(terminé) A violent act of reciprocity [Hannibal]

A violent act of reciprocity

feat. Hannibal

Vif, alerte, fusil de chasse à bout de bras, Will éteint la lumière, dans l’attente de ce qu’il sait devoir advenir. Les aboiements lointains de Winston, avertissement dans la pénombre, raisonnent à son oreille telle une alarme bienfaitrice. Ce qui vient pour lui, il le sait d’ores et déjà, est une mise à l’épreuve. Il l’accepte comme telle, le cœur battant à un rythme si lent qu’il en est presque inattendu. La proie se fait chasseur. Qu’il vienne. Will est prêt. Les autres chiens se joignent bientôt à ce concert d’aboiements de plus en plus disharmonieux. Alors la bête entre en sa demeure, brise les carreaux de la fenêtre. Will n’a que le temps de se jeter au sol, sur le côté. De son arme, il le tient en joug, et les aboiements des chiens ne sont plus ce qu’il entend. La bête meurtrière n’est plus ce qu’il voit.

Ce n’est pas le visage de Randall Tier qui s’expose à la fureur meurtrière de Will Graham, ce n’est pas son regard qui soutient le sien tandis que, fusil de chasse finalement abandonné au sol, il le surplombe de toute sa hauteur, ravage son masque squelettique de coups de poings compulsifs. Will ne voit plus que lui. Et c’est lui que ses poings martèlent, lui et son visage dont le sourire ne s’efface pas. Jointures des mains ensanglantées, Will ne s’arrête pas pour autant, poursuit encore son œuvre, extérieur à lui-même et, dans le même temps, davantage lui-même qu’il ne l’a jamais été. Plus en vie qu'il ne l'a jamais été. L’émotion qui l’étreint au moment de tordre le cou de la créature est de celles que l’on n’exprime en mots. Elle le laisse sans voix, sans souffle, tandis que celui qui n’avait été ni humain, ni bête, s’éteint dans un ultime gémissement. Will se recule et alors il le voit, non plus celui sur qui portait cet acharnement sadique, mais l’homme qu’il a bel et bien tué…

Son dos s’écrase contre le mur le plus proche tandis qu’il se laisse tomber au sol, saisi de tremblements soudains. Il rejette la tête en arrière, tente de reprendre le contrôle sur sa respiration et sur les émotions qui l’assaillent toutes d’un coup. Le calme se fait oppressant. Les chiens ont cessé d’aboyer. Les minutes s’égrainent longuement avant que Will ne retrouve de son pragmatisme. Choisisse de saisir l’occasion qui lui est ici accordée. Il se rapproche du cadavre encore frais de Randall Tier, retire sa mâchoire bestiale qu’il a fracassée de ses propres poings. C’est la force d’un autre qui l’aide à traîner la carcasse sans vie du jeune homme qui au fond, et par bien des aspects, n’était sans doute pas bien différent de lui, jusque dans le coffre de la voiture.

Durant le trajet qui le conduit depuis Wolf Trap jusqu’à Baltimore, Will se découvre un calme de composition qui le surprendrait presque lui-même. Il a pris le temps de se changer, de nettoyer le sang sur son visage. Décidé, déterminé. A mesure qu’il se rapproche de lui et que la terreur devrait le gagner, c’est autre chose qui domine. De la résignation, de la détermination. De l’impatience.

Le cadavre de Randall Tier offert sur sa table, voilà le spectacle qu’il offre à Hannibal quand ce dernier ouvre la porte. Will ne le regarde pas, les yeux toujours penchés sur sa victime, mais il n’a guère besoin d’amarrer son regard au sien pour savoir sur son visage cette impassibilité clinique qui ne le caractérise que trop bien. Il ne laissera rien, pas même la surprise, le trahir. Surpris, peut-être ne l’est-il pas d’ailleurs, car après tout, tout ceci s’inscrit probablement dans un plan plus large, et dont il a fait de lui le protagoniste principal. Tout ceci est son dessein.

