(terminé) Save yourself. Kill them all | Will

Save yourself. Kill them all

feat. Hannibal

Dès l’instant où Will avait retrouvé Abigail, et dans la foulée Alana, il avait su qu’il lui serait nécessaire de restructurer d’une autre façon les préconçus qu’il avait trop facilement adoptés au moment de s’associer à Hannibal… de toutes les manières imaginables. Il est une différence majeure entre ce qui revenait alors à s’adapter à ce qu’il était devenu, et à s’adapter aux circonstances et à tous les acteurs de cette dernière. S’il veut et doit encore concevoir que ce monde est le sien, le théâtre du plus parfait accomplissement de lui-même, alors il doit jouer la part la plus active dans sa structuration… Il avait trop longtemps écouté les sirènes de la facilité, tardant à comprendre que leur chant avait été bien moins harmonieux qu’il n’avait voulu le soupçonner pour commencer. Chacun de ces retours brutaux dans sa vie avaient entraîné une succession de réflexions inattendues, imposé la nécessité pour certains de survivre et d’autres de mourir, participant pour la première fois de son existence de manière très active à l’ordre à ses yeux juste d’un monde qu’il s’offrait le luxe de s’approprier quand il ne lui appartenait pourtant pas. Mais puisque personne ne s’aurait se l’approprier légitimement, pourquoi pas lui ? pourquoi pas eux ? S’il ne devait servir que leurs fins égoïste, peu importe si cela devait lui permettre de se sentir à ce point vivant ? Plus vivant qu’il ne l’a jamais été, en réalité.

Alors oui, cela demande un travail de recherche… d’élagage, même, pourrait-on dire. Rien d’insurmontable en soi. L’étau, pourtant, se resserre dangereusement autour d’eux. Que faire de cette Clarice Starling qui en sait bien trop sur Hannibal sans pour autant le connaître ? Que faire du retour de Freddie Lounds dans leurs existences, et du retour plus que probable de ses articles incendiaires ? Des plans de vengeance que Mason Verger élabore peut-être à leur encore ? Et si Jack était ici… ? Ils le sont tous, alors Jack doit l’être également. Sa pensée alimentée de tant d’interrogations anxiogènes devrait sans doute le plonger dans des abîmes d’inquiétude. Will réalise que ce n’est pas le cas. Il se découvre, dans ces circonstances, étonnamment serein… plus qu’il ne se serait imaginé capable de l’être. Il ne s’inquiète pas du caractère logiquement éphémère d’actions qui se paieraient tôt ou tard. Il ne se sent pas étouffé, coincé, alors que les murs, pourtant, se referment perceptiblement autour de lui… C’est un prix presque minime à payer pour être enfin lui. La liberté se paye ainsi : par la certitude de plus en plus prégnante qu’un jour, on l’en privera. Mais il sait faire preuve d’un remarquable sang-froid. Parce que ce n’est pas une tempête qu’il affronte seul.

Accueillir Abigail sous leur toit a été l’ultime déclic pour Will, qui s’est alors armé d’une certitude autant plaisante que neuve. Les preuves qu’il attendait lui ont été accordées. Les conditions remplies, respectées. Peut-être est-ce pour cela, tout compte fait, qu’il sait se montrer si sûr, si convaincu… presque apaisé. Il peut ne rien présumer du monde entier et s’en inquiéter. Il peut palier ces incertitudes, et même accepter, à une certaine échelle, de vivre avec. Ce qu’il souhaitait avant tout, sans restriction ni compromission, avait été de pouvoir placer sa pleine confiance en lui. Compter sur sa transparence la plus totale. Peut-il s’assurer que les mensonges ont pris fin ? Il n’aura peut-être jamais cette certitude. Mais une autre certitude a, lentement, pris toute la place. C’est ce qu’il a toujours voulu. Pour eux deux. Fort d’une réalisation soudaine dans un puissant chaos ambiant, le matin même, il a pris la décision de glisser à son doigt la bague de fiançailles qu’il avait retirée il y a plusieurs mois de cela. Le moment serait bien moins choisi aujourd’hui qu’hier d’officialiser leur union, pourtant. Et pour un nombre manifeste de raisons évidentes. Mais Will est plus sûr de lui qu’il ne l’a jamais été.

