We are all someone's monster

feat. Peter

Ne le laisse pas prendre le contrôle, ne le laisse pas gagner… Maîtrise-toi. Cette litanie répétée avec tant d’insistance prend progressivement dans son esprit une voix qui n’est plus tout à fait la sienne, qui ressemblerait bien davantage à celle de son père… ou non, à celle de l’alter ego dont il avait cru s’être débarrassé. Ses poings se referment, ses ongles s’enfoncent dans la chair de ses paumes tandis qu’il s’efforce de reprendre sur lui-même un contrôle qu’il n’est pas convaincu d’avoir un jour eu en fin de compte. Il l’a senti gronder en lui, comme un volcan un sommeil qui n’attendrait plus que d’entrer en éruption. Les premiers séismes au moment de retrouver son père, il les avait ignorés. Chaque signal refoulé dans son inconscient pour tenter d’échapper à cette réalité insupportable et pourtant bien réelle. Il est de retour. Peut-être qu’il a toujours été là… Il attendait juste son heure, le moment où il pourrait frapper en faisant le plus de mal. La créature rode sur le palier de sa conscience, gratte à la porte de son esprit avec de plus en plus de détermination, et il a de moins en moins la force de lutter.

Il pensait pouvoir le réduire pour de bon au silence, mais était-ce juste d’attendre de celui qui n’avait pas conscience de son mal qu’il l’en guérisse par sa seule présence ? Quand Peter est avec lui, Harry parvient à oublier une part pourtant intégrante de ce qu’il est. Il parvient à se convaincre du fait qu’il n’est pas comme tous ces Harry alternatifs dont le rôle, invariablement, semble être de trahir ceux qu’ils aiment, agents du chaos devant l’éternel… C’était nié son passé, c’était sans doute, aussi, nier son avenir. Peut-être que l’histoire n’est pas là pour vous aider à en apprendre et à vous améliorer, peut-être qu’elle n’est vouée qu’à se répéter, encore et encore… Elle se répète, et non seulement il n'aura pas su l’empêcher, mais en acceptant de faire rentrer dans sa vie ceux-là même qu’il aurait voulu protéger, il les mettra inévitablement en danger.

Il le savait, il n’aurait pas dû revoir son père, il avait deviné que si quoi que ce soit devait marquer son retour, ce serait nécessairement la compagnie de son géniteur, mais il avait ressenti le besoin de le revoir… de le confronter ou de seulement lui parler ? de le voir ? Il n’en sait rien… Leurs retrouvailles n’avaient pansé aucune plaie, elles les avaient toutes rouvertes, et si la présence bienveillante de Peter à ses côtés l’aidait à s’en guérir, petit à petit, ce n’était pas assez. Il fallait qu’il l’affronte seul, c’était nécessaire. Et comment ça s’est passé ? Mal, bien sûr. Chacune de ses résolutions mise à mal par son incapacité crasse à lui tenir tête, l’échine toujours courbée en présence de celui qui avait toujours un trop grand contrôle sur sa vie… Il avait adressé un message rapide à Peter, pour lui apprendre qu’il voyait son père, et qu’il aurait sans doute besoin de le voir ensuite, qu’il l’appellerait quand ce serait fini. Sauf qu’à ce moment-là, il était déjà trop tard.

Il avait quitté le café où il lui avait donné rendez-vous, dans l’espoir que le voir dans un lieu public serait plus simple pour lui avec au cœur ce quelque chose qui couvait sous la cendre depuis un moment, déjà, et ça bouillonnait, ça bouillonnait. Le corps et le cœur, la raison et la rage en lutte constante… Il sait qu’il doit rentrer chez lui avant que ça ne dégénère, avant qu’une rage plus inacceptable, plus violente, lui arrache l’âme et ne laisse plus sa place qu’à la chose faite d’instinct, l’expression pure d’une violence réprimée qu’il ne peut tout à fait mettre sur le compte d’un autre qui prendrait le contrôle. Cette rage, cette violence restent inexorablement les siennes.

Une lutte silencieuse l’obnubile, invisible tout d’abord au passant qui le croisent dans la rue, certains lui adressant parfois un regard soucieux, à le voir progresser à pas rapide, la tête entre les mains, et semblant pester contre lui-même… jusqu’à ne plus parvenir à le contenir. Un hurlement de panique effroyable transperce les tympans de la créature, qui contemple son reflet dans la vitrine d’une boutique dont on s’empresse bientôt de baisser les stores : sa carrure à présent imposante lui offre d’observer la masse d’humains agités d’une hauteur agréable. Il contemple ses mains, massives, qui on prit une teinte orangée, la musculature puissante de ses bras… et un sourire étire ses lèvres… Fini de lutter. Le Hobgoblin est de retour et, tandis qu’il déverse sa rage et sa brutalité au hasard de voitures qu’il renverse d’un simple coup de pied, il réalise avoir lutté pour rien.

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Sa conscience se distille jusqu’à n’être plus qu’infime, un bruit de fond très lointain, comme un grésillement désagréable mais en même temps inaudible, et qu’il discerne à peine. Toute pensée morale ou cohérente, toute pensée tout court s’étiole jusqu’à presque disparaître tandis que ne dominent plus que des émotions primaires, d’une rare violence, auxquelles il ne devrait certainement pas s’abandonner mais qui concentrent pourtant toute sa rage et toute son énergie, décuplées par une apparence informe et monstrueuse…

Il n’est plus que cela, la somme d’une colère qu’il n’avait pas été capable d’exprimer, un condensé de rage, de douleur, de frustration… Il ne songe pas à ceux qu’il blesse met en danger ou… pire, il ne pense plus. Pour lui, ils ne sont plus que des accessoires à sa colère, de simples pantins déshumanisés. Ses actions sont aléatoires, chaotiques… Il ne vise rien en particulier et tout en même temps, tandis qu’il fait trembler le sol sous ses pieds, heurte les immeubles alentour, envoie valser véhicules et passants au gré des caprices d’une ire que ne vient qu’accroître la tourmente et l’agitation alentours. Le besoin impérieux, absolu, d’offrir aux autres un chaos équivalent à celui qui agite chaque fibre de son être.