« Je dirais que maintenant nous sommes quittes. » La voix de Will se détache des ténèbres. Neutre, implacable. Elle ne tremble ni ne se vacille. Hannibal, lui, ne répond rien, mais Will peut enfin sentir son regard se poser sur lui. « J’ai envoyé quelqu’un vous tuer. Vous avez envoyé quelqu’un me tuer. » Enfin, il lève les yeux, et son regard happe immédiatement le sien sans chercher à s’y dérober, comme pour lui laisser le loisir d’y lire l’ampleur de ce qui doit se jouer ici et maintenant. Un piège qui ne se sera peut-être pas refermé sur qui l’on croit. « On est à égalité. »

A violent act of reciprocity

feat. Hannibal

Il est un affront qu'Hannibal ne s'autorise plus à lui faire depuis de longues semaines, et il est, à dire vrai, plaisant, presque apaisant. Il y avait dans ses conversations avec le psychiatre toujours quelque chose d'équivoque, un rapport de force tacite imposé par ce que l'un mentait à l'autre, un autre qui s'était peut-être montré plus sincère à son adresse qu'envers n'importe qui d'autre. Hannibal a respecté ses engagements envers lui. Il se compromet partiellement, par un faisceau d'indices qui on pu laisser à Will un accès plus prégnant que jamais à ce qu'il est réellement, au-delà de la façade qu'il aborde afin de berner le plus grand nombre. Il ne cherche pas à dissimuler son implication dans ce qui est arrivé, pas plus qu'il n'affiche de surprise ou de crainte. Il est lui-même, indéchiffrable à qui ne sait pas lire entre les lignes, lignes que Will a fini par présumer être le seul à véritablement savoir décrypter comme il convient. Will ne lève pas les yeux vers lui tandis que ce dernier ferme la porte derrière lui, pose un regard attentif au cadavre encore frais de Randall Tier, juste là, sous ses yeux, qui est le seul spectacle que le profiler s'impose pour le moment. Jusqu'à ce que, du moins, la réponse très honnête d'Hannibal ne vienne percuter ses tympans. Aux premiers propos d'Hannibal sur cette politesse rendue, Will sourit presque malgré lui, d'un sourire néanmoins cynique. Ces circonstances marquent un nouveau pas dans leur relation, qu'il ne sait définir quand bien même les mots ont été prononcés, et qu'ils ont leur importance. Ils sont à égalité. Ces mots peuvent s'entendre de bien des manières, en réalité.

"Les gens civilisés pensent encore que détruire une vie reste un tabou."

A quelle catégorie appartient-il encore. Il peut se remémorer avec exactitude chacune des sensations qui l'ont traversé au moment de prendre la vie de Randall Tier. Chaque question d'Hannibal semble en sous-tendre une autre. Lui demander s'il a tué sa victime à mains nues revient à le questionner sur ce qui avait fait l'objet d'une précédente "conversation", entre eux. Alors, il lui avait expressément demandé de quelle manière il fantasmait de le tuer. Will avait répondu sans l'ombre d'une hésitation. Parce que c'est bel et bien ce qu'il ressentait. Au plus profonde de ses chairs.

"Ca a été..." Comment le décrire d'une autre manière que celle que lui avait soufflée Hannibal quelques jours plus tôt, et qui semble en effet, pour de très nombreuses raisons, le mieux convenir en effet. "... intime."

Encore un peu extérieur à lui-même, c'est à peine s'il prend véritablement conscience de cette douleur lancinante, de combien la peau de ses jointures a été arrachée. Le sang, la chair à nu sont autant d'indices, ceux d'une violence qu'il ne saurait plus en mesure de dissimuler. Sa vérité. Sa violence. Quand Hannibal se rapproche et se saisit doucement de sa main, Will le laisse faire sans réagir - ou à peine. Le léger frisson qui lui traverse l'échine vole un peu de son souffle, mais il n'y prend pas garde. Il lève enfin les yeux vers Hannibal au moment de l'entendre affirmer qu'ils devaient s'occuper de ceci, plus soucieux de ses mains endolories que du corps encore chaud qui semble qui semble avoir quitté leurs préoccupations communes. Tandis qu'il relève le regard, il constate combien ils sont près l'un de l'autre. Chaque parole de sa part dépose un souffle léger sur son épiderme. Econome en mots, il hoche simplement la tête. Une intimité méritée selon lui.

"Vous lui avez fortement suggéré que je l'étais", réplique Will quand Hannibal suggère que Randall a pu le voir comme son dernier ennemi. "Vous avez façonné l'histoire de toute pièce, vous avez écrit le dénouement à l'avance", observe-t-il doucement. Hannibal n'avait eu aucune intention de le tuer. Il avait su. Tout avait été orchestré précisément en ce sens.