Penché sur son ordinateur, voilà plusieurs heures qu’il se perd en recherches infructueuses, rituel dont il a pris l’habitude à son retour du travail – après avoir sorti les chiens, cela va sans dire. En quête de ceux qu’ils n’ont pas trouvé encore, et à l’affût de tout ce qui serait susceptible de les compromettre. Un travail de veille auquel il se conforme sans en être dérangé. Comme nombre d’éléments de leur nouveau quotidien qu’il a appris à ritualiser, il y trouve même une forme singulière de bien-être.

Il l’entend entrer dans la pièce et une fine esquisse de sourire se dépose sur ses lèvres, s’élargit au moment de sentir son souffle tout contre sa joue. Néanmoins, les nouvelles ne sont pas bonnes… Ou du moins sont inexistantes. Ce qui n’est en soi, cela dit, pas une mauvaise chose.

« Rien », constate-t-il en lâchant des yeux son écran pour se tourner vers Hannibal. « Aucune trace de Jack, rien qui nous concerne sur TattleCrime. Elle se tient sage. » Il pousse un léger soupir. « Trop sagement pour être honnête. » Il marque une pause. « Je sais ce que tu en penses. Mais je continue de penser qu’on devrait intervenir avant qu’elle n’intervienne. »

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feat. Hannibal

« Non », réplique Will peut-être un peu trop abruptement quand Hannibal observe qu’il serait capable de mettre en péril la sécurité d’Abigail dans le but de se débarrasser plus rapidement de Freddie Lounds. Il n’aime pas que les choses lui soient présentées de cette manière, ce serait pourtant mentir que d’affirmer que ce n’est pas au moins un peu le cas. Si l’idée de souscrire aux idées d’Abigail lui pose un tel cas de conscience morale, ce n’est pas sans raison, c’est bel et bien parce qu’il estime que cela pourrait être dangereux pour elle en plus de l’être pour eux, mais l’idée était bonne, et la situation critique, alors l’idée avait mérité d’être retenue, envers et contre tout, y compris envers ses réserves pourtant nombreuses, et qui n’avaient pas manqué de l’être à juste titre, bien sûr. « Mais elle est déjà en péril », reconnaît Will à contrecœur.

Et elle le restera tant qu’ils ne se seront pas occupés une bonne fois pour toutes du cas de Freddie Lounds. C’est aussi pour cette raison, parce qu’il a pleinement conscience de ce qu’Abigail pourrait subir et endurer dans l’attente d’une résolution qui n’adviendra peut-être pas, qu’il souhaiterait régler cette affaire au plus vite… Mais ainsi qu’Hannibal le lui affirme sans légèreté, la patience, dans ce contexte, est de mise, et l’incertitude, par conséquent, inévitable. Qu’ils le veuillent ou non, il n’ont d’autre choix que de laisser le hasard guider partiellement leurs décisions et leurs actes. Ils pourront décider, bien sûr, de s’absoudre de ces considérations, mais ce sera forcément peine perdue, et c’est là une chose qu’ils doivent apprendre à accepter, ne leur en déplaise. Il est capable d’accepter cette part d’incertitude quand elle ne concerne que lui, encore qu’il demeure dans le même temps dominé par un sévère besoin de contrôle qui n’est que rarement satisfait, prisonnier qu’il peut être bien souvent de cette instabilité qui encore maintenant lui colle à la peau. Mais quand cela touche aux personnes qu’il aime, c’est différent. Will n’avait jamais éprouvé ce sentiment avec à ce point de vigueur et de certitude, celui de devoir veiller sur sa famille. Même quand il avait Walter et Molly… ce n’était pas pareil. La famille qu’il a construite dans ce nouveau monde est fragile par bien des aspects, mais elle n’en est pas moins réelle, elle ne l’est que davantage, en réalité. Il refuse de laisser cet empire de sable et de rêves enfin réalisés se laisser balayer par un seul souffle.

Il veut le dire, le répéter, insister. Tout ceci ne peut se conclure que dans le sang, et cela, Hannibal le sait. Cela, Hannibal n’aura jamais été en mesure de l’ignorer. Et même, cela, Will en est convaincu, Hannibal l’attend. La prudence dont il fait preuve vis-à-vis de cette situation relève davantage d’un souci qui leur est commun, et qui ne tient plus seulement d’une certaine forme d’autopréservation. Il est facile de se sauver soi-même il est plus difficile de faire ce sacrifice d’une partie de soi dans l’intention de préserver autrui, et c’est pourtant ce à quoi Hannibal a consenti en cet instant, de son plein gré le plus absolu et total.

