The predator becomes the prey [Abigail]

The predator becomes the prey

feat. Abigail

Will n’a jamais été un grand cinéphile, et certainement pas un habitué des salles obscures, mais les circonstances l’obligent régulièrement à palier à ses habitudes, ou plus précisément, à s’en façonner des nouvelles, des habitudes disons légèrement différentes, mais qui n’ont pas forcément quelque chose de déplaisant. Il doit reconsidérer une routine solitaire qui se conjugue à présent non pas à deux mais à trois. Et loin d’être une perspective désagréable, la pensée de devoir inclure Hannibal et Abigail dans chacun des aspects de sa nouvelle vie a quelque chose d’étrangement… réconfortant.

Ce n'est pas tant pour lui-même, donc, qu’il se retrouve assis dans la salle de cinéma de la ville, un seau de pop-corn à la main, mais bel et bien pour Abigail, leur offrant à l’un comme à l’autre un moment privilégié, ces instants qu’un père et une fille peuvent avoir l’habitude de partager et qui avaient longtemps échappé à sa routine.

Will a laissé Abigail choisir le film. Période d’Halloween oblige, la sélection était naturellement sanglante. Le profiler n’a pas la moindre idée de ce qu’ils s’apprêtent à regarder exactement. L’histoire semble cela dit somme toute classique : un groupe de jeunes étudiants décide de se perdre quelque part, dans une cabane au beau milieu des bois, et ils se feront tuer un à un par un individu dont on ne sait pas trop s’il s’agit d’un être humain ou d’une créature fantastique.

La plupart de ces jeunes sont diablement antipathiques, sans doute pour que le spectateur trouve une certaine forme de satisfaction dans leur mort. Si telle était l’intention du réalisateur, c’est gagné, le profiler envisage déjà plusieurs dizaines de manières de mettre fin aux jours de cette bande de jeunes excessivement bruyants et imbus de leur personne. Une première victime meurt, puis une deuxième, après de trop longues minutes d’une exposition inutile vouée surtout à permettre au spectateur de garder à l’esprit qui couche avec qui.

Will n’ira pas prétendre que ce film sera celui qui le réconciliera pour de bon avec le septième art. Il veut jeter un regard à la dérobée à Abigail afin d’observer ce qu’elle en pense elle-même, mais alors qu’il veut poser les yeux sur elle, le décor change soudainement autour de lui… Le voilà debout au beau milieu de la cabane où, quelques instants plus tôt, le footballeur blond venait de se faire égorger hors-champ… Un regard au plancher lui permet de constater que le corps du footballeur encore frais jonche bel et bien le sol, et tache la pointe de ses chaussures d’un sang épais. Will se recule, le cœur battant, dans l’incompréhension la plus totale. L’explication la plus plausible est qu’il se soit assoupi, bien sûr, mais il a beau tenter de revenir à la réalité du moment, il n’échappe pas à ce décor et au sentiment pesant d’être observé, à l’impression tenace que la menace doit être proche, trop proche.

« Abigail ? Tu es là ? »

The predator becomes the prey

feat. Abigail

Quand, dans la semi-obscurité, Will sent les doigts de sa fille de cœur se refermer sur son avant-bras, il éprouve une certaine forme de soulagement, peut-être malvenu, au fond. Il aurait probablement été préférable que la jeune femme ne soit pas, elle aussi, coincée dans ce qui semble définitivement être le décor du film d’horreur qu’ils considéraient avec la plus grande condescendance quelques instants plus tôt. Il hoche la tête en tournant son regard vers elle quand elle lui fait remarquer qu’ils ont tout intérêt à partir d’ici le plus vite possible. Elle a raison, bien sûr, mais pour aller où, exactement ? Pour repartir d’où ils sont venus, il faudrait qu’ils sachent plus exactement comment ils sont arrivés là, et il suffit à Will de contempler le regard paniqué d’Abigail pour deviner qu’elle ne sait pas plus que lui de quelle façon ils se sont retrouvés projetés ici. Est-ce que, quelque part, dans une salle obscur, des spectateurs oisifs armés de leurs pop-corns sont en train de juger sévèrement leurs faits et gestes, comme eux un peu plus tôt, et s’impatienter de les voir se faire massacrer ? Il n’a guère le temps d’y songer. Il y a des bruits de pas, à l’étage… L’assassin, probablement. Ou les quelques jeunes adultes attardés qui ne sont pas encore passés entre les mains du tueur en série. Il faut espérer que ce soit sur lui que ce dernier se concentre.

