[Terminé] Dogs never bite me. Just Humans [Daryl]

Le soleil pointe à peine le bout de son nez et laisse filtrer à travers les arbres une lumière timide et discrète. Will fourre ses mains dans ses poches, prend une grande inspiration. En consentant à suivre Hannibal chez lui, il a aussi consenti à demeurer en ville, à adopter un mode de vie en partie citadin sans grand rapport avec son quotidien à Wolf Trap... Mais plus grand-chose n'a quoi que ce soit à voir avec son quotidien à Wolf Trap. Et au fond, ce n'est pas plus mal. En réalité, c'est mieux. Il ne faut que quelques courtes minutes de voiture pour atteindre la lisière de la forêt, la nature à portée de main, alors il sait finalement très bien s'en contenter. Peu importe combien il saurait se sentir en phase ou non avec lui-même, il aura toujours besoin de cela : d'un pan de nature, d'une rivière où pêcher...

Il fait quelques pas, prend soin de mémoriser son trajet. Ici, les cheminements changent sans cesse, et ce n'est pas uniquement une vue de son esprit, c'est une chose dont ses conversations avec Robin l'ont intimement convaincu, si l'on veut éviter de se perdre indéfiniment dans les entrailles de ces bois, il est préférable, à l'évidence, d'être vigilant, quand le sens de l'orientation (qui n'a pas toujours honoré Will de la bonne manière) ne sait suffire. Deux créatures sur pattes, un bâtard au pedigree indéfinissable et un labrador dont l'une des pattes a été amputées, trottinent autour de lui. Il n'aura pas fallu longtemps pour que Will renoue avec ses anciennes habitudes. A Wolf Trap, le nombre de canidés qui occupaient sa maison peinaient à se compter sur les doigts de ses deux mains, ici, il a encore de la marge, encore qu'il ne soit techniquement plus le seul décisionnaire de ce qui se passe sous son toit (mais les chiens sont cela dit une condition sine qua non à toute velléité de cohabitation avec Will).

Tandis qu'il s'imprègne des bruits infinis et pour certains si discrets qu'ils en deviennent presque imperceptibles d'une nature en perpétuel mouvement, il laisse ses pensées s'égarer où il est plaisant qu'elles s'attardent... Il a longtemps vécu comme en perpétuel attente, en sursis continu, le souffle comme retenu sans cesse, jusqu'au point de ne plus savoir comment on respire. Cette apnée continue a pris fin, et avec elle un sentiment de soulagement et de plénitude total, impossible à réellement décrire. Le mot "renaissance", qui a succédé à son "devenir", et qu'il aime à employer, suffit à peine à le décrire, ou bien le fait d'une façon qui n'est pas entièrement appropriée à son appréhension réelle de la situation. Encore qu'il ne soit pas nécessaire d'y mettre des mots quoi qu'il en soit. Ses pensées s'égarent, et elles ne sont pas les seules. Chester a profité d'un moment d'inattention de la part de son maître pour prendre la tangente. Par certains aspects, il lui fait penser à Winston, son dernier adopté dans son ancienne vie, lui aussi prenait constamment la fuite. Mais dans les dédales de la forêt, le rechercher pourrait prendre une éternité.

"Chester !"

L'autre chien toujours sur ses talons, Will cherche le labrador éclopé du regard en l'appelant sans réaliser tout de suite que Chester s'est précipité vers une autre âme humaine, qui progresse sur le même chemin en sens inverse.

