Comme un petit souvenir d'antan [Ft Sophie]

Les mois étaient passés à une vitesse folle, jusqu'à devenir une année complète. Sophie redécouvrait Jean un peu plus chaque jour. Ils prenaient leur temps. Ils se découvraient, apprenaient à s'apprivoiser, à s'aimer davantage chaque jour. Les souvenirs de Sophie ne revenaient pas et elle commençait à penser qu'ils ne reviendraient tout simplement jamais. Etait-ce si important finalement ? Bien sûr, elle aurait aimé se souvenir du jour où ils s'étaient embrassés pour la première fois, du jour où il lui avait demandé de l'épouser ou du jour où ils l'avaient annoncé à leur famille. Bien sûr, elle aurait aimé garder un souvenir heureux de son voyage de noces, de leurs premiers instants de vie à deux. Ce passé leur appartenait et leur avait été volé. Heureusement, il restait l'amour. Lui n'avait jamais disparu. Le temps, la ville, l'amnésie, rien n'avait pu lui prendre ce qu'elle ressentait pour Jean. C'était en elle. C'était elle. C'était chaque petite particule qui composait son corps qui l'aimait et pour le faire disparaître, il aurait fallu la faire disparaître elle, tout entière.

Ils ne vivaient pas encore ensemble. Sophie continuait de partager sa maison avec Sabrina. Les choses allaient doucement, mais Sophie ne voulait pas se précipiter et regretter. Il était déjà son mari, rien ne changerait ça, simplement elle ne se sentait pas prête à vivre sous le même toit que lui. Ils parlaient chaque jour, se voyaient chaque jour. Ils avaient instauré certaines habitudes, comme celles de dîners ensemble régulièrement ou de s'accorder presque tous leurs week-ends ensemble. Ce soir-là était un de ces soirs où Jean devait passer chez elle, pour dîner. Comme à son habitude - et pour éviter de les rendre malades - Sophie avait commandé et n'avait pas touché une seule fois au four. Comme à son habitude, également, Sophie était rentrée bien avant l'heure du dîner, pour se préparer, pour ranger, pour attendre patiemment - non, jamais Sophie ne pourrait faire preuve de patience, elle tournait juste en rond, pestant sur l'horloge qui n'avançait pas assez vite à son goût - l'arrivée de Jean. Ils s'étaient échangés un message, ce midi, auquel Sophie s'était empressée de répondre pour lui dire sa hâte de le voir et pour lui dire qu'elle l'aimait, elle aussi. Le reste du temps, Jean était sérieux et se concentrait sur son travail, comme elle se concentrait sur le sien ou sur ses activités. Son travail lui demandait bien moins d'implication ou de temps que celui de Jean, c'était un avantage certain pour elle qui avait donc beaucoup de temps libre.

L'heure était enfin arrivée. En entendant sonner, Sophie avait dévalé les escaliers à toute vitesse pour ouvrir le plus rapidement possible. Elle lui déposa un rapide baiser au coin des lèvres pour le saluer avant de le laisser entrer et de refermer la porte. « Comme toutes les autres et la tienne ? » Il n'y avait rien de particulier à dire à propos de sa journée, elle s'était déroulée comme les autres. Elle préférait davantage s'intéresser à celle de Jean, qui avait, sans doute, des choses plus intéressantes à lui dire - ou simplement, elle avait hâte de passer à la question qui l'intéressait puisqu'elle avait bien remarqué que Jean gardait les mains derrière son dos. « Tu caches quelque chose dans ton dos ? » Souffla-t-elle, les yeux brillants de curiosité, tentant de se pencher légèrement pour deviner ce qu'il cachait. « Tu m'as amené des fleurs ? » Supposa-t-elle, malicieuse, imaginant que c'était forcément quelque chose pour elle. « Ou du chocolat ? » Ou rien du tout, mais Sophie ne pouvait s'en empêcher. « Ou un nouveau petit carnet ? » Ajouta-t-elle avec tendresse.

Sophie était heureuse de retrouver Jean, comme à chaque fois qu'ils devaient se voir. Il lui manquait lorsqu'il n'était pas avec elle et une petite part d'elle craignait toujours de ne jamais le revoir. Elle avait peur, oui, que la ville le lui reprenne sans la moindre raison. Après tout, ne lui avait-elle pas rendu sans la moindre raison, déjà ? Alors, évidemment, elle était plus qu'heureuse. Pourtant, après lui avoir ouvert la porte, l'avoir embrassé rapidement, et avoir répondu à sa question, son attention s'était porté sur autre chose que la joie de le voir. Jean gardait ses mains derrière son dos. Et s'il cachait ses mains, c'était parce qu'il voulait lui cacher quelque chose. C'était évident, non ?

Les yeux brillants de curiosité, Sophie tentait de se pencher d'un côté et de l'autre pour apercevoir quelque chose. Même un petit quelque chose, un petit indice lui aurait suffi. A ses yeux, il y avait déjà une chose évidente : c'était quelque chose pour elle. Alors, elle tentait : des fleurs ? Du chocolat ? Un petit carnet ? Finalement, qu'importe, elle voulait surtout, et très vite, que sa curiosité soit satisfaite. Sa réaction et sa curiosité amusaient Jean, qui riait. Il lui affirmait, également, qu'elle avait tout faux, mais qu'il était sûr que ça lui plairait plus encore qu'un petit carnet. « Rien ne peut me faire plus plaisir que ton petit carnet. » Rétorqua Sophie, en souriant, avec assurance.