Dans le silence relatif de la pièce, Will se concentre autant qu’il le peut. Servirait-il à grand-chose de contempler le dessein de cet assassin en particulier dans l’espoir de présumer de ses futurs agissements ? Probablement que non. Ce tueur est un tueur de cinéma, dont la psychologie n’a probablement pas été creusée au-delà d’une soif inexplicable de sang, qui se justifiera peut-être très faiblement par l’évocation d’une enfance traumatisante ou un autre cliché du genre, va savoir. Non, c’est probablement une perte de temps. Mais il prend tout de même la peine d’examiner cette scène de crime ô combien bâclée, à la recherche d’un élément, d’un indice, de quelque chose qui soit véritablement en mesure de l’éclairer, de l’aider à y voir plus clair, Finalement, voyant la hache encore plantée dans le crâne du footballeur assassiné (il n’y a que dans les films d’horreur que les assassins abandonnent leurs armes à tout va), il parvient à l’en déloger dans un bruit peu engageant.

« Ça risque de nous être utile », suggère-t-il en saisissant le poignet d’Abigail de sa main vacante afin de l’encourager à suivre ses pas, alors qu’ils se dirigent lentement vers ce qui doit être la porte d’entrée de la demeure… « Elle est verrouillée, évidemment », s’agace Will, qui tente de forcer la sortie, mais chaque tentative est trop bruyante et a de fortes chances d’attirer l’attention du tueur. « Il va falloir trouver une autre issue. »

The predator becomes the prey

feat. Abigail

Gagner du temps est en effet la meilleure option… au mépris des vies que ce tueur pourrait prendre ? Probablement, oui. Ces vies ne sont peut-être que fictives, après tout. Comme l’est le tueur, comme l’est l’entièreté de cette situation. Se pourrait-il qu’il se retrouve dans un de ces rêves si lucides qu’il ne sait plus vraiment faire la différence entre le vrai et le faux… il pourrait difficilement prétendre que ce serait une nouveauté de sa part, mais la présence d’Abigail à ses côtés l’oblige à admettre la possibilité que tout ceci soit bien réel. Certes, ce ne serait pas la première fois non plus qu’il irait s’imaginer la présence de sa fille de cœur alors qu’elle ne serait pas réellement là, mais… dans le doute – et dans ce monde, il est plus que permis, parvenir à se tirer de là, à la tirer de là est tout ce qui lui importe.

« On dispose de plusieurs avantages. D’une part, le tueur ne sait probablement pas que nous sommes ici, ce qui signifie par la même occasion que nous devons le moins possible l’alerter de notre présence – du moins tant que ce ne sera pas impérieusement nécessaire. Ensuite, si le scénario n’a pas changé en cours de route… » Il rassemble ses esprits fatigués, en quête d’une solution rationnelle à un problème qui, lui, n’a bien évidemment rien, absolument rien de rationnel. Là encore, ce ne sera pas tout à fait une nouveauté, après tout. « Les deux filles sont dans la chambre à l’étage, c’est sûrement elles que le tueur veut surprendre… et il en reste un dans la cave… »

