(terminé) [Alana & Will] Old friends, new foes?

Alana aurait sans aucun doute pu éviter de se rendre à l'université ce jour-ci. Elle aurait tout aussi bien pu ignorer que Will Graham devait donner une conférence, ne jamais apprendre qu'il était présent, lui aussi, dans cette ville maudite. Mais c'était sans compter sur l'étrange ironie du sort de cette île. C'était sans compter sur Abigail qui, avant même d'avoir obtenu la confirmation qu'il s'agissait bien de leur Will Graham, s'était assurée de lui souffler cette information à la fin d'une conférence qu'Alana avait donné, elle aussi.

Elle avait songé à rester à l'écart de ces lieux et à prétendre que Will n'était qu'un vague souvenir. Mais, finalement, sa curiosité l'avait emporté sur sa raison. Hormis Abigail et son fils, elle n'avait aucune tête familière pour lui permettre de prendre pied avec cette réalité étonnante qu'elle vivait depuis près de trois ans. Ses retrouvailles avec la jeune femme avaient été... Déplaisantes. Pour des raisons évidentes, ni l'une ni l'autre ne s'accordait la moindre confiance. Et pourtant, Abigail tout comme Alana étaient parvenues à trouver un accord tacite. Elles garderaient leurs interactions sociales au strict minimum, entretenant cette fois-ci non plus une relation de psychiatre à patiente mais de conférencière à étudiante.

Et Alana prétendrait ne pas savoir que le père d'Abigail était bien vivant, dans cette réalité.

La psychiatre n'avait pas poussé le vice jusqu'à s'immiscer dans l'amphithéâtre pendant que Will faisait sa représentation. Elle savait qu'Abigail serait présente, et elle connaissait suffisamment la jeune femme pour savoir que celle-ci voudrait discuter avec celui qui avait été pour elle un père de substitution - en dépit des avertissements et réticences d'Alana.

Elle avait donc patienté, et s'était dirigée près de l'entrée principale de la pièce lorsqu'elle avait vu un autre professeur s'en approcher, ainsi qu'une foule d'étudiants. Abigail sortit en premier. Puis vint Will, qui lui tournait le dos. C'était une vision qui n'était pas si amère qu'elle ne l'aurait pensé.

Elle s'avança pour se tenir à ses côtés, tout juste derrière lui, observant la silhouette d'Abigail qui s'éloignait. Elle prit la parole avec un grand calme :

- C'est une élève brillante. La voie qu'elle s'est choisie n'est sans doute pas la plus appropriée pour elle, mais il n'est plus de mon ressort de la décourager à ce sujet. Si elle persiste dans ces études, elle connaîtra un succès certain.

Elle détacha son regard de la silhouette de la jeune femme qui disparaissait dans un couloir adjacent et reporta son attention totale sur Will.

- Je ne m'attendais pas à ce que tu fréquentes de nouveau un amphithéâtre. Mais ça me fait plaisir de te voir, Will.

C'était une affirmation qu'elle pouvait prononcer avec sincérité, quoiqu'avec sobriété. Elle s'était longuement interrogée sur le sort de son ami. Etaient-ils toujours amis ? Leurs expériences respectives étaient en défaveur de cette hypothèse. Mais les souvenirs d'Alana, la mince nostalgie qu'elle ressentait à retrouver cet homme pour qui elle avait eu des sentiments sincères et nobles, lui faisaient espérer qu'une part de leur amitié avait survécu à leurs actions et à leurs décisions.

Selon la psychiatre, Abigail était non seulement trop intelligente pour son propre bien, mais également trop entourée pour son propre bien. C'était tragique, comme la vie d'une aussi jeune personne pouvait être à ce point composée de tourments. En d'autres temps, Alana se serait battue bec et ongles pour extirper la jeune femme de ce contexte aussi sombre et malsain. Mais ce n'était plus son rôle. Tout comme ce n'était plus son rôle de se préoccuper de l'état d'esprit de Will Graham, même si la découverte de sa survie était pour elle une nouvelle plaisante.

