Les mots s'échappent de ses lèvres naturellement, intuitivement, et peinent pourtant à retranscrire le flot d'émotions qui l'envahit alors. C'est au-delà de magnifique, c'est au-delà de ce que les synonymes de beauté pure peuvent retranscrire. Will a vécu un moment de pure exaltation, comme il se privait d'en vivre depuis beaucoup trop longtemps. La bête, muselée pendant de trop nombreuses années, presque toute sa vie, en réalité, avait été libérée en un baptême sanglant, et il s'est senti alors gagné par l'aura de la perfection la plus pure. Un sentiment vertigineux.
Ses blessures, pourtant nombreuses, potentiellement mortelles pour certaines, ne le concernent pas ni ne le font souffrir, tout à l'euphorie enivrante de cet instant qui ne connaîtra sans doute pas d'égal. Car une part de lui en est convaincue : ce qui pourrait être le commencement de tout sera certainement leur fin à tous les deux. Fébrile, il sent ses dernières barrières céder tandis qu'il étreint Hannibal. Ainsi serré contre lui, il ressent avec la plus vive acuité tout ce qu'il avait toujours voulu lui faire comprendre, lui transmettre. Ce qu'il avait toujours voulu pour lui. Pour eux deux.
L'élan qui le pousse à les faire basculer tous les deux n'est pas le fruit d'une réflexion longue et cohérente, elle n'est pas la réaction logique à une série d'événements illogiques, elle est une issue spontanée. C'est éventuellement survivre sans lui (encore qu'il ne croit pas vraiment en leurs chances de survie respectives) ou mourir avec lui. A partir de là, le choix est si évident, si certain qu'il ne tolère ni hésitation ni atermoiements d'aucune sorte. La chute est la conclusion la plus logique. Pas la plus satisfaisante, peut-être la plus nécessaire en revanche. Une fuite en avant, un dernier élan d'humanité, de désir de justice, pourrait-il prétendre pour soulager une conscience qui de toute manière n'existera bientôt plus, il ne s'agit de rien de tel, juste d'une manière plus concrète de ne jamais quitter ses bras. Leurs corps enlacés heurtent les eaux agitées de plein fouet, évitent les rochers en contrebas.
Puis plus rien. Le noir complet.
Quand Will rouvre les yeux, il n'a pas la moindre idée du temps qui s'est écoulé, il a juste soudainement conscience d'être en vie, un constat improbable mais bien réel, confirmé par la douleur sourde qui enserre son corps tout entier. Le bruit de toute une machinerie médicale qu'il sera bien en peine de détailler le maintient captif du lit sur lequel il est allongé.
Est-ce qu'il est à l'hôpital ? A tout instant, Will s'attend à voir surgir Jack, prêt à le fusiller de regard et de questions au sujet de la mort de Francis Dolarhyde, mais c'est un autre regard qu'il croise finalement. Hannibal. Will cherche à se redresser, péniblement, son corps diablement douloureux l'autorise à peine à trouver un semblant de position assise, tandis qu'il cherche à appréhender la situation dans laquelle il se trouve. A l'évidence, ils ont survécu tous deux, Will ignore encore s'il s'en sent soulagée ou non. Bien sûr, s'il devait survivre, il fallait que ce soit avec lui, mais à quoi doivent-ils s'attendre à présent ? Et surtout, pourquoi, après avoir entraîné Hannibal à sa perte, ce dernier s'est-il, comme ce semble être le cas, évertué à le soigner, à le sauver ? "Où est-ce que nous sommes... ?"
C'est la première question qui lui vient à l'esprit, au milieu de tant d'autres. Où sont-ils ? Comment sont-ils parvenus à s'en sortir ? Pourquoi est-il toujours en vie ? Que va-t-il advenir d'eux à présent ?
