(Terminé) In the lion's den [Hannibal]

In the lion's den

feat. Hannibal

L’éternelle histoire du chasseur pris en chasse, proverbiale et moralisatrice… On récolte ce que l’on sème. Mais si les représailles sont l’usage et étaient sans doute inévitables, ce n’est certainement pas pour autant qu’il faut espérer qu’elles soient acceptées avec quelque docilité que ce soit… Combien ont-ils été, à vouloir mettre fin à leurs jours ? Combien ont été à deux doigts d’y parvenir ? Trop nombreux pour en garder trace, sans même faire référence à toutes ces fois où c’est un sort qu’ils ont voulu s’adresser l’un à l’autre. Mais ils n’accepteront jamais l’un et l’autre que de périr de la main l’un de l’autre, simultanément, comme ça a été le cas par le passé. Cette promesse, tacite, jamais formulée certes, mais maintes fois formulée de façon détournée est la certitude qui ne lui fait pas redouter plus que nécessaire l’imminente altercation. Ils en ressortiront triomphants, comme ils ont toujours su le faire. Mais peut-être pas sans heurts.

Comme deux monstres à l’affût, ils sont dans l’attente, silencieuse, du coup qui ne tardera pas à frapper. Si leurs renseignements sont exacts, le tueur engagé pour les attaquer devrait sévir cette nuit. Il se peut aussi que leur source, pour une raison ou une autre, cherche à les induire en erreur. C’est un risque. Que leur dernière cible se soit révélée être le membre d’une organisation criminelle dangereuse ne faisait partie d’aucune sorte de plan… mais Will, pour avoir, depuis les avertissements d’Eve, s’être renseigné au sujet des Douze et de leurs méthodes, ne s’inquiète pas véritablement de la menace que ce tueur représentera et de leur aptitude à le pourfendre… Excès de confiance.

Il en faut pour chacune de ces nuits faites d’attente, celle du sang qui coulera tôt ou tard. L’instinct de survie fait des merveilles, Will a d’ores et déjà eu l’occasion de s’en rendre compte par le passé, et en l’occurrence, ils ne sont pas pris au dépourvu. Ils ne savent pas être attendus, mais ils le sont. Dans une certaine mesure.

Dans le silence plus calme qu’oppressant, un bruit, à peine un craquement se fait entendre. Les chiens l’entendent, leur oreille dressée donne l’indice d’une intrusion dans la demeure en apparence inoccupée, de laquelle ne perce aucune lumière tandis que le duo criminel patiente dans la plus totale obscurité. Il sera bientôt temps de frapper. Will serre fermement le manche de son couteau affuté… Utiliser son arme de fonction aurait sans doute été plus rapide et plus efficace, Will la garde à sa ceinture en dernier recours. Il n’estimerait pas ce châtiment à la hauteur de la prétention de leur intrus. La sensation est familière autant qu’exaltante.

Les battements du cœur s’accélèrent de plus en plus, son souffle se fait plus court. C’est de l’intuition pure, celle à laquelle s’éveille sa nature la plus monstrueuse, qui dictera chacun de ses gestes et chacune de ses actions dans les minutes à venir. Will n’est pas seulement prêt, il est surtout impatient. Et incessamment sous peu, cette impatience sera récompensée de la plus satisfaisante des manières. La porte s’ouvre en grand, l’homme referme derrière lui ce qu’il n’imagine pas être un piège mortel. Ça commence.

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feat. Hannibal

Ils n’ont besoin que d’un regard, une connivence de longue date acquise, une connivence qu’ils n’avaient guère eu besoin d’entretenir ou de véritablement créer ou cultiver : quelque chose qui avait fait partie d’eux dès l’instant, peut-être, de leur première rencontre, parce qu’observer l’un revient à quelque chose d’assez similaire au fait de se regarder dans un miroir, dont le reflet vous renverrait une vision qui, dans un premier temps, vous semblerait biaisée, peut-être, mais parce qu’elle exige de vous de vous regarder au-delà de vous-même, de contempler l’abysse, avec la tentation constante de s’y noyer…

Ils ont toujours su être radicalement similaires en dépit de leur différence, et ce qui les a rapprochés en premier lieu a très certainement été cela, cette capacité à laquelle aucun autre ne savait prétendre : une forme de compréhension mutuelle qui devrait dépasser l’entendement et se révèle en même temps être la chose la plus limpide qui ait jamais été. Alors oui, la parole n’est pas tant nécessaire. Ils savent, leurs esprits communiquent en silence et peaufine un plan cruel et sanglant, qui trouvera naturellement son accomplissement dans le dernier souffle que poussera son dernier soupir sous peu.

