(Terminé) Was it good to see me? [Hannibal]

Was it good to see me?

feat. Hannibal

« Will… Vous êtes avec moi, Will ? »
Comme un bourdonnement au creux de son oreille. Will plisse les yeux comme pour s’habituer à la lumière pâle pourtant émanant des lampes murales d’une pièce qu’il reconnaît pour s’y être déjà trouvé. Dans une autre vie. Il connaît cet endroit, il connaît cette voix, il connaît ce regard qui le toise avec ce mélange familier de doute et d’appréhension.
« Oui… Oui. »
Non, Will n’est pas avec lui, il est ailleurs, il est sur une île perdue au milieu de nulle part, peuplée d’individus étranges, aux histoires inexplicables, fantastiques et familières. Il est dans un autre monde, un monde différent, celle de sa renaissance, du déploiement d’une nouvelle existence aujourd’hui effacée. Will n’est pas là, pas totalement, mais il s’efforce de s’ancrer à cette situation, quand bien même il ne la comprend pas, quand bien même il sent qu’elle lui échappe comme du sable lui glisserait entre les doigts.
« Est-ce que vous avez besoin d’un conseil, Will ? »
Will ne regarde pas Jack, il se focalise sur tout ce qui les environne, la décoration épurée d’un bureau débordant de dossiers divers. Le regard de Jack Crawford est perçant, scrutateur, c’est pour cette raison que le profiler l’évite plus encore qu’il ne le ferait en d’autres circonstances.
« J’ai besoin de retrouver un certain état d’esprit. »
Ces mots sont les mêmes qu’il avait prononcés dans les exactes mêmes circonstances, et Will ne saurait trop dire si leur sens a véritablement évolué depuis lors… En sous-texte, l’on peut entendre précisément la même chose que ce que ces mots suggéraient déjà au cours de cet entretien. Il a besoin de retrouver un certain état d’esprit. Il a besoin de le retrouver, lui. Pour faire la lumière sur ce qui leur arrive, mais pas seulement. Avant tout et surtout pour le retrouver, l’aider s’il le peut… Jack ne répond pas, il le toise avec un mélange de suspicion et de prudence, ni l’un ni l’autre ne sont superflus dans les présentes circonstances. Ni l’un ni l’autre ne sont de trop.
« Il faut que je voie Hannibal. »
Jack le sait. C’est pour cette raison qu’il ne le lui refusera pas. Il se lève de son bureau et l’invite à le suivre d’un geste sans poser de question, sans argumenter. Ils montent ensemble dans sa voiture et le trajet se fait dans un silence relatif, que Will ne cherche pas à rompre tandis qu’il s’efforce d’analyser au mieux la situation. Se peut-il qu’il ait halluciné près de quatre années de son existence ? Non, il rejette cette éventualité presque immédiatement. Pour en avoir le cœur net, il n’y a qu’une seule manière de faire.

« Je préférerais que notre entretien ne soit pas enregistré », précise-t-il alors qu’il s’apprête à pénétrer la pièce qui abrite la cellule du docteur Lecter.
« Will… »
« Je sais, c’est probablement contraire au règlement, mais ce n’est que sous ces conditions qu’il me parlera librement. Pas en prétendant avoir éteint les caméras, en les éteignant véritablement », spécifie-t-il d’office afin d’éluder toute possibilité plus déplaisante.
Jack pousse un profond soupir mais consent à l’écouter. Will n’entrera dans la pièce qu’une fois qu’il aura eu la certitude en amont que nul n’épiera leur échange. De même, il exige de pénétrer les lieux seuls. Il ne craint rien. Ceci, au fond, est une chose qu’ils savent tous. Un gardien lui ouvre la lourde porte en métal et Will, veste encore sur son avant-bras, pénètre les lieux comme on visite un sanctuaire. Les exactes mêmes sensations qui l’avaient envahi autrefois l’étreignent de nouveau : l’appréhension, l’impatience, quelque chose qui tient du besoin et d’une nécessité absolue. Il avance d’un pas lent, retire ses lunettes de vue, attend qu’il se retourne. Alors qu’il lui fait dos, faisant mine de ranger quelque chose sur la table d’écriture mise à sa disposition. Il y a quelques heures encore, ils étaient ensemble, entre les quatre murs de leur demeure spacieuse, il a pourtant bel et bien le sentiment que des années les ont séparé de leur dernier échange.

