(TERMINE) (( will&&kristin )) field of bones.

Ses paupières se ferment une fraction de seconde. Mouvement de balancier. La rubalise s'efface, le brouhaha des conversations, inspecteurs, légistes et autres curieux venus examiner, ou simplement zyeuter la scène de crime, s'estompent pour laisser place à un silence de chapelle. Et pendant un court instant, il n'y a plus que lui et la scène de crime, lui et son analyse de l'événement, lui et son imagination. Cette imagination que Jack était venu lui emprunter presqu'innocemment, un jour, sans rien soupçonner de ce qu'il adviendrait de celui qui n'était alors qu'un simple enseignant à l'académie du FBI, trop... instable pour être affecté sur le terrain.

Le décor change. Celui d'une salle à manger décorée avec goût. Grande tablée. Quatre protagonistes. Lui. Deux convive. L'hôte. Le seul qui compte à cet instant.

Je rejoins l'assemblée d'un pas confiant. Ce moment est le mien et je le sais. Il a mis en place le décor, les acteurs, et c'est l'heure de mon monologue. Je lève mon verre. Son regard est rieur quand il croise le mien, il est trop tard pour lui. Ce n'est pas la peur mais la surprise qui déforme ses traits quand il comprend. Trop tard. La lame a tranché sa gorge. Le geste est assuré mais manque encore de maîtrise, l'initiation brouillonne d'un futur virtuose. Le crime n'est pas personnel, pourtant, il serait presque passionnel. J'arrache précautionneusement son cœur et ses poumons. Le reste des membres sera minutieusement découpé plus tard. Le cadavre attendra jusqu'au lendemain matin, que s'achève la métamorphose. Je disperse les morceaux à travers l'île. Ils ne doivent pas être découverts. Et pourtant, ce bras... Peut-être voulais-je, finalement que s'exhume un premier indice, une preuve tangible de ma renaissance. Que ce nouveau monde sache.

Ceci est mon dessein.

Il rouvre les yeux. Il devrait sans doute se sentir paniqué, ce n'est pas le cas... Quand il a pris la décision de reprendre le poste qu'il avait si soigneusement fui en son temps, trois années avant la lune rouge, il ne l'a fait que dans ce but, cette intention. Renouer non pas avec d'anciens démons mais d'anciens collègues. Et couvrir ses traces. Le moment est venu. Sa précieuse empathie n'est que d'une utilité de façade en cet instant. Car le dessein qui gouverne le crime sur lequel on lui a demandé d'enquêter, il le connaît mieux qu'aucun autre. Ce n'est qu'une simple formule, une expression hasardeuse, c'est quelque chose qui lui appartient. Est-ce qu'il redoute que l'on remonte jusqu'à lui, jusqu'à eux. Pour l'heure pas vraiment. Il fait le choix de demeurer le plus serein possible.

On lui apprend que le lieutenant avec qui il a été affecté sur cette affaire vient d'arriver sur les lieux. Il s'est renseigné à son sujet. Il paraîtrait qu'elle est redoutable. Fait moins appréciable encore, il semblerait qu'elle soit la partenaire privilégiée de Starling. Inutile malgré tout de mettre la charrue avant les bœufs. A son arrivée, il s'adresse à elle avec tout le civisme qu'exige cette situation, quand bien même si tout exercice de sociabilité demeure source de difficulté à ses yeux.

Quand la brune s'approche et lui tend la main, il la serre et se présente à son tour, même s'il se doute qu'on l'aura déjà briefé à son sujet.

"Enchanté lieutenant." Il ne le restera peut-être pas longtemps. "Will Graham, profiler", précise-t-il tout de même, même si cela aussi, il devine qu'on a déjà dû lui en parler. "On vous a déjà briefé sur la situation ou vous souhaitez que je m'en charge ?"

A la manière dont elle l'observe, même si cela ne dure qu'un bref instant, Will se sent brièvement passé au crible. Ce n'est pas la sensation qu'il préfère, en revanche, c'est une sensation à laquelle il a fini par habituer. Il ose penser qu'un seul regard ne suffit pas à cerner qui il peut bien être (lui-même a mis bien trop longtemps à se comprendre, ou plutôt à accepter qui il était, ou était en passe de devenir, et il était pourtant supposer avoir un don en matière d'appréhension de la psyché humaine), mais beaucoup s'y sont essayé. Est-elle observatrice ? Saura-t-elle saisir n'importe quel détail, même le plus subtil pour en faire la matière d'une analyse plus approfondie ? Difficile à dire.

A lui aussi, il faudra plus d'un regard, si attentif soit-il, pour déterminer à qui il a affaire. Tout ce qu'il est à même de constater à son sujet pour le moment, c'est l'état de fatigue dans lequel elle se trouve, et même si cela peut donner quelques vagues indices sur sa personne ou son caractère, ils induisent une part de hasard bien trop grande pour pouvoir s'en contenter complètement. Il n'a pour point de référence, à l'heure actuelle, que les échos de ses collègues. Plutôt flatteurs au demeurant. Ce n'est cependant pas l'un sur l'autre qu'il est de bon ton qu'ils se focalisent pour l'heure. Non, mais sur l'affaire qui les réunit en cet instant. Quoique le passer au crible lui, ou bien l'hypothétique criminel à qui l'on devait cette oeuvre relativement bâclée... C'est du pareil au même. Quoi qu'il en soi, ils retournent donc à leur affaire, à son affaire.

Elle a été briefée, et il se doute de ce qu'elle a déjà pu entendre, mais l'avis qu'il a à donner d'une scène de crime dépasse de manière générale le cadre de ce que l'on pourrait qualifier de purement factuel. C'est une chose que Jack - et pas seulement lui-même - avait du mal à comprendre. Il affirmait et affirme toujours interpréter les preuves, rien de plus. Mais les déductions qui en résultent prêtent bien souvent à intriguer. Il ne compte pas se comporter avec son lieutenant différemment d'avec aucun autre de ses supérieurs hiérarchiques ou collègues. Cette affaire a beau être inédite, parce qu'elle est personnelle, il fait en sorte de l'observait comme s'il en était l'innocent témoin. Que dirait-il s'il découvrait la scène sans en connaître tous les tenants et aboutissants ? Bien sûr, c'est un jeu subtil. Tenir sa place et son rôle, mais ne pas se piéger pour autant. S'il a décidé de reprendre ses fonctions, en dépit de tout le mal (mais pas que) qu'elles ont pu lui faire dans sa vie passée, ce n'est pas pour rien. C'est l'occasion de mettre cela à profit. Et c'est sans doute ce qui justifie tout ceci.

"C'est un acte manqué", répond finalement Will, d'un ton professionnel. "On n'a trouvé qu'un bras, il n'a pas encore été identifié, mais ça ne saurait sans doute tarder. Les environs ont été fouillés sans aucune trace du reste du corps, il est très probable qu'il ai été... dispersé à divers endroits." Il marque une pause. "De tout ce qui pouvait refaire surface et potentiellement le trahir, c'est le bras qu'il a dissimulé avec le moins de précaution soit le membre le plus susceptible de permettre l'identification de la victime." Légère pause. "Le tueur n'a pas planifié cette exhumation, mais il est probable qu'il l'ait voulu. Qu'il veuille inconsciemment attirer notre attention." Et c'est l'entière vérité. "C'est sans doute un débutant. Ou pas loin."