Finalement, le regard de Will retrouve Chester, et il comprend ce qui a motivé son agitation (encore qu'il ne lui faut pas grand-chose en temps normal pour agir de la sorte, Chester ne tient pas en place) : il a croisé la route d'un autre chien. Une autre bête errante ? Si tel avait été le cas, Will se serait certainement chargé de la recueillir, comme il ne pouvait s'empêcher de le faire avec tout canidé sans collier qui croisait sa route, mais non, ce canidé-là a un maître, un homme qui avance en direction opposé et qui ne tarde pas à s'adresser à lui pour le rassurer, mais à vrai dire, Will n'est pas inquiet quand il voit les deux jouer ensemble. Il ne décèle aucun signe d'animosité, ni de la part de Chester, ni de la part de l'autre chien, qui se contentent de jouer les uns avec les autres. Les chiens sont des créatures simples à comprendre, sans compromission, et c'est une des choses qui font que Will les apprécie, il y a dans le caractère très primitif de leurs interactions quelque chose d'apaisant.

"Vous avez appelé votre chien Dog ?" demande Will pour confirmation, mais il pense avoir bien entendu.

Il se demande un instant ce que cela dit de son interlocuteur, mais il ne se hasarde pas à apporter des hypothèses à ce qui n'est peut-être que le fruit d'un manque manifeste d'imagination et rien d'autre. Il n'y a pas forcément beaucoup plus de réflexion dans la manière dont Will nomme lui-même les créatures à quatre pattes dont il aime à s'entourer, des noms qui affleurent aléatoirement au hasard de ses pensées, sans spécialement de sens. Will observe un instant les deux chiens s'ébattre, bientôt accompagnés du troisième. Son interlocuteur, duquel il ne sait rien, gagne au moins ce point spécifique, c'est un ami des bêtes.

"Où l'avez-vous trouvé ?" demande-t-il, toujours concernant le fameux "Dog".

Durant ces errances en ville, il n'a pas croisé d'animalerie ou de chenil, et il a été bien en peine de trouver un vétérinaire, mais il sait que ça ne signifie pas forcément grand-chose. La ville sait être plus ou moins conciliante au gré des circonstances. Will, pour sa part, n'a jamais envisagé d'adopter par les voies traditionnelles, tous les chiens dont il s'est jamais occupés avaient toujours été abandonnés à leur sort par leurs propriétaires, trouvés errants, voire blessés, à l'instar du pauvre animal à qui il manque une patte.

Dans sa curiosité plus focalisée sur la bête que sur le maître, Will n'a pas songé à se présenter ni même à demander à son interlocuteur de décliner son identité. Comme beaucoup d'autres, Will songe qu'il ne sera que de passage dans son existence, occultant par conséquent la nécessité d'en apprendre davantage, même si chaque personnalité qu'il croise sur cette île ne manque jamais d'être digne d'un grand intérêt.

Soit, ce n'est donc pas lui qui a nommé le chien, mais vu le nom en question, Will est plutôt enclin à penser que personne ne l'a nommé tout court, ou qu'un rebaptême n'aurait pas forcément été du luxe. Enfin, qu'on les appelle Dougal, Fluffy, Dog ou Ben, ces bestioles à quatre pattes (quand elles ont encore toutes leurs pattes) s'en moquent assez. Ce qui leur importe, c'est la nourriture dans leur gamelle et l'attention qu'on veut bien leur donner, et cette créature ne manquer ni de nourriture, ni d'affection. Qui que soit cet homme, il s'en occupe visiblement, ce qui aurait tendance à lui donner quelques points dans l'esprit de Will qui a naturellement plus d'affinités à ceux qui savent prendre soin d'un canidé.

L'homme lui apprend que "Dog" a toujours été avec lui. Première surprise. Ainsi donc, au hasard des circonstances, le destin ou peu importe ce qui est à l'oeuvre ici, a bien voulu laisser certains garder leurs animaux de compagnie avec eux. Injustice criante pour Will, lui n'a pas eu cette opportunité.

"J'aurais voulu que mes chiens me suivent ici", remarque évasivement Will, même si cette remarque est sans importance.