Une voix l’interpelle finalement, elle résonne comme lointaine dans son esprit, elle est en même temps si familière. Elle éveille en lui comme une sorte de sursaut d’humanité qu’il étouffe presque aussitôt avec agacement. Familière, cette voix. Trop familière… Tout naturellement, l’attention du Hobgoblin se tourne vers Spider-Man… Il sait qu’il le connaît, il le reconnaît au trouble qui l’agite au moment de poser les yeux sur lui. Il le reconnaît aussi comme l’ennemi. Quelque chose bataille au creux de son inconscient, mais il fait abstraction… Il s’est trouvé un adversaire sur lequel déverser toute sa férocité. Le super-héros, agile, trouve à se déposer sur son épaule, chemine par-dessus lui comme un insecte encombrant. Le hobgoblin tourne vers lui un regard furibond tandis qu’il chercher à se débarrasser du gêneur.

Il parvint à le saisir de sa main gigantesque. Il ne faudrait rien sans doute, un simple geste peut-être. Il pourrait l’envoyer valdinguer au sol avec violence, il pourrait l’écraser comme le vulgaire arachnide qu’il est… Il ne comprend pas lui-même ce qui suspend tout geste de sa part. Comme si quelque chose en lui, une voix lointaine, si lointaine qu’elle semble n’être qu’un murmure, lui répétait avec ferveur de ne pas l’attaquer. Surtout pas lui… Cet instant d’égarement ne dure peut-être qu’une fraction de seconde, la créature lutte contre sa propre conscience pour ne laisser place qu’à ces seuls instincts, et ce temps durant, le temps de l’hésitation, il demeure figé, comme s’il ne savait plus trop ce qu’il convenait de faire de lui… comme s’il ne savait plus trop ce qu’il convenait de faire de lui-même, en fin de compte, laissant à Spider-Man l’occasion de riposter.

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Un instant d’égarement, infime mais suffisant, et l’araignée lui file entre les doigts, véritablement à la manière d’une araignée, quatre pattes mécaniques s’échappant de son dos pour le faire lâcher prise, et ça fonctionne. Il veut saisir de nouveau le pas si vulnérable arachnide, mais ce dernier parvient, avec une agilité que le très lourd et très imposant Hobgoblin ne peut que lui envier, à prendre de la hauteur et de la distance. De l’élan, aussi, puisqu’il parvient, à le faire tomber en arrière sans qu’il ait eu le temps de riposter de rage, tandis qu’il cherche à se redresser il agite ses bras en tout sens, envoyant valser à quelques mètres les quelques valeureux qui avaient voulu saisir cette opportunité pour l’appréhender. Non, sans doute pas l’appréhender, le tuer plus certainement.

Le hurlement strident des sirènes lui parvient aux oreilles, comme une mélodie insupportablement lancinante. La créature prend sa tête entre ses mains. Quelque chose ne va pas, quelque chose fait obstacle à sa rage et à sa violence, non pas à l’extérieur, mais à l’intérieur de lui. Le tout mêlé à ce bruit continu, aux ordres aboyés par les représentants de l’ordre, ce brouhaha constant exacerbe une rage déjà plus que manifeste.

Dans un grognement irascible, il parvient à se débarrasser des toiles qui entravaient ses pieds jusqu’alors. Tandis qu’il se rapproche d’un premier policier, ce dernier, dans la panique, ouvre le feu, puis un autre. Les balles semblent ricocher sur lui tandis qu’il choisit de veiller à l’extermination pure et simple de ses assaillants. Jusqu’à le voir de nouveau. L’araignée… Il avait entendu sa voix sans le voir s’opposer aux policier, et ces mots qu’il pensait ne pas avoir intégrés pourtant se répétaient quelque part au-delà de ce qu’il se pensait capable de percevoir. On ne sait même pas qui c’est. La créature le ressent comme une gêne violente, mais elle n’a pas conscience de ce combat qui se livre en lui-même. Il ne le réalise qu’au moment où son large poing veut s’abattre sur l’araignée. Il interrompt son geste.

« Peter… »

Il ne reconnaît pas sa propre voix. Sa vision se brouille légèrement, sa perception de ce qui l’entoure également… Dans le chaos ambiant, Harry se sent devenir infiniment minuscule quand, l’instant d’avant, il était un géant. L’imposante créature orange laisse soudain place à un autre… silhouette humaine prostrée sur elle-même. Harry, redevenu lui-même, n’ose même pas regarder Peter dans les yeux… Tremblant, il balaie du regard une scène apocalyptique… C’est lui… c’est lui qui a fait tout ça. Le cœur au bord des lèvres, il prend la décision impulsive et désespérée de prendre ses jambes à son cou… il doit fuir… le plus loin possible… échapper à cette scène chaotique, échapper aux conséquences aux actes… Mais bien sûr, il est vain d’espérer aller où que ce soit. De même qu’il est vain d’espérer se rendre où que ce soit. Sauf qu’il est impossible de se fuir soi-même.

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feat. Peter

Il ne peut pas, il ne veut pas affronter la réalité de ce moment. C’est impossible. Il n’est capable, en cet instant, ni d’accepter l’ampleur des dégâts qu’il a causés, ni accepter de soutenir le regard de Peter – c’est beaucoup trop pour lui, définitivement trop pour lui. La fuite n’est sans doute pas la meilleure des stratégies : le hobgoblin aurait certainement pu s’enfuir à toutes jambes (mais sans passer franchement inaperçu), Harry Osborn, lui, est totalement vulnérable, ni capable d’échapper aux forces de police, ni capable d’affronter la déception de Peter. Il va forcément le haïr, il va nécessairement le haïr. Comment est-ce qu’il pourrait en être autrement ? Ce serait totalement normal, ce serait parfaitement logique. Il n’aurait que de bonnes raisons de le détester… Harry lui-même se déteste, en cet instant… Il ne devrait même pas partir si lâchement, il devrait subir les conséquence de ses actes : ce n’est rien moins que ce qu’il mérite, après tout.