« Bonjour Hannibal. »

Pas de « docteur Lecter ». Pas cette fois.

Was it good to see me?

feat. Hannibal

Un regard leur suffit à tous les deux pour faire une nette différence entre cette fois et la précédente. Il pesait sur cette même scène, il y a une éternité de cela, une ambiance de plomb, faite de non-dits qui à ce jour n’existe plus entre eux. Les émotions qui autrefois se devaient d’être contenues, ou d’être substituées à d’autres pour ne pas avoir à en assumer la charge hautement complexes, n’ont plus de raisons de l’être à présent : l’inquiétude, la dévotion… l’amour, étaient déjà là à l’époque, ils prenaient seulement les atours de la défiance, du ressentiment, et le prétexte d’une enquête pragmatique qui, en cet instant, est définitivement à mille lieues d’intéresser Will, qui, tout en contemplant le décor autour de lui quand ses yeux ne se retrouvent pas naturellement aimantés à ceux d’Hannibal, guette une solution à l’épineux problème face auquel ils se trouvent à présent. Un problème en apparence insoluble, mais qui n’a pas encore été soumis à l’exercice de leurs réflexions communes. Le silence pèse entre eux après des salutations si formelles qu’elles pourraient presque faire douter Will de ce qu’Hannibal sait véritablement. D’autres indices, pourtant, contenus dans ce même silence, l’empêchent de raisonner ainsi, et le convainquent du fait que non, il ne fait certainement pas fausse route, pas le moins du monde, même.

La question qu’Hannibal lui pose n’est pas de celles auxquelles il s’attendait, pourtant, à peine la lui adresse-t-il que Will songe qu’il aurait bel et bien pu l’anticiper, alors que son interlocuteur s’enquiert de l’état de Jack (ou fait mine de, en tous les cas), l’interrogeant sur ce qu’il a pu ressentir, après tout ce temps sans le voir. S’il doit vraiment se concentrer sur cette question et y apporter une réponse concrète, il n’est pas tout à fait certain de ce qu’il convient pour lui d’affirmer. Une part de lui a sans doute été ravie de revoir Jack, mais cette part de lui, excessivement lointaine, une part de lui qu’il n’a pas envie de convoquer dans ces circonstances.

« Pas vraiment… », répond-t-il alors évasivement à sa première question qui, il en est convaincu, n’intéresse que partiellement Hannibal, au fond, qui s’amuse seulement à mettre soit ses nerfs, soit sa confiance à l’épreuve, alors qu’il lui pose une question qui aurait dû intervenir bien plus tard le long de cette conversation.

Il pousse un léger soupir et se rapproche pour ne laisser que quelques infimes centimètres entre lui et la barrière transparente qui l’empêche de se rapprocher réellement de celui en présence de qui son cœur se met à battre à un rythme des plus forcenés. Quelques secondes s’écoulent durant lesquels une légère buée vient se déposer à la surface de la cellule où Hannibal se retrouve dépossédé de sa précieuse liberté. Une fois encore. A cause de lui.

« Les caméras de surveillance ont été désactivées », lui apprend-t-il, incapable pour l’heure de rentrer dans un jeu qui, il en est convaincu, ne lui apporterait définitivement rien de bon ou d’appréciable. « Nous avons peu de temps. » Il marque une pause. « Et certainement pas le temps pour… ça », ajoute-t-il en dédaignant le jeu d’Hannibal, son vouvoiement, ses mimiques, cette situation qui rendent floues les frontières entre passé et présent, rêve et réalité. « Quel est ton dernier souvenir ? » lui demande-t-il en passant tout naturellement au tutoiement, trompant une nouvelle fois les règles d’un jeu auquel il n’a certainement pas la moindre intention de jouer pour sa part. « Avant mon arrivée ? »

