(Terminé) Wolves among dogs [Daryl]

Le mariage est une affaire de concessions. C’est un lieu commun, certes, mais ce n’en est pas moins une réalité qu’il faut accepter et dont il faut s’accommoder si l’on veut être au moins deux, si ce n’est plus (même si dans les circonstances présentes et en l’absence d’Abigail, Will n’envisage pas de troisième pierre à l’édifice – on lui a offert une fille et il a gâché sa chance, il en a bien conscience). Quand il avait accepté d’épouser Molly, sa concession à lui (qui à ses yeux n’en avait pas réellement été une, davantage une sorte d’argument qu’il avait jugé positivement mais qui en aurait freiné d’autres) avait été d’accepter la présence de Walter. Et sa concession à elle avait été d’épouser sa noirceur et son passé… dans la mesure où elle était capable d’en comprendre l’ampleur – et elle la comprenait si peu.

Ici, maintenant, le scénario se répète, d’une autre manière, presque plus pragmatique, aussi étonnant cela puisse-t-il paraître. Quand Will voit luire à son doigt la bague morcelée dont son fiancé lui a fait cadeau quelques mois plus tôt, il se surprend encore lui-même à revivre la réalisation d’un constat à la fois si absurde et naturel qu’il ignore combien de temps il lui faudra pour l’assimiler tout à fait. Hannibal et lui doivent chacun accepter l’intrusion de l’autre dans un espace qui jusqu’alors a toujours été très personnel. Car en dépit de la compréhension mutuelle, infinie, rassurante, qu’ils ont l’un de l’autre, les divergences les plus manifestes entre eux sont celles qui s’observent au quotidien. Will n’a jamais prétendu au style de vie distingué, précieux, élégant d’Hannibal, pourtant, c’est sa concession, et il s’y conforme avec une satisfaction qui parfois le surprend lui-même.

Satisfaction peut-être pas aussi grande que de constater les concessions dont Hannibal est lui-même capable, que ce soit en ce qui concerne leurs critères de sélection, à présent, ou encore d’autres détails qui n’en sont pas vraiment, comme la compagnie – indispensable aux yeux de Will – de compagnons à quatre pattes. Pour l’heure, il n’en a « que » quatre, mais il ne faut pas attendre de Will qu’il s’arrête en si bon chemin, surtout alors que sa nouvelle demeure dispose d’un espace largement adéquat à l’épanouissement d’un bien plus grand nombre de canidés.

Quand il a entendu parler, presque par hasard, du refuge d’Ahtohallan, il a décidé d’y jeter un œil. Il n’est pas certain qu’il en ressortira avec un (ou deux) compagnon(s) supplémentaire(s), ce n’en est pas moins une éventualité non négligeable, mais il ne se fixe aucune contrainte. Quand il se présente à l’entrée, il découvre une silhouette familière, et qu’il ne s’était pas attendu à retrouver ici, même si c’est en soi plutôt logique. Mais toutes les rencontres qu’il fait ici ou presque lui font l’effet d’ombres familières et lointaines, des histoires là pour être écoutées puis pour s’évaporer, sans suite. Certains acteurs de cette étrange existence sont donc voués à revenir tout de même. C’est quelque part plutôt rassurant.

« Daryl. Je vois que cette idée de refuge aura finalement fait son chemin dans votre esprit. »

Will a assez à faire de son sort pour décider de ne plus se soucier que de celui d’un nombre restreint de personnes en dehors de son cercle. Égoïsme ? Peut-être. Réflexe naturel de sa part, surtout. Ce n’est pas qu’il manque d’empathie, pourtant, en réalité, il en possède beaucoup trop, raison pour laquelle il s’abstient autant que faire se peut de se rapprocher plus que nécessaire de qui que ce soit. Asociabilité sur laquelle il a dû travailler pour des raisons techniques, pratiques, afin d’accéder à une meilleure compréhension du monde qui l’entoure (mais ce n’est pas forcément un franc succès pour autant, ce serait mentir que de le prétendre), mais qui le préserve moins, par conséquent d’une certaine affinité avec le sort de ceux qui l’entourent, et de ceux dont la rencontre l’auront marqué, Daryl fait à l’évidence partie. Il ne s’attendait pas à le retrouver ici, mais ces retrouvailles font sens, et en effet, il était sans doute plus que temps que cet homme surgi d’un monde où, semble-t-il, les zombies sont monnaie courante, se reprenne en mains.