L’homme envoyé à leur traque est une véritable force de la nature : une armoire à glace fort d’une musculature abondante, qui serait sans doute capable de les envoyer d’un geste, l’un et l’autre dans le décor, mais ils savent, et surtout, ils sont loin d’en être encore à leur première cible. Le souvenir de l’assassinat du Grand Dragon rouge a laissé dans leurs esprits respectifs une empreinte indélébile, et que rien au monde ne serait susceptible de remplacer, voire même de dépasser, mais combien de vies ont-ils ôtées depuis ! Depuis l’instant de leurs retrouvailles, le moment de sa renaissance

Nombreuses et toujours exaltantes, Will les appréhende toujours avec, au cœur, la même émotion, de celles que nul ne se sera sans doute jamais hasardé à exprimer en mots, et qu’il ne voudrait pas, d’ailleurs, savoir exprimer en des termes trop concrets, au risque de le normaliser et de lui en faire perdre toute la saveur. Exit les long monologues intérieurs qui précèdent ou succèdent bien souvent à ce genre d’instants. A ce moment précis, une seule chose l’intéresse et le concerne. Il n’est plus réflexions et tergiversations. Il est pur instinct. Et il ne se sent réellement jamais aussi vivant que quand cet instinct-là prend le dessus sur toute forme de raison, l’enveloppant d’un sentiment de puissance qui va grandissant quand la prise sur sa victime se fait plus ferme et qu’il la sait à sa merci.

Hannibal attaque le premier, tandis qu’il plante son couteau dans le flanc de sa victime, Will profite que l’attention de leur victime, qui n’endossera pas longtemps le rôle d’agresseur, ait son attention attirée par son partenaire pour venir le contourner et saisir ses bras avec toute la force dont il est capable, afin de laisser plus de liberté d’action à Hannibal. Mais cet homme n’a clairement pas dit son dernier mot. Alors qu’il déstabilise Hannibal d’un coup au genou, il enchaîne en se libérant de la prise exercée par Will avec une facilité déconcertante. L’instant d’après, ses doigts se referment autour de la gorge du profiler, indifférent aux tentatives forcenées de ce dernier pour lui faire lâcher prise.

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L’exaltation prend le pas sur la peur, ce quelque chose de rationnel qui devrait vous inquiéter pour votre propre vie. Oh, il est bien conscient qu’il suffirait d’une erreur, d’un geste malencontreux, pour que tout s’arrête, mais loin de le plonger dans ces tourments angoissants qu’il sait si aisément atteindre en d’autre circonstances, Will en éprouve une forme remarquable et accentuée de puissance. Dans une épreuve telle que celle-ci, qui exige que vous luttiez avec violence pour votre survie, les instincts les plus bas transcendent absolument tout le reste. Il n’y a pas de place pour l’hésitation ou la demi-mesure, la seule chose qui doit, nécessairement dominer, et cette part plus intuitive. Le monstre, pourrait-on dire, celui que l’on enferme temporairement dans des cadres structurés socialement, mais qui vient constamment gratter aux parois de sa cage inconsciente pour réclamer toujours plus de sang. Et bien sûr, il est important qu’il obtienne satisfaction.

C’est cette emprise du monstre sur sa conscience et sur tout ce qu’il peut autrement posséder de conscience et de moralité qui lui fait considérer la menace avec sérieux certes, mais sans appréhension réelle quand l’armoire à glace referme ses doigts autour de sa gorge. Pourtant, il peut sentir cette pression violente contre sa trachée, le puissant et terrible sentiment de ne plus être capable de respirer, mais il reste serein, il l’est parce qu’il est en chasse, et qu’il ne chasse pas seule… Et si Hannibal est affaibli, il ne l’est certainement pas assez pour ne pas intervenir.

Hannibal a fondu sur lui avec la violente assurance qu’il ne lui connaît que trop bien pour l’avoir déjà vu s’exprimer, en des occasions qu’il a toujours trouvées fascinantes, envoutantes. Cette fois ne fait pas le moins du monde exception. Occupé à reprendre son souffle, alors que sa gorge est enfin libérée, il n’a le temps que de voir ce morceau de chair rebondir au sol, et une part étonnamment rationnelle de lui-même se sent soulagée que les chiens soient séparés de la scène par une barrière qui doit les empêcher naturellement de se précipiter sur ce morceau de choix. Le colosse se défend, arrache le couteau des mains d’Hannibal et le plante dans sa jambe. Will ne ressent aucune peur pour lui-même, non… En revanche, cette peur qu’il oublie de se faire pour sa propre vie, il ne la néglige pas un seul instant quand il est question d’Hannibal, au contraire, cette émotion, une douleur presque aussi vive que si c’était la chair de son propre mollet que l’on avait tranchée, l’invite tout naturellement à riposter sans plus se soucier de sa propres douleur et de son souffle encore court.

