(Terminé) We could disappear now... | Will

A l’approche de l’échéance, il est de plus en plus difficile pour Will de savoir être en paix avec lui-même. Qu’il se trouve en présence de Jack ou en compagnie d’Hannibal, il a conscience de porter un masque, qui dissimule en partie sa pensée et ses intentions, un masque qui lui colle si fortement à la peau qu’il lui devient difficile, par moments, de faire encore la distinction entre ce qui est et ce qui n’est pas, ce qu’il souhaite et ne veut pas. Ce qu’il pense être et ce qu’il est devenu.

Son intention était ferme, précise, naturelle, au moment de reprendre sa thérapie avec Hannibal, à sa sortie de prison. Il se vengerait, qu’importe les chemins sinueux qu’il lui faudrait emprunter pour parvenir à ses fins. Il rendrait à celui qui devait se penser intouchable la monnaie de sa pièce. Convaincu, il l’était. L’est-il toujours ? A l’approche du moment fatidique, il ne songe non plus à la satisfaction d’un juste retour de bâtons mais au vide infini que lui imposera logiquement, impérieusement, inévitablement son absence. Il va gagner en le perdant, et cette perspective lui est moins supportable qu’il ne l’aurait soupçonné.

Quand Hannibal évoque leur fuite en avant, il ressent au plus profond de lui-même cet instinct, cette impulsion… L’envie de le suivre, prégnante, présente depuis bien plus longtemps sans doute qu’il ne le soupçonne. C’est un constat qui a affleuré jusqu’à sa conscience, et il ne peut plus, dorénavant, faire mine de l’ignorer… Seulement, tout en ayant conscience de cela, il peut faire, sciemment, le choix de rejeter ce qui s’apparente trop à la nature qu’Hannibal lui a toujours prêté, à ce soi qu’il l’exhorte à être, ce soi qu’il a contemplé dans une forme de transe au moment d’assassiner Randall Tier de ses mains, et de se convaincre que c’était la vie du psychiatre qu’il prenait.

Ils sont assis à table, comme ils en ont si souvent pris l’habitude, au cours des dîners qui les ont insidieusement rapprochés, au point de brouiller les pistes, de repousser les limites, n’autorisant plus à personne de véritablement comprendre la nature de leur amitié, qui n’en a définitivement que le nom. Hannibal engage la conversation. L’imago, l’idéal que l’on fonde en l’autre, puis… Subrepticement… une porte de sortie. Hannibal est-il en train de suggérer qu’ils devraient laisser la vie sauve à Jack ?

Le profiler tente de dissimuler son trouble derrière une gorgée de vin. Ne pas contrarier le plan, c’est ce qu’il se répète en son fort intérieur, pourtant… en dépit de ce qu’il cherche à affirmer, la tentation se fait plus grande encore de rebrousser chemin. Plus forte que jamais… De rebrousser chemin ou d’en suivre un autre. Un autre chemin. C’est ce qu’il suggère. Son regard le fixe et le transperce. Will se sent acculé. Hannibal sait-il ? Pour Jack, pour Freddie Lounds ? Pour le piège qui doit bientôt se refermer sur lui ? Il reste sur ses gardes, mais ce qu’il suggère alors le prend de court.

Partir. Cette nuit. Avancer leurs plans. Laisser la vie sauve à Jack et Alana et recommencer une nouvelle vie. C’est presque poli. Le regard de Will se baisse sur son assiette.

« Alors, ce serait notre dernier repas… »

Il tente une fine esquisse de sourire qui n’a rien de convaincante. Il est mis au pied du mur. Il suffirait qu’il dise oui. Il ne peut pas dire oui, c’est impossible, il ne peut pas être question qu’il envisage seulement de le dire. Alors pourquoi chaque fibre de son être semble tendre vers cette réponse qu’il ne devrait en aucun cas lui adresser ? Peut-il se réfugier derrière le prétexte de sauver Jack pour s’abandonner à un idéal qu’il sait ne pas devoir atteindre, s’efforcer de ne pas atteindre ? Son imago…

Il regarde Hannibal comme s’il le regardait pour la toute première fois. Cherche un signe. De mensonge, de duplicité. Mais il le connaît bien, il est sans doute, même, le seul en ce monde à véritablement le connaître. Alors il sait…  l’intention est peut-être trouble mais l’offre est sincère. A saisir ou non. S’il ne la saisit pas, elle ne se représentera pas une seconde fois.