Will n’esquisse qu’un léger mouvement au moment de sentir la main d’Hannibal se saisir de la sienne. Il comprend immédiatement. Will retourne la tête pour ancrer son regard dans celui d’Hannibal au moment de lui répondre, alors que ce dernier lui demande s’il est bel et bien sûr de lui. Il l’est. Il l’est plus que jamais. Et personne au monde ne pourrait être en mesure de le dissuader. Il a poursuivi le cheminement nécessaire, est allé au bout de ces réflexions qui devaient à tout prix être formulé. Il ne craint ni ne redoute quoi que ce soit, il sait. Il est bel et bien prêt. Au-delà de prêt, même, sans doute serait-il avisé d’ajouter qu’il est impatient. La lumière enfin faite sur ce qu’il lui restait d’inquiétude et de contradictions, il est sûr de lui comme il n’avait jamais été en mesure de l’être par le passé.

« Je n’ai jamais été aussi sûr de moi », lui confirme Will en se redressant, sans jamais cesser, pas un seul instant, de le fixer dans le blanc des yeux. Son regard aimanté au sien, ses mains viennent agripper ses hanches presque comme un réflexe pour le rapprocher de lui. « Je te l’ai dit. J’ai besoin de pouvoir te faire confiance. Aveuglément. » Il pose son front contre celui de son fiancé en même temps que son souffle vient aussitôt caresser son visage. « Je te fais confiance. Aveuglément. »

Il n’y a ni retenue, ni avertissement dans sa voix. Faut-il qu’il soit fou ou naïf pour estimer qu’il ne fera plus l’objet d’aucun des jeux ni d’aucune des manigances d’Hannibal ? Peut-être bien, pourtant, sur l’instant, il y croit. Et tout en négligeant pour de bon cette défiance naturelle qui, quoi qu’il en soit, avait été trop lourde à porter, il s’autorise le plaisir simple et confortable d’être à lui sans restriction, conditions ou appréhensions.

« Dans le triomphe et dans la tourmente. Maintenant et à jamais. » Will réduit à néant l’espace entre leurs lèvres, l’embrasse comme si sa vie en dépendait. « Tu sais ce qu’il te reste à faire. »

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feat. Hannibal

S’il voulait réfuter les propos d’Hannibal, Will ne le pourrait guère, tant ces derniers reflètent une réalité qu’il a bien fallu qu’il accepte et qu’il daigne embrasser, puisque, en effet, cette acceptation pure et stricte de la fragilité de l’existence qui vous fait l’apprécier plus que n’importe quoi d’autre est certainement ce qu’il y a de plus essentiel à ce qu’est leur manière d’être à présent. Si il peut et doit l’accepter en ce qui concerne Hannibal et en ce qui le concerne lui-même, il doit faire le même constat en ce qui concerne Abigail, c’est naturel, c’est même la moindre des choses. Elle est libre de ses choix, c’était une condition sine qua non à leurs retrouvailles. Il ne peut ingérer son existence, pas plus que s’assurer du fait qu’elle ne se mettra pas en danger. Son besoin viscéral de la protéger se heurte à des circonstances qu’il n’est pas vraiment capable de comprendre, et qu’il n’est certainement pas en mesure de planifier, et il n’a d’autre choix que de faire avec. Il pourrait argumenter, comme il est si souvent tentant de le faire quand il est en présence d’Hannibal, mais il décide de s’abstenir et de simplement hocher la tête. Discuter de cette situation précise ne les mènerait définitivement nulle part. Ils savent que cette situation, même si elle n’a rien de franchement plaisante, est ce qui leur permettra probablement de mieux s’en sortir, et ils ne peuvent décemment pas passer à côté de cela.