Plongé dans ses pensées les plus sombres, il ignore les coups de feu, il ignore Peter qui se précipite à sa suite et est pris de court quand ils prennent de la hauteur. Par réflexe (et aussi parce qu’il en a terriblement besoin en cet instant, il se serre contre Peter et attend que ça passe, sans la moindre idée de ce qu’il adviendra… Il a du mal à le lâcher quand peurs pieds touchent le sol. C’est à travers un voile de larmes qu’il observe Peter… Il n’avait pas voulu lui faire subir ça, surtout pas… mais c’est trop tard, à présent. Et il ne sait pas quoi dire. Rien ne saurait justifier ce qui s’est passé là-bas, rien ne peut excuser les vies qu’il a mises en danger… les vies qu’il a prises ? Et maintenant, Peter, en le protégeant, se met en danger également. C’est pire que tout à ses yeux. Définitivement pire que tout.

« C’est pas rien… », réplique Harry d’un ton sombre mais la voix tremblante, serrant peut-être trop fort Peter contre lui alors que ce dernier le prend de nouveau dans ses bras. En cet instant, il a terriblement peur qu’il lui échappe pour de bon. « C’était plus arrivé ici… Je pensais que j’en étais débarrassé pour de bon. » Il tente de donner un rythme plus régulier à sa respiration chaotique. « C’est mon père, je suis sûr que c’est lui. Il a dû dire quelque chose, il a joué avec mon cerveau, il… » Et Harry sait qu’il se cherche en partie des excuses pour ne pas assumer ce dont il souffre vraiment. Il est en train de charger sa responsabilité sur cette cible ô combien tentante et facile : mais non, il est responsable de ce qui s’est passé, il est le seul responsable. « Tu n’aurais pas dû m’emmener, tu aurais dû les laisser faire. Peter… » Il relève la tête pour plonger son regard dans celui de son petit ami (après tout ça, est-ce qu’il veut seulement l’être encore). « Je veux pas que tu aies des problèmes à cause de moi. On peut… on devrait aller voir la police. »

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Les paroles de Peter le touchent et accentuent son angoisse en même temps. Il ne mérite pas tous les risques qu’il prend pour lui, il en est convaincu. Et si ça le soulage terriblement, si ça lui fait un bien fou que de l’entendre affirmer qu’il sera là pour lui et qu’il le protégera quoi qu’il advienne, mais peut-il vraiment se permettre de lui faire courir tant de risques ? La question ne se pose même pas, en réalité, il sait déjà pertinemment la réponse : non, il n’a aucun droit de faire ça, il n’a aucun droit de faire ça, même. Peter est quelqu’un de droit, de juste, d’intègre, et Harry l’aime pour toutes ces raisons-là. Il n’a aucune envie de le voir se compromettre pour lui, et en même temps il a tant besoin de le garder à ses côtés et de l’entendre lui assurer qu’il ne l’abandonnera pas… Il en a… terriblement besoin. Harry essuie son visage baigné de larmes d’un revers de la manche. Il s’en veut de mettre Peter dans cette situation, de n’être qu’un Harry Osborn de plus sur la longue liste de ces Harry Osborn qui n’auront jamais rien su faire d’autre que de tout gâcher.

Il devrait protester et insister alors que Peter lui assure qu’il ne le conduira pas chez les flics. C’est vrai, ils n’auraient peut-être pas dû ouvrir le feu, mais il ne leur avait pas laissé beaucoup d’options. Ce qui s’est passé sur place reste flou dans ses pensées, mais il a conscience du fait que ça a dû être horrible, et que c’était la dernière option envisageable. Il devrait protester mais quand Peter lui assure ne pas avoir l’intention de vouloir le rendre à la justice, il ne peut s’empêcher de se sentir soulagé. Il est passé par là, déjà. Reclus, prisonnier, sous la vigilance du SHIELD... Il ne peut pas vouloir revivre ça, sous aucun prétexte. Harry veut dire quelque chose, mais ils sont tous deux brisés dans leur élan par la vibration du téléphone de Peter.

« Ne réponds pas… », fait Harry sans la moindre idée de ce que Peter compte écrire à ce Will qu’il ne connaît que de nom mais dont il sait qu’il travaille pour la police.

Cependant, il n’a pas la force de protester bien longtemps tandis qu’il voit son petit ami pianoter sur l’écran de son téléphone. Il se frotte les paupières du plat de la main, comme si, de cette manière, il pouvait être capable d’échapper à cette sinistre réalité qui prend une ampleur qu’il ne saurait convenablement exprimer. Le mettre en sécurité, c’est ce que Peter lui promet, mais la vérité, c’est qu’il ne peut rien lui promettre de tel : parce qu’il ne peut pas le mettre en sécurité quand le danger vient de lui-même. Encore en cet instant, il songe qu’il pourrait se retransformer à tout instant… Il ne l’a pas contrôlé la fois précédente, il ne le contrôlerait pas davantage. Et s’il s’inquiète de faire du mal à autrui… si quoi que ce soit devait arriver à Peter par sa faute, il ne serait jamais, ô grand jamais, capable de se le pardonner.

« C’est rien, j’ai rien », le rassure immédiatement Harry quand il s’inquiète de ses éventuelles blessures. Physiquement, tout va bien. Pour le reste, en revanche… « C’est là, c’est en moi, y a rien à faire, tu comprends, ça va recommencer, ça va forcément recommencer, et si la prochaine fois j’arrivais pas à… » Il prend une grande inspiration. « Je vais tout te raconter mais… » Il ose amarrer son regard au sien. « Promets-moi de ne pas me détester quand je t’aurais expliqué. »

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Harry esquisse un fin sourire, triste néanmoins, quand Peter lui promet, avec une sincérité qui le bouleverse, qu’il ne le détestera jamais. Harry voudrait pouvoir enregistrer ses mots pour les entendre être redits dans les moments où il doutera le plus (et ils ne manqueront pas), mais à la vérité, il n’est pas certain qu’il puisse exiger une telle promesse de la part de son petit ami, pas alors que ce dernier n’est pas encore au courant de toute l’histoire. C’est comme le tenir en otage de cette promesse, et ce n’est pas juste. Mais en même temps… Si Peter devait estimer que c’était trop pour lui, qu’il ne voulait pas avoir à endurer tout ça, Harry n’est pas sûr qu’il serait capable de le supporter. Il a besoin de lui plus que jamais. Son seul pilier véritablement solide, quand tout le reste semble en passe de s’écrouler.