« Où irions-nous ? » se surprend-il à demander, comme pour gagner du temps, pour ne pas dire oui, tout en disant oui en même temps.

Sans le savoir, par cette seule réponse qui est une question, il modifie déjà le cours des événements.

Dans cette vie. Mais que serait une autre vie que celle-ci ? Et cette vie-ci, qu’est-elle, exactement ? Que lui apporte-t-elle ? La vie, l’autre vie, celle que lui promet Hannibal à mots dissimulée, et dont il ne peut deviner la nature, alimente ses fantasmes les plus absurdes, parce qu’elle semble incarner cet idéal inaccessible évoqué tantôt… qu’il a effleuré du doigt plus d’une fois, pourtant. Au moment de tuer Randall Tier, notamment. Au moment d’assassiner Garret Jacob Hobbs, déjà. Cette fois, il a le sentiment de pouvoir la saisir. Et c’est… déroutant. Exaltant, aussi.

Pour autant, Hannibal n’en dit rien de plus, de façon compréhensible, car Will lui-même ne lui a pas donné de réponse directe, concrète. Il s’est contenté d’une dérobade réconfortante. Qui l’autorisait à ne pas répondre négativement, pas tout de suite, du moins… Plus tard, alors ? Il n’en a pas envie… Mais tout ceci va au-delà de ce qu’il peut bien vouloir, n’est-ce pas ? C’est une affaire de morale, d’autopréservation… de justice. Car s’il ne devait qu’écouter ce qu’il désire plus profondément, viscéralement… Sa réponse serait déjà toute trouvée, en réalité. Hannibal est honnête dans sa démarche, bien plus honnête que Will ne l’a été ces dernières semaines. Il lui offre une alternative, une occasion unique de se racheter, un don précieux. Qui exige de sa part une confiance absolue, aveugle. Il n’est pas en droit de connaître les conditions avant de les accepter. Il a perdu ce droit au moment de manigancer avec Jack et le FBI. Il a perdu ce droit au moment de proférer le mensonge de trop.

Hannibal n’a pas besoin d’un sacrifice. La mort de Jack est une condition de laquelle il peut se dispenser. Mais Will, lui, pourrait-il s’en dispenser. Même en choisissant une autre voie, celle-ci serait-elle entière, complète, s’il devait partir sans avoir confronté Jack d’abord. Il ressent, au fond de lui, le besoin de laisser voir à Jack ce qu’il est devenu (ce qu’il ne fait pas que prétendre être devenu), comme une conclusion indispensable à cette vie, s’il faut en entamer une autre. Pas tant pour lire la déception dans son regard avant de voir ce regard s’éteindre que pour y lire cet éclair de compréhension, une vérité dévoilée, méritée. Mais tuer Jack selon leurs plans implique qu’il en soit capable, et que ces plans n’aient pas déjà été compromis par ses arrangements. Ce n’est plus une option. S’il la choisit à présent, il demeurera sujet aux atermoiements qui déjà le taraudent. Mais sa décision, au fond, n’est-elle pas déjà prise ? Pourquoi songe-t-il si fort à l’alternative si celle-ci ne doit rien représenter ?

« J’ai besoin qu’il soit au courant », articule-t-il tout de même, et c’est, de sa part, une pensée tout à fait sincère, honnête.