Il ressent sa voix comme distante. Ce qui le raccroche à l'instant présent, ce ne sont pas tant les paroles d'Hannibal que la pression douce de ses doigts sur son poignet. Il devrait peut-être avoir la présence d'esprit de s'écarter, il n'en fait rien. Il se laisse asseoir sur une chaise, contre la table où la bête, toujours, repose de son sommeil à perpéuité, tandis qu'Hannibal prépare de quoi panser ses plaies.

A violent act of reciprocity

feat. Hannibal

De grandes choses… Les choses, grandes ou petites, ont une définition différence en fonction de qui les accomplit et de qui observe leur accomplissement, cependant, Will est capable de souscrire à la vision d’Hannibal – et même, il est capable de la comprendre… Pour cause, il l’a ressenti d’une manière inattendue au moment de ressentir une nouvelle fois avoir droit de vie et de mort sur un autre individu. Un éphémère sentiment d’immortalité, comme si prendre une vie donnait un sens nouveau à la vôtre. Sans la mort la vie perdrait son sens, en effet… Ce n’est pas pour autant qu’il est tout à fait convaincu de son geste… il n’a aucun regret… la vérité, c’est qu’il ne sait surtout que faire de cette remarquable exaltation, qui le prend de cours, et qui semble importer plus que tout le reste. A cette réflexion, il ne répond pas. La vérité, c’est qu’il ne sait qu’approuver silencieusement. Ce n’est pas un jeu ou une stratégie. Il a pénétré l’antre de la bête à dessein, mais cette conversation est totalement sincère. Il ne triche pas, il ne joue pas : il est tout à fait sincère avec ce qu’il pense et ce qu’il ressent.

"À votre avis ?"

Un filet de cynisme traverse sa voix au moment de poser cette question à celui qui le sait forcément. La rage avec laquelle il avait frappé le visage de Randall Tier avait trouvé, à l’évidence, son origine dans cette impression vive d’avoir affaire au commanditaire plutôt qu’au commandité. C’était le visage d’Hannibal que ses poings avait heurté avec force. C’étaient les os d’Hannibal qu’il avait voulu briser… Et cela, bien sûr, Hannibal ne peut l’ignorer. Si ce dernier doit être terriblement satisfait de l’œuvre qu’il a accomplis, il ne aurait être dupe pour autant : le pardon ne s’accorde pas si facilement. Alors en effet, le psychiatre ne pas être dupe de ce qu’avaient été ses intentions, et au fond, sans doute parvient-il à s’en réjouir, à sa manière très particulière. Peut-être même considère-t-il qu’ils sont quittes pour de vrai, même s’il ne peut rien en être.

Il ne se justifie pas, il ne dit rien du plaisir singulier qu’il a éprouvé à avoir la vie de son tourmenteur entre ses mains. Il s’était senti surpuissant, alors. Il n’en dit rien, non, mais sans doute Will le sait-il quoi qu’il en soit, sans aucun besoin de le spécifier davantage. Il se laisse asseoir près de la table, frissonne légèrement au contact des doigts d’Hannibal quand ces derniers se saisissent de sa main pour bander sa plaie avec une précaution qui semble aussi attentionnée que professionnelle. Il y a une délicatesse presque déconcertante – mais agréable – dans chacun de ses gestes.

La voix du psychiatre lui paraît pour le moins lointaine quand ce dernier lui recommande de ne pas se renfermer sur lui-même, alors que ses pensées s’égarent en des territoires dangereux. A-t-il vraiment envie de battre en retraite ? Peut-il mentir à ce sujet ? Bien sûr, qu’il le veut. L’ordre explicite d’Hannibal trouve un écho lointain dans un esprit partiellement absent. Se dissocier de lui-même est en cet instant particulièrement tentant, il doit bien le reconnaître. L’appel du vide qui nous incite à nous rapprocher du précipice… Mais n’a-t-il pas déjà sauté à pieds joints dans ce même principe ? C’est définitivement son sentiment, et il ne peut définitivement prétendre qu’il n’en est rien. Il est tentant de céder à cette pulsion de vide, de dissociation. Il a cédé à ce doux vertige, et à présent…

"Je gage que vous n’avez jamais ne serait-ce qu’effleuré une telle pulsion", réplique-t-il avec ce qu’il est encore capable d’afficher d’arrogance en dépit des circonstances bien particulières. Pour autant, quand Hannibal lui demande de rester avec lui, une seule et unique réponse traverse ses pensées, qui occulte toutes les autres. Sa réponse est spontanée, directe… elle s’épargne toute forme de réflexion. Elle est l’expression la plus manifeste de ce à quoi l’invite ce moment très particulier. "Où d’autre pourrais-je aller ?"

