[Terminé] Cruelty is a gift humanity has given itself. [Hannibal]

Son corps retombe mollement sur le siège le plus proche tandis qu’il reprend doucement ses esprits. Tuer le plonge dans un état second. Non qu’il se réfugie derrière l’excuse d’être un autre au moment de tuer, comme d’autres n’hésitent pas à le faire pour soulager une conscience qui ne méritent pas de l’être, mais il n’est jamais à ce point lui-même que quand il ôte une vie, et c’est revenir à un autre soi, un soi plus acceptable, qui lui est beaucoup plus difficile. Pour ne pas dire que cela lui semble tout à fait impossible. La main à la poitrine, il peut sentir son cœur tambouriner trop fort, comme cherchant à tout prix à s’échapper de sa cage thoracique. C’est un état passager, d’euphorie mêlé d’angoisse, il lui passera, il lui passe à chaque fois. Cette fois demande seulement plus de temps qu’en temps normal. Et pour cause, cette fois est différente.

Il avait redouté, au moment de s’apprêter à nouveau à voir un regard s’éteindre sous l’effet de sa volonté, de ne pas retrouver la splendeur, l’euphorie, la beauté qui l’avait touché si sincèrement, si profondément, lorsqu’il avait porté le coup fatal au Grand Dragon rouge… A circonstances exceptionnelles, réactions exceptionnelles. Ce meurtre symbolique, celui de la renaissance, avait été une consécration, difficile à égaler, par conséquent. Sans en avoir jamais parlé à Hannibal, réfugié derrière d’autres prétextes plus confortables, il ne l’avait jamais complètement admis, c’est pourtant la vérité. La chute avait aussi cette vocation de figer dans l’instant un moment inégalable, de ceux desquels l’on ne revient pas. Mais il est revenu, ils sont revenus. Et la quête d’une euphorie similaire s’est soldée par une multitudes d’autres euphories, différentes certes, mais tout aussi grisantes. Celle-ci… ne peut être niée. Mais la légèreté d’un acte déjà trop familier mais toujours aussi enivrant s’est rapidement dissipée au profit d’une sensation d’une lourdeur phénoménale, comme si son être entier était lestée de plomb.

Il daigne, après quelques secondes de silence au cours desquelles il n’a que tenté de reprendre une respiration normale, poser les yeux sur elle. Molly… A cette distance, on pourrait presque croire qu’elle dort. Il lui a souhaité une mort la plus rapide et la moins douloureuse possible. Il aura néanmoins eu tout le temps, tandis que ses mains gantées se serraient autour de sa gorge et qu’Hannibal, dans son dos, retenait ses bras pour l’empêcher de se débattre, de sentir l’incompréhension d’abord, la détresse ensuite, la résignation enfin dans son regard tandis qu’elle s’abandonnait, lentement, irrémédiablement, aux bras de la mort. Il le sait, sa mort était inévitable. Pour des raisons rationnelles, d’anonymat et de sécurité, elle ne pouvait pas survivre.

Pour des raisons symboliques, elle ne le pouvait pas davantage. Ce n’est pas pour autant qu’il lui a été simple de soutenir ce regard dont il ne s’est pas détourné pour autant, avec ce sentiment qu’il lui devait au moins ça. Elle ne pouvait pas comprendre, mais elle méritait qu’il la reconnaisse, et qu’elle reconnaisse qui il était, lui aussi, au moment de partir. Un être autre. Un être devenu… Un être sans plus grand rapport avec celui qu’elle avait épousé, qui avait endossé le costume d’époux, le costume de peur, dans l’espoir de se détacher, dans l’espoir d’oublier. Évidemment sans aucune chance de succès.

Après un moment qui lui semble infini, il se relève, se penche sur son corps inerte, ferme ses paupières et attrape sa main, de laquelle il retire l’alliance qu’il lui avait passée au doigt dans ce qui lui semble être une autre vie. Il la fait rouler dans la poche intérieure avec précaution, c’est le seul trophée qu’il acceptera de lui prendre, en ce qui la concerne. Il sait qu’au regard de ce qui le lie à Molly, il leur faudra prendre, pour cette fois, des précautions et des dispositions différentes, mais il peine encore à l’accepter, à s’ancrer dans la réalité de cette situation. Après un long moment de silence encore, il se redresse et pose son regard sur Hannibal, qu’il toise avec attention.