Oui, ce qu’ils sont en train d’envisager est cruel. Faire de tous les protagonistes de cette scène qui ne sont pas eux des appâts, mais tandis que Will accueille relativement sereinement la proposition d’Abigail, on ne peut vraiment dire que cette perspective lui pose le moindre cas de conscience morale. Pas quand la vie d’Abigail est en jeu. Sans oublier le fait que, quoi qu’il en soit, ces jeunes idiots n’avaient rien qui donnaient véritablement envie de les voir survivre à aucun point de l’histoire. Ce film d’horreur avait probablement une vertu cathartique pour quiconque n’osait pas passer directement à l’acte, mais Abigail et lui ne sont pas de cette nature-là, et ils le prouveront une fois encore, sans doute, sans crainte, et sans la moindre hésitation, surtout.

« L’attirer dans la cave et l’y attirer, c’est la meilleure solution. Ce ne sera probablement pas si difficile, mais cela exige que l’un de nous d’eux s’y rende », ajoute-t-il en déroulant le fil de sa pensée à voix haute (mais dans un chuchotement voué, tout de même, à ne pas attirer l’attention de son interlocuteur). « Je te confie le rôle du pêcheur, pour cette fois. Je serais l’appât », suggère-t-il avec un sourire en coin qui pourrait bien mal convenir aux circonstances s’il n’avait pas au fond de lui l’intime conviction qu’ils s’en sortiront indemnes.

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feat. Abigail

Will hoche simplement la tête quand Abigail résume son plan qui… au mieux est une esquisse de plan, mais dans les circonstances actuelles, ils ne peuvent pas réellement grand-chose de plus. Ils doivent profiter du peu de temps qu’ils ont devant eux, et du peu de connaissances qu’ils possèdent également. Ils ont cet avantage sur les précédentes victimes du tueur d’avoir pu l’observer à la distance confortable d’un écran. Et pour le reste… ils sont l’un comme l’autre plus prompt à prendre sa vie que n’importe qui d’autre, qui n’aurait jamais été confronté à cette expérience qui… n’était pas faite pour convenir à tout le monde. Le fin sourire qui s’est déposé sur les lèvres d’Abigail n’a pas échappé à Will, et il comprend sans mal son attitude. Elle a joué le rôle de l’appât bien trop longtemps au cours de sa vie, le jouera à nouveau dans les temps à venir, mais ici et maintenant, elle est maîtresse des circonstances et des événements, la suite n’appartient qu’à elle. Will peut estimer sans mal qu’un tel changement doit lui être positivement agréable.

« On l’enferme en priorité, on le tue si on en a l’opportunité », répond Will d’un ton ce qu’il y a de plus posé quand Abigail l’interroge sur la suite des événements.

Le tuer est évidemment la stratégie la plus viable à ses yeux, et vu les circonstances, il semble assez évident que cela ne posera aucun cas de conscience morale, ni à l’un ni à l’autre… En réalité, et même s’il ne sait pas s’expliquer les circonstances étranges de cet épisode franchement particulier, il ne lui déplaît définitivement pas de penser ces événements comme une opportunité pour eux… Ils chassent ensemble, comme Abigail le faisait avec son père autrefois, sauf que la situation reste par bien des aspects différente. Ensemble, ils bouleversent les traditions, et ils se les réapproprient… Encore faut-il, bien sûr, qu’ils ne se laissent pas prendre à leur propre piège et parviennent bel et bien à leurs fins. Quant aux filles, à l’étage… Will hausse les épaules.

« Leur sort ne dépend que d’elles, ce serait nous ajouter une difficulté superflue. »

D’une part parce qu’elles n’existent peut-être même pas… D’autre part parce que dès le début du film, elles n’ont définitivement pas eu un grand capital sympathie auprès de lui. L’une d’elles sera probablement une survivante, au moins jusqu’à la dernière minute, si cette histoire respecte le cahier des charges des slashers bas de gamme tel que celui où ils se retrouvent coincés tous les deux.

« A moins bien sûr que tu souhaites leur venir en aide. »

Il lui laisse toutes les cartes en mains. A elle de décider.