Mieux vaut qu'il ait perdu ses chiens et retrouvé Hannibal, après tout (même si beaucoup ne seraient absolument pas de cet avis, de toute évidence). Il n'empêche que ce constat l'interroge. Comment trouver une logique à ces dons que cet endroit choisit de vous accorder ou non ? C'est simple, il n'y en a pas, mais il y a quelque chose de très naturel dans le fait de vouloir en trouver tout de même, résolument et malgré tout.

"Mais oui, ceux-là n'avaient personne, alors je les ai recueillis", ajoute Will sans entrer dans les détails de ce qui est pour lui une habitude qui remonte à bien avant son arrivée dans cette ville. "Chester s'est coincé la patte dans une bouche d'égout", ajoute-t-il quand son interlocuteur lui demande ce qui est arrivé à l'éclopé de ses deux chiens. "Will", se présente-t-il à son tour quand son interlocuteur lui apprend s'appeler Daryl. "Vous dites que Dog n'a jamais rencontré d'autres chiens... ?"

Il ne détaille pas la question, mais ce qu'elle sous-tend lui apparaît assez évident. En somme : comment est-ce seulement possible ? Il semble presque impossible de ne pas croiser le moindre chien déjà comme ça, alors quand en plus on en est propriétaire, la tâche semble franchement ardue à moins de le vouloir. Et donc, pour Will, il y a forcément une explication qui lui échappe. Qu'il n'irait certes pas chercher dans un univers post-apocalyptique peuplé de zombies, mais tout de même, il a l'intuition que quelque chose lui échappe, et par conséquent, il voudrait savoir quoi.

Ce n'est pas la première fois que Will est ainsi séparé de ses chiens, c'est arrivé plusieurs fois, que ce soit au cours de son incarcération injuste ou durant son voyage en Europe. A chaque fois, il a ressenti très sincèrement le manque de ces créatures à quatre pattes, sentiment qu'un seul être humain a été capable de lui faire éprouver autrement. Non, deux. Deux avec Abigail. Il a toujours été plus attaché à ses chiens qu'au commun des humains. Pour cause, il y a quelque chose de pur, d'honnête, de direct, dans le rapport que ces créatures entretiennent avec vous. Elles ne mentent pas, elles ne trichent pas.

Des émotions à vif, toujours accessibles, pas de vice caché... Mais cette fois, ses chiens ne lui reviendront pas. Il s'est fait à cette idée, il s'en est remis, mais à l'évocation de Winston et des autres, il a malgré tout un léger pincement au cœur. Qu'il occulte rapidement malgré tout. Ce qui a été n'est plus, c'est ainsi. Certains sacrifices sont nécessaire à la renaissance, c'est... tacite, c'est logique, et le prix à payer est bien maigre, en fin de compte. Maintenant, il a ces deux boules de poils qui trottinent non loin et font la connaissance de leur nouveau compagnon. Oui, on peut présenter les choses ainsi. Il fait de nouveaux heureux ici. Et il y en aura d'autres. Deux est difficilement un nombre auquel Will s'arrête quand il est question de ses créatures à quatre pattes.

Il lui apprend venir d'un monde où il y a davantage de morts que de vivants. Quelque part, Will se dit qu'il pourrait en dire de même, en fin de compte. Pas que ce soit statistiquement vrai, mais à son échelle, c'est le cas. La mort a toujours eu plus de sens, de présence, d'importance dans sa vie que la vie. Et il a sans doute vu plus de cadavres, et dans des états improbables, qu'il ne devrait être toléré d'en rencontrer dans toute une vie, des morts qui l'ont poursuivi au gré de ses hallucinations, Garret Jacob Hobbs jamais bien loin de ses pensées, spectateur attentif et vigilant de son devenir...

"Je ne suis plus certain de ce qui est susceptible de ne pas être vrai, à l'heure actuelle", répond Will qui, comme ça a été le cas avec plusieurs de ses interlocuteurs avec Daryl, accepte le discours de son interlocuteur sans immédiatement le remettre en question.