« Il va falloir reconsidérer notre mode de sélection », observe-t-il alors du ton le plus neutre qu’il peut. « On ne peut pas continuer… Plus de cette manière », ajoute-t-il avec prudence.

Pas d’alternative. Will le sait, bien sûr, il le sait d’autant plus que les alternatives en question, il les a cherchées avant que de confier à Hannibal – qui quoi qu’il en soit avait déjà deviné – le retour de Molly dans sa vie. Jamais il n’avait voulu la voir mourir, ce n’est pas tant affaire d’attachement, de lien sacré du mariage ou de quoi que ce soit du même ordre, c’est affaire de circonstances… Il avait envisagé de suggérer à Molly de fuir, mais elle n’aurait pas compris, elle aurait insisté. Et personne, quoi qu’il en soit, ne peut fuir ici. Il faut faire table rase, renaître encore, comme un cycle constant, de renaissance en renaissance, qui lui donne le sentiment, quand il pense avoir eu accès à son entier devenir, de n’en avoir considéré qu’un fragment, une esquisse. Un rien, en somme…

Cette impression est frustrante en diable, mais malheureusement trop réelle. Oui, il le sait, il n’y avait pas d’alternative, mais il faudra longtemps, sans doute, pour… non pas qu’il l’admette, du moins qu’il n’en cherche pas d’autre. Il a encore, fixée sur sa rétine, l’image de son corps agonisant. Elle l’accompagnera dans ses cauchemars. C’est une moindre contrepartie à la vie qu’il a prise.

« Mon dessein… », répète-t-il doucement, conscient qu’Hannibal ne fait jamais qu’utiliser son vocabulaire pour le pousser à une réalisation personnelle qu’il avait dû croire accomplie avant cela. « Ça… », ajoute-t-il en désignant le corps sans vie de Molly, de cette femme qu’il avait épousée dans une autre vie, qui lui avait apporté le réconfort d’un foyer et l’illusion d’une famille qu’il n’aurait plus probablement jamais… Pas sans Abigail, qu’il lui avait ôtée. « Ça n’a rien à voir avec mon dessein. » Il marque une légère pause. « C’est une anomalie… la pièce ajoutée à un puzzle qui n’en manquait pas. » Il passe une main dans sa chevelure ondulée, dissimule son agitation derrière une grande inspiration. « La seule façon de l’honorer serait de laisser sa dépouille en l’état, et à la police la chance de remonter jusqu’à nous, mais ce n’est pas envisageable, n’est-ce pas ? »

Il affiche une très fine esquisse de sourire, empreinte de cynisme. Ce n’est pas ce qu’il veut, bien sûr. Il ne veut pas finir derrière les barreaux, et il veut encore moins entraîner Hannibal dans sa chute. Si, en cet instant, son discours a les instants du regret, ce n’est certainement pas son soi actuel qu’il déplore, ni la présence d’Hannibal à ses côtés, c’est ce seul extrême, cette contrariété qu’il aurait voulu être à même d’éviter. Pas seulement parce qu’il s’agit de Molly, mais parce qu’elle symbolise aussi tout ce qu’ils n’ont pas voulu envisager et devront éventuellement confronter. Ces lieux ne s’adaptent pas à leurs desseins, comme ils auraient pu l’escompter, ce sont leurs desseins qui doivent s’adapter à ces lieux. Et ils n’ont d’autres choix à présent que de l’observer en face.

« Pas de trace, pas d’indice. Il faudra seulement qu’elle disparaisse. Comme si elle n’avait jamais existé », conclut-il avec toute la neutralité de ton qu’il peut, même si ça n’a au final rien de simple. Et qu’il ne sent pas nécessairement l’énergie d’y penser, en réalité. « Si elle est ici… Tu y as forcément songé, n’est-ce pas ? Ils peuvent l’être aussi. Jack, Alana... »

Ils ont été imprudents, ou seul Will l’a été, conquis un instant par le sentiment d’invincibilité que lui conférait la compagnie d’Hannibal. Achille et Patrocle contre le reste du monde.