Hannibal planifiait toujours beaucoup de choses, c’était un fait indéniable, inéluctable. Pourtant, il est un élément qui lui avait échappé, ce soir-là, au sommet de la falaise. La lutte contre Dolarhyde avait été sanglante, éprouvante et pourtant, magnifique. Ça avait été une danse, un tandem et ce pour venir à bout de leur assaillant. Mais, bien plus important, un baptême, une renaissance. Si le profiler avait pu le voir tel qu’il était, tout comme entrevoir son monde, ce fût suite à cette lutte qu’il mit pieds dans celui-ci. Et c’est ce qu’il avait toujours voulu, pour lui, pour eux. Will aurait pu accepter l’entrée dans son univers, ne point penser à ce que cela signifiait, aux conséquences qui les attendaient. Mais, cet élément, celui qu’il n’avait guère prévu le frappa aussi froidement et brutalement que les eaux sombres et froides de l’océan. Corrosion de la peau, sel ronge blessures alors que le psychiatre combat le courant, vagues déferlants avec rage, le poussant un peut plus vers les rochers. Son corps hurle de douleur, d’épuisement mais la sensation fantôme d’un corps pressé contre le sien est ce qui le maintient éveillé, en alerte. La chaleur se disperse rapidement alors qu’il observe tant bien que mal les alentours, la gorge en feu tout comme ses poumons à l’agonie sous l’eau ingéré contre son gré. Il nage, se maintient à la surface, sa voix se fait rauque, brisé. « Will ?! » Inspiration prise, il plonge dans les eaux agitées, continuant de lutter contre la nature déchaînée mais aussi la douleur lancinante. Et il l’aperçoit, là, cette silhouette familière s’enfonçant dans les abysses. En quelques brasses, le cannibale vient à l’attraper, le remontant tant bien que mal à la surface et ce pour les conduire vers ce qui semble être une plage de fortune. Le profiler étendu sur le sable humide, Hannibal ne tarde point pour ausculter rapidement celui-ci, ignorant ses propres blessures, notamment le sang s’échappant abondamment de son flanc. Phalanges cherchant un pouls contre la chair glacée et inanimée, celui-ci vient à placer en douceur sa tête, dégageant les voix respiratoires. « Restez avec moi, Will. » Sa voix se fait basse, rauque, légèrement tremblante. L’émotion, l’épuisement, la douleur, la peur. Car il réalise que des à présent, leurs vies seront plus qu’étroitement liées. Nez qu’il pince, ses commissures retrouvent celles bleuies de son vis-à-vis, insufflant une première fois puis un deuxième peu de temps après. L’ex chirurgien recule, presse pognes contre la cage thoracique de l’autre. Massage cardiaque qu’il entame alors, trente compressions puis à nouveau deux insufflations. Les secondes défilent, il lui semble même entendre des pas et il sait. La voix s’élevant par-dessus les vagues ne faisant que confirmer. « Il est trop tard pour lui, Hannibal. » Sourde oreille qu’il fait, celui-ci n’abandonne point ses efforts, continuant à pratiquer, ce qui il l’espère, suffira à ramener Will auprès de lui. La jeune femme soupire, tient en appuie sur une épaule sa carabine alors que son regard d’encre avise la silhouette sans vie à terre. « Le FBI ne va plus tarder.. Il faut y aller, maintenant. » Mâchoires se contractent, grondement bas franchit ses lèvres alors qu’il insiste et enfin, le profiler réagit. Carcasse pâle tousse, crache mousse et eau, bien que conserve les yeux clos. Il est mal en point, l’un comme l’autre n’a point été épargné. Hannibal n’a pas besoin d’ouvrir la bouche pour que Chiyo bouge, celle-ci glissant son arme en bandoulière afin de l’aider à soulever l’autre inconscient. La progression jusqu’à la voiture est difficile et c’est non sans un gémissement plaintif que le psychiatre prend place à l’avant du véhicule. Une main fermement pressée contre sa plaie, il avise le corps inerte sur la banquette arrière. « Est-ce que tout est prêt.. ? » Sans quitté les yeux de la route, la jeune femme hocha doucement, répondant ensuite. « J’ai réunis tout ce que tu m’avais demandé. Nous y serons dans