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feat. Abigail

Will hoche la tête, tout comme Abigail avant lui n’avait pas réellement émis de jugement de valeur un peu plus tôt au moment de laisser entendre que sauver la vie de ces jeunes clichés de film d’horreur serait une précaution superflue, il n’émet aucun jugement pour sa part quand elle confirme ne pas tenir à la vie de ces individus. Will n’avait pas toujours été si insensible à la vie d’innocents.

Il avait même espéré sauver certains, qui n’étaient peut-être pas moins idiots, envers et contre tout… Ses convictions n’ont pas drastiquement changé, contrairement à ce que l’on pourrait penser, mais le fait est qu’elles ont effectivement évolué. Sauvez votre peau, tuez-les tous… En l’occurrence, la vie d’Abigail passera toujours avant celle d’absolument n’importe qui. Ils sont en chasse, tantôt traqueurs, tantôt appâts. Ces jeunes ne sont que les personnages secondaires d’un film dont ils ont à présent volé la vedette.

« Je vais m’efforcer de tenir ce rôle au mieux », confirme Will avec une esquisse de sourire quand Abigail lui demande s’il se sent prêt à jouer l’appât.

Will peut discerner un certain amusement dans l’attitude de son interlocutrice. Il ne le lui reproche pas. Il est tout naturel qu’elle trouve une certaine satisfaction à cette situation, surtout après tant d’années passées à jouer les appâts pour son père. Les rôles sont inversés, et c’est, au fond, dans la pleine logique des choses. En accueillant Abigail au sein de leur famille dysfonctionnelle, ils ont consenti également à ne pas commettre les écueils dont son père biologique s’était rendu responsable par le passé.

« C’est la première fois que je joue les appâts volontairement, en tout cas », observe Will avec un sourire en coin quand son interlocutrice constate que pour elle, c’est une première. Pour Will, pas tout à fait… Il a pu jouer ce rôle, mais jamais de son propre gré. Cette fois, les risques qu’il décide de prendre lui appartiennent, ce qui fait une nette différence. « Sois prudente », ajoute-t-il alors, conscient que les différents questionnements de son interlocutrice devront attendre. Ils n’ont pas à discuter plus longuement de la question.

Aussi, sans ajouter le moindre mot, Will se dirige vers la cave, prenant grand soin de bousculer quelques meubles au passage afin d’attirer l’attention de l’assassin vers lui. Est-ce qu’il décidera d’abord d’en finir avec ses victimes, à l’étage ? Va savoir. L’essentiel est qu’il ait conscience de l’endroit où il se trouve, et qu’il se décide d’aller le chercher, laissant à Abigail tout le loisir d’intervenir ensuite.

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feat. Abigail

Will adresse à Abigail un hochement de tête accompagné d’un sourire qu’il veut rassurant. Il sera prudent, oui, il n’a pas l’intention de commettre d’impair, et bien sûr, il attend la même chose de la part de sa fille adoptive – mais il n’a pas réellement de doute à ce sujet. Il a toute confiance en elle, et elle devine qu’en retour, elle a toute confiance en lui. Peu importe comment les événements sont supposés se dérouler, il n’a que peu de doutes – pour ne pas dire aucun – quant au fait qu’ils en sortiront indemnes. Il y a quelque chose de naturel, de presque instinctif, dans la manière qu’ils ont tous les deux d’appréhender et de gérer cette situation. C’est ce qu’Hannibal présumait de longue date pour eux. Même dans une situation qui les place en position de proies, leur instinct de chasseur, de tueur, prend le dessus. Et puisque leurs instincts respectifs se reconnaissent entre eux, ils se coordonnent également à la perfection.