Pas de réponse de la part de Will quand Hannibal lui assure qu’il s’occupera de lui-même de faire disparaître toute trace de l’existence de Molly. Même s’il a gagné, à force d’expéditions sanguinaires, une certaine forme d’expertise et sait ne négliger aucune trace de son passage, il sait reconnaître qu’Hannibal reste l’expert dans ce domaine, et aussi et surtout, qu’il n’est sans doute pas dans les dispositions idéales pour gérer efficacement cette situation. Une part de lui estime pourtant que ce devrait être de son devoir, qu’il le doit à la femme qu’il a épousée, mais il est encore troublé, trop sans doute pour prendre les meilleures décisions à l’heure actuelle. Il était préparé à l’acte, pas aux conséquences que celles-ci auraient sur lui, physiquement, concrètement, il se sent… fragile, comme s’il devait lutter pour que son soi par trop morcelé ne se décompose d’un coup…

Hannibal lui confirme que lui aussi a songé à l’éventualité de la présence d’autres acteurs de leur passé en ces lieux. Il ne serait pas surpris qu’il y ait songé bien avant lui, d’ailleurs. Ce n’est pas le cas de Will, qui a dû attendre de revoir Molly pour se confronter à cette éventualité déplaisante. A sa sortie d’hôpital psychiatrique, il s’était raccroché à l’idée de la présence d’Hannibal comme à une bouée de sauvetage, la seule susceptible de la maintenir à flots. Il devait être ici, parce qu’ils étaient partis ensemble et qu’il ne se voyait pas revenir sans lui. Mais il ne sait pas, en revanche, donner d’explication convenable et tangible à ce qu’il expérimente à présent.

Trouver du sens à ce qui n’en a pas a été une impérieuse nécessité à laquelle il ne sait plus obéir, et le flegme naturel d’Hannibal ne l’aide pas vraiment à remettre ses idées en place. Il semble apprécier la fatalité de cette possibilité comme s’il s’agissait de trois fois rien, un grain de poussière dont on se débarrasserait d’un mouvement de la main. Chacun d’eux, une étape, mais n’en ont-ils pas franchi assez, des étapes ? Il a le sentiment d’avoir escaladé une montagne qu’il pensait infranchissable, et au moment de se croire au sommet, voilà qu’on lui désigne le vrai sommet, lointain, inaccessible, et chaque nouveau pas dans cette direction est une invitation à glisser, trébucher, faire une chute vertigineuse… revenir à la case départ. Il ne veut surtout pas revenir à la case départ. C’est même la dernière chose qu’il veuille.

Décider de leur devenir n’est pas la question : aucun d’eux ne peut vivre s’ils veulent survivre. Ce constat est simple, certes, mais surtout implacable. Cette vie peut être la nôtre, mais pas parce qu’elle était supposée l’être, parce qu’ils auront décidé qu’elle le sera. Au fond, il ne devrait l’apprécier que d’autant plus. C’était trop simple que de tricher comme il pensait pouvoir le faire, et se convaincre que les circonstances interféreraient toujours en leur faveur. Ce n’est pas un fantasme d’après mort dont il est l’acteur, c’est une vie, bien réelle… qui lui offre donc d’ôter d’autres vies, elles aussi bien réelles, et jamais cette réalité n’a non plus été plus tangible à ses yeux.

La caresse des doigts d’Hannibal sur sa joue est agréable, rassurante, autant que le baiser qu’il dépose sur ses lèvres. Insuffisante néanmoins à lever le sentiment qui l’assaille, et qu’il n’assimilerait pas vraiment à des doutes, ou à de l’inquiétude, c’est autre chose, une émotion qu’il n’avait pas anticipée, et qu’il ne sait par conséquent pas décrire.

« Je ne doute pas », se défend-il doucement, son souffle déposé contre le visage d’Hannibal. Il ne s’écarte pas, ne bouge pas, apprécie leur proximité, qui l’apaise très naturellement. « Pas de ça, pas de nous, encore moins de toi, si c’est ce qui t’inquiète. »

Il ne l’a pas formulé en ces termes, mais Will sait lire entre les lignes, ils se connaissent assez, et depuis bien assez longtemps, pour cela. Hannibal gardera toujours à l’esprit la possibilité qu’il lui échappe… et le comportement de Will n’encourage sans doute pas, il est vrai, à rejeter pour de bon cette éventualité d’un revers de la main. Will l’embrasse en retour, un témoignage puissant, sincère, de l’honnêteté de ce qu’il éprouve, admet éprouver, pour lui.