Harry baisse les yeux au moment où Peter observe qu’il a toujours été complètement transparent sur sa vie, mais que l’inverse n’a jamais été vrai. Il ne peut pas le contredire sur ce point. Harry n’a jamais menti, certes, mais il s’est plus d’une fois complu dans ces omissions qui l’exemptaient de montrer de lui un visage qui serait susceptible de détourner Peter de lui. Il a parlé par énigmes, en suggérant l’angoisse que lui inspirait son père, et un passé dont il n’est pas entièrement fier. Mais il ne s’est jamais complètement dévoilé. Parce qu’au moment de le faire, il redoute de perdre pour de bon le seul qui compte, le seul qu’il aime. Il ne peut pas reculer. Il ne doit pas reculer. Il est trop tard de toute manière pour prétendre, et si Peter doit vraiment décider de le soutenir et de se mettre en danger pour lui, il faut qu’il sache en toute connaissance de cause ce qui est vraiment arrivé. Qui il est vraiment.

« Mon père… » Étrange façon, peut-être, d’entamer son histoire, mais en même temps, tout est lié à lui, encore et toujours, et même maintenant. Il prend une grande inspiration. « Mon père a jamais vraiment été là, et quand il finissait par être là, c’était pire que tout… Je savais qu’il nous cachait quelque chose, j’avais besoin de comprendre, je pense que je me disais que si j’arrivais à percer ses secrets, j’arriverais à être plus proche de lui, je sais pas… » Il passe une main tremblante dans ses cheveux. « Je l’ai suivi. Il s’était mis en tête de participer à un processus expérimental de mutation. Sauf que ça a mal tourné… j’étais là quand son labo a explosé et… j’ai pas tout de suite su que j’avais muté, moi aussi. Mais mon père… mon père, ça l’a rendu cinglé, encore plus cinglé. Il était capable de se transformer, comme moi… Et juste après l’explosion, il est retourné chez nous et il a… » Sa gorge se noue. « J’ai mis du temps à me souvenir de ça, c’est encore flou. Mais il a tué ma mère. Et j’étais là. » Il marque une pause. « Il a joué avec mon cerveau, a transformé mes souvenirs… Je pensais… je sais pas, que j’arriverais à le ramener à la raison, que cette créature, c’était pas vraiment lui, comme moi j’étais pas vraiment cette… chose que tu as vue. Sauf que c’est faux. Ça fait partie de lui, et ça fait partie de moi. » Il prend une grande inspiration. « J’ai fait des choses horribles, Peter. Des choses que je pourrais jamais réparer. » Il baisse le regard. « Je crois que j’étais presque soulagé… quand il m’a tué. »

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feat. Peter

Le silence suit ses révélations. Harry n’en prend pas ombrage, il devine qu’il faut à Peter le temps d’intégrer tout ce qu’il vient de lui apprendre, et ce n’est définitivement pas rien. Quant à lui, ces quelques secondes de silences certes pesantes lui permettent de se recentrer un peu, ce qui n’est pas une mince affaire en cet instant. Il a du mal à canaliser ses émotions, et avoir ainsi déballé sans détour cette histoire qu’il a trop longtemps gardée pour lui-même le met dans une position délicate et angoissante. Pourtant, il sait qu’il ne doit pas laisser ses émotions les plus négatives gagner du terrain, parce que s’il laisse faire, il a peur que le hobgoblin gagne à nouveau du terrain, le hobgoblin dont il a tendance à se dissocier avec un peu trop de facilité… est-ce que ce n’est pas là juste une manière de se dédouaner des atrocités qu’il a commises ? Pourtant, il n’est pas en droit d’en décliner la responsabilité. Ce ne serait pas juste pour toutes les victimes qu’il a laissées dans son sillage.

Il baisse les yeux sur la main que Peter serre doucement dans la sienne. Il n’ose pas relever le regard. Il hoche simplement la tête quand il lui demande confirmation de ce que son père lui a fait subir. Il ne parvient pas à prononcer ce « oui » de vive voix, il sent comme un poids incompréhensible, désagréable lui obstruer la gorge, une boule faite d’amertume, d’angoisse et de sanglots refoulés. La question qu’il lui pose alors lui fait l’effet d’un coup de poignard en plein cœur, mais il ne peut pas reprocher à Peter de la lui poser… Il a raison de la lui poser. Mais en fonction de la réponse qu’il lui adressera, Harry a peur de perdre Peter pour de bon.

Il a envie de se dérober derrière la réponse la plus évidente et la plus acceptable, affirmer d’emblée qu’il ne reste rien de sa conscience quand il se transforme, il veut croire que s’il donnait cette réponse à Peter, ce dernier accepterait de le croire sur parole, et sans le remettre en question. Mais ce serait injuste. Harry relève les yeux vers Peter, sa vision entravée par le persistant voile de larmes qui brouille sa perception. Pire que l’angoisse qu’il a de lui-même, il y a cette angoisse plus violente encore qui l’étreint en cet instant. En quelques mots, il va peut-être le perdre pour toujours.