Will se déplace donc en direction de la cave. Le plancher grince sous ses pieds au moment pour lui de descendre les escaliers, si bien qu’il peut feindre sans difficultés avoir accidentellement manqué de discrétion quand le but était bel et bien de se faire repérer. Quand il atteint la cave, plongée dans la pénombre, Will demeure très attentif, les sens aux aguets. Et pour cause, il ignore quel piège pourrait potentiellement l’y attendre, au-delà du tueur qui sévit à l’étage. Il n’oublie pas qu’il se trouve, à l’heure actuelle, en plein fil d’horreur. Tous les types de scénarios sont par conséquent possibles.

Alors qu’il inspecte les lieux, non sans discrétion, Will peut entendre du mouvement dans son dos, signe que le tueur a bel et bien été alerté par le bruit et a fini par le suivre. Will retient son souffle. Il ne doit pas intervenir inutilement. C’est à Abigail de prendre les décisions, c’est à elle de se distinguer… Et elle le fait avec un brio remarquable, qui fait regretter à Will de ne pas pouvoir observer le spectacle avec plus de netteté, l’obscurité ambiante l’empêchant de le savourer pleinement. Abigail s’en sort à la perfection. D’un coup de hache, elle parvient à le toucher au cou. Le tueur n’est pas mort, pas encore, mais il est déstabilisé, mal en point, et il ne faudra pas grand-chose pour qu’il soit à terre.

Will profite du fait que leur proie soit affaiblie pour se précipiter dans sa direction. Il parvient à se positionner dans son dos et à lui attraper les bras pour le retenir, même si le bougre a encore de la force et se débat énormément. Will ne dit rien, mais il adresse à Abigail un regard de connivence que cette dernière comprendra immédiatement. Il le retient pour elle, mais c’est à elle d’achever ce qu’elle a commencé. Un coup de hache de plus, bien placé, et leur tueur de film d’horreur rendra son dernier souffle.

The predator becomes the prey

feat. Abigail

Abigail fait preuve d’un sang froid et d’une maîtrise remarquables, qui forcent l’admiration de Will… Oh, il ne doutait pas de ses talents, il avait eu confiance en elle mais la voir à l’œuvre… la voir à l’œuvre le remplissait d’un sentiment qu’il ne saurait définir autrement que comme une certaine forme de fierté. Il n’y a pas si longtemps encore, ce constat l’aurait horrifié. Il avait tant voulu protéger Abigail de lui, de son influence, de celle d’Hannibal… il avait tant voulu protéger Abigail d’elle-même, il avait tant espéré la préserver…

Il avait voulu empêcher ce scénario à tout prix et pourtant, tout comme il s’était senti libéré après avoir, enfin, cessé de lutter contre sa propre nature, il peut ressentir un certain soulagement à voir Abigail s’abandonner à la sienne. Ils sont ce qu’ils doivent être. Ils sont où ils doivent être. Et en cet instant, il n’y a pas de jugement, pas de rejet, pas de dégoût. Ils sont livrés à eux-mêmes, sans personne pour dicter ou justifier la cruauté de leurs actes… Et ils agissent dans la brutalité, le sang et la violence : un acte aussi puissamment brutal que libératoire.

Le tueur s’était effondré au sol, et c’est avec une fascination totale que Will contemple, longuement, son cadavre, trempé dans une mare de son propre sang… Son regard ne s’en détourne qu’au moment d’être interpelé par le rire de la jeune femme. Il l’observe longuement. Le rire qui s’échappe de ses lèvres n’a rien d’un rire angoissé ou nerveux, c’est un rire franc, sincère, un rire complice, heureux. Un rire communicatif. Si bien que les deux se retrouvent à rire comme des déments, les vêtements et le visage maculé de sang.

Au moment de lui tendre les bras et de resserrer l’étreinte que sa fille a recherchée si spontanément, Will a plus que jamais le sentiment d’être à sa juste place, et qu’Abigail l’est aussi. Ils se sont trouvés personnellement, mutuellement… et le lien filial, sincère, qui s’est tissé entre eux, est plus clair et limpide qu’il ne l’a jamais été. Il la garde longtemps contre lui. Cette étreinte franche n’est plus teintée de cette inquiétude désespérée, celle de la voir disparaître ou s’échapper. Cette inquiétude a disparu pour de bon. Et pour cela, il a seulement fallu qu’il se débarrassent de concert d’un tueur en série psychotique – à quoi les choses tiennent, parfois.