Will fait tournoyer son verre de vin entre ses doigts, comme pour chercher dans cette action un semblant de contenance, qu’il se sent perdre de plus en plus. Il peut encore se dérober, du moins le croit-il. Lui vient un instant à l’esprit l’idée de suggérer qu’il puisse tout avouer à Jack, mettre Hannibal face aux conséquences de ce qu’un tel aveu impliquerait… mais il s’abstient.

« D’une manière ou d’une autre. »

Qui n’exige pas, il le sous-entend, le sacrifice qu’ils planifient tous deux depuis plusieurs longs jours. Il repose précautionneusement son verre devant lui. L’agneau, dans son assiette, refroidit, lentement, mais sûrement, l’appétit n’est guère au rendez-vous tandis qu’il envisage pourtant d’en satisfaire un autre. Celui de l’ombre qui le poursuit, de la noirceur qu’il fait mine d’ignorer sans pour autant le pouvoir.

« S’il nous faut envisager de partir dès ce soir… Je dois être… transparent, avec vous. »

Au sujet de Freddie Lounds. Mais l’intuition de Will lui laisse soupçonner qu’Hannibal est déjà au courant, et c’est pour cette raison même qu’il consent à aborder le sujet.

Et cette fois, cette amorce de réponse ressemble bel et bien à un « oui » dissimulé.

Will n’a pas le temps de passer aux aveux qu’Hannibal, froidement, avec une neutralité de ton telle qu’il est difficile pour le profiler de deviner ce que dissimule réellement son discours, expose les faits, mettant à jour une vérité que Will avait devinée… Hannibal a compris. Depuis combien de temps ? Et de quelle manière ? Il n’en sait rien, mais ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il ne saurait définitivement plus être question pour lui de se dérober. Ce n’était pas son intention, cela dit. Au moment de promettre à Hannibal davantage de transparence, il s’était senti prêt, à avouer les faits, et à en accuser les conséquences.

C’était, inévitablement, la condition sine qua non à ce qui pourrait suivre… Ils ne sauraient partir sans avoir tiré cela au clair. En même temps, cela le rassure. Il n’aime pas être mis au pied du mur, il n’aime pas observer les failles d’une stratégie qu’il avait voulu brillante. Mais si Hannibal lui a proposé, envers et contre tout, de le suivre, c’est qu’il peut accepter de faire table rase. Ou bien tout cela n’était qu’une manipulation de sa part afin de confronter Will à la réalité de ses actes…

Difficile de mettre à jour les intentions d’Hannibal, en cet instant, Will est sur ses gardes, son regard, presque naturellement, glisse sur le couteau tranchant à sa droite… Ce n’est pas la conclusion qu’il veut, mais c’est peut-être la conclusion inévitable. Difficile de ne pas l’envisager alors que le psychiatre le rappelle aux engagements qu’il a tenus auprès de lui au moment de reprendre sa thérapie, à la surprise générale, à sa sortie de prison. Pas de mensonges. Will, en effet, ne lui a pas rendu la politesse… même si, à plus d’une reprise, il s’est révélé lui-même incapable de déterminer vraiment où commençait le mensonge, où s’arrêtait la vérité. C’est encore le cas en cet instant. Même si la puissance d’un ultimatum a eu raison des barrières qu’il dressait entre eux, fragiles, bien plus fragiles qu’il ne l’avait soupçonné.

Les mots suivants rompent un silence que Will n’était pas parvenu à briser. Il ne sait que dire en cet instant. Doit-il s’excuser ? Ce serait peut-être, au regard d’Hannibal du moins, la moindre des politesses… Mais les mots ne viennent pas. Est-il désolé de ne pas avoir tué Freddie Lounds ? Une part de lui – doit-il le reconnaître – n’aurait pas été entièrement réfractaire à l’idée. Le seul fait de prétendre l’avoir tuée avait été… grisant. Alors Hannibal lui offre ce qu’il n’est pas venu réclamer, son pardon.