Avant que Sophie ne puisse en demander davantage, Jean était entré pour retirer son manteau et pousser Sophie à l'inviter au salon. Il ajoutait qu'elle devait aussi lui offrir de boire quelque chose. Sophie souffla, leva les yeux au ciel et passa devant pour le conduire au salon. « Tu sais parfaitement que je déteste qu'on me dise quoi faire. » Et c'était vrai, elle détestait ça par-dessus tout, mais sans doute qu'il s'en amusait par la faire patienter davantage. « Tu peux très bien te conduire tout seul au salon ou te servir quelque chose toi-même. » Après tout, même s'il était techniquement son invité, il était chez sa femme, c'était un peu comme s'il était chez lui et Sophie n'avait jamais su recevoir ses invités comme on le lui avait appris, alors que Jean le lui rappelle l'agaçait - surtout parce qu'elle voulait savoir ce qu'il avait pour elle. « Si monsieur veut bien se donner la peine... » Souffla-t-elle, boudeuse, en lui désignant le canapé de la main. « Que veux-tu boire ? » Tout dans son comportement et dans sa voix indiquait son impatience et sa hâte d'en finir avec les formalités d'usage. « Et après, tu me dis ce que tu caches ? » Ne put-elle s'empêcher de souffler avant même qu'il ne lui réponde à propos de ce qu'il souhaitait boire parce qu'elle était beaucoup trop impatiente pour simplement attendre qu'il ne se décide à lui révéler ce qu'elle voulait savoir.

Evidemment, comme bien trop souvent, Sophie s'impatientait et se montrait impolie. Elle ne supportait pas que Jean lui dise quoi faire alors qu'il aurait tout simplement pu lui donner ce qu'il avait apporté pour elle. Pourquoi la faire patienter comme ça ? Pourquoi jouer avec ses nerfs ? Parce qu'il s'en amusait, évidemment. Comme Camille. Comme Paul. Comme Sabrina. Comme tous les autres. Tous aimaient jouer avec le mauvais caractère de Sophie parce qu'ils trouvaient ça drôle. Néanmoins, Sophie faisait un effort - puisqu'elle n'avait pas réellement le choix. Elle conduisit donc Jean dans le salon, à sa demande, non sans se plaindre malgré tout.

Jean s'était donc installé tandis que Sophie continuait de râler et de bouder, tentant d'obtenir son cadeau plus rapidement. Puisque monsieur souhaitait que Sophie se comporte comme quelqu'un qui savait recevoir ses invités, elle tentait de s'y plier - tenter, parce que si elle avait pu, elle lui aurait arraché la boite des mains plutôt que de lui servir quelque chose à boire. Sophie s'impatientait et espérait donc obtenir des réponses à ses questions après lui avoir servi son eau. Plutôt que de lui répondre, il préférait l'envoyer d'abord chercher ce qu'il attendait. Sophie avait fini par céder, tout en pestant suffisamment fort pour qu'il puisse l'entendre. Il prenait plaisir à faire durer ce jeu, c'était insupportable pour Sophie qui n'aimait pas perdre.

De retour avec le verre d'eau que Jean avait réclamé, elle lui tendit avec toujours autant d'impatience dans chacun de ses gestes. Pendant ce temps, il tentait de lui faire deviner ce qu'il lui avait apporté. Sophie s'était installée à côté de lui, observant ce sourire qu'il avait sur les lèvres. Il semblait particulièrement content de lui et de ce cadeau. « Quelque chose que je n'ai pas vu depuis longtemps ? » Répétait-elle, pour s'aider à réfléchir. Sophie n'en avait pas la moindre idée. Ce monde était nouveau, ils n'étaient là que depuis quatre ans. C'était presque toute sa vie qu'elle n'avait pas vue depuis longtemps. Dans son monde d'origine, elle avait presque tout abandonné involontairement - à l'exception de son carnet et du mouchoir de sa mère. Et de ce monde, elle n'avait rien perdu. « Tu as retrouvé quelque chose de chez nous ? » S'exclama-t-elle alors, heureuse alors même qu'elle ignorait de quoi il s'agissait et qu'elle ignorait même si elle avait vu juste. « Tu ne peux pas me donner un autre indice ? Quelque chose qui m'aide vraiment ? » S'impatientait-elle toujours. Comment voulait-il qu'elle trouve avec si peu ? Fallait-il donc qu'elle aille chercher cette boite elle-même pour découvrir ce qu'elle renfermait ?

Sophie boudait. Sophie pestait. Sophie s'impatientait. Sophie était Sophie, comme d'habitude, et elle était donc parfaitement insupportable. Jean jouait de ce comportement. Il la faisait languir et il jouait avec ses nerfs. Il ne répondait pas vraiment à ses questions, il restait vague et ne lui apportait que de maigres indices. Sophie supposait qu'il s'agissait de quelque chose de leur monde puisqu'il prétendait qu'elle ne l'avait pas vu depuis longtemps. Ils n'étaient ici que depuis quatre ans et ils n'avaient pas partagé ensemble les premières années, alors elle en déduisait forcément une réponse correcte, non ? Une fois encore, pour ne pas changer, Jean restait évasif. Peut-être, comment ça, peut-être ? Comptait-il jouer longtemps avec elle ? Il avait tout de même un peu pitié puisqu'il affirmait qu'elle chauffait. Elle avait donc raison, n'est-ce pas ? Sinon, pourquoi lui dire ça ? Décidément, elle n'en pouvait plus de devoir attendre et de jouer aux devinettes. « Ce n'est pas du jeu si tu ne réponds pas à mes questions. » Souffla-t-elle d'agacement entre ses dents.