« Tu es la seule chose que je puisse observer avec… clarté. » En somme, il est sa seule certitude. « Le reste… C’est comme saisir du sable entre ses mains, le voir glisser entre ses doigts, constamment. »

Il y a chez Hannibal une propension à rationnaliser ce qui, aux yeux de Will, ne peut pas l'être, qui tantôt l'agace, tantôt l'apaise. Il n'y aurait rien de nécessaire à ce qu'il s'alarme autant que lui (ou du moins de manière plus visible, car même en ayant vu au-delà du masque, et en était autorisé à voir au-delà des apparences plus souvent que n'importe qui, Hannibal se compose toujours une image bien spécifique, même dans l'intimité), mais ce serait, quelque part, rassurant, car dans cette douce paranoïa qui trop souvent l'assaille, Will a parfois le sentiment d'être bien seul. Et pour autant, il a besoin, oui, de paroles telles que celles qu'il lui assène pour mettre un terme à l'inquiétude qui l'étreint en cet instant, celle d'un inconnu si improbablement vaste qu'il se sent tout proche, trop proche du vide une fois de plus, a le sentiment qu'il pourrait sombrer de nouveau.

Il est vrai, objectivement, qu'il n'est guère de circonstances qui autorisent réellement une prise totale et certaine sur la réalité. Dans leur vie d'avant, il était tout autant question de contrôle et de lâcher prise, et la tâche n'était pas moins ardue. Il semble seulement plus complexe d'apprivoiser un univers qui exige de vous que vous partiez de zéro. Par bien des aspects, c'est à l'évidence un pur avantage, et pourtant... Pourtant, il en est là, à tenter de garder le sable au creux de ses poings et à le voir filer entre ses doigts, encore et encore. Et à force de songer à ce qui lui échappe, il en oublie par moments de songer à ce qu'il possède, cette certitude pourtant si forte, violente, vibrante. Ce sentiment d'absolu, cette conviction d'être soi, parce qu'il est avec Hannibal. Tout le reste lui échappe, mais pas lui, pas sa conscience de lui-même. Et cela, ça n'aurait sans doute été possible nulle part ailleurs. Il peut, il doit, se focaliser là-dessus.

D'une situation complexe, incompréhensible, étourdissante, Hannibal fait un champ infini d'opportunités, colosse imperturbable dans un monde où tout semble pourtant vouloir les écraser. S'il ne veut pas faire de lui son pilier, pourtant si solide, c'est parce qu'il sait ne pas devoir dépendre de lui, mais c'est presque en vain. La dépendance est certaine, inévitable, réelle. Elle parcourt chaque fibre de son être quand il sent son souffle contre le sien, ou quand son regard, qu'il a cessé de fuir depuis bien longtemps, s'amarre au sien au point de ne plus savoir s'en détacher. Il hoche simplement la tête quand Hannibal suggère qu'ils se remettent à l'ouvrage. Assez de ses constants atermoiements, ils ne peuvent effectivement pas s'éterniser. Ils se sont appliqué à faire le moins de bruit possible, et Will est à peu près convaincu qu'ils ne se seront pas fait remarquer, mais ils ne peuvent prendre aucun risque malgré tout.

"Je te laisse t'occuper d'elle. Je vais faire le tour de l'appartement", dit-il simplement, d'une voix aussi neutre que possible.

Il n'attend pas la réponse d'Hannibal pour s'exécuter de son côté. L'appartement n'est pas bien grand, un peu austère, Will y découvre néanmoins quelques objets, comme des reliquats d'une vie passée dont il a peine à croire qu'elle a bel et bien pu être la sienne. Des objets, des éléments de décors qui avaient façonnés sa propre vie à une époque. Rien d'incriminant, néanmoins. Rien qui le concerne directement... Il prend tout de même le temps d'analyser chaque détail, de sorte à ne rien manquait d'éventuellement suspect. De l'avantage d'avoir toujours su dénicher les indices où personne ne le voyait, ce n'est pas un exercice dans lequel il est trop mauvais.

Dans sa chambre, il trouve son téléphone... Trouver son mot de passe n'a rien de difficile pour lui, toujours lui-même... Il prend note des quelques numéros, rares, dans son répertoire, inspecte photographies et conversations... Rien de compromettant, pas un mot sur lui ou sur leur rencontre, c'est rassurant... Quasiment toute son énergie, elle la déployait à trouver son fils... Will espère de tout coeur que Waly n'est pas ici. Si ce doit être le cas, il ne pourra rien pour le protéger. Son inspection faite, il prend place sur le lit, ne bouge plus, dans l'attente, seulement. Quand Hannibal le rejoint, il lève le regard dans sa direction.

"C'est comme si elle avait mis sa vie entre parenthèses. Pour nous. Pendant presque trois ans."

Hannibal ne va pas vouloir entendre ça.