« Je ne suis pas… » Il se racle légèrement la gorge comme dans l’espoir d’en chasser cette fichue boule qui n’a pas l’air de vouloir se tirer de là. « … pas totalement inconscient. C’est comme si… comme s’il n’y avait plus que les émotions les plus négatives en moi, la colère, la rage, la tristesse, la frustration. C’est mes émotions, sauf qu’elles sont démultipliées, et tout le reste est comme… lointain. » Il avale sa salive avec difficulté. Détourne le regard pour parvenir au bout de ses explications. « Sur le moment, j’ai vraiment voulu faire du mal à tous ces gens… », admet-il. « Je peux pas te dire que c’était pas moi, parce que c’était moi… » C’est lui, et en même temps ce n’est pas lui, il ne sait pas comment expliquer que cela. « Quand je t’ai vu, ça a fait court-circuiter quelque chose en moi. » Le positif a repris le contrôle du négatif, parce que c’est ça, ce que lui inspire Peter : la chose la plus belle qu’il ait jamais vécue et connue. « Tu es la dernière personne au monde à qui je voudrais faire du mal. » C’est la vérité, il ne se pardonnerait jamais si quoi que ce soit devait arriver par sa faute. « Mais ça finira peut-être par arriver. »

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feat. Peter

A mesure qu’il déroule son discours, le récit honteux de ce qu’il est véritablement, ne laissant plus à Peter l’opportunité de le protéger derrière de fausses excuses, Harry sent le comportement de l’homme qu’il aime changer sensiblement, et ça lui fait un mal de chien. Le cœur brisé, il sent la main de Peter se détacher de la sienne, et ça fait plus mal qu’il ne l’aurait soupçonné. Il a terriblement peur que Peter l’abandonne, et en même temps, c’est comme s’il le précipitait vers la sortie. Il ne veut pas s’imaginer sa vie sans lui à présent qu’il y a pris une place si importante, mais il ne peut pas lui imposer ce qu’il est, encore moins quand il le voit dans cet état, le regard fuyant, le bras enroulés autour de ses jambes, prostré… C’est lui qui le met dans cet état. Inexorablement, il faut du mal autour de lui, et pire encore, il fait souffrir les personnes qu’il aime… Il baisse le regard, l’estomac noué, quand Peter prononce à juste titre ces mots qui ressemblent à des reproches et qui en sont sans doute.

« Je savais pas comment… » Non, c’est trop simple se protéger derrière cette excuse. Certes, c’est la vérité, il ne savait pas de quelle manière lui parler de tout ça, mais ce n’est pas une excuse pour autant. « J’avais voulu croire que c’était derrière moi, en trois, ans, il s’était rien passé alors… »

Alors il avait voulu balayer cet aspect de sa vie et prétendre que ce n’était rien. Mais ce n’était pas rien. Loin, très loin de là. Il aurait dû être transparent avec Peter, l’avertir, lui faire comprendre à quoi il allait devoir s’en tenir. Mais s’il l’avait fait, est-ce que Peter aurait seulement voulu de lui ? Peut-être bien. Dans tous les cas, il ne peut pas revenir en arrière. Ce n’est pas qu’il a voulu mentir mais il l’a fait, par omission. Une immense, gigantesque omission. Ses paroles lui font du mal quand il remarque qu’il doit se faire soigner, même s’il n’a sans doute pas tort. Sauf qu’il est convaincu qu’il n’y a pas de remède à ce qu’il est. Et ça va recommencer. Il est convaincu que ça recommencera forcément.

« Elle est au courant », confirme-t-il d’une voix blanche au sujet de sa thérapeute en tournant un regard dévasté vers Peter. Il déteste le voir dans cet état. Il déteste encore plus le voir dans cet état par sa faute.

Tout est de sa faute.. Et il a tout gâché. Peter est la personne la plus importante au monde à ses yeux, il ne voudrait que le rendre heureux, mais il souffre à présent, et c’est entièrement sa faute. Leurs regards finissent par se croiser de nouveau, quand Peter lui demande plus d’explications. Il devrait se sentir soulagé d’entendre Peter lui assurer qu’il veut l’aider malgré tout, mais il ne peut s’empêcher de songer que les espoirs que Peter caresse pour lui sont vains – il va forcément le décevoir.

« J’aurais pas dû accepter de le voir », finit-il par réussir à articuler. « Je devrais… Rien ne va s’arranger tant qu’il fera partie de ma vie, mais j’y arrive pas… » Il n’arrive pas à couper les liens. L’influence que son père a sur lui, il n’est pas certain que qui que ce soit soit capable de le comprendre en dehors de lui – à part peut-être Abigail (ce n’est sans doute pas pour rien qu’il avait réussi à se confier à elle). Il passe une main dans ses cheveux, enfonce mécaniquement ses ongles dans son cuir chevelu.  « Il a mis ces… ordres dans mon cerveau… des mots qu’il utilise pour me contrôler. » D’accord, il va vraiment passer pour un fou. « Je veux qu’il sorte de ma tête, je veux qu’il sorte de ma vie, mais j’y arrive pas… » Il tourne son regard vers Peter. « Je suis tellement désolé, Peter. T’as totalement raison. J’aurais dû tout te dire, j’avais peur de ce que tu penserais de moi. » Il se rapproche de lui, il a envie de le toucher, de le prendre dans ses bras… mais il n’ose pas. « Je t’aime… je veux pas te perdre. »

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feat. Peter

A qui ment-il ? Sans doute plus à lui-même qu’à Peter, mais ce faisant, il est évident qu’il lui ment aussi… Parce que oui, il avait été absurde de prétendre qu’il pourrait échapper à ce que tant d’autres ont traversé avant lui. De même, il ne peut prétendre ne pas avoir été au courant de cela… Il avait vu, dans son entourage proche ou lointain, des personnes soudainement récupérer des capacités qu’ils avaient perdu avant cela… et bien sûr, dans ces moments-là, il redoutait le retour du Hobgoblin… Oui, il s’était déjà demandé s’il n’était pas là, à attendre le moment de se manifester, depuis un bon moment déjà. Ça a sans doute été le cas. Pour lui, il n’y avait pas vraiment de signes avant-coureurs, ce qui rendait la situation plus dangereuse encore. Non, il ne pouvait pas sincèrement penser qu’il y échapperait, mais il l’avait pensé tout de même. Loin de son père et de son influence, il avait cru qu’il serait capable de devenir quelqu’un d’autre, d’être vraiment ce Harry qui a su s’attirer l’affection de quelqu’un d’aussi exceptionnel que Peter… sauf qu’il n’a peut-être jamais été, tout compte fait, cette personne dont Peter est tombé amoureux. Lui-même ne sait plus vraiment qui il est en cet instant. Il ne se sent être rien d’autre qu’un monstre et un menteur. Il encaisse les questions de Peter comme des reproches auxquels il ne sait pas vraiment répondre parce qu’ils sont tous justifiés. Il voix que Peter a le cœur brisé, en être responsable est une pensée difficile à endurer.