- Abigail est une survivante. Ses traumas émotionnels, de choc et de développement ont provoqué chez elle un goût prononcé pour le secret. C'est ainsi qu'elle compte survivre. Elle se méfie de tout le monde, y compris des quelques amis qu'elle s'est fait ici. Il lui faudra du temps avant de t'accorder de nouveau sa confiance.

Ce qui, selon elle, était pour le mieux. Alana avait toujours redouté les conséquences de l'instabilité mentale de Will pour son entourage. Malgré sa relation complexe avec Abigail, ce qu'il lui restait d'égard pour l'espèce humaine et pour celle qui fut un jour placée entre ses mains ne pouvait que souhaiter à la jeune femme de maintenir cet instinct de préservation qui la caractérisait.

Le constat exprimé à voix haute de Will fit naître un rictus sur les lèvres peintes de pourpre d'Alana. Elle accusa la réflexion, s'apercevant avec un certain soulagement qu'elle n'en fut pas vexée. Au contraire, elle était étrangement détendue. Mais bien évidemment, un tel constat amenait son lot d'interrogations, qu'elle résuma d'une voix doucereuse :

- Je suppose que tu n'es pas venu seul ici.

D'abord Abigail, puis Margot, et enfin Will. Il ne manquait qu'Hannibal pour compléter les découvertes qu'elle faisait régulièrement sur cette ville qui, par de multiples aspects, ne semblait pas désireuse d'entretenir la sérénité de ses habitants.

Son regard inquisiteur continuait d'observer le visage de son ancien ami avec attention. Il semblait plus... Dur. Ce qui, là encore, n'était pas une surprise. Elle l'avait aperçu, jour après jour, année après année, devenir de plus en plus froid et austère. Elle avait, par le passé, pensé que Will devait être protégé. Mais depuis, elle avait compris qu'il ne souhaitait pas être sauvé. Elle suspectait que l'esprit de Will soit désormais plus sombre et glacial encore que le sien.

De cette même voix qui frôlait la calme froideur, elle reprit :

- Comment se porte Molly ?

La réponse froide de Will lui fit subtilement hausser les sourcils. Elle continuait de le détailler du regard, guettant la moindre expression qui révélerait ces pensées qu'il voulait rendre inaccessibles. Molly était morte. C'était une réponse simple, brève mais incroyablement éloquente. En cet instant, Alana eut la confirmation que son intuition était juste. Will avait accepté la noirceur qui sommeillait par le passé en lui. Qu'il la désigne comme morte parce qu'il l'avait lui-même tuée, parce qu'il ne l'avait pas retrouvée ou parce qu'elle était morte dans des circonstances naturelles, cela lui importait peu. C'était la manière dont il réagissait à cette information qui l'intéressait. Et l'observation d'Alana lui indiqua que, justement, Will ne voulait pas y penser. Il ne voulait pas s'y attarder. Et ce n'était pas par pudeur quant au fait que cette femme ait partagé des années de vie avec lui, non. C'était... Autre chose. De la culpabilité, peut-être.

Visage légèrement penché, la brune continua de l'observer avec attention. Elle esquissa cependant un sourire après qu'il l'ait, à son tour, interrogée.

- Elle est vivante, répondit-elle avec plus de douceur qu'il n'en avait mis dans sa propre réponse.

Si elle avait trouvé chez Will le moindre signe de celui qu'il avait été, autrefois, elle aurait développé. Mais, en cet instant, elle eut le sentiment que ce serait non seulement inutile mais également mal reçu. Alors, elle conserva le silence, le temps de penser au cas de son épouse. En effet, elle était vivante. Mais, au-delà de la froideur de Will, il y avait une autre raison pour laquelle Alana restait mystérieuse quant au bien-être de Margot. Elle n'en avait, elle-même, aucune idée. Elle savait qu'elle était en ville, l'avait aperçue, et repoussait l'instant où elle apprendrait avec certitude qu'elle vivait de nouveau sous le même toit que son frère.