Si ce n’est à ses côtés ? Les autres options sont évidentes, mais au moment de prononcer honnêtement ces quelques mots, ces options en question ne l’effleurent pas un seul instant. En cet instant, il est sa seule option.

A violent act of reciprocity

feat. Hannibal

Will observe un instant son interlocuteur sans réagir. Si les traits de son visages paraissent peu expressifs, il y a dans son regard cette lueur de curiosité que le psychiatre ne lui connaît sans doute que trop bien. Le serait-il vraiment, surpris, s’il devait bel et bien découvrir que des émotions comme celles qui le traversent en cet instant lui ont autrefois appartenu ? Il émet de véritables doutes à ce sujet, il ne pense définitivement pas qu’Hannibal Lecter soit véritablement capable de cette distanciation de soi que suggère la réalisation d’un meurtre. Il faudrait pour cela qu’il soit capable d’une empathie dont le profiler l’estime dénué quand lui-même voudrait plus que jamais que ce trait de personnalité ne lui colle pas à ce point à la peau. C’est certainement un jeu, au fond. Il suggère mais ne ressent très probablement rien dans tous les cas. Même à l’époque, même quand le monstre n’en était qu’à ses premiers balbutiements. Pour être tout à fait honnête, il est incapable de concevoir le persona d’Hannibal Lecter comme autrement que né monstre. L’horreur qu’il incarne a peut-être évolué mais se sera sans doute exprimée dès les premiers balbutiements de sa personnalités. Il ne peut en concevoir d’origine torturée et complexe. Alors en effet, découvrir qu’il aura lui aussi été la cible privilégiée de cet appel du vide serait une surprise, mais il ne réclame pas davantage d’informations. Il sonde seulement son regard à la recherche d’une information, d’une preuve, de ce quelque chose qui attesterait le mensonge présumé. Ce qu’il trouve frappant au moment de planter ainsi son regard dans le sien, c’est selon toute attente la sincérité pure qu’il y découvre. Depuis son retour de prison, les choses ont été claires. Si Hannibal Lecter était contraint de mentir, Will, de son côté, ne lui rendrait pas la faveur, mais de cet instant, le mensonge paraît absent. Hannibal s’est déparé de son costume de psychiatre pour ne revêtir que celui de l’homme – de la bête. Il se montre à lui sous sa plus pure et distincte expression. Et réciproquement ? Peut-être bien. N’en déplaise à Will, il n’aura peut-être jamais été aussi honnête envers Hannibal – et envers lui-même – qu’en cet instant bien précis.

Au moment de lui répondre si naturellement qu’il n’aurait nulle part ailleurs ou aller, il pourrait invoquer le jeu de manipulation auquel il s’adonne en cet instant. Ce ne serait pas un mensonge, pas exactement. Mais ce ne serait pas la vérité non plus. Hannibal a raison, il pourrait aller n’importe où. Cet événement, ce moment bien spécifique, a ouvert pour lui un champ infini de possibilité qu’il n’est pas en droit de nier. Oui, il pourrait aller où il voudrait, faire ce qu’il voudrait. En dépassant le seuil de sa propre moralité et de ses propres principes, il s’est libéré d’entraves dont il n’avait même pas eu conscience jusqu’alors, et qui sont loin d’être anodines. Will pourrait aller n’importe où, mais surtout, il pourrait être n’importe qui. Se fondre dans n’importe quelle peau, décider de n’importe quel chemin. Il est à l’aune d’un destin grandiose qui lui ouvre tous ses possibles, une infinité de portes dont aucune n’est verrouillée. Avant d’ajouter quelques mots qui étirent ses lèvres un sourire des plus cyniques. Il devrait être heureux… Est-ce qu’il est heureux ? Non. Ou du moins, il est… galvanisé, submergé, tourmenté… il ne sait pas quoi penser, en réalité, tant il se laisse dépasser par tout ceci.

« Bien sûr que vous l’êtes », ne peut évidemment s’empêcher de lâcher Will d’un ton qui en dit clairement long sur ce qu’il pense de ses manipulations.

Est-ce un reproche pour autant ? Il pourrait le prétendre, mais ce n’en est pas un, pourtant. Ce n’en est pas un, car au fond… s’il accepte de regarder en lui-même, il y a, au-delà de l’animosité, une sorte de gratitude qui ne s’avoue pas le moins du monde, qui n’ose pas dire son nom.

