Il était une fois...
8 millions de dollars…
C’est ce que je vaux aux yeux de Mr Blut, patron de Damoclès… mon patron, techniquement. Le principe est simple : on bosse pour Damoclès, on élimine les cibles, on est payé pour ça, une moitié quand on accepte le contrat, l’autre moitié quand le boulot est fait.
J’ai travaillé pour Damoclès pendant pas mal d’années. Près de trente ans, en fait. Une belle carrière, je crois, avec du travail toujours fait… et bien fait, parce que j’ai le souci de mener à bien mes engagements professionnels. J’ai fait en sorte de devenir le meilleur. Efficace en de nombreuses circonstances, capable de parler huit langues, j’ai vraiment été un agent exemplaire, allant même, parfois, jusqu’à éliminer la cible avant même d’accepter le contrat.
Il n’y a qu’une fois où j’ai regretté d’être aussi efficace. J’ai tué une famille, au lieu de juste un homme. Il y a une fille qui a survécu… et que j’ai rendue orpheline. La situation m’a échappé cette fois-là. La seule fois. Je n’ai jamais oublié et je vois encore, par flash, des moments de ce jour-là, des détails que je n’oublierai jamais.
J’ai continué mon boulot, tout en versant, chaque année, la coquette somme de 200 000$ à une œuvre de charité qui prenait soin de la petite. J’avais causé son malheur, c’était ma façon à moi d’essayer d’atténuer un peu tout ça.
Au fil du temps et des contrats, j’ai accumulé pas mal d’argent. J’ai fait de bons placements, aussi, en suivant les conseils de mon banquier, et j’ai acheté quelques propriétés aux quatre coins des États-Unis, que je mets en location pour la plupart. Via mon banquier, il fait ça très bien.
Mais quand on approche de la cinquantaine, on sait tous ce qui nous attend : pour Damoclès, 50 ans, c’est l’âge de la retraite. Cela signifie que Damoclès doit verser aux agents en retraite ce que l’entreprise leur doit… Soit 8 000 000 $ pour moi.
Dans ma petite maison en Alaska, j’ai pensé que je serai tranquille. J’ai pris un chien, mais je l’ai buté par inadvertance, parce que je dors toujours avec une arme et que j’ai fait un rêve assez réaliste. Il n’a pas souffert. J’ai pris un poisson rouge, au moins, lui, il ne risque pas de faire trop de bruit.
J’ai aussi commencé à sympathiser avec ma jeune voisine, en commençant par couper les bûches avec lesquelles elle avait du mal. J’ai senti qu’elle avait besoin d’être protégée. J’ai eu un peu de mal à entrer en relation avec elle. Je ne sais pas comment me comporter avec les gens « normaux ». J’ai tellement l’habitude de vivre dans ce monde à part, celui des tueurs, que quand je lui ai offert un cadeau, ça lui a mis la tête à l’envers. Elle n’a pas aimé l’arme à feu, mais j’avais gardé le ticket, j’ai pu être remboursé. J’ai dû prendre sur moi pour aller chercher un truc normal à lui offrir.
Mais 8 000 000, ce n’est pas rien… Et pour faire quelques économies, Blut a lancé une véritable chasse à l’homme en envoyant après moi les pires assassins qui puissent exister. Entre la chaudasse qui écarte les cuisses pour faire diversion, la fiancée de Blut et Junkie Jane, j’ai un peu l’impression que la relève ne vaudra pas grand-chose, sinon rien.
Ça a commencé comme ça, ils m’ont trouvé en remontant la piste de mes dons, apparemment, et j’ai dû les buter un par un, à commencer par celle qui allait passer la nuit chez moi. J’ai vite compris que cette bande ne valait rien s’ils n’étaient pas connectés les uns aux autres. Disons que j’ai alors utilisé ma connaissance des lieux pour avoir le dessus contre eux tous.
Puis j’ai découvert qu’ils avaient enlevé ma voisine, Camille. Je l’aimais bien, cette petite, et je ne pouvais pas la laisser entre leurs mains, alors j’ai foncé.