« Je suis désolé, vraiment désolé de ne t’avoir rien dit… », fait-il d’une voix tremblante.

Il ne sait pas quoi ajouter de plus, à ce stade. Si on lui donnait l’occasion de revenir en arrière, il raconterait tout, immédiatement, à Peter, et il ne lui cacherait rien, mais les choses ne se sont pas passées ainsi, et quoi qu’il puisse faire ou vouloir, il lui est impossible de revenir en arrière, c’est ainsi.  La réponse de Peter lui serre le cœur, mais à quoi s’attendre ? Peter n’allait pas lui sauter dans les bras, lui dire qu’il l’aimait, que rien n’était grave et que tout se passerait bien. Les choses ne se passent pas comme ça dans la vraie vie, et il faut savoir l’assumer, il faut savoir l’accepter, que cela nous plaise ou non… Plus que jamais, il aurait besoin d’entendre Peter lui assurer qu’il l’aimait, pour se rassurer lui-même, mais il devra se contenter de ça… Peter ne lui tourne pas le dos alors qu’il aurait toutes les raisons de le faire. C’est déjà bien plus qu’il ne serait normalement en droit d’en demander.

Alors il hoche doucement la tête quand Peter se relève en suggérant que Will doit les attendre. Il considère la main qu’il lui tend avec l’appréhension qu’il l’éloigne au moment où il voudra la saisir, mais il la prend dans la sienne malgré tout, parce qu’il veut se convaincre, par ce geste, qu’il n’a pas complètement perdu celui qu’il aime. Il garde sa paume dans la sienne et ne dit rien, rien du tout. Il se contente de suivre Peter, avec au fond l’envie de fuir. Ce Will, il ne sait rien sur lui, mais il n’a aucune envie d’avoir à affronter le regard d’une tierce personne en cet instant.

Peter avait eu raison, Will est effectivement là, son regard semble passer aux cribles leurs mines déconfites, mais au moment de prendre la parole, c’est à Peter qu’il s’adresse, en ne lui accordant, à lui, qu’une moindre attention. Quelque part, ça l’arrange.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu vas bien ? »

We are all someone's monster

feat. Peter & Harry

Les messages cryptiques qu’ils ont échangés n’ont guère permis à Will de se faire une idée très précise de l’état dans lequel il retrouverait Peter. Pour l’heure, il ne sait qu’une chose, et c’est qu’il a été sur les lieux où le chaos s’est répandu comme une traînée de poudre après l’attaque de cette créature que les forces de police n’ont pas encore été capables d’identifier (le surnaturel fait partie du quotidien de la police, ici, et souvent, les forces de l’ordre sont déroutées par tout ce qu’ils ne sont pas capables de comprendre – ces événements s’ajoutent, pourra-t-on dire, à une longue liste). La réponse de Peter, concise, a eu le don de redoubler son inquiétude : « ça va pas du tout. » Certes, il a ensuite nuancé son propos, mais il n’en fallait pas davantage à Will pour réclamer à venir rechercher Peter – et son petit ami, donc – directement. Tandis qu’il s’agace contre le trafic rendu compliqué par les événements encore frais et qui retardent son arrivée, il songe à ce qu’il ressentirait s’il devait perdre Peter, de la même façon qu’il avait perdu Abigail autrefois. Cette pensée ne tient pas de la paranoïa ou de l’absurde anxiété, des situations comme celle-ci ne le prouve que trop bien. Comme l’avaient prouvé les événements de Noël… Plus le temps passe, plus Will sent son attachement envers Peter prendre de l’ampleur, plus il juge insoutenable l’idée que quoi que ce soit puisse lui arriver. Et pourtant, il le sait bien, pour lui-même tout comme Peter, il devrait se détacher, autant que possible, d’une relation qui ne peut pas connaître de dénouement heureux.

Il le sait, mais tandis qu’il se gare devant l’Asgard, où Peter a demandé à ce qu’il vienne les chercher, il ne pense à rien de tout cela, il ne songe qu’au fait de vouloir le voir pour s’assurer qu’il soit définitivement en bonne santé, avant d’envisager de le mettre en sécurité. C’est la première question qu’il lui pose au moment de le retrouver, est-ce qu’il va bien ? Pour l’heure, il choisit de ne porter qu’une attention relative à l’ami de Peter, dont la main est serrée dans celle de ce dernier, et qui semble presque dans un état second, il règlera son compte plus tard. Will est pris par surprise quand Peter se précipite dans ses bras, mais il ne tarde pas à resserrer cette étreinte, dans l’espoir de lui apporter le réconfort qu’il réclame manifestement, et qu’il n’obtiendra pas si facilement. Peter lui dit qu’il va bien, Will n’en croit pas un traître mot.

Alors il lui explique, et Will accepte de regarder Harry – le fameux petit ami – plus attentivement. Ce dernier fuit obstinément son regard, et le profiler doit bien reconnaître que, en l’occurrence, cela l’arrange grandement. S’il comprend bien – et il est sûr de bien comprendre… Le monstre, c’était lui, et Peter a aidé à s’échapper un criminel devenu aujourd’hui notoire. Pas que Will serait capable de l’en blâmer, il ne peut d’ailleurs que mieux comprendre le trouble de Peter. Il sait ce qu’aimer un monstre vous fait ressentir, même si c’est - relativement – plus simple de l’accepter quand on en est un soi-même. Peter fait preuve d’un self control remarquable en la circonstance. Mais tout ceci est en train de le dépasser, et il peut bien chercher à faire illusion, Will n’est pas dupe.