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feat. Hannibal

Qu’ils se trouvent ici ou dans un autre contexte, le temps sera toujours cet ennemi qu’ils ne seront pas capables de vaincre. Sur ce point, bien sûr – et sur bien d’autres sans doute –, Hannibal a parfaitement raison. Ici cependant, ce constat est d’autant plus marqué que leurs connaissances même sur le temps et la manière dont il s’écoule se voient biaisées par les circonstances et l’obligation qu’ils ont de faire face à une situation qu’ils ont déjà vécu. Pour Will, c’est une occasion. Celle de bouleverser le destin, d’anticiper ce qui doit être et d’empêcher ce qui ne le doit surtout pas. Pour Hannibal en revanche, cela semble évoquer une réaction très différente. Il contemple leur situation plus qu’il ne cherche à l’influencer. N’a-t-il pas raison ? Les convictions déterministes de Will le poussent à croire que leurs actions présentes engendreront des réactions en chaîne telles qu’elles bouleverseront tout ce qu’ils ont vécu… Mais est-ce leur rôle ou leur devoir ? Et cela servira-t-il réellement à quoi que ce soit ?

« Tu préfères donc regarder plutôt que de participer. C’est rare de ta part », constate Will avec une neutralité de ton des plus totales, mais sans réellement commenter, car il ne peut sincèrement pas dire qu’Hannibal ait raison ou tort en la circonstance… pour s’en faire une quelconque idée, encore faudrait-il qu’il soit bel et bien capable de prendre la mesure pleine et entière de ce qui leur arrive, et ce n’est pas le cas. C’est ce qu’on pourrait communément appeler « un coup de l’île »… Et quand de telles expressions finissent par rentrer dans le langage courant de tous les insulaires, probablement faut-il commencer à envisager de se poser les bonnes questions.

Sur un point, Hannibal a probablement complètement raison. Convoquer leur dernier souvenir dans l’espoir qu’il éclaire la situation sous un jour nouveau est probablement une erreur remarquable. Will le sait, il n’est pas en mesure de l’ignorer, mais s’il ne s’accroche pas à ces points très concrets comme à des points d’ancrage, il redoute, presque malgré lui, de partir à la dérive. C’est aussi ce qui le trouble dans cette situation. Ils ne peuvent savoir si elle durera ou non. Hannibal, pour sa part, semble effrontément serein, mais ce n’est pas réellement une surprise, en vérité. Peut-être parce qu’il s’est déjà retrouvé pris dans un tourbillon similaire, lui permettant de prendre plus de distance avec la situation que ce dont Will est capable… Peut-être parce qu’il a déjà à l’esprit une idée qu’il ne partage pas, pour des raisons qui lui appartiennent (il semblerait qu’il soit dans ses habitudes d’agir de la sorte).

Tu réfléchis trop, Will. Cette phrase, il l’a déjà entendue de la part du psychiatre. Ce dernier lui reprochait de trop réfléchir en même temps qui jetait négligemment le cadavre encore frais d’un policier sur le bas-côté pour s’installer au volant d’une voiture de police avant d’inviter son acolyte à prendre place côté passager. Peut-être qu’il réfléchit trop… Il n’aura pas en revanche l’audace de reprocher à Hannibal de ne pas réfléchir assez, lui trop intelligent pour agir sans avoir précisément mesuré les effets de chacune de ses actions… Mais à quoi bon s’il ne daigne pas partager avec lui le résultat de ses réflexions, comme c’est trop souvent le cas.

« Je ne suis pas en train de tout imaginer », se contente d’affirmer Will pour rejeter en bloc l’hypothèse d’Hannibal, non pas parce qu’elle serait irréaliste mais justement parce que, bien au contraire, elle ne pourrait être que trop vraie. Il ne veut pas le croire. Il refuse d’accepter qu’il s’agisse d’une illusion ou de quoi que ce soit de ressemblant. Il ne le supporterait pas. « Pourquoi ce moment ? » répète-t-il alors, réfléchissant, dans le même temps, à voix haute. Ce moment, celui des retrouvailles, a été charnière, il a confirmé à Will sa nature, celle qu’il avait si savamment étouffée durant ces trois années passées loin de Will. « Parce qu’il est charnière. » Il marque une pause. « Devrions-nous réviser les termes de notre discussion passée pour y dénicher un semblant de sens ? »