Un instant, il n'y a plus que le silence, et la présence d'Hannibal à ses côtés, qui est venu s'installer à côté de lui, et cela lui convient assez, à vrai dire. Will n'est pas certain de vouloir entendre quoi que ce soit de sa part à l'heure actuelle. Il est bouleversé, il ne peut pas le cacher, encore moins à celui qui, de toutes les manières, le comprend mieux que quiconque et sait lire ce que personne n'était capable de déchiffrer entre les lignes. C'est aussi pour cette raison que les mots ne sont pas véritablement nécessaires. Will n'a pas besoin que l'on exprime pour lui ce qui se trame dans son esprit. S'il accuse la responsabilité de ce qui s'est passé ici, s'il sait que les choses n'auraient pas pu se passer différemment, il n'en est pas moins... torturé.

Finalement, Hannibal reprend la parole. Will sent son regard sur lui, mais ses yeux à lui demeurent fixés sur ses mains jointes sur ses genoux. Il ne parle pas de Molly. Il parle d'eux. De la chute. Dans un premier temps, alors qu'il évoque cette décision qu'il a prise pour eux deux, Will s'attend à tout le moins à des reproches, pourtant les mots que le psychiatre lui adresse sont tout autres. Quand il avait demandé à connaître les raisons de son geste, la réponse de Will avait été abstraite, succincte, sincère, certes, mais elle s'épargnait de poser un regard plus concret sur la situation... Mais Hannibal le fait pour lui. Et pour la première fois, il l'autorise à poser sur cet ultime instant passé ensemble un regard qui lui avait jusqu'alors échappé. C'était la fin idéale pour lui, c'était la fin idéale pour eux deux.

Ce qui signifiait, par conséquent, que survivre à cette fin idéale suggérait de reconsidérer les choses sous un angle complètement, ou en grande partie du moins, différent... L'idéal n'était pas constamment accessible, il s'obtenait de haute lutte. Ils font ici face à tout ce que l'inéluctabilité de la chute leur avait épargné. Il avait si souvent parlé de renaissance en pensant à son arrivée ici, pour la première fois, il admet que le terme était peut-être erronée. Sa renaissance a eu lieu au sommet de cette falaise, quand tous deux faisaient face au dragon rouge, pas après... Naître n'est pas tout, ce n'est qu'une première étape. Celles qui suivent exigent un parcours autrement plus complexe. Celles qui suivent exigent ni plus ni moins que de vivre.

Les paroles d'Hannibal ont valeur de déclaration forte, puissante... Comme si souvent, il a su quels mots prononcer exactement pour apaiser un peu une âme beaucoup trop tourmentée... Au moment où il lui assure que leurs places demeurent inchangées, il daigne enfin plonger son regard dans le sien. Car oui, il a raison. Il a entièrement raison. Et plus que jamais, il ne peut qu'avoir la confirmation de ce qu'il ne sait déjà que trop bien, et depuis plus longtemps qu'il ne veut bien l'admettre : sa place a toujours été à ses côtés. Avec douceur, il lui rend son baiser, laisse un temps son front reposer contre le sien. Lui aussi, l'aime. Si profondément que c'en est souvent douloureux. Il ne le dit pas en cet instant, mais son regard, son baiser, le sourire qu'il étire en disent nettement plus long que tous les discours qu'il pourrait bien formuler.

"Rentrons à la maison", répond-il doucement, son souffle déposé contre le sien.

Il se relève dans un léger soupir, jette un regard circulaire autour de lui, puis quitte finalement la chambre. Alors qu'il traverse l'appartement il le découvre propre, immaculé. Comme si rien, absolument rien ne s'était passé. Presque comme si elle n'avait jamais été là. Il ne demande pas à Hannibal ce qu'il a fait du corps. A la place, il quitte l'appartement dans un silence presque religieux. Tout le trajet, également, il ne dit rien. Une fois à l'intérieur, il s'apaise. Il se sent, bel et bien, chez lui. Les chiens lui font la fête, il les récompense un à un de caresses avant de se diriger prestement vers la cuisine et d'ouvrir d'autorité une bouteille de vin, pour leur en remplir deux verres.

"J'étais sérieux, tout à l'heure, je veux observer une certaine... déontologie, les prochaines fois", observe-t-il doucement en tendant son verre à Hannibal. Il boit une gorgée de son verre. "Tu déteins sur moi. Je sens son odeur partout sur nous." Nouvelle gorgée. "Il va falloir y remédier."