« Parce que ces actes nous motivent, alors la mort serait soudainement justifiée ? La mort des autres, bien sûr… », reprend-il toujours avec la même part assumé de cynisme, comme l’ultime rempart entre lui et sa morale défaillante. Il baisse le regard sur sa main à présent soignée. Il n’ose pas garder son regard dans celui d’Hannibal au moment de reprendre la parole. Une confession. Dans un souffle. « Je ne me suis jamais senti plus vivant qu’au moment de prendre sa vie. »

A violent act of reciprocity

feat. Hannibal

Will fixe un instant Hannibal sans mot dire alors que ce dernier affirme, contradiction qu’il estime inattendue de sa part, que leur mort se justifierait autant que celle de n’importe qui. Ce n’est pas que Will ne souscrit pas à cette manière de penser – bien au contraire, il est exactement du même avis, en réalité –, mais il n’imaginait pas Hannibal considérer cette dernière comme viable. A force de jouer à Dieu, et à, semble-t-il, faire des pieds de nez à ce dernier, il y avait de quoi se poser la question. De sa part, cependant, il serait malavisé d’y voir une quelconque forme d’humilité, ce n’est définitivement pas de cela qu’il est question. Quant à combien la vie est précieuse, Will en a certainement moins conscience qu’Hannibal, et pourtant, il pense réaliser une chose qui, jusqu’alors, lui avait étrangement échappée, pour théâtraliser la mort ainsi qu’il le fait, il faut certainement savoir reconnaître à la vie, et donc à la mort qui lui est corrélée, la valeur la plus inestimable.

Il y a quelque chose de contradictoire, pourtant, avec ce que Will pense avoir compris d’Hannibal, capable de sacrifier des vies humaines pour ne les considérer qu’à la manière de simples porcs voués à l’abattoir, mais sa réflexion, en réalité, révèle différentes strates de lecture qu’il faut savoir examiner une à une si l’on escompte se rapprocher de la vérité. Il ne fait cependant aucun commentaire, c’est sur son propre cas qu’il se concentre, et sur ce que cette situation lui apprend, dans une moyenne mesure, de lui-même. Et c’est une vérité qu’il a énoncée avec une facilité des plus déconcertante : l’expression de la plus entière réalité : oui, il ne s’est jamais senti plus vivant qu’au moment de donner la mort à Randall Tier.

A-t-il, par conséquent, une dette envers ce dernier ? Le reconnaître et l’accepter, ce serait faire un pas de plus dans la psyché d’Hannibal Lecter, au point de prendre le risque d’y demeurer enfermé une bonne fois pour toutes, mais n’est-il pas déjà trop tard pour cela dans tous les cas. Plus il observe et analyse la pensée et le mode de raisonnement d’Hannibal, aidé par sa capacité d’empathie exacerbée, plus il lui devient difficile de faire abstraction de combien, loin de se sentir prisonnier de cette psyché et d’un tel raisonnement, il aurait plutôt tendance à se sentir… à son aise. Les murs de sa psyché sont capitonnés, mais moelleux, et il est difficile, voire impossible, de l’ignorer. Et plus il progresse dans ce jeu de dupe, moins il est certain de qui il dupe exactement, et de qui le dupe en retour. Il a atteint un point de non-retour qu’il ne peut ignorer en quoi que ce soit : c’est un fait.

Will ne répond pas tout de suite à la question d’Hannibal, à la place, il se contente de fixer le corps sans vie étendu sur la table avec un mélange de curiosité, de fascination et de circonspection. Non, il ne sait pas ce qu’il a l’intention de faire du corps de Randall Tier, mais la logique veut qu’il aille au bout de ce jeu, et pour ce faire, il n’y a peut-être qu’une manière de faire, en fin de compte.

« Ce n’est pas ce que je souhaite », répond-t-il finalement après un moment d’hésitation. Il songe à Jack et à tous ceux qu’il devra impliquer dans des manigances aussi graves, mais il est prêt à ces risques qu’il estime, en fin de compte, nécessaires, et par ailleurs, au-delà d’une logique et d’un calcul quelconque, c’est sa curiosité qui, avant toute chose, prend le pas sur n’importe quelle considération, sur ce qui pourrait autrement être son mode de réflexion et de pensées. « Ce ne serait pas la manière… appropriée de l’honorer… » Il marque une pause. « Je l’aurais sans doute interrompu en plein élan, sans lui permettre de parachever sa métamorphose. C’est ce que je peux lui offrir à présent. » Son ton est plus déterminé, étonnamment serein, quand il reprend la parole. « C’est ce que je veux lui offrir à présent. »