« Je ne vous soupçonnais pas si miséricordieux », dit-il doucement, en toisant Hannibal d’un regard qu’il n’adresse jamais à qui que ce soit d’autre. « Compte tenu de la manière dont vous réparez toutes les incivilités qui vous sont faites. »

Doit-il s’attendre, tôt ou tard, à finir dans son assiette ? C’est bien probable. Ce serait même logique. Et pour cette raison, il aurait peut-être tout intérêt à ne pas lui laisser le champ libre. Mais sa curiosité, ses désirs aussi, l’invite à dépasser les frontières de la prudence et de l’acceptable.

« Que me faudra-t-il faire pour réparer la mienne ? »

Il ne s’attend pas à ce que ce soit aussi simple. Qu’il lui tende la main ne veut pas dire qu’il ne mordra pas la sienne sitôt qu’il aura saisi la sienne.

Sa compassion à son égard. Toute proportion gardée, sans doute. Quand il est question d’Hannibal Lecter, il fait accepter que ses observations se distinguent de celles que d’autres estimeraient adopter de façon similaire. Le terme « compassion » a une tonalité différente quand c’est de ses lèvres qu’il s’échappe. Ceci dit, Will ne peut prétendre ne pas le croire en cet instant. Il sait que pour Hannibal, il est un cas particulier, unique. Il le lui a déjà dit, à sa manière, mais surtout, il a trouvé plus d’une occasion, déjà, de le lui prouver. Il aurait pu le laisser croupir en prison, il aurait pu décider de ne jamais organiser sa libération et donc de se tirer blanc comme neige de cette situation, en lui faisant endosser ses crimes. Il ne l’a pas fait. Il est revenu sur ses pas… pour jouer avec lui ? Peut-être bien. Parce qu’il lui manquait ? C’est fort possible.

Quand il est question de lui, Hannibal fait preuve d’une certaine… faiblesse de jugement. Une brèche dans laquelle Will a d’ailleurs cherché à s’engouffrer, sans véritablement comprendre, au début du moins, qu’il façonnait le propre piège qui finirait par se refermer sur lui. La compassion d’Hannibal est certainement fâcheuse, oui, mais ne l’est pas que pour lui-même. En lui donnant accès à ce qu’il est réellement, en le laissant le voir, sans artifices aucun, il lui a offert un terrain propice à l’expression de ses instincts les plus sombres, et à l’adoption d’une identité qu’il ne se pensait pas capable d’endosser.

La compassion d’Hannibal envers Will est sans doute fâcheuse, elle est ce qui lui sauvera sans doute la vie. L’empathie de Will envers Hannibal l’est tout autant, elle est ce qui le garde pour de bon de regagner le chemin qu’il pourrait encore choisir d’emprunter… et qu’il n’empruntera évidemment pas. Qu’il n’empruntera plus. Cette part de lui qui pouvait encore espérer être sauvée a été étouffée par l’impatience d’une autre vie, une tentation à laquelle il succombe sans plus de réserve, sans se laisser retenir par ses inquiétudes passées.

« En amateur éclairé de viande rouge, je veux bien croire qu’il soit raisonnablement fâcheux d’avoir de la compassion envers du bétail », répond très posément Will avant de vider son verre de vin d’une ultime gorgée.

Il lui a voulu lui prendre quelque chose, c’est vrai. D’abord sa vie (mais ils ont su être quitte sur ce sujet précis), puis sa liberté… l’un comme l’autre ne seraient sans doute qu’inacceptables au regard d’Hannibal Lecter. En retour, oui, il devrait sans doute lui rendre la faveur, et Will continue de l’attendre : l’a contrepartie, le retour de bâton. Pourtant, ce n’est définitivement pas ce qu’Hannibal semble vouloir lui accorder en retour de son incivilité manifeste. A la place, il raisonne sur la notion de pardon, qui n’exige ni concession, ni conditions. Mais le pardon peut-il s’accorder si facilement dans de telles circonstances ? Will continue de s’inquiéter de ce que le psychiatre pourrait décider de faire. De lui faire. Sa vie est sur la corde raide. Depuis bien plus longtemps que ce soir. Il a conscience de faire un choix décisif, cette nuit. C’est désarmant.
C’est… grisant…