quelques heures. Essaie de récupérer un peu en attendant. » Quelques heures.. Est-ce que Will pourrait seulement tenir jusque là ? Malgré sa volonté de fer et le contrôle que celui-ci avait habituellement sur son corps, ses paupières se fermèrent. L’épuisement, tout comme les mouvements du véhicule, ayant raison de ses maigres résistances. Sursaut le prit à l’arrêt soudain de la voiture, ils étaient arrivés. Se tournant vers la banquette arrière, il avisa le profiler étendu là, toujours vivant mais ayant des difficultés à respirer. « Aide moi à le rentrer à l’intérieur. » S’extrayant du côté passager, le psychiatre fit le tour et ce pour aider la jeune femme à porter l’autre blessé jusqu’au chalet qui leur servirai d’abris durant quelques jours. Will fut installer sur la table à manger et ce pour y recevoir des soins en urgences. Hannibal n’étant guère au sommet de sa forme, c’est Chiyo, sous bonne surveillance, qui procéda. Plaies nettoyées, désinfectées, cousu et bandées, ils l’installèrent dans l’unique lit de l’habitation. Une main toujours pressé contre son flanc, il vient à s’assurer du bon dosage de morphine, tout comme celui de la solution saline. « Hannibal, laisse moi m’occuper de tes blessures. Il est en sécurité à présent, tout va bien. » Prunelles demeurant sur le corps étendu et couvert de blanc, un soupire vient à s’extraire dans ses lèvres. Délaissant le profiler, le cannibale laissa la jeune femme œuvrer sur lui. La balle avait traversée, ce qui était une bonne chose, le plus rassurant, aucuns organes n’avaient été touchés. « Maintenant, repose toi. Je vais effectuer un tour de garde et veillez à ce qu’on ne remonte pas jusqu’à vous. » Passant à ses côtés, il lui saisit le poignet en douceur, récoltant un regard curieux. « Merci.. » Avait-il soufflé, la voix éraillée. Maigre sourire récolté, celle-ci quitta le chalet, fusil à l’épaule. Les jours passèrent, se ressemblant beaucoup. Nettoyer les plaies, changer les bandages, veiller aux bon apports en eau pour le profiler.. Hannibal s’exécutait avec lenteur, chaque geste lui étant pénible, la faute à sa blessure par balle, mais aussi son dos recouvert d’ecchymoses. Après tout, son corps avait été le premier à frapper l’eau de plein fouet, il était normal d’en garder des séquelles. Tablier aux hanches, celui-ci remuait en douceur le contenu d’une casserole, un bouillon de poule, lorsque la voix de Will se fit entendre. Tête pivotant sur le côté, l’ex chirurgien baissa le feu sous le contenant d’inox puis s’approcha du lit, une main venant en douceur s’apposer sur le front du blessé. Pas de fièvre. « Dans un chalet, à deux cents cinquante kilomètres des côtes. » Son fessier vient en douceur retrouver le moelleux du lit, l’assise se faisant lente, non sans un léger plissement du front. La douleur lui contractant les mâchoires. « Comment vous sentes-vous, Will ? Vous souvenez-vous de quelque chose ? » Sa voix se fait très clinique, l’examen minutieux, le psychiatre étant quelque peut détaché dans son entreprise. Quoi de plus normal, surtout après la chute.
☽ by Haru ☾
Dernière édition par Hannibal Lecter le Mer 8 Sep - 18:30, édité 1 fois
Avant toute réponse, sa main, celle qui devrait l’étrangler, l’étouffer, l’achever, qu’importe, se dépose avec une délicatesse presque angoissante sur son front pour jauger sa température, et enfin, sa voix lui parvient alors qu’il sent le matelas s’affaisser légèrement sous le poids d’Hannibal, qui vient de s’asseoir à ses côtés. Entendre sa voix lui fait plus de bien qu’il ne l’aurait soupçonné… Elle l’apaise, elle le ramène à la réalité, et au sentiment partiellement réconfortant d’être en sécurité, quand bien même une part plus rationnelle de lui-même ne peut ignorer la part de danger qui réside dorénavant dans le seul fait d’être encore en vie… et dans le fait de se trouver en présence d’Hannibal ? … mais s’il avait véritablement voulu le tuer, il serait d’ores et déjà mort, il ne se serait pas ainsi évertué à le soigner.
