s’imaginer un avenir dans lequel Will et Hannibal n’apparaîtraient pas, mais ce n’est pas complètement le cas. En partie, peut-être… Mais cette satisfaction est ternie par ce qu’implique une telle affirmation. Il peut de toute ses forces vouloir ne pas être le piège qui se refermera sur la vie d’Abigail et l’empêchera pour toujours d’être libre, le fait est que c’est ce qu’il est bel et bien, et ne cessera peut-être jamais d’être pour elle. Qu’elle le lui reproche ou non n’y change rien. Ce qu’elle expose de la sorte, c’est l’inéluctabilité de leurs sorts respectifs, qui sont aussi un sort commun, et il n’est sans doute pas possible d’y faire grand-chose en réalité.
L’indifférence de façade qu’Abigail semble afficher face à un tel constat est assez désarmante, à vrai dire, aux yeux de Will. Difficile de prétendre savoir comment réagir en de telles circonstances. Retour à la réalité, quand Abigail évoque le poisson et la possibilité qu’il leur serve de dîner, il songe un instant que la question s’applique à son père, et il est moins dégoûté de lui-même qu’il ne devrait l’être, sans doute, alors qu’il considère cette éventualité avec quelque chose qui ressemblerait presque à une forme de logique. La réponse naturelle de la barbarie par la barbarie.
« Probablement », répond Will en sortant de ses pensées pour considérer le poisson capturé. « C’est ta prise, tu peux en faire ce que tu veux, mais je doute que tu puisses le ramener chez toi, n’est-ce pas ? » Il marque une pause. « Il y en a eu beaucoup ? Des filles, depuis que vous êtes ici ? »
Qu’il y en ait eu n’est même pas une question ou une supposition, il le sait pertinemment, ce n’est pas ce qui l’intéresse, pas même vraiment leur nombre, d’ailleurs, davantage la manière dont Abigail sait, ou non, appréhender sa propre situation.
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Mer 5 Jan 2022 - 19:06
The quiet of the stream.Abigail eut une expression dubitative suite à la réponse de Will au sujet du poisson. Elle reprit la parole avec cette forme d'indulgence qu'ont les enfants envers les parents qui ne comprennent pas toujours leurs références ou leur vision des choses.
- Je te la donne. C'est grâce à toi que j'ai réussi, après tout.
C'était une conversation bien trop légère pour les êtres qu'ils étaient. Pour cette raison, elle n'était pas surprise qu'il décide finalement d'aborder le sujet le plus délicat, la concernant. Dans un premier temps, elle ne répondit pas. Ses yeux perdirent de leur malice et elle le dévisagea avec plus de gravité.
- Quelques-unes, répondit-elle sobrement.
Etait-ce réellement ce qu'il voulait savoir, lui qui avait si mal vécu la découverte de son implication dans les crimes de son père, par le passé ? Parfois, elle avait du mal à deviner ce que Will attendait d'elle, et plus globalement de toutes les personnes de son entourage. C'était l'une de ces fois. Espérait-il déceler chez elle des signes de remords, ou au contraire la voir se réjouir de ces actes ? Il n'était plus innocent, si elle avait bien compris la conversation qu'ils avaient eu lors de leurs retrouvailles. La pensée fugace qu'il espérait peut-être la voir agir de la sorte pour lui et Hannibal plutôt que son père lui traversa l'esprit. Cette pensée l'agaça, mais elle eut la sagesse de la rejeter aussitôt.
Elle eut l'un de ses sourires brefs et sans joie.
- Je crois qu'il va bientôt il y en avoir une autre. Il est... Joyeux, en ce moment. Enthousiaste.
Son père ne faisait preuve d'une telle excitation que lorsqu'il se préparait à lui accorder quelques semaines de survie supplémentaires en sacrifiant l'une de ces jeunes femmes qui n'en finissaient pas d'apparaître. Pour sa part, elle n'était pas pressée. Mais elle était résignée, depuis de nombreuses années déjà. A force, elle voyait cela comme une corvée, une excentricité paternelle avec laquelle il lui fallait apprendre à composer.
- Il les cuisine moins bien qu'Hannibal, ajouta-t-elle avec cynisme.
Quelques-unes, ce pourrait n’être qu’un petit nombre… Deux ? Trois ? … Dix ? Comment savoir combien de victimes Garret Jacob Hobbs avait fait en trois années dans ce nouveau monde. Aurait-il décidé de faire preuve de plus de prudence au regard de son expérience passée, ou aura-t-il choisi, bien au contraire, de se montrer plus violent et déterminé encore, comme pour se rattraper ? Difficile à dire. Garret Jacob Hobbs est certainement le criminel, avec Hannibal, dont il a pénétré l’esprit avec le plus d’assiduité, au point de se perdre dans sa propre pensée, ce n’est pas pour autant qu’il pourra prétendre tout savoir de ce que sont les objectifs de Garret Jacob Hobbs ou de ce que peut être, à présent, son mode opératoire. Il a besoin d’Abigail pour cela. Mais il comprend que cette dernière se montrera aussi évasive qu’elle le pourra, ce qu’il peut difficilement lui reprocher au passage, pas après tout ce qui s’est passé.
Et donc, à quoi lui sert cette information, en fin de compte ? A rien, sans doute, à satisfaire une curiosité malsaine qui ne l’est finalement qu’à moitié dans tous les cas et qui n’occulte pas les émotions autrement négatives que lui inspire l’idée qu’Abigail poursuive ainsi qu’elle l’avait toujours fait. Quand elle évoque ces morts, c’est avec le ton de l’habitude, de la lassitude… Tuer ne devrait jamais susciter ce genre d’émotions… Pas davantage évidemment que celles que Will a pu ressentir pour toutes les vies qu’il a prises… Mais dans son esprit, si l’horreur, le dégoût ou l’exaltation sont tolérés, l’impassibilité et la lassitude qu’inspire une simple routine qui ôte au crime toute sa portée symbolique ne devraient jamais exister.
« Il ne les cuisine pas pour les mêmes raisons », se contente de répondre Will, une légère amertume dans le ton de la voix face au cynisme affiché – et mérité de sa fille de cœur.
C’est le respect de Hobbs qui l’encourageait à ne rien gâcher du corps de ses victimes, alors que c’est l’irrespect total d’Hannibal envers ses victimes, qu’il ne considère pas différemment que du simple bétail, qui l’invite à les servir tels quels dans des assiettes dont lui comme Abigail ont plus d’une fois savouré le contenu. Et en effet, personne ne saurait sans doute accommoder la viande humaine – ou n’importe quelle viande, au demeurant – avec autant de goût et de talent qu’Hannibal Lecter.
« Je veux seulement m’assurer qu’il ne s’en prendra pas à toi… dans l’immédiat… »
Si Hobbs a une autre victime en vue, alors, si cruelle cette perspective soit-elle, cela signifie qu’Abigail peut être sereine, et c’est bel et bien ce que Will retient. Pour le moment et tant que Hobbs sera en vie. Ce qu’il ne peut pas accepter de voir durer.