Was it good to see me?

feat. Hannibal

Will sait quel sens donner à la réponse certes évasive de son amant. Il le connaît, il le connaît par cœur, il a trop de fois exploré les méandres de sa psyché, il s’est noyé dans ces abîmes. Il sait. Il sait ce qu’Hannibal entend par ce « Pas si rare », et parce qu’il le sait, il serait capable sans réelle difficulté de placer Hannibal face à ses contradictions les plus évidentes, mais ce débat, stérile, n’aurait guère d’intérêt si ce n’est celui d’éventuellement flatter des égos qui n’en ont peut être pas tant besoin que cela. C’est un débat qu’ils ont déjà eu, qu’ils auront encore en d’autres occasions, plus spécifiquement quand il est question d’Abigail. Si ténue soit la limite entre l’observation et la participation, on peut altérer les règles et brouiller les codes. Initier une situation et voir ensuite comment les choses se passeront, c’est d’ores et déjà une certaine forme de participation… Hannibal n’est jamais dans l’observation pure, quoi qu’il puisse en dire. A un moment ou à un autre, il ressent le besoin presque primal de tirer quelques ficelles, même encore maintenant, c’est le cas. Cette situation laisse l’un libre et l’autre en cage – un tel constat ne va pas en faveur du cannibale, et pourtant, comme à son habitude, Hannibal sait détourner les codes et reprendre l’avantage avec une simplicité toute déconcertante.

Il est des signes qui ne trompent pas, si bien rôdés, si bien ancrés dans une sorte d’habitude formelle, qu’ils ne sauraient en rien échapper à l’appréhension du profiler. « Dis-moi, Will », comme on initie une question dont on veut s’approprier la réponse, une question dont il sait déjà la réponse tout en prenant plaisir à la poser tout de même. Il a ce regard scrutateur que Will ne lui reconnaît trop bien, cette assurance digne et joueuse, et la conviction d’être dans son bon droit. Will ne savait pas vraiment à quelle question s’attendre, mais il ne saurait prétendre être surpris par la tournure choisie par son interlocuteur. Combien de fois avait-il songé à cet instant avant qu’il ne se produise ? Très souvent. Trop souvent. On ne prend pas ses distances avec Hannibal Lecter, ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent. L’on peut s’efforcer, autant que possible, de garder une certaine forme de contrôle, ou d’assurance bien souvent feinte, mais on n’échappe pas à une emprise de telle envergure si simplement. Oui, il avait conservé la lettre qu’Hannibal lui avait envoyée, précieusement gardée dans une enveloppe, dans un tiroir à vêtements, comme on cache le plus honteux des secrets. Il l’a relue, parfois… Suffisamment pour que les mots conservent une empreinte proche d’indélébile dans son esprit. Il l’a relue trop souvent, repensé régulièrement à ce qui se serait passé s’il avait accepté de fuir plutôt que de se rendre. Ce que cela aurait signifié pour lui. Pour eux.

Il avait prétendu, bien sûr, ne plus rien vouloir à voir avec lui, ne rien savoir de lui, mais cette exigence ne répondait pas tant à une volonté qu’à un besoin. Will cherchait à se guérir d’Hannibal. Mais le mal était ancré, profond… Tous deux formant deux entités uniques et conjointes. Indissociables. Ils n’auraient pas survécu à la séparation. Oui, s’il faut répondre à sa question – mais le faut-il vraiment ? –, le manque était réel. Le manque était constant. Il n’avait jamais déserté ni l’esprit de l’un, ni celui de l’autre sans doute. C’est parce que Will savait que leurs retrouvailles lui seraient fatales qu’il avait voulu les éviter. C’est parce que Will savait que leurs retrouvailles lui seraient fatales qu’il avait si facilement cédé.

« Tu connais déjà la réponse à ces questions », rétorque Will, évasif, mais sans nier quoi que ce soit – à quoi bon puisque Hannibal, en effet, sait d’ores et déjà tout.