A violent act of reciprocity

feat. Hannibal

En lui confiant son approbation, Hannibal ne fait qu’abonder dans un sens qui lui correspond forcément, et Will le sait. Il est à la fois partagé entre cette conviction, ce léger agacement à la perspective de lui donner à ce point raison, et ses desseins personnels qui tôt ou tard desserviront celui qu’il imagine en cet instant se gargariser de sa victoire sans imaginer complètement, en dépit de son don d’empathie, que les émotions qui le tourmentent en cet instant sont autrement plus complexe qu’il n’y paraîtrait. Une part de lui est horrifiée par ce qui va se jouer, une autre fascinée, et s’il doit songer à ce qu’il aurait fait, sans avoir à l’esprit un seul instant l’idée de piéger son interlocuteur, force lui est de reconnaître qu’il n’aurait probablement pas agi d’une autre manière. Il est même évident qu’il ne se serait pas comporté différemment. Non, c’est son instinct qu’il poursuit en même temps qu’il met ce dernier au service d’une cause qu’il estime juste, comme on le ferait d’un prétexte qui nous prévient, d’une certaine manière, de contempler nos torts dans le blanc des yeux, parce qu’il ne veut pas complètement reconnaître l’appel des abysses qui le plongent toujours plus profondément dans cette obscurité quasi-totale, jusqu’à ce qui pourrait bien être le point de non-retour. Mais ce point n’est-il pas déjà atteint ? Hannibal peut bien faire mine de penser le contraire, mais les faits parlent d’eux-mêmes… Cette émotion étrange et particulière, neuve et séduisante, qui étreint son cœur, est également parlante et révèle de lui une réalité encore moins avouable que toutes les autres, mais à laquelle il devra probablement faire face s’il veut véritablement réussir son effet comme il en a la plus ferme des intentions.

Quand Hannibal reprend la parole, son propos révèle sans équivoque un projet qui avait largement précédé les circonstances de son arrivé. L’idée que le psychiatre puisse être en mesure d’anticiper et ses actes n’est pas pour plaire à Will, loin de là, mais il consent à ce constat avec une certaine facilité, probablement parce qu’elle ne lui apprend pas grand-chose en soi qu’il n’avait d’ores et déjà deviné. Sur ce point, ils sont probablement sur un plan d’égalité des plus remarquables au vu de leurs singularités qui avaient rendu leurs esprits si particuliers hors d’atteinte à la plupart, pour ne pas dire à tous. Ils sont capables de se comprendre mutuellement dans des proportions que Will n’aurait pas imaginé possible avant de le rencontrer. C’est ce qui rend Hannibal aussi fascinant que dangereux pour lui. Il ne s’est jamais senti plus compris qu’en sa présence. Il n’a jamais davantage eu le sentiment de se comprendre lui-même qu’en sa présence également, et ces deux constats, qui se complètent sans s’annuler, ne sont pas de ceux qu’il serait en mesure d’ignorer.

Hannibal a donc tout planifié, à commencer par cette conversation… l’idée de pouvoir être considéré comme la somme de considérations déterministes ne plaît évidemment pas à Will qui ne veut pas s’estimer si prévisible aux yeux de son interlocuteur. Il n’est pas seulement la concentration d’influences, il est sa propre personne, il… devient. Et ce qu’il devient doit échapper à la compréhension d’Hannibal en même temps que ce devenir échappe à sa compréhension propre de lui-même. Appréhension et anticipation sont deux notions avec lesquelles il lui faut à présent jongler. Il ne contrevient pas aux plans d’Hannibal. Le faire n’aurait vocation qu’à le contrarier, et ce n’est pas dans ses projets. Le fait est qu’en cet instant, leurs desseins se rejoignent dans des proportions qu’il n'aurait pas pu ou su envisager autrement.

« Vous avez plus d’expérience que moi en la matière, je suppose que mon œuvre serait plus brouillonne que la vôtre. » Il marque une pause. « Vous laissez la main n’interrogera pas vraiment quant à l’auteur de ce nouveau tableau. Tout dépend par conséquent, je dirais, de qui souhaite en porter la signature. » Will toise Hannibal avec un intérêt mêlé d’une intensité elle aussi nouvelle. « Il serait malvenu de vous en retirer la paternité quand vous en êtes presque autant responsable que moi. »