Si l'on considère cet endroit avec le plus d'objectivité que possible, si l'on considère les conditions de son arrivée dans cet endroit, on en déduit très rapidement ce qui doit l'être. Les frontière de l'impossible son ténues. Ne pas savoir distinguer ce qui est réel de ce qui ne saurait l'être, Will a connu ce sentiment bien avant la lune rouge, trop longtemps, trop souvent, si bien qu'il n'occulte jamais complètement la possibilité d'avoir plongé si profondément dans une de ses nombreuses hallucinations qu'il ne serait tout simplement pas capable de regagner le monde réel. En attendant, il l'accepte. Il y est la meilleure version de ce qu'il peut être, après tout.

"Qu'est-il arrivé, exactement ?"

Cette ville et ses habitants repoussent sans cesse les limites de ce que Will avait autrefois considéré comme admissible, concevable, si bien qu'il lui devient de plus en plus difficile de tracer une ligne vraiment bien défini entre l'impossible et le concret. Cette limite, qui était déjà plus ténue pour lui que pour la plupart des individus, n'a cessé d'être repoussée, et c'est encore le cas en cet instant, alors qu'il doit faire face à la réalité de cette nouvelle connaissance qui, une fois encore, entre en contradiction totale avec ce qu'il voulait juger acceptable.

Difficile, pour l'instable de service qu'il avait si longtemps été de consentir à admettre que ce n'est plus son imagination foisonnante qui lui joue des tours mais la réalité qui dépasse tout ce que son imaginaire foisonnant s'était cru à même de conceptualiser. Jamais il ne s'est senti aussi au clair avec lui-même, pourtant, mais c'est peut-être là le piège. La sérénité d'esprit qu'il pense avoir trouvée est peut-être ce qui le pousse à accorder foi et crédit à ce qu'il ne devrait juger être qu'une vaste blague. Jusqu'où peut-on plonger dans son propre esprit ? Quelles profondeurs peut-on atteindre ? Difficile à dire. En attendant, il écoute, et il consent à croire. A croire jusqu'à preuve du contraire, tout du moins. Une nouvelle histoire, un nouveau, en apparence seulement, tissu d'absurdité.

Une invasion de zombies, voilà, en des termes sans doute mal choisis et trop rapidement résumé, ce qu'il conclut de ce que son interlocuteur lui apprend de ce qu'a été sa vie, la société dans laquelle il a évolué avant que la lune rouge n'en décide autrement, avant qu'il ne soit entraîné ici, dans ce monde qui bouleverse leurs perspectives à tous et ne leur permet qu'en surface d'avoir de prise sur leur propre réalité.

"Vous devez estimé avoir gagné au change, ici", remarque Will en l'observant comme s'il pouvait être capable de jauger tout sursaut de folie chez son interlocuteur à partir de ses seuls dires.

Will était fin observateur, et empathique, aussi, empathique, surtout. Il peut être capable de discerner les émotions d'autrui, mais il n'est pas infaillible. A l'évidence, il ne l'est pas. Cette situation ne fait que le lui prouver constamment. Etrange paradoxe pour lui que de ne s'être jamais senti à ce point puissant dans une situation qui s'évertue à lui prouver constamment qu'il n'est que vulnérable. A la merci de circonstances qu'il ne pourrait dominer qu'en les comprenant, en les apprivoisant. Mais il a beau y faire, il n'y arrive tout bonnement pas. Toujours, d'une façon ou d'une autre, les lignes bougent, les circonstances évoluent, et les théories qui paraissaient, à tort, les plus acceptables, se révèlent les plus bancales.

"Comment avez-vous survécu ?"

Et a-t-il survécu, d'ailleurs ? Peut-être qu'il appartient à l'"heureuse" catégorie de ceux qui auraient dû être morts, lui aussi, qui sait. A nouveau, pas réellement de jugement dans le ton de sa voix, il se contente de rassembler les informations telles qu'on les lui apporte. Il cherchera, plus tard, à leur donner du sens s'il le peut.