« Pour commencer, vous allez me suivre. Vous venez chez moi le temps de réfléchir posément à une solution. » Il ne suffit pas de vouloir régler les choses pour qu’elles se résolvent, malheureusement. Il invite Peter et Harry à rentrer dans sa voiture, Peter côté passager, et Harry à l’arrière, et attend que le véhicule ait démarré pour reprendre la parole. « Douze blessés dont deux graves… pour le moment », fait-il en jetant un coup d’œil à Harry via le rétroviseur, qu’il voit blanchir à vue d’œil, comme s’il allait tourner de l’œil. « Ils n’ont pas encore identifié ton ami mais les caméras de surveillance du quartier ont filmé l’incident… La seule chose qui peut éventuellement sauver ton ami, ce sont les éventuels sosie qu’il y a en ville. » Il marque une pause. « Je te laisse le choix. Si tu me demandes de ne pas confier Harry à la police, je vous aiderai tous les deux, mais j’ai besoin que tu aies vraiment conscience de ce que tu t’apprêtes à faire. Il y a des voies que l’on devrait parfois s’épargner de suivre. »

We are all someone's monster

feat. Peter

Les paroles de Will lui font l’effet de coups de poignards en plein cœur… Il se déteste du léger soulagement qu’il éprouve à l’idée qu’il n’y ait eu aucun mort, mais le « pour le moment » prononcé par l’homme au volant de la voiture est suffisamment éloquent pour que Harry ne puisse rien minimiser de la situation qu’il a lui-même engendrées. Ces victimes sont bien réelles, elles sont dénombrables, et il est responsable du sort de chacune d’entre elles. Le regard tourné vers la vitre, il évite volontairement les regards qu’il sent cet homme lui adresser par l’intermédiaire du rétroviseur, convaincu de l’animosité profonde qu’il lui inspire… difficile de le lui reprocher dans ces circonstances. Ce n’est pas pour lui que Will Graham s’est déplacé, mais définitivement pour Peter. Et ce n’est pas lui qu’il cherche à protéger au moment de prendre la parole et donner le détail de la situation à Peter, mais bel et bien ce dernier. Autant de ces circonstances que de lui-même et des décisions qu’il pourrait éventuellement prendre, un peu trop légèrement, parce que c’est lui… Il y a des voies que l’on devrait parfois s’épargner de suivre… Oui, mais qu’en est-il des voies que d’autres tracent à votre place, et qui semblent, sur le moment, être les seules que vous puissiez poursuivre… Oui, Harry s’en rend bien compte. Tout gagné qu’il soit d’un vif sentiment de culpabilité, il ne s’en cherche pas moins des excuses, une échappatoire qui les préserverait, lui comme Peter, de l’inévitable conséquence de ses actes à lui.

« Tu peux pas faire ça », réplique vivement Harry en détournant son regard de la fenêtre pour poser les yeux sur Harry quand ce dernier suggère que les vidéos pourraient tout simplement disparaître. L’avoir aidé à s’échapper était une forme de complicité presque acceptable, effacer des preuves était un crime… Était-ce plus moral, cependant, que de laisser peser sur d’autres les soupçons le concernant ? Pour avoir été confondu à plusieurs reprises avec certains d’entre eux, Harry sait que les sosies de lui ne manquent pas… à commencer par le colocataire de Peter. Les mettre en difficulté pour son propre confort, est-ce que ce n’était pas pire que de faire disparaître ces éléments compromettants une bonne fois pour toutes.
« Si les vidéos disparaissaient », reprend Will comme s’il n’avait pas écouté Harry, sans doute parce qu’il a effectivement décidé de ne rien écouter de ses états d’âme, « je ne peux pas garantir pour autant qu’on ne remontera pas la trace de Harry. Il y a beaucoup de témoins, sans doute suffisamment pour établir un portrait-robot à peu près précis. » Il marque une pause. « Mais la disparition vous ferait sans doute gagner du temps, oui. » Will marque une pause. « Spider-Man va aussi être inquiété pour complicité, tu as conscience de ça, n’est-ce pas ? »

L’opinion de Will dans cette affaire semble tranchée, mais celle de Peter aussi. Son choix est déjà fait. Son cœur se serre quand il l’entend ajouter que protéger ce qu’on aime devrait être le plus important. Mais si ceux que l’on aime ne le méritent pas ?

« C’est le plus important », confirme prudemment Will, que Harry s’attendait à voir naturellement remettre les paroles de Peter en question. « Je vais détourner l’attention de la police et vous faire gagner autant de temps que je le peux, dans la mesure de mes possibilités, mais en retour, je veux que tu m’assures que tu sais ce que tu fais. »

Une promesse impossible, sans doute. Comment Peter pourrait savoir ce qu’il fait dans des circonstances comme celle-ci ?

We are all someone's monster

feat. Peter & Harry

Sans doute Will devrait-il se montrer plus directif, sans doute devrait-il demander à Peter de livrer son petit ami à la police, obliger ce dernier à faire face à ses responsabilités, plutôt que d’accepter d’être le complice de leurs manigances, pourtant, il se tait, et à sa manière bien à lui, il sait se mettre à la place de Peter, de même qu’il sait comprendre les dilemmes qui le tourmentent, car par le passé, un passé si lointain qu’il semble appartenir à quelqu’un qui n’est pas tout à fait lui, il a été confronté à des dilemmes similaires. La résolutions qu’il a trouvée à ces derniers a été particulièrement sombre et violente… peut-il souhaiter la même chose à Peter ? Non, et ce n’est pas le cas. Will a la conviction qu’il n’aurait pas pu être sauvé, de même qu’il a gagné la certitude de ne jamais l’avoir complètement voulu, mais Peter et lui ne sont pas les mêmes, et Will sait qu’il doit cesser de projeter en lui quelque angoisse d’un autre temps, qui devraient injustement lui revenir. C’est néanmoins plus fort que lui… et il garde en lui – plus honteusement – cette curiosité malsaine. La curiosité, si Peter s’engage sur cette voie, de voir ce qui pourrait bien se passer.