Un simple hochement de tête, et il reporte son attention sur son assiette. Les émotions de la soirée ne lui auront pas creusé l’appétit. Bien au contraire, Will a l’estomac noué. Quelque chose à lui montrer… évidemment, les scénarios auxquels songe Will n’ont rien de franchement rassurant. Malgré tout, dans un silence presque religieux, il finit le contenu de son assiette. Délicieux, comme toujours. Qu’il s’agisse d’agneau ou… d’autre chose.

« Je vous suis », dit-il finalement en reposant tranquillement les couverts sur la table.

Will demeure sur ses gardes tandis qu’il consent à suivre Hannibal à l’étage. Il n’a pas la moindre idée de ce qui l’attend, mais il sait en revanche que n’importe quelle surprise, de la part d’Hannibal Lecter peut être à double tranchant, et qu’il serait bien inconscient de ne pas faire preuve d’un minimum de défiance à la perspective de cet inconnu qui s’ouvre à lui. Il ne peut présumer de la pureté des intentions de cet homme, car pures, elles ne l’ont jamais été, et s’il a consenti à suivre la voie la plus angoissante et, en même temps, la plus exaltante, il n’oublie pas pour autant quelles pourraient en être les conséquences pour lui. Tout peut commencer cette nuit, tout pourrait s’arrêter cette nuit. Il n’est toujours pas certain de croire complètement dans la clémence et dans la miséricorde du psychiatre. Il lui faut demeurer attentif, alerte. Ce qu’il fait. Il regretterait presque de ne pas s’être emparé, au passage, du couteau abandonné sur la table de la salle à manger, mais ce n’aurait sans doute pas été la meilleure façon de s’assurer que la situation ne dégénère bel et bien pas.

Dos à lui, Hannibal semble du moins suffisamment confiant et sûr de lui pour ouvrir la marche sans redouter une attaque de sa part qui pourrait pourtant être une échappatoire. Ne devrait-il pas le tuer, la maintenant ? Ce n’est pas ce qui était prévu, mais si Will devait expliquer à Jack qu’Hannibal avait compris leur petite mise en scène, sans doute lui pardonnerait-il cet écart ? Oui. Mais il n’en a pas vraiment, pas totalement envie. Et surtout, il veut savoir ce qui l’attend là, à l’étage. Ils se retrouvent devant la porte d’une pièce que Will n’a jamais eu l’occasion de visiter, à dire vrai, ses visites chez Hannibal se sont toujours limitées à sa cuisine et à sa salle à manger. Il frappe quelques coups. Will fronce les sourcils ? Se pourrait-il qu’il y a quelqu’un de l’autre côté ?

Le cœur de Will manque un battement en entendant le nom d’Abigail. Non. C’est impossible. Abigail est morte. Il a vu le sang et… son oreille… Figé, il ne veut pas croire en la scène qui se produit pourtant. Il entend bel et bien du mouvement de l’autre côté de la porte. Et elle ouvre, et c’est bien elle…

« Abigail… »

Là, bien réelle, le regard embué de larmes. Il ne comprend rien. Cette situation ne faisait aucun sens pour lui. Des semaines qu’il portait le deuil d’Abigail. Un temps, même, il n’avait plus été tout à fait sûr de ne pas être celui qui lui avait porté le coup fatal. Et pourtant, elle est là, bien vivante… elle semble même en relative bonne santé, même si dévisagée par des larmes… Partagé entre la joie, l’incompréhension et le soulagement. Il se précipite dans se direction et la serre contre lui aussi fort qu’il le peut. Quand il daigne s’écarter, il passe une main dans ses cheveux afin de dégager son visage et de constater l’horreur d’une situation qu’il ne comprend pas tout à fait, dont il ne saisit pas toutes les nuances. Une plaie parfaitement cicatrisée où devrait se trouver son oreille. Il se retourne vers Hannibal. Instinctivement protecteur, il se place entre elle et lui.