Il n’est plus question de jouer plus longuement avec celui qui, nécessairement, devait mourir, puisque tel était leur dessein, son propre couteau profite que l’armoire à glace lui fasse dos pour lacérer la chair de son dos, tout au long de sa colonne vertébrale, lui arrachant un hurlement de douleur qui, aussitôt, fait réagir les chiens. L’homme s’effondre au sol, et s’il tente de se débattre contre une mort imminente, agité qu’il est de terribles spasmes, ça ne dure pas : il ne peut tout simplement pas lutter contre le sort qui l’attend.

Sans plus d’attention à l’adresse de leur victime qui, dans cette position, n’a plus grand-chose d’intimidante, Will jette son arme au sol et se précipite en direction d’Hannibal, contemple l’étendue de sa blessure.

« Ça va aller… »

Est-ce que c’est une question ou une affirmation ? Will lui-même serait bien en mal de le dire.

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La vue du sang, autrefois, le paralysait presque, comme anesthésié, figé par quelque chose qui tantôt ressemblait à de l’horreur, mais plus souvent avait trait à de la fascination pure et simple. Dorénavant, sa symbolique est tout autre, quelque part plus contrastée, et en un sens pourtant plus concrète… Tout dépend de comment le sang est versé. Le sang de qui est par qui… Le ton employé par Hannibal a beau être apaisant, sa voix, elle, est faible, et Will ne sait prétendre ne pas reconnaître ces inflexions, intonations presque brisées, il reconnaît autant la force et la ténacité qu’il aperçoit la faiblesse que dissimulent ses réactions. Peut-être est-ce, en effet, moins impressionnant qu’il n’y paraît, mais rien ne saurait couper court sur le moment à l’inquiétude qui l’étreint. S’il garde la tête sur les épaules, c’est uniquement parce qu’il sait qu’il doit dorénavant rassembler ses esprits au service des directives qu’Hannibal lui donne.

Il guide Hannibal jusqu’au fauteuil le plus proche et disparaît le temps de se rendre dans la salle de bains afin d’y récupérer tout le nécessaire… Loin d’avoir les compétences autant médicales que chirurgicales d’Hannibal, il a bien dû apprendre quelques rudiments en la matière, devenus indispensables à mesure que leurs desseins sont devenus toujours plus dangereux… une escalade constante qui ne pourra sans doute que les mener à l’inévitable déclin… La chute après la chute. Will y pense souvent. En toute objectivité, il sait qu’ils ne sauront tenir ce rythme bien longtemps, encore moins alors que les fantômes de leur passé se bousculent un à un à leur porte. Et pourtant, il continue, avec ce qui ressemble toujours de plus en plus a de l’imprudence, il ne peut tout simplement pas s’en empêcher.

Will adresse au miroir du meuble à pharmacie un regard qu’il veut confiant tandis qu’il s’efforce de reprendre le contrôle d’un corps bien trop tremblant, soumis autant à l’exaltation d’une vie récemment prise qu’à l’angoisse persistante de cette vie, la vie de son autre, qu’il redoute trop constamment de perdre. Aucune tergiversation possible – c’est bien là l’unique avantage que confère l’urgence : pas le temps de penser, de réfléchir davantage : il faut agir. De retour auprès d’Hannibal, il écoute ses directives le plus consciencieusement possible, nettoie la plaie, se concentre intensément tandis que l’aiguille traverse la chair de part en part, coud une suture de fortune qui, il l’espère, tiendra sur la durée et suffira à guérir sa jambe convenablement. Une légère esquisse de sourire étire ses lèvres au moment d’entendre les paroles d’Hannibal, tandis qu’il lève son regard vers lui.