Il ne compte rien répéter. Pas pudeur, peut-être, pourtant, Hannibal a sans doute raison. Ils s’étaient dit beaucoup de choses, ce jour-là, à mi-mot, dans l’inconfort froid et aseptisé de ces lieux, à ce moment de bascule où Will se sentait déjà attiré par le vide qu’il rejoindrait plus concrètement quelques jours plus tard. Ce qui ne s’est pas dit… Un aveu difficile pour celui qui d’ordinaire déjà a pour habitude d’en dire quoi qu’il en soit si peu.

« Avant de quitter cette pièce, tu m’avais demandé s’il avait été bon de te revoir. »

Et il avait répondu non. Est-ce que, s’il s’était exprimé plus honnêtement, sa réponse aurait été d’un ordre différent ? La réponse est plus complexe qu’il n’y paraît.

« Ce n’était pas l’adjectif approprié », déduit-il alors de ses propres questionnements intérieurs. « C’était… désarmant, de réaliser tout ce que je retrouvais de moi en te retrouvant. C’était… vertigineux. » Sur ces derniers mots, ses prunelles s’ancrent à celles de son interlocuteur, à travers la paroi transparente qui les sépare. « C’était grisant. »

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feat. Hannibal

Will ne prétendra pas être surpris d’entendre Hannibal lui affirmer que le sentiment qui avait été le sien au moment de le retrouver, dans ces circonstances précises, avait été partagé. Will aurait pu douter, envisager que le psychiatre n’aurait éprouvé qu’une satisfaction malsaine à l’idée de retrouver dans son sillage celui sur qui il savait avoir une emprise telle qu’il était impossible pour lui d’y résister… Mais les circonstances l’avaient obligé à prendre conscience d’un fait notoire, et qu’il avait pourtant désiré éluder pendant beaucoup trop longtemps. Il avait fallu un étrange entretien avec celle qu’il avait appris à mépriser profondément, le docteur Du Maurier, pour admettre l’intensité, la force… mais aussi et surtout la sincérité des sentiments de son amant à son égard. Quand on a affaire à un manipulateur avéré, qui se joue de l’esprit d’autrui par sadisme ou par curiosité, estimer la valeur d’un sentiment que le principal concerné considérerait comme amoureux est un effort considérable, et qu’il n’est certainement pas aisé de fournir, loin de là, même. Alors oui… Hannibal ne l’avait pas retrouvé comme l’on retrouve un vieux sujet d’expérimentations sordides dont on apprécie d’en observer scientifiquement les effets, comme un rat de laboratoire que l’on aurait soumis à une succession de stimuli directifs depuis des années… Il l’avait retrouvé comme on retrouve un ami. Comme on retrouve quelqu’un qui nous manque. Comme on retrouve quelqu’un que l’on aime. Il pourrait exiger d’Hannibal qu’il en dise davantage, de même que ce dernier ne manque pas de le tourmenter de questions, il ne le fait pourtant pas. Il entrevoit les réponses au plus grand nombre de ses questions… Et pour les réponses qui ne se dévoilent pas encore, il se pense en mesure d’en découvrir et comprendre plus à force d’efforts.

« Tout… », répond doucement et évasivement Will quand Hannibal lui demande ce qu’il retrouvait de lui-même au moment de le retrouver lui. « Je voulais retourner à un état antérieur. Protégé dans ma chrysalide », il précise alors, évoquant une vieille métaphore que son interlocuteur avait employée avec lui… Une image simplissime. Une image d’une redoutable efficacité pourtant. Appropriée, comme toujours. La finesse et la complexité d’une métaphore n’en garantissent pas toujours les effets, après tout. Même si Hannibal a toujours eu un goût prononcé pour le fin et le complexe. « Epouser Molly, c’était me convaincre d’un retour possible à cet état antérieur. » Son estomac se tord légèrement à l’évocation de cette épouse sacrifiée sur l’autel de ses desseins les plus sombres. « C’était réconfortant. Mais ce n’était… qu’un fragment de moi », complète-t-il. « Un fragment presque dispensable. » Il soutient le regard tout au long de son discours, il sait prononcer ces mots avec une clarté de ton et un tel détachement analytique que l’on pourrait presque en oublier les implications radicalement romantiques. Qu’il nierait probablement si la question devait lui être posée. « En te retrouvant, je me suis senti complet. »

Voilà qui est dit. Sans aucune forme de détour. Oui, il s’est senti complet au moment de le retrouver, et c’est un sentiment qui ne pourrait en aucun cas être nié. Il n’en dit pas davantage, en quelques mots, tout est dit, tout ajout serait, bien naturellement, d’une superficialité absurde.