Lorsqu'il lui proposa de venir chercher la boîte elle-même - même s'il précisait que ce serait moins drôle - Sophie y songea sérieusement. Se jeter sur lui pour le déstabiliser et attraper la boîte, c'était une idée tentante. Vraiment tentante. « Ne me tente pas. L'attente t'amuse toi, pas moi. » En réalité, au fond d'elle - si l'on cherchait vraiment bien - elle s'amusait, mais Jean s'amusait bien plus à se jouer d'elle ainsi et à la voir perdre patience. « Jean... » Soupira-t-elle en se rapprochant de lui pour venir s'installer à ses côtés. Ce qu'il pouvait être agaçant lorsqu'il s'amusait ainsi - parce que Sophie voyait son regard et son sourire et elle s'en trouvait davantage agacée. Il s'amusait clairement plus qu'elle.

Elle eut alors droit à un nouvel indice. Un indice qui, cette fois-ci, lui donnait une idée très précise de ce que pouvait être ce cadeau. Étrangement, son coeur se mit à battre plus vite et elle se calma. « J'ai déjà ton petit carnet et mon mouchoir... » Commença-t-elle, en citant les objets auxquels elle avait le plus tenu tout au long de sa vie. « Alors, il reste... » Elle ne terminait pas sa phrase. C'était étrange, mais elle avait peur de se tromper. Peur de se créer une fausse joie et d'être déçue. Peur de s'infliger ce pincement au coeur, cette déception. Combien de fois avait-elle dit à Camille qu'elle rêvait d'avoir sa poupée à ses côtés ? Cette poupée avait toujours été d'un grand réconfort et d'un grand soutien pour Sophie, surtout dans les pires moments. Aujourd'hui, elle aurait aimé pouvoir l'avoir près d'elle et se sentir rassurée juste en posant les yeux sur elle. Mais c'était impossible, n'est-ce pas ? Cette poupée était toujours à Réan, enterrée ? Et pourtant, elle avait cet espoir stupide de la voir là, cachée derrière Jean. « Ma poupée ? » Souffla-t-elle, presque dans un murmure, les yeux brillants d'impatience, mais la voix étrangement calme, le regard plongé dans celui de Jean.

Sophie s'impatientait face aux fausses réponses de son mari. Il restait vague et ne lui donnait pas vraiment d'indication. Rien de particulièrement parlant ou utile, tout du moins. Et ça l'amusait, Sophie pouvait le voir à son regard et à son sourire. Son rire aussi lui prouvait à quel point cette situation était amusante pour lui, alors qu'elle était terriblement agaçante pour Sophie et son impatience. « Tu es le seul à t'amuser. » Prétexta-t-elle, alors que ce n'était pas vraiment la réalité. Au fond d'elle, elle s'amusait aussi et ce petit jeu n'était pas si déplaisant, mais où était le plaisir, si Sophie se montrait raisonnable et raisonnée ? Non, elle préférait se plaindre et pester, comme elle en avait si bien l'habitude. C'était bien plus amusant de cette façon.

Jean lui avait bien proposé d'essayer de lui prendre de force et l'idée était tentante, mais elle se retenait. A la place, elle s'était installée à ses côtés pour tenter d'obtenir plus facilement ce qu'elle désirait. Il n'allait pas pouvoir garder la surprise éternellement, il allait devoir lui dire de quoi il s'agissait au bout d'un moment. Ses indications, bien que légères, l'amenèrent à réfléchir à ce qui pouvait bien se cacher derrière son dos. Un objet de son passé, il n'y en avait pas mille. Son mouchoir et son carnet étaient déjà avec elle, depuis son arrivée dans ce monde, alors il ne restait qu'une chose. Sa poupée. Pouvait-il vraiment avoir retrouvé sa poupée ? Cette poupée qui avait été une aide précieuse pour Sophie tout au long de sa vie ? Se pourrait-il qu'elle se cache là, juste derrière le dos de Jean ? Cette idée l'avait calmée immédiatement. Elle n'était encore certaine de rien, mais déjà ses yeux brillaient et les battements de son coeur accéléraient.