Il a donc trouvé ce refuge où l’arrivée de nouvelles recrues est toujours appréciée. Will, quelque part, se dit qu’il aurait aussi certainement trouvé sa place dans un cadre tel que celui-ci, et qu’il aurait été définitivement été plus sain pour lui que de reprendre son travail de profiler, mais pour cela, il faudrait caresser l’hypothèse qu’il puisse encore être sauvé, ou même qu’il le veuille, et c’est une pensée qui l’a déserté de longue date à présent. Il aurait peut-être pu se refugier ici dans ses premiers temps d’errance, quand il sortait à peine de l’hôpital et que tous ses repères lui manquaient, quand il n’avait pas encore retrouvé Hannibal. À présent, c’est définitivement trop tard. Mais Daryl aura trouvé sa place à temps, et il semble satisfait dans ce cadre particulier.

« J’ai assez à faire avec mon propre travail », répond simplement Will quand Daryl suggère qu’il aurait peut-être voulu intervenir comme bénévole.

Il le pourrait sans doute, mais il n’en a définitivement pas la possibilité ni le temps. Et ce serait par ailleurs la porte ouverte à voir Will rentrer avec un nouveau chien chez lui tous les soirs à n’en pas douter. Hannibal grimacera sans doute déjà un peu en le voyant débarquer avec un nouveau canidé à la maison (ce qui va forcément arriver, c’est absolument inévitable) – mais il fera avec, à chacun ses concessions, il va s’épargner de finir avec une vingtaine de chiens (douze, ce sera un bon début, déjà).

« Est-ce que vous accepteriez de me faire visiter les lieux ? »

Quitte à être ici, autant que ce soit en présence « amie ». Encore que « présence amie » est un terme un peu trop fort pour lui (il le serait pour à peu près tout le monde, il faut dire). Il ne sait pas exactement ce qu’il recherche, mais découvrir l’endroit lui permettra déjà de s’en faire une meilleure idée pour commencer.

Will suit Daryl et l’écoute avec la plus grande des attentions tandis qu’il lui présente les lieux en même temps qu’il demeure sur ses talons. Des refuges du genre, Will en a visités plus d’un. Le premier chien qu’il a jamais adopté était un chien errant, que ses maîtres avait abandonnés, pour les suivants… hum… disons seulement que si Will n’est définitivement pas le meilleur ami des hommes et que la moindre interaction sociale avec n’importe quel individu lui en coûte, les canidés sont définitivement ses amis. Il les secourt à sa manière, il les soigne, il prend soin d’eux, chose qu’il ne serait sans doute pas capable de faire avec n’importe quelle âme humaine, et ce même en y mettant la meilleure volonté du monde (preuve en était avec Abigail, qu’il n’avait pas été capable de protéger même s’il y avait particulièrement tenu).

En venant ici, il voulait aussi s’assurer qu’il aurait affaire à des personnes compétentes, et que les animaux étaient bien soignés à cet endroit. Il en a très rapidement la confirmation. Les animaux ici sont pris en charge de la meilleure des manières, et rien ne semble être laissé au hasard. L’endroit est grand, certes, c’est un complexe assez important, mais en même temps, ils sont plusieurs à y travailler, alors cela fait sens. Dans l’ensemble et pour le moment, Will est plutôt satisfait de ce qu’il voit.

Alors qu’ils ont fait quelques pas, Dog, le chien de Daryl, se précipite dans sa direction pour lui faire la fête. Will affiche un sourire face à un tel accueil. Un lieu commun veut que les chiens soient hypersensibles et disposent d’un sixième sens quand il est question de débusquer les tueurs ou les individus mal intentionnés, mais les chiens ont toujours très naturellement été serein en sa compagnie, et Will le leur rend bien. En même temps, s’il est bien des créatures qui n’ont absolument rien à craindre en sa présence, ce sont elles, sans l’ombre d’un doute.