De son fils, elle n'en parlerait pas spontanément. Tout comme elle ne comptait pas l'interroger sur l'enfant de Molly. Ces êtres-là étaient trop jeunes, trop innocents à ces yeux pour entrer dans ces jeux de pouvoir malsains. De plus, elle se souvenait de la menace d'Hannibal à propos de Morgan. Evoquer ce dernier auprès de Will, c'était le mettre en danger. Le constat douloureux qu'il n'y avait plus le moindre espoir de pouvoir faire de nouveau confiance à Will un jour s'imposa à son esprit, et lui provoqua un pincement au coeur. Par nostalgie, sans doute, elle imagina l'allure qu'auraient eu ces retrouvailles si, comme par le passé, ils étaient restés amis. Son imagination lui donna quelques bribes d'idées et d'image, mais elle les étouffa rapidement et masqua son trouble derrière un nouveau sourire dénué de chaleur.

Ceci étant, elle restait curieuse au sujet de son interlocuteur. Alors, plutôt que de relancer les hostilités, elle choisit un terrain légèrement plus neutre pour approfondir leur conversation :

- Quel métier t'es-tu infligé, ici ?

Quelque part, elle lui fut reconnaissante de ne pas s'embarrasser de réponse après qu'elle lui ait appris que Margot était vivante. Elle aurait pu s'étendre sur le manque profond qu'elle ressentait au sujet de son épouse durant des heures. Mais pas avec lui. Pas après tout ce qui s'était passé.

A son tour, elle hocha la tête suite à la confirmation qu'il consentit à lui donner.

- Je la devine. Mais elle me surprend. Même si je suppose que la pression est moins forte dans cette structure qu'au sein du FBI... Et que c'est une position de choix, pour vous.

Une ébauche de sourire amusé souleva les lèvres peintes de rouge sombre d'Alana. Sous-entendait-elle la corruption dont elle l'estimait capable ? Possiblement.

- Je ne suis ici que quelques heures par semaine. Je passe le plus clair de mon temps au sein de mon cabinet de consultation.

Elle haussa légèrement les épaules.

- Ce n'était pas quelque chose qui m'attirait avant. Mais ici, c'est plutôt... Reposant.

Elle avait délaissé la gestion, trop fastidieuse, d'une institution telle que celle où Hannibal avait été retenu. La seule raison pour laquelle elle avait accepté un tel poste, en ce temps, était cruelle et mesquine : celle d'avoir les pleins pouvoirs sur les conditions de détention du tueur en série. Mais ici, ses ambitions étaient autres. L'on revoyait ses priorités plus facilement lorsque le manque des siens se faisait sentir.

Oui, il y avait un sentiment de familiarité à l'ensemble de cette situation. A l'ensemble des retrouvailles qui s'opéraient peu à peu. Mais il manquait des éléments essentiels à ce que la situation soit réellement semblable à celle qu'ils avaient pu connaître autrefois. Et l'élément principal, Will ne tarda pas à le mentionner : Jack.

Elle ne se soucia pas de faire semblant d'obtenir des informations qu'il n'en avait pas. En ce qui concernait cet homme, elle était plongée dans le flou le plus total. Ce qui, elle devait le reconnaître, l'arrangeait bien. Elle n'avait plus la volonté nécessaire à lutter pour que l'éthique et la morale, à ce que la justice au sens de la loi l'emportent. Elle n'était pas certaine du fait que Jack ait compris un tel changement de caractère, y compris par le passé.

- Aucune.

La brune expira un soupir silencieux. Puis elle ajouta, d'une voix plus basse :

- Je crois que c'est mieux ainsi. La situation serait bien plus complexe s'il était parmi nous. C'est un obstiné.

Il ne pourrait s'empêcher de vouloir lutter contre le crime et, plus particulièrement, contre les crimes à venir. Il était sans doute, d'entre eux tous, le moins lâche.

L'observation de Will, juste, la fit acquiescer. Aucun des esprits qu'elle ne recevait en consultation n'était apaisé. Mais aucun n'était si effroyable que ceux qu'elle avait eu l'occasion de côtoyer dans son ancienne vie.

- Ils le sont davantage que ceux que j'ai connus auparavant, répliqua-t-elle donc doucereusement.