Jean, sans dire un mot dans un premier temps, avait sorti la boite de derrière son dos pour la tendre à Sophie. Ses mots ne confirmaient pas ce qu'elle pensait avoir deviné, mais elle était sûre d'elle désormais. Si ça n'avait pas été ça, jamais il ne lui aurait fait espérer, n'est-ce pas ? Alors, sans un mot et plus calmement qu'elle ne l'aurait cru, elle avait retiré le ruban puis le papier qui entourait la boite. Son coeur battait si vite qu'elle avait l'impression que tout le monde pouvait l'entendre. Avant d'ouvrir la boite, elle lança un dernier coup d'oeil à Jean. Puis, il fallait y aller. Découvrir ce que cette boite renfermée - avec la crainte d'être déçue. Et ce qu'elle y vit était le plus beau cadeau qu'on aurait pu lui faire à cet instant. Elle était si heureuse. Elle retrouvait un souvenir précieux de son enfance. Sophie était partagée entre l'envie de hurler tant elle était heureuse et celle de serrer Jean dans ses bras pour ce magnifique cadeau. Ses yeux brillaient de larmes de joie et un immense sourire s'était dessiné sur ses lèvres. « Jean, je suis tellement heureuse ! » Disait-elle un peu trop fort, avant de déposer la boite à ses côtés pour venir l'enlacer - un peu trop fort, là aussi, sans doute. « Tu ne pouvais pas me faire meilleur cadeau. » Souffla-t-elle contre lui, heureuse d'avoir l'impression d'avoir retrouvé une partie de son enfance et de son passé.

Comme toujours, Jean se moquait gentiment d'elle. Il l'avait imaginée se jetant sur la boite pour en déchirer les rubans et le papier afin de découvrir plus vite son cadeau. C'était ce qu'elle avait fait la première fois. Elle avait tout arraché, elle s'était impatientée et avait demandé à ce qu'on arrache tout pour qu'elle puisse avoir sa poupée au plus vite. Aujourd'hui, elle était plus raisonnable. Aujourd'hui, surtout, elle avait eu peur d'être déçue en ouvrant cette boite. Peur de croire qu'elle allait récupérer sa poupée pour finalement découvrir tout autre chose, ce qui expliquait donc la délicatesse dont elle avait fait preuve pour l'ouvrir. « Tu te moques encore de moi. » Rétorquait-elle, souriante. « Je ne suis plus une petite fille impatiente. » Elle n'était plus une petite fille, certes - sauf dans son comportement, parfois - mais elle était toujours impatiente. Et ça, Jean le savait parfaitement.

A l'instant où ses yeux s'étaient posés sur sa poupée, son visage s'était illuminé, ses yeux brillaient et un sourire plein d'émotion avait pris place sur ses lèvres. Elle ne savait comment réagir, partagée entre une joie si intense qu'elle aurait aimé sauter de joie et une envie de serrer Jean contre elle pour laisser ses émotions parler et le remercier. Et c'est ce qu'elle avait fait. Elle avait serré Jean contre elle pour le remercier de lui faire un tel cadeau. Le plus beau. Peut-être n'était-ce pas réellement sa poupée ? Dans tous les cas, elle était son portrait craché - avant qu'il ne lui arrive tous ses malheurs. Peut-être que cette poupée aussi avait le droit à une seconde chance ? Sophie, cette fois-ci, la traiterait bien mieux et elle en prendrait grand soin. Et surtout, ça lui importait peu. Ce qui comptait le plus, c'était l'intention de Jean.

« Je ne sais pas, mais elle lui ressemble comme deux gouttes d'eau. » Souffla-t-elle, les mains dans les siennes, alors qu'il lui donnait des explications à propos de ses doutes, de sa confirmation auprès de Paul. « Tu sais quoi ? J'ai envie de croire que c'est la mienne et que cette poupée a le droit à une nouvelle chance avec moi. » Parce que c'était une belle façon de voir les choses à ses yeux. Et finalement, peu importe qu'il s'agisse ou non de la réalité. Elle était heureuse et elle l'était plus encore à s'imaginer que c'était bel et bien elle. Puis, elle avait ressenti quelque chose d'indescriptible en la voyant, peut-être était-ce le signe que c'était bien elle ? Sa poupée ? Et pas juste une poupée.

Jean y voyait également un signe d'espoir. Sophie avait envie d'y croire, même si elle doutait sincèrement que tous ses souvenirs puissent lui revenir un jour, après tant d'années passés sans. « Tout sera comme avant. » Souffla-t-elle comme une promesse. Peu importe le temps que cela devait prendre, Jean avait raison, tout leur reviendrait, même si ce devait être miettes par miettes. « J'aimerais me souvenir de tout, tu sais. » Elle le lui répétait souvent, mais elle avait tellement peur qu'il s'imagine que ce n'était pas le cas, qu'elle se complaisait quelque part dans cette absence de souvenirs pour s'en servir d'excuses ou qu'il n'était pas suffisamment important pour elle, pour qu'elle se souvienne. Alors, elle préférait lui répéter les mêmes choses, encore et encore, pour le rassurer.

« Vous n'avez rien de mieux à faire avec Paul que discuter de mon caractère et mon comportement ? » S'emportait-elle faussement, en croisant les bras un court instant. En réalité, elle était très touchée par ce genre de réflexion. Elle était toujours heureuse de voir que les gens qu'elle aimait voyaient ses efforts et son évolution. Bien sûr qu'elle n'était plus la petite fille d'autrefois, elle avait grandi, comme tout le monde, mais elle était heureuse qu'on lui fasse remarquer. « Je te promets qu'elle sera bien traitée cette fois-ci. » Elle en prendrait grand soin. Elle serait toujours à ses côtés, dans cette maison, comme un souvenir précieux de son passé. Un souvenir que Jean lui avait rendu. Et elle prouverait à quel point elle avait changé et comme elle était devenue raisonnable.