« Je t’aime Abigail. » Exprimer si simplement, si facilement, l’affection toute paternelle qu’il éprouve pour elle. Des mots si difficiles à prononcer, mais si naturels en cet instant. « Bon… Tâchons de trouver un moyen de partir d’ici, maintenant, d’accord ? »

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L’euphorie de l’instant ne doit certainement pas leur faire oublier pour autant l’urgence d’une situation qui semble certes résolue, mais dont il ne faudrait pas présumer trop vite du fait qu’elle ne puisse plus se retourner à nouveau contre eux. Will en a conscience. Si une part de lui reste convaincue de l’importance de ce moment, au nom de ce que leur monstruosité a permis de renforcer d’un lien qui, naturellement, était déjà fort et pur, car il leur était simple de se reconnaître l’un dans l’autre, de se considérer, ni plus ni moins, que comme une famille. Ils pourraient en parler, ou mettre plus de mots que nécessaire sur la situation (mais les mots de Will, qui n’avaient pas été si évidents à formuler, se suffisaient probablement à eux-mêmes).

Comment sortir de ce satané film quand ils ne savent pas vraiment comment ils y sont entrés ? C’est une vraie question, sur laquelle ils peuvent bien apposer quelques observations personnelles, mais concernant laquelle il leur faudra néanmoins admettre qu’ils demeurent incertains. Car la logique rencontre d’inévitable limites quand l’on se retrouve soi-même dans une situation qui n’est rien d’autre que strictement illogique.

« C’est ce qui semble le plus logique, en effet », confirme Will sans pour autant savoir ce qui les attendra de l’autre côté de la porte. Passer par la porte d’entrée, et attendre de voir ce que cela donnera… Dans tous les cas, il est évident qu’il leur faut sortir d’ici. Rien ne les y retient… d’autant moins que cette situation, dans tous les cas, n’a probablement rien de réelle. Absolument rien de réelle.

Will ouvre donc la marche en direction de la porte et invite d’un geste Abigail à ouvrir la poignée en même temps que lui, afin de s’assurer de repartir en même temps, et qu’aucun des deux ne restera bloqué là (on ne sait jamais, Will n’a définitivement pas la moindre idée de la manière dont ce monde peut bien fonctionner).

Un rayon de lune éclaire leurs deux silhouettes un bref instant, bientôt remplacée par la lumière d’un grand écran sur lequel défilent le nom de l’équipe technique d’un film dont il n’est pas tout à fait sûr qu’ils aient été les héros… ou les antagonistes… Tout ceci commence à ressembler à un rêve brumeux, dans son esprit. Will tourne la tête en direction d’Abigail, assise sur le siège à côté de lui.

« Rassure-moi », demande-t-il afin de s’assurer que ce qu’il vient de vivre est bien réel. « J’ai dormi tout le long du film ? »

The predator becomes the prey

feat. Abigail

La sensation n’est pas la même qu’au moment de se réveiller d’un rêve trop réel… et pourtant, en matière de rêves trop réels et d’hallucinations, Will pourrait probablement se prétendre expert… Il a le sentiment que tout ceci était vrai, quand bien même cela ne fait pas le moindre sens… Mais ce ne sera ni la première, ni la dernière chose qui ne fera aucune sorte de sens qu’il rencontrera au cours de sa vie, c’est même une sorte d’habitude, dangereuse habitude. En douceur, Abigail lui confirme ce que Will, de son côté, n’osait tout à fait entendre et accepter. Non, ils ne se sont pas juste profondément endormis devant ce film d’horreur… Ils ont été dans ce film d’horreur, ils en ont été les acteurs principaux.