Dans cette affirmation, elle incluait l'esprit de Will. L'esprit d'Hannibal, de loin le plus incompréhensible pour elle. Celui des autres criminels qu'elle avait dû analyser pour aider le FBI. Celui d'Abigail, également. La jeune femme avait été un véritable cas de traumatisme et de psychopathie naissante. Mais tous ces esprits ne relevaient plus de sa responsabilité, désormais. Alana avait évolué, comme Will le lui avait suggéré par le passé. Si elle se souciait toujours d'aider ses patients, elle n'accordait son aide et son attention qu'aux esprits qu'elle jugeait être méritants d'une telle implication.

Les doutes de Will au sujet de la présence de Jack étaient compréhensibles. Si Jack était bel et bien présent en ville, le profileur avait tout à redouter. Pour lui-même, pour celui qui partageait sa vie. Son raisonnement était d'une logique indéniable.  

- C'est possible.

Quoiqu'il en soit, elle ne s'en inquiéterait pas tant qu'elle n'en aurait pas la confirmation. Pour sa part, si Jack était présent, cela lui ferait une source d'espoir en plus dans son ambition de libérer Margot des griffes de son frère et de se protéger de la promesse d'Hannibal. Se protéger, et protéger son fils et sa femme.

- Cet endroit change les gens, Will. Parfois drastiquement.

Elle pensa à Margot et à ses souvenirs absents. Aux patients qui lui confiaient leur confusion après s'être éveillés dans un corps qui n'était pas le leur, avec un visage qui ne leur ressemblait pas. Comme s'ils avaient emprunté le corps d'autrui. A ses autres patients qui, de même, se retrouvaient confrontés à des fantômes du passé. Tout comme Margot se retrouvait dans l'obligation de vivre aux côtés de son frère.

Ayant tous ces cas en tête, Alana poursuivit ses observations :

- Amnésie totale ou partielle, transformations physiques et disparus revenus d'entre les morts... Tout porte à croire que Jack se trouve ici, en effet. Mais dans quel état ?

C'était préférable, en effet. Etait-ce envisageable, en revanche ? Rien n'était moins sûr. Mais il y avait suffisamment à faire avec les présents pour se préoccuper des absents. Les probabilités étaient fortes pour supposer que Jack se trouvait bien parmi eux, quelque part. Quant à savoir s'il projetait de causer leur perte à tous... C'était une possibilité. Mais pour sa part, elle s'estimait être capable de lui faire face. Jack était un homme raisonnable et droit. Parfois trop droit, mais il savait écouter. Ils avaient tous commis des atrocités, il n'en était pas exempt, même s'il était sans doute concerné à un degré moins extrême que les autres.

Une chose était certaine, Will n'avait pas changé en ceci : il continuait de se soucier d'Abigail tel un véritable père. C'était relativement rassurant. Mais c'était touchant. Sous ses airs de froideur et de distance, Will restait capable d'éprouver des sentiments forts pour cette jeune femme. Il n'était pas totalement aseptisé par l'influence d'Hannibal.

- Tu ne pourras pas la préserver, Will. Du sang devra être versé, quelle que soit la tournure que prendront les événements à venir. Abigail, comme nous tous, n'en a pas fini d'observer et de participer à des horreurs.

Et sur cette observation tragique, Alana prit conscience que le temps des retrouvailles approchait de la fin. Revoir Will dans ce contexte ne la laissait pas totalement indifférente. Mais l'amitié qui les liait autrefois était comme étouffée par les ans et les choix personnels de l'un et l'autre. Elle éprouvait toujours une certaine affection pour lui. Elle souhaitait toujours son bonheur. Mais de ce dernier, elle ne pouvait désormais plus qu'être une observatrice extérieure et attentive, et non y prendre part activement.

Ce fond d'affection qu'elle ressentait toujours modula sa voix et la rendit plus douce au moment pour elle de le saluer :

- Prends soin de toi, Will.

C'était tout ce qu'elle pouvait lui souhaiter.

Elle se tourna et lui tourna le dos pour partir en suivant la direction opposée à celle qu'avait prise Abigail et vers laquelle Will s'était aussi dirigé avant de se faire aborder par Alana.