Heureuse, Sophie n'avait pu réagir autrement qu'en serrant Jean contre elle. Il venait véritablement de lui faire un beau cadeau. De ceux qu'on n'oubliait pas facilement, bien au contraire. « C'est un peu à ça que ça sert ici, avoir une seconde chance. » C'était ainsi que beaucoup considéraient cet endroit. Sophie ne voyait pas toujours les choses de cette façon, mais pour une fois, pour sa poupée, elle avait envie d'adhérer à cette idée. « Pas d'exposition trop longue au soleil, pas de chute du haut d'un arbre, pas de fer pour les cheveux... » Listait-elle en souriant, sans donner tous les détails et tous les événements que cette pauvre poupée avait vécus.

Cette poupée était le symbole de leur passé, de ce qui pouvait revenir. Evidemment, elle rappelait à Jean les souvenirs qu'ils avaient perdus et il était alors persuadé que tout revenait toujours. Sophie aurait aimé croire dur comme fer que ses souvenirs reviendraient. Elle le voulait. Elle le voulait même de tout son coeur. Cependant, il n'y avait rien à faire. Elle n'y arrivait pas. Comme à chaque fois, elle craignait que Jean ne lui en veuille. Elle craignait qu'il n'imagine que ce n'était pas assez important pour elle, pour qu'elle réussisse à s'en souvenir. Alors, une fois encore, elle lui en faisait part. Comme pour la rassurer, il l'attira vers lui, pour qu'elle s'installe sur ses genoux. Et, pour la rassurer, il lui affirmait qu'il voulait y croire. Après tout, n'avaient-ils pas mis du temps à se retrouver ? Il fallait faire preuve de patience, une fois encore, pour retrouver leurs souvenirs. Toute cette ville était une sorte de jeu de patience. Alors, tout en l'écoutant, elle était allée déposer sa tête contre son épaule. La patience n'était pas son point fort, mais elle pouvait essayer. « Tu as raison, je devrais être plus optimiste. » Sophie l'était, en général, pourquoi ne pas l'être pour ça ? « Si on espère suffisamment fort, ça ne peut qu'arriver. » Se convainquait-elle. « Un jour, nous aurons récupéré tous nos souvenirs et nous serons tous réunis. » Commença-t-elle en souriant. « Nous organiserons des vacances comme autrefois. Nous serons tous ensemble ici, dans cette maison. Tous ensemble. On se remémorera nos souvenirs et tout ce que nous avons dû vivre avant d'en arriver là. » Et ils seraient heureux. Tous ensemble. Ça valait le coup d'attendre et de rester optimiste pour obtenir tout ça, non ?

« Il doit être incroyablement difficile pour vous de vous passer de moi, non ? » Répondit-elle, l'air fier pour plaisanter, alors que Jean précisait qu'ils l'aimaient tous les deux bien trop pour parler d'autre chose. En réalité, elle comprenait que son sujet puisse être abordé de temps à autre entre son cousin, qui avait été comme un frère pour elle, et son mari, mais ça l'amusait plus qu'autre chose d'imaginer les deux hommes n'avoir que ce sujet de conversation à la bouche - et oui, ça la flattait un peu, aussi, d'imaginer qu'ils parlaient souvent d'elle.

Sophie avait remercié Jean en le serrant dans ses bras. Il venait de lui offrir un cadeau magnifique. Dire qu'elle était heureuse d'avoir retrouvé sa précieuse poupée aurait été peu dire. « Une vraie adulte modèle, tu ne trouves pas ? » Demanda-t-elle en levant fièrement la tête, avant d'exploser de rire, alors que Jean lui disait comme elle était devenue sage. En effet, sa poupée ne connaîtrait rien de mal. Sophie était suffisamment adulte pour ne pas s'en prendre à ce malheureux jouet, souvenir d'une enfance qu'elle chérissait bien trop pour prendre le risque de la perdre à nouveau.

Jean avait fini par attirer Sophie sur ses genoux. Ils discutaient de l'espoir qu'ils avaient de retrouver les leurs, un jour ou l'autre. Cet endroit fonctionnait peut-être ainsi. Peut-être donnait-il la possibilité de revoir ses proches si l'on faisait preuve de sagesse et de patience ? Peut-être ! Sophie avait le droit de garder espoir, elle le savait, même si ce n'était pas toujours facile. Surtout lorsque plus de quatre années s'étaient écoulées. A la réflexion de Jean à propos de Léon, Sophie se mit à rire, imaginant parfaitement la scène entre les deux frères. « Léon me manque à moi aussi. Je suis curieuse de savoir ce qu'il est devenu. » Avec Léon, les choses n'avaient pas toujours été simples, mais elles s'étaient arrangées. Puis il était le frère de Jean, elle ne pouvait que l'aimer. Et elle ne pouvait que comprendre à quel point il devait manquer à Jean, bien plus qu'il ne lui manquait à elle. C'était pour cette raison qu'elle espérait tant son retour prochainement, pour voir Jean sourire et être heureux.