"Vous ne pouvez pas en être sûr", répond Will après un instant. "Que votre famille se trouve toujours là-bas, vous ne pouvez pas en être sûr. Pas plus que vous ne pouvez être sûr que ce là-bas existe toujours."

Au regard de tout ce qu'il leur est impossible de comprendre quant à l'endroit où ils se trouvent, quant à ce qu'ils font ici, il n'est pas incohérent de s'interroger sur les limites de ce qu'ils pensent savoir d'eux-mêmes et de ce qui les entoure, pas plus qu'ils ne peuvent vraiment être certains du sort qui a attendu ou attendra ceux qu'ils pensent avoir laissé derrière eux. Après tout, Will a bien retrouvé Hannibal, ici. Et si improbable cela soit-il, Daryl s'est même retrouvé ici avec son chien, alors...

Certes, il avait su se convaincre qu'il ne pouvait qu'être là, partis ensemble et donc destinés à se retrouver, ici ou ailleurs, mais cela semblait s'appliquer à bien d'autres, dont il avait pu entendre le récit des retrouvailles...

Rien, en ces lieux, n'est jamais complètement acté - les retrouvailles à venir de Will avec Molly n'iront que le confirmer par ailleurs, sans parler du cas Clarice, évidemment -, et estimer que ce qui les a précédé relève d'une réalité bien existante et tangible reste au fond assez hasardeux. Non, ici, la seule chose dont ils puissent réellement être sûrs, c'est qu'ils ne sont sûrs d'absolument rien. Et si Will, sans pouvoir s'y identifier, pense être capable de comprendre cette impression d'avoir abandonné les siens, il ne considère pas qu'elle ait la moindre viabilité en ces circonstances, ou plutôt qu'elle doive en revêtir la moindre.

"Je me demande quelle genre d'enfance peut vraiment vous préparer à une invasion de morts-vivants", remarque Will en entendant la réponse pour le moins lacunaire de son interlocuteur à la question qu'il lui avait posée ensuite, lui demandant de quelle manière il avait survécu.

Même si, sans connaître le détail, il pense savoir où l'homme veut en venir, du moins en partie, et pas seulement parce que, familier du jargon des psychiatres depuis longtemps maintenant, il a appris de longue date que tout, d'une façon ou d'une autre, remonte à l'enfance, le déterminisme faisant loi dans n'importe quelle sorte de contexte.

Il est sans doute plus simple, donc, de survivre à une invasion de zombies (et Will s'étonne lui-même du calme et de la mesure avec laquelle il est à présent capable d'évoquer un tel phénomène comme s'il s'agissait vraiment de quelque chose d'absolument concevable) quand on a été préparé à survivre tout court que lorsqu'une situation confortable nous a préservé de la notion même de survie.

Il suppose que c'est là où son interlocuteur veut en venir, même si ce dernier se montre aussi peu bavard que lui (ce qui, quand on connaît un peu Will Graham, en dit clairement très long).

Will ne cherche pas vraiment à rassurer ou contrarier son interlocuteur, il a mis l'accent sur un fait dont ils ont tous deux conscience : à savoir qu'ils ne savent tout simplement pas où ils sont et quels codes régissent ces lieux, ce qui les rend par essence inaptes à véritablement se faire une idée du devenir de ceux qu'ils ont laissés derrière eux et qu'ils n'ont pas été en capacité de retrouver. Est-ce que les proches de Daryl sont morts ? Peut-être bien. Ou peut-être que non. Peut-être est-ce Daryl lui-même qui est décédé, comme Will, pour sa part, estime que c'est son cas.