Comme Hannibal n’aura su passer à côté de la révélation manifeste de ce nouveau seuil atteint dans leur relation, et il était probablement temps. Par cette désignation symbolique, il entend montrer à son interlocuteur qu’il est prêt non pas à ce qui ne s’assimile plus pour lui à une concession mais à une véritable acceptation de ce qu’ils sont et demeureront l’un pour l’autre. La confiance fut longue à obtenir, mais il ne peut nier l’énergie d’Hannibal pour lui faire sentir un tel changement, et Will n’est nul autre que convaincu. Convaincu et également impatient, en réalité. Will ne demande à présent qu’à assumer pleinement ce qui ne devrait pas l’être. Cette exposition, cette affirmation publique du tout qu’ils forment pourrait bien leur causer préjudice, mais Will ne l’entend pas non plus de cette oreille. Il est absolument certain de ce qui adviendra à présent, et plus certain encore de la nécessité d’être avec lui tel qu’ils auraient toujours dû être, sans restriction ni conditions.

Quand Hannibal lui confirme qu’il sera à la hauteur de la confiance que Will lui porte, ce dernier sait que ce n’est pas une promesse en l’air. Il n’avait pas réellement besoin de l’entendre, car il en avait été convaincu quoi qu’il en soit, mais il sait reconnaître la valeur d’une promesse quand celle-ci est formulée par Hannibal Lecter, et il est plus que jamais sûr de ce qu’il veut et de ce qu’il lui importe d’accomplir.

« Comme si c’était seulement possible », souffle simplement Will contre les lèvres d’Hannibal alors qu’Hannibal suggère qu’il ne commettrait pas l’erreur d’attendre et de lui échapper.

C’est un constat que Will fait sans l’ombre de la moindre amertume, en vérité. Non, c’est une erreur qu’il ne commettra pas, mais c’est surtout une chose qu’il ne saurait réussir même s’il déployait toute l’énergie adéquate à cela. Combien de fois, après tout, Will s’était-il employé à échapper au giron d’Hannibal ? Et cela n’avait jamais fonctionné. L’échec total, car chercher à échapper à Hannibal revenait à se fuir lui-même, et c’est une chose qu’il ne veut définitivement plus, à vrai dire.

« Et que suggères-tu, alors ? » demande Will sans quitter un instant le regard d’Hannibal des yeux tandis qu’Hannibal leur promet un dîner d’exception en matière de célébration pour cette grande nouvelle qui n’en est pas exactement une, mais qui mérite, oui, d’être fêtée.

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feat. Hannibal

Il aurait probablement pu revenir sur sa parole bien plus tôt. Plus d’une fois, Will en avait eu l’envie et l’intention et s’en était finalement ravisé. Même au moment de décider de retirer sa bague de fiançailles, Will avait su d’office qu’elle retrouverait tôt ou tard sa place à son doigt. L’en déparer lui avait d’ailleurs communiqué une impression étrange, peu naturelle – comme s’il lui manquait quelque chose. Certes, il était fort de ses convictions et de la nécessité de procéder à quelques réajustements avant que de prendre la décision d’un tel bond en avant, mais c’était tout de même avec une certitude proche de l’assurance suicidaire que Will avait mis leurs projets entre parenthèses, et Hannibal au défi. N’était-ce pas un jeu de sa part, auquel il avait soumis son alter ego au moment de lui assurer qu’il ne voulait justement plus de jeux de la sorte ? Peut-être bien. Toujours est-il qu’Hannibal avait accepté. Le reste avait été une mise à l’épreuve. Oui, Will aurait sans doute cédé bien plus tôt, en réalité, y compris au mépris de ses propres résolutions, s’il n’avait été question d’Abigail et de sa protection. A présent, les choses ont changé. Hannibal lui a promis des garanties, et il ne s’est pas contenté de paroles creuses, il lui a bien apporté précisément ce que Will avait attendu de sa part. Aussi, la bague retrouve sa juste place à son doigt, et tout semble comme à sa place. Ce qui est plus satisfaisant encore que ces projets et perspectives retrouvées, c’est certainement la réaction d’Hannibal, qui y accorde toute la valeur qu’il avait bien pu escompter au préalable.

« Bien sûr que c’est le cas », ne peut s’empêcher de répliquer Will quand Hannibal lui assure avoir sa petite idée quant à la manière de célébrer ces fiançailles renouvelées (en espérant que cette fois le profiler ne trouve pas un autre prétexte à les annuler).