« Tu sais aussi bien que moi que j’y ai plongé plutôt concrètement », répond Will avec ce qui ressemblerait presque à de l’humour cynique quand Hannibal lui demande s’il ressent encore aujourd’hui l’appel du vide. Au sens propre comme au figuré, il avait plongé d’une manière tout à fait radicale. « Mais oui… ici et maintenant j’ai… des réminiscences de ces anciens vertiges… »

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feat. Hannibal

Il reste un mystère dans cette situation que Will n’est pas certain de parvenir à percer, même au terme de longues et intenses conversations avec son interlocuteur. Il n’est pas capable de savoir et de comprendre précisément ce qu’ils font ici, il a beau tenter d’analyser la situation en même temps que ses émotions, leurs émotions, quelque chose lui échappe sensiblement, considérablement, et il n’arrive pas à faire la part des choses. Will veut comprendre au-delà de ce qui est devenu évident depuis longtemps à ses yeux, et il veut croire que la curiosité d’Hannibal n’est pas différence de la sienne. Il veut savoir exactement ce qu’il en serait.

Il veut exactement savoir ce qu’il en est, mais Hannibal l’oblige à une méthode très différente, une méthode qui l’invite à faire face non pas à ce qu’il voudrait comprendre mais à ce qu’il fait, isoler pour de bon ses émotions afin de permettre une bonne fois pour toutes de dépasser ce qui devrait peut-être être corrigé. Leur retour à ce moment charnière n’est pas anodin, peut-être fait-il écho à des incertitudes auxquelles il ne veut pas faire face, va savoir. Toujours est-il, quoi qu’il en soit, que cette barrière très solide qui les sépare n’est pas de celles que l’on peut abattre par la seule force de leur volonté, et cela, ils le savent autant l’un que l’autre.

Qu’envisage-t-il de faire pour remédier à ces anciens vertiges ? Il n’en sait rien. Il ne sait pas quoi faire pour déserter cet endroit. Est-il supposé faire quelque chose en particulier ? Menacer et tuer Jack ? Prendre tous les risques possibles pour faire évader son amant ? Il doute fort que la chose soit suffisante, mais il veut faire tout son possible pour y parvenir malgré tout. Will comprend bien où Hannibal veut en venir : ils ont l’opportunité de réécrire l’histoire… mais comment s’assurer qu’elle soit cette fois en la faveur.

« Qu’est-ce que nous envisageons de faire », le corrige Will en le fixant comme si le seul fait de poser les yeux sur lui pouvait lui suffire à disposer de toutes les indications nécessaires afin de prendre immédiatement les décisions qui s’imposeraient une bonne fois pour toutes.

Ce n’est pas une décision qu’il prendra seul. Ils sont unis. Ils sont liés. Quoi qu’ils choisissent de faire, ils doivent le faire consciemment, et ils doivent le faire ensemble.

« Nous pourrions organiser ton évasion sur la base de la précédente, mais nous ne pourrons compter sur la collaboration docile de Dolarhyde », admet Will qui s’exprimerait presque d’un ton relativement clinique, comme s’il réfléchissait à la meilleure manière de se façonner des chemins alternatifs, qu’il leur sera donné d’emprunter sans prendre le moindre risque. « Aussi, il faut éliminer le problème discrètement, nous servirons d’appât pour un prédateur inexistant. » Mais ils seront les seuls à le savoir. Voilà quel est son plan. Un plan qui exigera néanmoins du temps. « Mais pour ce faire, je dois te laisser ici. »

Et il n’en a pas envie. Plus que jamais, il n’a pas la moindre envie de partir.