« Je ne comprends pas… »

Ou du moins, il comprend en partie, mais cette situation exige des explications qu’Hannibal à tout intérêt à lui donner, au moins en partie. De toutes les horreurs qu’il pourrait avoir à lui reprocher, avoir voulu lui imputer le meurtre d’Abigail est définitivement la pire.

Les paroles d’Abigail se veulent sans doute réconfortantes, mais il en faudra bien davantage à Will pour accepter de ne plus s’en faire. Pour l’heure, il est très loin d’être capable d’entendre dans sa réponse quoi que ce soit qui soit en mesure de complètement le soulager. Elle a été nourrie (sans doute très bien nourrie, qui plus est, même s’il ne fallait pas trop s’attarder sur de qui – de quoi – elle l’avait été), logée, chauffée… Tant mieux. Mais dans le fond, il n’avait jamais vraiment douté de cela. Ce sont des considérations bien moins tangibles qui le concernent et qui l’inquiètent. Il n’a jamais fait usage de la force, peut-être, pas physiquement en tout cas, mais l’emprise morale qu’il a certainement eue sur elle n’est pas chose négligeable, et à ce sujet, il ne peut pas vraiment attendre de la jeune femme qu’elle le rassure. Si elle le faisait, il saurait d’office qu’elle mentait… Maintenant, il devrait s’employer à lui rendre tout ce dont son père, puis Hannibal l’avaient privée. Mais est-ce seulement chose possible ? Will en doute plus que sérieusement. Il se contente d’acquiescer silencieusement de la tête… Il n’obtiendra pas davantage, et il le savait au moment même de lui poser cette question, en réalité.

Alors, une fois installé dans la voiture, c’est Hannibal qui l’interroge, Hannibal qui dans cette situation (comme dans bien d’autres) affiche une sérénité totale. Toutes les questions qu’il peut bien poser ont une réponse décidée d’avance. Quand Jack les retrouvera, il sera trop tard. Trop tard pour Jack, certainement. Le but n’est pas de le semer, seulement de le distancier le temps nécessaire… Cette perspective lui laisse un sentiment amer, pourtant, il ne cherche pas à discuter cette affirmation. Il se contente de l’accepter silencieusement. Cette nécessité de table rase, il l’éprouve autant qu’Hannibal, même s’il ne saurait l’assumer tout autant. Il est à la fois désespérant et rassurant, ce flou nécessaire qu’instaure Hannibal et qui musèle sa curiosité tout en l’entretenant soigneusement. L’inconnu de ce qui les attend est alarmant… et grisant en même temps… Car Will est assez convaincu de ce qu’il serait capable de faire dans cette nouvelle vie… et curieux de ce qu’il serait susceptible encore de ne pas faire.

Son attention se reporte sur Abigail quand elle leur demande quels métiers ils exerceront à Florence. Pour Will, il est impensable de reprendre ses anciennes fonctions, et il ne pense pas que ce soit prévu au programme, il les abandonne sans franchement de regret, comme ce métier lui a collé à la peau sans jamais l’épanouir. Il n’aura pas l’hypocrisie de poursuivre sur cette voie, à moins que la situation ne l’exige. Quant à Hannibal… il est susceptible de revêtir tant de casquettes à la fois, ses talents sont si improbablement nombreux que ses possibilités de reconversion, pour peu qu’elles soient à la hauteur de ses standards d’élégance et de distinction, sont sans doute infinis.

« Je suppose que cela dépendra de ceux qu’exercent ceux dont nous prendrons l’identité, n’est-ce pas ? » suggère-t-il, le regard de nouveau tourné vers Hannibal, convaincu que c’est sa stratégie : s’approprier des identités qui ne sont pas les leurs. D’où le crochet par Paris avant de se rendre à Florence.