Tendrement installée dans les bras de son mari, Sophie aurait aimé rester ainsi pendant des heures. Cependant, Jean avait faim - et pour une fois que ce n'était pas Sophie qui réclamait quelque chose à manger, ça relevait presque du miracle. « Pour une fois que ce n'est pas moi qui réclame quelque chose à manger... » Souriait-elle, avant d'ajouter : « Des conserves, des plats préparés et des biscuits, c'est tout ce que tu trouveras ici. » Parce que Sophie ne cuisinait pas, elle achetait tout ce qui était consommable directement - un gain de temps incroyable et une façon de ne pas mourir de faim, aussi. « C'est toi qui prépares. » Souffla-t-elle avec un sourire amusé, après avoir déposé un rapide baiser sur ses lèvres pour le convaincre. Il la connaissait bien, il savait que moins elle en faisait, mieux elle se portait.

« Tu n'es qu'un menteur Jean ! » Protesta Sophie. En réalité, il n'était pas déplaisant d'imaginer qu'il pensait souvent à elle, à chaque fois qu'un petit quelque chose la lui rappelait, mais elle savait que ce n'était qu'en partie vrai. Elle les imaginait très bien, Paul et lui, en train de citer ses nombreuses bêtises d'enfant ou ses idées étranges ou discuter de son comportement actuel, de celle qu'elle était devenue. Elle n'y voyait rien de méchant, bien au contraire. Sophie était leur point commun et un sujet de conversation facile - il fallait dire que vu tout ce qu'elle faisait, il y avait de quoi dire - tout comme pour Sophie qui parlait souvent des uns et des autres avec sa famille. Mais de là à dire qu'ils ne savaient faire que ça... Non.

Jean, parce qu'il pensait souvent à elle donc, venait de lui faire un cadeau merveilleux. Il lui avait offert une partie de son enfance. Une chose qui l'avait tant rendue heureuse et qui la rendrait de nouveau heureuse aujourd'hui. Ce souvenir, qu'elle associait à son père, au château de Réan ou à ses jeux avec ses amis. Sa poupée. Une poupée à qui elle promettait de ne pas faire subir les mêmes épreuves qu'à la précédente. Et, en même temps, c'était logique. Elle avait grandi. Elle n'était plus une enfant. Elle était devenue responsable et elle ne jouait plus à la poupée - ce qui aiderait à la garder plus ou moins en sécurité. « Je suis heureuse de l'entendre. » Elle oubliait le début de sa phrase, celle où il ne la considérait pas totalement comme une adulte modèle pour se concentrer sur le reste. Il était fier d'elle et il n'y avait rien qui rendait Sophie plus heureuse que de savoir ça.

« Ils le sont, j'en suis certaine. » avait-elle répondu lorsqu'il avait évoqué leur famille et son espoir qu'ils soient heureux. En réalité, Sophie n'en savait rien du tout, mais elle voulait s'en persuader. Elle voulait croire qu'ils étaient heureux. Elle voulait les retrouver, évidemment, mais, en attendant, ils devaient être heureux. Il ne pouvait en être autrement. Et elle priait pour cela, elle aussi.

Puisque Jean avait faim, Sophie allait en profiter : il cuisinerait et elle mangerait. Avec précaution, la jeune femme avait donc déposé la poupée sur le canapé pour suivre Jean jusque dans la cuisine. « Tu sais que lorsque tu n'es pas là, je cuisine ? Je ne me laisse pas mourir de faim. » Enfin, cuisiner... Non. Elle réchauffait des plats, au mieux, mais elle ne cuisinait certainement pas. Pour son bien et celui de cette maison.

Jean ouvrait les différents placards à la recherche de quelque chose à préparer. Sophie l'avait prévenu, elle n'avait pas grand-chose en dehors de biscuits et de plats préparés. Alors, évidemment, il trouvait à redire. Sa famille adorait décidément lui faire la morale pour tout, tout le temps. A croire, qu'à leurs yeux, elle ne resterait toujours qu'une enfant. « Ce que je mange est très bon... » Pour la santé, peut-être pas, mais elle aimait le goût. Puis elle était toujours en vie et en bonne santé, donc ce ne devait pas être si mauvais. « Il n'est pas question que tu me prives de toutes ces bonnes choses, même lorsque tu t'installeras avec moi. Je profiterai de tes talents de cuisinier, bien sûr, mais lorsque tu ne voudras pas cuisiner, je ne me priverai pas. » Et même si c'était pour son bien, Sophie était bien trop têtue pour se passer des choses qu'elle aimait. Elle profiterait des bons petits plats de Jean dès que possible et, le reste du temps, elle continuerait à avaler ces choses préparées et industrielles que Jean semblait tant détester.

Quant à savoir si elle avait des oeufs, Sophie l'ignorait et elle se contenta de hausser les épaules. Pendant qu'il s'approchait du frigo pour voir lui-même, elle s'était hissée sur le plan de travail pour s'y asseoir. Elle ne comptait pas bouger le petit doigt, seulement l'observer cuisiner. « C'est parfait. » Se contenta-t-elle de souffler alors qu'il lui proposait du pain et du fromage fondu. Sophie attendait simplement qu'il prépare ce qu'il avait proposé, mais il avait, entre-temps, sorti un bidon de lait dont la date était dépassée. Et, encore une fois, il lui fit la leçon - bon, elle exagérait un peu, mais c'était Sophie. « J'aurais vérifié la date avant de le boire, tu sais ? Je ne suis pas inconsciente. » C'était surtout qu'elle s'était rendue malade, peu de temps après son arrivée, en ayant consommé quelque chose de périmé et, depuis, avec Camille qui lui avait fait la leçon, elle faisait attention.  