Il lui répond alors et lui apprend où ils se trouvent. Un chalet à deux cent cinquante kilomètres des côtes. Un lieu peu exposé donc, et sans doute isolé, mais sans doute encore trop proche de l’endroit qui les avait vus chuter. Logique, ils n’ont pas pu aller bien loin, ni l’un ni l’autre. Comment a-t-il pu dénicher cet endroit ? Avait-il prévu à l’avance la nécessité du pied à terre non loin ? A-t-il délogé par la force le ou les propriétaires des lieux…
Un regard à l’adresse d’Hannibal suffit d’ailleurs à constater que ce dernier aussi est encore bien loin d’être rétabli. Leurs blessures auraient dû suffire à les tuer, la chute aurait très certainement dû les achever, et pourtant.. Leur survie à l’un comme à l’autre tient de l’impossibilité caractérisée. Qu’ils soient seulement parvenus à aller où que ce soit, d’ailleurs, tient en soi du miracle pur et simple. Ils ont un pied à terre, sans doute suffisamment sécurisé pour leur laisser le temps de se remettre de leurs blessures respectives avant… avant de quoi ? A la seule perspective d’une suite, peu importe laquelle, Will se sent saisi d’un irrépressible sentiment de vertige. Quelle suite ? Comment être à même d’envisager quoi que ce soit ? Comment être à même de… vivre encore ?
Comment se sent-il ? C’est difficile à dire. Il est encore sonné, il a encore peine à reconnecter avec son état, et par la même avec la réalité de sa situation. A mesure que sa conscience s’éveille, celle de la douleur qui agite son corps tout entier, en dépit de l’heureux réconfort de la morphine, s’éveille à son tour. Mais les tourments physiques ne sont rien en comparaison de ce qu’il ressent mentalement. Une sensation angoissante, vertigineuse. Il est au bord d’une toute autre sorte de précipice, dorénavant, et il est incapable d’entrevoir où cela le mènera. Il ne se sent pas bien, non, il ne parvient même pas à se sentir soulagé d’être en vie… pourtant quelque chose qui tient bel et bien du soulagement l’anime malgré tout. Celui que confère la présence d’Hannibal à ses côtés. S’il avait survécu et lui non, cette situation aurait été à ses yeux bien plus terribles. Mais ils sont en vie tous les deux… « Je me sens… désorienté. »
C’est le seul mot qui lui vient à l’esprit, et il ne traduit pas vraiment son état physique, mais son discours et sa gestuelle, du moins le pense-t-il, parlent pour lui à ce titre. Il n’a pas les mots pour exprimer convenablement le tourbillon d’émotions qui l’envahissent et le tourmentent à l’heure actuelle.
« Vaguement… », répond-il quand Hannibal lui demande de quoi il se souvient.
Il ferme les yeux, tente de rassembler ses souvenirs. Pour certains, ils sont flous, presque insaisissables, et il lui faudra encore du temps pour leur rendre une entière clarté. Mais en revanche, pour d’autres… ils sont d’une limpidité et d’une transparence presque effrayantes. D’un mouvement qui suscite en lui plus de douleur qu’il ne l’aurait imaginé, il se frotte doucement les tempes du bout des doigts tout en se redressant du mieux qu’il le peut, économisant chacun de ses mouvements. Il se sent fragile comme de la porcelaine… aux morceaux brisés et miraculeusement recomposés, sans que lui-même comprenne comment cela est réellement possible. « Et clairement… » Il pousse un soupir. « Je me souviens du sang noir au clair de lune et de… » De l’euphorie pure qu’il a ressentie. Cette émotion si parfaite qu’elle est comme imprimée en lui… Elle est si vive, si puissante qu’il en ressent encore l’écho, le frisson. Et cette certitude, si belle, si puissante, le confronte à l’après-apogée. « Je me souviens nous avoir précipités dans le vide », ajoute-t-il enfin. Il ne va pas glisser cette évidence sous le tapis, la nier ou prétendre que ce n’est rien. Il faut qu’ils en parlent, et feindre l’amnésie. Non, ils doivent s’y confronter, c’est absolument nécessaire, indispensable. « Pourquoi m’avoir sauvé, pourquoi ne pas m’avoir simplement laissé mourir ? »
Il n’aurait pas survécu à ses blessures si on ne l’avait pas soigné, il n’aurait certainement pas survécu à la chute en elle-même. Il ne se souvenait pas d’avoir heurté l’eau, mais il se doute avoir sombré dans l’inconscience à ce moment-là. Comment a-t-il pu rejoindre la terre ferme si ce n’est au nom de la volonté de l’homme qu’il a sous les yeux ?