Quoi qu’il en soit, il se défend lui-même contre cette idée, prétextant qu’il ne fait jamais que respecter la volonté de celui qu’il veut par-dessus tout protéger… En cet instant pourtant, il ne le protège ni de son dangereux petit ami, ni de son influence néfaste à lui… Et pire encore, il échoue à protéger Peter de lui-même. Qu’importe, il poursuit malgré tout.

« Ce n’est pas encore assez », se contente de répondre doucement Will quand Peter affirme qu’il en fait déjà trop.

Son regard se porte sur Harry, qui attrape doucement, avec quelque chose qui ressemble à de l’hésitation, la main que Peter tend dans sa direction. Il reporte presque aussitôt son attention sur la route et hoche légèrement la tête quand Peter confirme qu’il a avant tout besoin d’un peu de temps afin d’élaborer un plan. Il l’aidera autant qu’il le pourra, même si ce ne sera pas chose simple. Et s’il en est un qui sera sans doute ravi de leur prêter main forte afin de résoudre cette situation, c’est définitivement celui que Peter finit par mentionner, lui demandant s’il sera à la maison.

« Il travaille », répond-il évasivement. « Je lui expliquerai, si tu es d’accord. Je pense que ça te fera du bien de… lui parler », observe-t-il alors simplement.

En psychiatre, bien sûr, même s’il sait de lui-même ce qu’il y a de plus insidieux à lui faire cette suggestion. Si Will est encore partagé quant à toute cette situation, il est convaincu en revanche que l’opinion d’Hannibal sera beaucoup plus tranchée que la sienne… Et il sera sans doute plus que ravie d’encourager cette étincelle de noirceur que cette situation a révélé chez Peter.

La voiture se gare. Will invite Harry et Peter à en sortir et à l’accompagner à l’intérieur, où ses chiens ne manquent pas de leur faire la fête, et tout particulièrement à Peter, qui leur a visiblement manqué.

« Je vais nous servir quelque… » Will s’interrompt dans sa phrase, considérant le nombre d’appels manqués sur ton téléphone. Logique, le commissariat est en ébullition. « Je reviens, je dois passer quelques coups de fil. » Il tourne son regard vers Peter. « Tu connais la maison, faites comme chez vous », ajoute-t-il avant de s’éclipser dans une pièce voisine, laissant le couple seul à seul, dans le séjour.

We are all someone's monster

feat. Peter & Harry

Harry s’est muré dans le silence le plus total… cette situation le dépasse complètement. Il se sent partagé entre son envie de retenir Peter dans ses résolutions qui, il le sait, pourrait le conduire trop loin, et par sa faute, et dans le même temps, il est terrifié. Jamais, ô grand jamais il n’a voulu mettre son petit ami dans cette situation. La responsabilité que Peter s’impose vis-à-vis de lui le réconforte et l’inquiète en même temps. Harry a peur de ne pas savoir être digne de tous les sacrifices moraux que Peter semble prêt à commettre pour lui. Et en même temps, il se laisse comme porté par le courant, incapable de véritablement agir ou réagir. Pour la deuxième fois de cette terrible journée, il semble extérieur à lui-même, mais ce n’est plus pour les mêmes raisons. Il ne sort de cet état de semi-torpeur qu’au moment de quitter la voiture pour découvrir la maison de ce fameux Will qui, ce temps durant, continue de le regarder de travers.

Harry n’a même pas la curiosité de s’imprégner de l’environnement qui l’entoure, encore un peu apathique. Il a conscience que le silence qu’il laisse peser sur eux est pire que tout, il sait qu’il devrait dire quelque chose, remercier Peter pour tout ce qu’il fait pour lui, le rassurer, lui promettre que tout va bien se passer, mais il ne se sent capable de rien. Il ne semble quitter son état d’indolence qu’au moment de sentir les bras de Peter l’entourer. Le soulagement est presque immédiat. Bien sûr, c’est loin de tout résoudre, mais il se sent libérer d’un poids immense, plus lourd qu’il ne l’avait supposé pour commencer. Il s’efforce de ne pas fondre en larmes dans ses bras, même s’il en meurt d’envie, de juste tout relâcher et de s’abandonner à ce sentiment de détresse profonde. Sauf qu’il ne veut pas infliger ce spectacle à Peter. Il s’efforce d’être fort pour eux deux, et ce n’est pas juste.

« Merci », c’est tout ce qu’il parvient à dire, d’une voix trop faible quand Peter lui promet de ne pas le lâcher : des paroles que Harry avait eu terriblement besoin d’entendre. « Merci », c’est si peu, c’est tellement rien par rapport à tout ce que Peter a fait pour lui.

Il hoche doucement la tête en acceptant la main tendue de Peter pour la prendre dans la sienne.

« Si tu leur fais confiance, je leur fais confiance », assure-t-il avec un fin sourire tandis que Peter s’apprête à préparer le café. « Peter… » Harry cherche ses mots. « Tout ce que tu fais pour moi, c’est… Personne n’a jamais fait ce genre de choses pour moi. » Pas même son Peter, mais les circonstances avaient été différentes. « Je te promets que je te dirais toujours tout, maintenant, mais je veux… » Il hésite. « Promets-moi que si on trouve pas de solution, tu insisteras pas. Je veux pas te mettre en danger… enfin… je sais, c’est ironique de te dire ce genre de choses maintenant. » Il laisse passer un temps de pause, embarrassé. « T’imagines pas à quel point tout ça, ça compte pour moi. A quel point tu comptes pour moi… »

Harry sent son portable vibrer dans sa poche. Il a le réflexe de le sortir pour le lâcher brusquement, presque aussitôt, comme si l’appareil était brûlant, après avoir vu le nom de son père apparaître sur l’écran.