« Jean, je mange toute la journée, tu devrais le savoir. » Elle prenait de vrais repas et grignotait le reste du temps. Sa gourmandise ne s'était pas arrangée en vieillissant. Sur ce point, il n'avait aucun soucis à se faire, elle mangeait - en revanche, sur ce qu'elle mangeait, peut-être davantage oui. « Et arrête donc de me faire la leçon comme si j'étais une enfant. » Elle savait que le petit-déjeuner était important, elle n'avait pas besoin qu'il le lui répète comme on répétait la leçon à un enfant. « Mais si tu veux m'apporter un petit-déjeuner tous les matins, tu es le bienvenu. » S'amusait-elle, s'imaginant déjà être traitée comme une princesse. « Je pourrais prendre le petit-déjeuner au lit comme ça... Je n'aurais même plus besoin de me lever. » Quelle idée merveilleuse, elle n'allait plus penser qu'à cela désormais.

D'accord, quand Sophie disait cuisiner, elle sous-entendait qu'elle faisait réchauffer des plats, rien de plus. Elle s'était essayée quelques fois à la cuisine et n'avait enchaîné que les catastrophes. Et comme ce n'était pas quelque chose qui l'intéressait particulièrement, elle n'avait pas cherché à apprendre. « Je commande très peu. » Sabrina le faisait parfois, mais Sophie, d'elle-même, le faisait très rarement. Elle n'était toujours pas à l'aise avec toutes ces technologies, alors elle préférait éviter. « Les supermarchés ont un stock incroyable de nourriture déjà préparée... C'est pratique. » Rétorqua-t-elle, tout sourire, fière d'avoir trouvé un autre moyen que la commande pour se nourrir facilement et sans effort.

Si Sophie était d'accord pour faire des efforts à propos de ce qu'elle mangeait, au moins en présence de Jean, il n'était pas question qu'elle change totalement ses habitudes alimentaires et qu'il la prive de quoi que ce soit. Sophie aimait manger des cochonneries et elle continuerait. Elle savait que Jean était parfois un peu moralisateur, mais il ne l'obligerait jamais à changer - il l'y encouragerait peut-être un peu, pour certaines choses, mais rien de plus. Au plat qu'il avait cité, pour lui faire comprendre qu'il avait conscience qu'elle ne l'écouterait pas, Sophie avait grimacé. « Rien que le nom a l'air dégoûtant. » Du chou-fleur farci ? Qui mangeait ça par plaisir ? Non, décidément, les goûts de Jean et les siens étaient très différents concernant la bonne nourriture. Cependant, elle était de bonne volonté et elle était prête à faire de véritables efforts en faisant quelques concessions, si cela pouvait lui faire plaisir. « Trois soirs ? Ça ne me paraît pas insurmontable, d'autant que j'aime ta cuisine ! Alors, j'accepte ! Mais j'attends quelque chose en échange. Je ne sais pas encore quoi, mais je vais y réfléchir. » Pour qu'un marché fonctionne, aux yeux de Sophie, il devait être donnant-donnant. Donc en échange de ses efforts, elle attendait quelque chose de son époux.

Tandis que Sophie s'était installée sur le plan de travail pour observer Jean, ce dernier avait trouvé de quoi faire à manger. Du moment où elle pouvait manger quelque chose, elle se moquait bien de ce que c'était - ou presque. « Tu te trompes, Jean. » Rétorqua-t-elle tandis qu'il se moquait d'elle. Il était alors venu près d'elle pour l'enlacer et la porter un instant. « Tu voulais me prouver ta force ? » S'amusait-elle en recevant un baiser sur le front, après qu'il l'avait reposée.

Finalement, il l'avait abandonnée là pour retourner préparer son encas. Et pendant qu'il le faisait, ils discutaient de la possibilité de lui rapporter un petit-déjeuner chaque matin. Evidemment, cette idée plaisait beaucoup à Sophie, qui aimait se faire traiter comme une princesse à qui l'on cédait tous ses caprices. Elle n'allait certainement pas dire non et elle n'allait pas oublier la proposition de Jean. Certainement pas. S'il regrettait, c'était tant pis pour lui, il n'avait pas qu'à lui proposer. Cependant, il la mettait en garde : elle devrait se réveiller plutôt tôt puisqu'il travaillait de bonne heure. « Dans le pire des cas, je peux manger et me rendormir ensuite. » Souffla-t-elle amusée, ayant toujours une solution en poche, tandis que Jean finissait de préparer du thé. S'installant correctement à table, Sophie attrapa sa tasse et son assiette et commença à manger sans perdre plus de temps - et sans même penser à le remercier.

En silence, elle avait avalé la moitié de son toast et elle avait bu une bonne partie de sa tasse de thé. « Tu aimerais venir t'installer ici bientôt ? » Demanda-t-elle tout à coup, sans trop réfléchir à la discussion que cela pourrait entraîner. Après tout, en discutant de comment Sophie se nourrissait, il avait évoqué cette idée. Soit il n'était pas sérieux et il plaisantait simplement, soit il était sérieux et il était important d'en discuter - même si Sophie aurait peut-être dû y réfléchir davantage avant de lancer une conversation aussi importante sans connaître son propre avis sur la question. Mais la curiosité l'avait emportée et elle voulait savoir.