Peut-être que ses proches dont il déplore l'absence ne sont au final que le fruit de son imagination et n'ont jamais existé. Ici, toutes les hypothèses, de la plus rationnelle à la plus absurde, trouvent une égale pertinence, puisqu'ils ne peuvent jamais se conforter que dans la seule certitude qu'ils n'en ont pas la moindre. Il y aurait certainement de quoi disserter sur la question, mais Will n'a jamais été un grand bavard, et par conséquent jamais un grand disserteur non plus. Et il ne se voit dans tous les cas pas tergiverser sur un sujet dont lui-même ne dispose pas des clés essentiels afin d'y apporter un avis éclairé.

Si cela peut rassurer, réconforter son interlocuteur de croire ses proches toujours en vie, grand bien lui fasse. Au fond, dans un monde cerclé de zombies, les plus chanceux sont peut-être ceux qui ont succombé de longue date, en réalité, mais il ne prétendra pas avoir de certitudes sur un sujet à ce point étranger à sa perception naturelle de l'existence... De certitudes, il n'en a plus qu'une à l'heure actuelle. Une chance pour lui, elle le concerne directement, et cette identité qu'il a mis tant de temps à apprivoiser. Mais pour le reste, il est quelque part impuissant face aux situations toujours plus surprenantes et singulières auxquelles ce lieu le confronte.

"Vous avez appris à échapper aux monstres et résisté à la tentation d'en devenir un vous-même", résume Will après avoir écouté la réponse de Daryl quant à la manière dont ce dernier s'était servi de son enfance visiblement terrible (tout ou presque remonte toujours à l'enfance, c'est une des premières leçons que le profiler a jamais apprises). "C'est plutôt admirable."

Les enfances traumatiques pouvaient au contraire engranger des comportements traumatisants, qui ne s'en voyaient pas justifiés pour autant, mais qui exprimaient une sorte de déterminisme assez fréquent. Pour le reste, les acquis de son interlocuteur ne doivent plus lui servir à grand-chose dorénavant.

"Et que faites-vous, à présent ?" s'enquiert-il, puisque son interlocuteur est parvenu à éveiller un semblant de curiosité de sa part. Suffisamment du moins pour qu'il s'attarde à savoir ce que cet homme au parcours bien étrange a décidé de faire de sa nouvelle vie, de sa "seconde chance".

"Admirable", oui, c'est ce qu'il pense, et il ne considère pas que le terme soit trop fort, loin de là. Daryl a réussi où beaucoup auraient échoué, pas seulement parce qu'il s'est montré capable de survivre aux pires situations, mais parce qu'il n'a pas perdu cette essentielle partie de lui-même qui aurait pu réveiller en lui des aspects méprisables. Il a réussi où Will a échoué, en définitive, lui qui n'a certainement pas vécu les mêmes sortes d'épreuves... mais qui ceci dit a lui aussi dû développer un instinct de survie loin de négligeable pour survivre aux épreuves qui se sont présentées sur son chemin.

A ses yeux, il n'y avait que deux options : mourir ou évoluer. En choisissant la première, il s'est jeté dans les bras de la seconde. Mais dans le fond, peut-être juge-t-il un peu trop hâtivement la noirceur ou la lumière qui siègent en l'âme de son interlocuteur. Il ne peut pas réellement prétendre le connaître, à ce stade. Et c'est d'ailleurs parce qu'il tient à en apprendre plus qu'il le questionne à présent, sans trop savoir à quelles sortes de réponses il s'attend, mais du moins motivé par une curiosité certaine.

Même ici, il semble être en mode survie, au final, il vit au jour le jour en tentant d'offrir à la fille de son frère (sa nièce, donc... ?) un semblant de vie normale. Will est assez intrigué par les choix de son interlocuteur. Il a l'occasion de trouver ici une vie qu'il ne pouvait pas obtenir d'où il venait. Ici, rien ne l'oblige à errer, ou à chasser pour subvenir à ses besoins, il pourrait trouver un emploi, s'ancrer dans ce système économique auxquels pour la plupart ils ont tous accepté de se plier, même ici alors qu'ils sont pourtant incapables de comprendre dans quel cadre ils évoluent exactement.