Il ne cesse de songer à ce qu’Hannibal tente à présent de nier, cette aptitude démesurée qu’il possède dans bien des domaines, certes, mais plus encore au moment de prédire par avance ses actions et ses pensées. Will l’en avait blâmé par le passé. Ce n’était qu’un jeu qu’il maîtrisait mal à l’époque, mais cela ne l’avait pas empêché de prétendre, prétendre qu’il ne saurait se réduire à un jeu d’influences, et qu’il n’était guère aussi prédictible (et donc prévisible) que ce que celui qu’il n’imaginait certainement pas devenir son fiancé alors pouvait bien le présumer à ce moment spécifique. Il pense néanmoins l’avoir surpris, mais semble-t-il qu’en retour, c’est Hannibal qui escompte le surprendre. Ces circonstances et leur expérience lui ont déjà prouvé que certaines de ces surprises n’étaient ni agréables ni vraiment envisageable. Mais pour cette fois, Will se sent tout à fait disposé, et même curieux de découvrir ce qu’il peut avoir à l’esprit.

Les quelques insupportables centimètres qui subsistaient entre leurs lèvres ne tardent pas à être brisés en un baiser que Will ne manque pas de rendre à celui qu’il peut à nouveau qualifier de fiancé. Un baiser à la fois tendre et passionné, qu’il complète d’une caresse de son cuir chevelu, alors que ses doigts s’agrippent à quelques mèches argentées pour intensifier et prolonger ce baiser jusqu’à ne plus avoir le souffle de le faire.

« Tu le sais très bien », répond-t-il simplement quand Hannibal lui demande s’il lui fait confiance.

Il ne saurait lui donner de preuve plus tangible de sa confiance que celle qui brille à présent à son doigt.

« Aveuglément », reprend-t-il d’un ton aux atours de promesses.

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feat. Hannibal

C’est sans chercher à le contredire ni sans essayer d’en apprendre davantage que Will consent à suivre Hannibal à l’extérieur quand ce dernier lui propose de le conduire où, semble-t-il, se trouve une surprise dont il est encore loin d’imaginer l’importance, pas plus que la nature, et la surprise sera, en effet, total. C’est docilement qu’il s’installe côté passager. La confiance de Will, aussi aveugle qu’il le prétend, devrait peut-être être sujette à considération tant elle semble à première vue dangereuse, mais ce n’est pas ainsi que Will le conçoit, il le conçoit en revanche comme une nécessité qui s’accompagne au demeurant d’une réciprocité qu’il considère bel et bien acquise. Ce n’est pas une affaire de concession, plus réellement, davantage une affaire de complémentarité, aussi, peu importe ce dont il doit s’agir, il n’a aucun doute quant au bien-fondé de sa démarche, y compris la nécessité de garder un secret quand il devrait pourtant lui en faire le moins possible.

Le trajet se fait dans un silence presque total, mais qui n’a rien d’oppressant, ce silence confortable qui sait envelopper ceux qui n’ont guère besoin de mots pour communiquer et se comprendre. Sur les vingt minutes de trajet qui les séparent de leur destination, Will s’interroge quant à la nature de ce « cadeau » qu’il lui confie à présent en avance, évoquant au passage la présence d’Abigail et ce qu’elle nécessite d’ajustement pour l’un comme pour l’autre – cela va sans dire, ce n’est pas Will qui pourrait contredire cette décision, loin de là. A mesure qu’ils progressent, Will contemple le paysage en quête d’un indice au sujet de leur destination, mais il ne trouve rien de véritablement probant, rien qui ne lui permette de véritablement comprendre, jusqu’à, du moins, découvrir, au loin, la silhouette d’une demeure étrangement familière, qu’il reconnaît presque aussitôt. Le cœur de Will manque un battement tandis qu’il contemple cette maison qu’ils connaissent tous deux. C’est ici qu’ils ont partagé un dernier verre, c’est ici qu’ils ont combattu le Grand Dragon rouge. C’est ici… Will fronce les sourcils. Ce n’est pas ici. C’est dans un lieu qui y ressemble étrangement, presque en tout point, de quoi alimenter autant ses craintes que sa curiosité.

Le véhicule s’arrête à distance des lieux. Will ne s’embarrasse pas des questions dont il sait qu’il n’obtiendra pas, d’office, les réponses tant escomptées. Malgré tout, il reste curieux, sur ses gardes, et bien déterminé à en apprendre davantage. Il comprend qu’il n’est pas question du lieu, pas seulement du lieu. Il songe à ce qu’il ressentira s’il doit contempler les abysses, le vide, songer à la chute qui leur a été fatale et dont ils ont, pourtant, été préservés. Il sait d’avance qu’il lui sera dès lors difficile de faire abstraction d’une réalité qui prendra dès lors toute la place dans un esprit qui n’a jamais l’occasion d’être longtemps apaisé avant d’être de nouveau remis en question, encore et encore, à la manière d’un cycle sans fin.