Jean s'agaçait d'entendre Sophie juger la bonne nourriture, elle le sentait. Elle ne le faisait pourtant pas exprès, ne faisant qu'exprimer un avis sincère, sans forcément mesurer ses paroles. Sophie était comme ça. Elle disait ce qu'elle avait en tête, sans réfléchir. Et si elle n'aimait pas quelque chose - même sans l'avoir goûté au préalable - elle le disait. « Tu racontes n'importe quoi, Jean ! Je juge des aliments, pas des gens ! Je ne suis pas comme ça ! » Il confondait tout. La prenait-il pour un monstre ? Un être sans coeur qui se permettait de juger des êtres humains sur un prénom ou elle ne savait quoi d'autre ? Sophie avait beaucoup de défauts, mais pas celui-ci ! Ça, non et elle ne le laisserait pas prétendre le contraire. « Je goûterai, tu es content ? » Souffla-t-elle pour se faire pardonner, malgré tout, son refus direct, bien qu'elle trouvait toujours le nom aussi dégoûtant et peu attirant. Elle pouvait bien faire ça pour lui faire plaisir. Ce n'était pas un effort insurmontable. Et elle acceptait même de manger plus sainement trois fois par semaine, en échange de quelque chose. Elle ne savait pas encore quoi, mais elle trouverait bien en temps voulu. Après tout, si elle faisait cet effort pour faire plaisir à Jean, il lui devait quelque chose en retour. C'était logique dans son esprit. « Parfait ! » Souffla-t-elle, pleinement satisfaite, alors qu'il acceptait le compromis. Sophie avait tellement hâte de trouver quoi exiger en échange de sa promesse de mieux manger au moins trois fois par semaine.

Jean avait à peine terminé de préparer leur encas, que Sophie s'était déjà jetée dessus, sans même prendre le temps de le remercier ou de lui souhaiter bon appétit en retour. « Des biscuits, des glaces, des crèmes desserts... J'ai tout un tas de choses qui peuvent servir de dessert... » Trop, même certainement. Mais il ne fallait jamais être à court de dessert ou de goûter, n'est-ce pas ? Sophie avait un amour particulier pour les choses sucrées ou pas forcément très recommandées pour la santé, alors ses placards en étaient remplis, en général - lorsqu'elle avait le courage de faire des courses, en tout cas.

Sophie était ravie à l'idée de voir Jean lui apporter le petit-déjeuner de temps à autre - même si l'idée de se lever tôt ne la ravissait pas. Elle avait cependant la solution pour ne pas rater un petit-déjeuner qu'elle n'aurait pas à préparer tout en profitant de dormir : elle déjeunerait puis elle se rendormirait ensuite tandis que Jean irait travailler. Elle avait cette chance, cet avantage, de pouvoir gérer son temps comme elle le voulait et de ne pas être obligée de travailler beaucoup chaque semaine et elle en profitait autant qu'elle le pouvait. « C'est presque mieux qu'un rêve tout ce que tu me proposes, » riait-elle, s'imaginant se faire apporter le petit-déjeuner au lit, se remplir le ventre, et se rendormir après avoir pu passer un peu de temps avec Jean, avant qu'il ne parte travailler.

Cette discussion, et certaines réflexions que Jean avait pu faire, avait poussé Sophie à réfléchir à certaines choses. Ou, plutôt, certaines choses lui étaient venues à l'esprit. Elle ignorait son propre avis sur la question et n'avait pas vraiment pris le temps de réfléchir aux conséquences avant de parler, mais elle avait posé une question importante à Jean. Essentielle, même, pour leur futur. Est-ce qu'il voulait venir vivre avec elle, ici ? Ils étaient mariés, ensemble depuis de nombreuses années et s'étaient retrouvés depuis un long moment, mais ils vivaient toujours séparément. D'abord, parce que Sophie n'avait aucun souvenir de leur relation et qu'il lui avait donc fallu du temps, ensuite parce qu'elle avait toujours peur de perdre en liberté si elle n'était plus seule à devoir prendre les décisions. Vivre à deux, c'était faire des compromis, accepter certaines limites, et elle n'était pas certaine d'y être préparée. Alors, elle ignorait pourquoi cette question soudaine, mais elle ne l'avait pas contrôlée. La curiosité avait sans doute joué un grand rôle. Elle voulait connaître l'avis et les envies de Jean. « Je n'y ai pas réfléchi... Pas vraiment. » Commença-t-elle alors qu'il la questionnait sur ce qu'elle voulait. En réalité, elle y avait forcément réfléchi, mais ne s'était jamais arrêté sur une réponse. « Mais peut-être qu'on devrait commencer à y penser, à en parler... A moins que tu ne penses que c'est trop tôt. » Simplement parce que le temps passant, Sophie savait qu'elle voulait passer sa vie avec Jean et il lui semblait logique qu'un jour ou l'autre, comme il l'avait toujours dit, ils s'installeraient ensemble. Ce n'était peut-être pas pour demain, mais maintenant qu'elle avait lancé la conversation, ils pouvaient peut-être y réfléchir.