"Vous auriez pourtant l'occasion de changer de vie, de reprendre les choses de zéro. Pourquoi ne pas essayer ?" demande-t-il avant que Daryl ne lui retourne sa question.

Et on pourrait dire que la remarque qu'il adresse à son interlocuteur pourrait techniquement s'appliquer à lui : après tout, lui aussi a décidé de reprendre certaines habitudes qui ne lui avaient pourtant pas fait le plus grand bien dans le passé, en redevenant profiler, par exemple, mais il estime la différence de taille malgré tout. Il s'est recrée, en cet endroit, il est finalement sorti de cette chrysalide dans laquelle il avait longuement attendu, une voix familière à son oreille venant régulièrement l'inciter à parachever sa métamorphose.

"Je travaille pour la police", répond-il sans entrer dans le détail de ses fonctions. "Et j'accueille tous les chiens en détresse qui croisent ma route", ajoute-t-il d'un ton qui pourrait pour un peu sembler humoristique.

Will hausse simplement les épaules quand son interlocuteur suggère qu'il n'a pas la tête à être engagé par qui que ce soit. Sur le principe, tel qu'il se présente à lui en cet instant, peut-être pas, mais ce n'est certainement pas le signe révélateur d'une nécessité d'exclusion. Sans parler d'enfiler un costard et de se faire engager dans la première banque venue, sa situation et son apparence n'exigent pas forcément un "retour à la vie sauvage" sous le prétexte qu'il a vécu à la dure dans un monde rempli de zombies. La métamorphose est, à vrai dire, à la portée de tous.

Apparente du moins. Celle qui procède en interne, celle qui vous travaille de l'intérieur, celle qui contribue à votre devenir est une autre forme de métamorphose, bien plus inaccessible et complexe. Alors non, sous le prétexte qu'il a toujours été rejeté, cela ne signifie pas qu'il doit continuer de l'être, au contraire, ce serait une revanche plutôt ironique sur la vie s'il faisait un pied de nez à ces attentes, n'est-ce pas ? Certainement, oui. Mais Will ne se voit pas s'évertuer à en convaincre son interlocuteur, qui après tout peut bien faire ce qu'il veut. Le profiler n'est certainement pas coach de vie. Et c'est certainement pour le mieux, car il serait, sans l'ombre d'un doute, le pire coach de vie que l'on puisse imaginer. Il était bien plus expert dans le registre inverse, à dire vrai, celui des morts, plus calme, plus apaisant, plus inconfortable. Mais il n'aurait pas la bêtise de s'en vanter.

"Qu'importe de quel monde tous ceux qui se sont retrouvés ici viennent, le rejet de la différence est une constante, en revanche, ce n'est pas une fatalité", répond posément Will sans savoir si son discours sera susceptible d'avoir le moindre impact sur son interlocuteur. Sans doute pas, en réalité.

Enfin, peu importe ses choix, au final. C'est succinctement que Will répond à la question de son interlocuteur, et sa réponse décoche un léger rire à son interlocuteur. Recueillir des animaux errants, créer un refuge. Quelque part, c'est un corps de métier qui aurait très bien convenu à Will aussi, qui lui aurait sans doute mieux convenu, en réalité. Mais il a choisi, en reprenant ses fonctions de profiler, de choisir, pour ainsi dire, la sécurité. Et presque la facilité, même si en vérité, la solution de facilité est de celles qui le rongent le plus.

"Ce n'est pas une mauvaise idée", confirme Will à l'idée de son interlocuteur. "Nous aurons sûrement l'occasion de nous revoir si ça doit être le cas", ajoute-t-il simplement, pas tant parce qu'il y tient particulièrement (rien de personnel là-dedans, Will est juste considérablement asocial et doit prendre sur lui pour la grande majorité de ses conversations et interactions sociales).