« Quelqu’un vit ici… », constate-t-il d’une voix qui ressemble à un souffle. « Qui vit ici ? »

Il pose la question, mais au fond, il connaît déjà la réponse, il veut seulement l’entendre de la bouche de son partenaire, comme pour lui donner davantage de substance, une plus grande réalité.

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feat. Hannibal

Will hoche simplement la tête au moment d’entendre Hannibal suggérer qu’il sait pertinemment quelle doit être la réponse à la question qu’il se pose. Aurait-il voulu en entendre une autre ? Il ne sait pas trop. Il n’est pas certain d’apprécier le grand retour de leur ultime ennemi dans leurs vies respectives, et en même temps, il ne peut qu’admettre que ce retour était effectivement nécessaire. Si chaque acteur de leur passé devait graviter autour d’eux afin de leur permettre de paver un nouveau chemin, leur chemin, dans leur sang, alors il était logique que le grand dragon rouge fasse partie intégrante de ce grand dessein, et même qu’il tienne une place d’honneur dans ce processus. Ce qui ennuie Will, c’est qu’il a le sentiment qu’il est presque encore trop tôt, et dans le même temps l’impression, probablement véridique, qu’il sera toujours trop tôt quoi qu’il en soit. Il y a quelque chose proche de l’outrage dans la manière dont leur dernière victime s’est approprié ces lieux, et quelque chose d’attirant dans la pensée d’un renouveau perpétuel, dans l’idée de recommencer une fois encore, un nouveau basculement, puis un autre, puis encore un autre, jusqu’à ce que la correction perpétuelle de leurs erreurs leur permettent d’atteindre un seuil proche de la perfection (si tant est que l’on admette que celle-ci n’existe pas)… Mais il ne serait pas concrètement capable de recommencer de la même manière… La chute, si elle doit avoir lieu, se fera d’une autre manière, pas ainsi… il n’est pas capable de le concevoir de la sorte.

Comme hypnotisé, Will observe longuement sans rien dire l’ombre de Dolarhyde évoluant à travers la baie vitrée. Il songe que c’est probablement à une distance similaire, à l’abri des regards lui aussi, que le grand dragon rouge les avait frappés de toute sa fureur… ils pourraient probablement lui adresser un sort similaire, reproduire à l’identique une scène qui gardera toujours une place très particulière dans le palais de sa mémoire. Oui, probablement, mais une part de lui considère que ce n'est pas assez sans exactement savoir déterminer ce qui serait nécessaire à véritablement atteindre ce seuil de perfection qu’il attend et espère bel et bien. Le silence est seulement troublé par le chaos des vagues en contrebas, et Will ne cherche à le troubler en aucun cas… attentif, scrupuleux, il réfléchit déjà à une manière d’agir, de concevoir cette nouvelle addition à leur dessein commun, et finalement, c’est sa pensée qu’Hannibal articule – comme c’est bien souvent le cas – quand il reprend la parole afin de confirmer avoir voulu les conduire ici en qualité d’observateurs. Bien sûr, agir dès maintenant serait une erreur. Et oui, les options sont diverses, pour certaines à leur avantage, mais pas toutes. Dans tous les cas, cet homme devra mourir une fois encore, sacrifié sur l’autel de leur bon vouloir. Ce n’est pas le moment. En revanche, c’est le lieu idéal.

« J’en pense qu’il nous faudra calculer l’occasion, la manière et le tableau, et qu’en me mettant de cette manière devant le fait accompli, tu attends de ma part une réponse intuitive que je ne suis pas certain de vouloir te donner. » Il marque une pause. « Mais si tu redoutes une issue similaire à celle que nous avons conne par le passé, tu peux déjà être rassuré : ce n’est pas mon intention. »

Il ne veut pas céder à la surprise et au caractère vertigineux que revêt le nombre de leurs perspectives, il veut garder la tête froide autant que possible, et pour ce faire, il choisit de se réconcilier avec un pragmatisme qui semblerait presque superflu en la circonstance, mais qu’il ne sait que trouver particulièrement nécessaire.

« Est-il possible qu’il soit au courant de notre présence ici ? »