Une trahison empoisonnée m’a alors amené au manoir de Blut, un bâtiment immense regorgeant de pièces servant à toutes sortes d’atrocités. Quand j’ai repris conscience, j’étais torse nu, pieds et poings liés, attaché au plafond. Et Blut m’a alors exposé le programme : torture, torture, torture et… torture. Chaque jour qui me séparait de mon anniversaire allait être sanglant et violent.
Et c’est ce qui s’est passé, dans les grandes lignes. Le troisième jour, cet enfoiré s’est vengé parce que j’ai cassé son scalpel préféré (en soi, il a cassé lui-même la lame dans mon corps). Il m’a crevé l’œil gauche, puis m’a laissé pour mort. La mort, je le savais, allait arriver le lendemain. Et je ne pouvais pas m’avouer vaincu.
Une fois au sol, comme on me laissait chaque soir, j’ai extirpé le morceau de lame de mon flanc, pour déclencher l’ouverture de mes entraves. J’ai encore une fois perdu pas mal de sang et j’ai souffert le martyre, mais je voulais m’en sortir, je voulais sauver Camille et faire payer à Blut toutes ses extravagances sadiques. C’est cette flamme qui m’a animé, qui m’a donné la force.
Rayer de la carte les sous-fifres, un par un, n’a pas été une tâche facile, mais je l’ai fait. Et quand je suis sorti de ce merdier, j’ai contacté Jazmin.
C’est une fille que j’apprécie, Jazmin. Elle m’a récupéré, m’a soigné, m’a empêché d’y retourner trop vite. Elle m’a ramassé quand j’étais au plus bas et elle m’a permis de reprendre des forces. Puis de reprendre tout un arsenal pour pouvoir me venger. Elle m’a confié qu’elle avait toujours su que je reviendrais un jour, mais qu’elle avait toujours espéré que ce serait pour elle. Je suis parti. Je ne savais pas quoi répondre à ça. J’ai pas l’habitude.
Armé jusqu’aux dents, ça a été facile de piéger les autres sous-fifres de Blut. Un appel de 47 secondes, en prétextant que je me fais vieux et que je n’ai plus pensé aux appels de moins de 30 secondes, ils m’ont localisé. Et moi, j’avais préparé un comité d’accueil à la hauteur.
La fusillade a été rapide, parce que Jazmin est la meilleure pour programmer des combos parfaits. J’ai à peine eu à lever les doigts… comme un marionnettiste. Après ça, il ne restait que le gros boudin de porc à neutraliser. Il se terrait chez lui, évidemment, Blut ne prend jamais le risque d’y laisser autre chose que du fric…
Faire rouler sa tête en lui tranchant le cou avec l’un de ses précieux sabres, ça a soulagé une partie de moi qui en avait bien besoin. Sauver Camille, après ça, c’était la suite logique des choses. Et nous sommes repartis vivre au calme, dans le froid de l’Aslaska…
Là, la proximité avec Camille a fait que nous avons développé notre relation. Et même quand elle m’a braqué avec une arme en me disant clairement que j’étais le salaud qui lui avait pourri la vie en tuant toute sa famille, j’ai accepté mon sort. Mourir de sa main, c’était logique. C’était presque sain.
Mais le coup n’est jamais parti. Peut-être parce qu’avec le temps, je suis devenu à la fois son tueur et son sauveur. Peut-être parce qu’elle n’a jamais été capable de tuer une autre personne. Je ne sais pas. Mais nous avons décidé de retrouver les commanditaires des meurtres des membres de sa familles. Je lui dois bien ça…
Nous sommes partis chacun de notre côté, en nous promettant de nous retrouver par un code particulier, un message laissé par le biais d’un site de petites annonces.
Jusque là, nous cherchons toujours.
Et puis, il y a eu cette nuit où la lune, rouge comme le sang que j’ai versé. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais j’ai ouvert les yeux dans une petite maison bien trop confortable pour être la mienne. Ai-je été kidnappé ? ai-je été drogué ? Aucune idée…
Pour continuer à enquêter et à chercher nos cibles, je me suis trouvé un poste dans un funérarium. Mon côté stoïque et silencieux a dû aider. Le cache-œil un peu moins : d’ailleurs, on ne me met pas vraiment au premier-plan quand il y a des clients (vivants) qui se présentent au funé…