Et ce qu’Abigail en retient, ce n’est pas l’angoisse de se retrouver en territoire inconnu ou encore la peur, tenace et douloureuse, d’être pourchassé, c’est le sentiment qui l’a probablement étreinte au moment de mettre fin aux jours de leur agresseur. La confirmation d’Abigail rend soudainement toute cette situation bien réelle, elle réveille toutes les sensations éprouvantes qui ne sont pas seulement celles de son esprit, mais bien celles d’un corps qui a beaucoup enduré dans ces circonstances.

Il laisse passer un temps de silence tandis qu’il appréhende de façon plus concrète l’information que sa fille de cœur lui communique. Il ne peut avoir aucun doute à ce sujet. Ce n’était pas un rêve commun, ni une hallucination collective… et il ne s’en inquiète pas. Au contraire, il est soulagé de découvrir que tout ceci était bel et bien réel. C’est une interprétation de leur situation qu’il préfère largement à l’idée que tout ceci n’ait été que le fruit de sa trop foisonnante imagination.

« Comment tu te sens ? »

C’est la première question qui lui vient alors que ce constat le frappe à présent avec certitude. Il pense avoir déjà sa réponse. Abigail ne paraît pas le moins du monde inquiète ou perturbée. Pas plus qu’elle ne l’est lui-même. Elle semble apprécier cette situation sans la moindre inquiétude, et ce constat le rassure. Ils appréhendent cette situation et ces circonstances pour le moins singulières d’une manière similaire, et qui ne tolère pas une inquiétude démesurée. Il a néanmoins besoin de l’entendre le dire. Cette expérience n’a été traumatisante ni pour lui, ni pour elle… mais en revanche exaltante.

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feat. Abigail

Abigail lui confirme ce que Will pressentait déjà. Elle se sent bien. Il l’avait deviné, il avait supposé qu’elle était en effet sereine… et c’est ce qu’il voulait pour elle, accéder à cette forme de paix intérieure à laquelle ne devrait consentir l’horreur… Cette horreur, dans leur cas bien spécifique, fait partie intégrante de ce sentiment qui leur permet de se sentir eux-mêmes, de se sentir en vie. Ils n’ont rien à regretter de ct instant si particulier qu’il paraît difficile de l’accepter comme réel. C’était une étape de plus dans leur évolution respective. Et une expérience commune que Will n’aurait pas voulu connaître sans sa fille de cœur. Elle va bien, elle est en phase avec ses choix, avec sa propre monstruosité, et plutôt que de lutter obstinément et de façon absurde contre ce constat, Will l’accepte pleinement, autant qu’Abigail en cet instant.

« Il sera probablement très fier », commente Will en le pensant réellement quand Abigail évoque l’hypothèse de raconter cette histoire abracadabrantesque à Hannibal.

Il les croira sur parole, car après tout, dans ce monde si particulier, ce n’est pas la moindre des singularités à laquelle ils pourraient bien être exposés. Il les croira sur parole, et son seul regret sera probablement, non pas de n’avoir pu participer, mais de n’avoir pas eu l’occasion d’observer…  Mais au-delà de ce constat, oui, Hannibal sera probablement fier de leurs exploits sur place. Il n’a jamais voulu autre chose pour eux deux, quand bien même ils ont longtemps pu, l’un et l’autre.

« Comme je le suis », ajoute-t-il doucement.

Impossible de le nier, ils sont bel et bien liés, pour de bon, et ont probablement atteint la meilleure version de ce qu’ils pourraient être. De manière contestable aux yeux de beaucoup, c’est certain, mais c’est sans importance. Ils fondent leur propre morale. Will dépose une main conciliante sur l’épaule d’Abigail.

« On ne va pas tarder à le savoir. »


Puisqu'à peine rentrés chez eux, il est évident qu'ils délivreront le récit plus qu'exhaustif de leurs aventures.