« Je veux bien, oui », confirme Will quand Daryl lui propose de voir leurs protégés qui sont encore en train d’être soignés. Écureuils ou lièvres n’éveillent pas grand intérêt dans son esprit, en revanche, il est assez curieux de voir de quelle manière ils prennent soin de leurs bêtes en attendant que ces dernières puissent retrouver une vie un tant soit peu normale. « Je serais assez curieux de connaître l’histoire de ces animaux, du moins pour celle dont vous avez connaissance », ajoute-t-il ensuite, car cela pourrait certainement l’aider à prendre une décision quant à quel animal il adoptera ou non.

La vérité, c’est que s’il s’écoutait, il adopterait très certainement le refuge tout entier, mais il est fort à parier qu’Hannibal ne l’entendrait pas de cette oreille. Accepter de vivre avec lui – ce qui reste une décision qu’il ne regrette pas le moins du monde –, c’est accepter de faire des concessions… Comme ils en font l’un et l’autre pour voir fonctionner une relation que l’on pourrait considérer comme vouée à l’échec si l’on considère l’historique de celle-ci.

Avec intérêt, Will écoute Daryl lui parler de cet endroit tandis qu’il lui fait visiter une première salle, qu’il nomme la salle des « soins intensifs ». Le profiler observe une nette différence entre l’homme qu’il avait rencontré dans la forêt, et qui était en totale recherche de lui-même et celui qu’il croise aujourd’hui. Pas qu’il soit totalement différent non plus, mais certaines différences notables, et qui n’échappent pas à Will, se laissent aisément entrevoir. A l’évidence, il s’est cherché et est parvenu à se trouver ici. C’est une chance. La pensée, un rien surprenante, de ce qu’il aurait pu être s’il avait décidé de changer de vie d’une autre manière que celle dont il a décidée au moment de retrouver Hannibal, le traverse fugacement.

S’il n’avait pas couru à ce point après son devenir, obnubilé par l’instant qui avait précédé la chute, s’il n’avait pas à ce point été convaincu de ne pouvoir se définir, dorénavant, indépendamment d’Hannibal, Will aurait peut-être réussi à changer du tout au tout, et sans doute serait-il parvenu à s’épanouir dans un endroit tel que celui-ci. Mais cela n’aurait-il pas été, au fond, rien d’ autre qu’un leurre ? Très probablement, comme l’avait été sa vie avec Molly et Walter. Ce voile de perfection que l’on pose sur la monstruosité que l’on n’accepte pas de voir et qui n’en demeure pas moins très réelle, pourtant. Bref, non, même si en observant cet endroit, il peut avoir la fugace sensation qu’il y aurait eu sa place, ce n’est certainement qu’une illusion, à laquelle il est préférable de ne pas se fier.

Alors qu’il le dirige vers une autre sale, il lui montre les chiots et chatons en attente d’être sevrés. Forcément, l’attention de Will est naturellement attiré par les chiots. Pourquoi cet attrait pour la gent canine, lui-même ne saurait le dire, mais elle a de toute évidence la vie dure. Quand un petit cocker, reconnaissant Daryl, se rapproche, Will est immédiatement intrigué par son histoire, et le comportement de Daryl vis-à-vis de l’animal parvient même à lui décocher un de ses si rares sourires.

Les salles suivantes lui sont présentées, les animaux de compagnie, puis les animaux plus sauvages. Chacun de ses animaux a une histoire, et une chance infinie d’avoir trouvé un refuge dans un endroit aussi hospitalier. Ces lieux sont à la mesure de ce que Will en avait attendu. Il ne peut s’empêcher de ressentir un sentiment de contentement et de familiarité, à se retrouver ici. Son attention, évidemment portée sur le golden retriever borgne, Will se rapproche doucement de lui.

« Bonjour toi », dit-il doucement à son adresse tandis que l’animal, tout en remuant la queue, se laisse caresser la tête. C’est alors qu’il aperçoit un chien à l’allure familière, qui se précipite dans sa direction, presque comme s’il l’avait reconnu. « Et lui, comment vous l’avez récupéré ? » il demande alors que le chien lui fait littéralement la fête.

C’est fou ce qu’il ressemble à Winston…