« Pas assez rapide », le corrige-t-il. Mais le compliment a été entendu. Chaque mot, précieusement retenu. Sans doute, oui, ne s’en serait-il pas tiré du tout, en vérité, s’il n’avait été là… Jusqu’au jour où sa présence ne suffira tout simplement pas. Il ne peut pas l’ignorer, il ne peut prétendre ne pas en avoir conscience ni faire abstraction d’un constat qui est pour lui une véritable source d’inquiétude. « C’est le mieux que je puisse faire », fait-il en considérant son œuvre, hésitant avant de se redresser, pour venir se positionner devant Hannibal, enrouler ses bras autour de son cou et déposer son front contre le sien, ressentant plus que jamais un pressant besoin de contact. Il instant, il ne dit rien, se contente de profiter de leur proximité, de ce moment d’apaisement, de calme, après l’évidente tempête, sans vouloir se soucier encore d’un corps dont il faut se débarrasser. « Je me sens comme au-dessus du vide », souffle-t-il tout contre son visage. « Je ne veux pas basculer cette fois. »

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Simple esquisse de sourire, ces maximes qui pourraient sembler dénuées de sens prennent toujours une signification profonde quand Hannibal les prononce. Mieux que quiconque, il sait atteindre son âme, son cœur, son être tout entier. En sa présence, il le sent vibrer d’une manière différente, comme s’il s’harmonisait au sien, et c’est une sensation qu’il ne saurait comparer à aucune autre : elle lui donne le sentiment, même dans ces moment de pure inquiétude, ou l’angoisse se confond aux expectatives, de pouvoir exister en tant que lui-même, et même suspendu sur un fil au-dessus d’un gouffre sans fond, il se sent plus vivant que jamais. Non, en réalité, peu importe les circonstances, il se sent toujours plus fort, plus vivant, car quelque chose se meut en lui que rien ne sait autrement expliquer ni justifier, quelque chose qui fait partie d’eux et qui les rend, à tant de titres, uniques. La proximité du vide est un rappel constant de demeurer amarré à son point d’ancrage, comme la mort est un rappel constant du fait d’être en vie. C’est une chose qu’il a comprise, cernée dans toute sa force, au moment de découvrir le vrai visage d’Hannibal, au moment d’embrasser sa manière de penser et de décider de ne jamais s’en détourner, sous aucun prétexte, jamais.

Ces mots trouvent une résonnance apaisante en lui, même s’il n’ignore pas totalement ce qu’ils prennent le plus grand soin d’occulter, en vérité. Ils ne sont pas au bord du gouffre. La longue descente a commencé au sommet de cette falaise, au-dessus de l’Atlantique, sous une lune rouge, au milieu d’un sang ébène, sous le regard vitreux d’un dragon rouge au souffle pour de bon éliminé. Rien au monde ne peut leur permettre de revenir en arrière à présent. La chute, inexorable, est en cours. Ils ne peuvent pas agir ainsi qu’ils le font et demeurer impunis éternellement. La beauté même de ce qu’ils accomplissent réside dans le fait qu’elle est éphémère. C’est une pensée exaltante autant qu’angoissante, mais c’est surtout un fait bien réel, auquel il leur est impossible de réchapper. Ce qui est est, et ils doivent en prendre leur parti. Seulement, l’illusion d’avoir le temps, tout le temps, la pensée qu’ils puissent vivre éternellement, offre à son cœur et à son esprit une émotion si vive, si proche de la facilité, qu’il retardera toujours l’inévitable échéance. Il n’a pas encore tout vécu, il y a tant de choses qu’il veut faire encore. Ça ne peut pas s’arrêter ici et maintenant. Il a besoin de croire qu’ils ont encore du temps, et même qu’ils ont tout temps du monde. A ses yeux, dans son cœur, c’est une chose indispensable, ô combien nécessaire, et par tant d’aspects.

Il nourrit ses illusions à même les lèvres d’Hannibal, qu’il embrasse avec fougue, auxquelles il s’accroche comme si elles étaient dorénavant son seul point d’attache à la réalité. Peut-être parce que, par bien des aspects, il a le sentiment que c’est effectivement le cas, et il ne peut pas, il ne veut pas revenir de cela.

« Tu n’as pas le choix », répond Will, entre deux baisers. « Je ne te laisserai jamais m’abandonner. »

Ils ont trop subi, trop vécu, pour qu’il ne tolère l’idée seulement qu’il l’abandonne, à présent. Il a besoin de lui dans sa vie, quoi qu’il advienne et peu importe les circonstances, c’est plus important à ses yeux, et il ne veut pas donner à cette situation l’occasion de prendre fin, à moins de fixer les termes de cette dégringolade anticipée.

« Je sais que ça va s’arrêter, je sais qu’on ne peut pas continuer… comme ça mais… je n’arrive pas à m’en empêcher… », ajoute-t-il en laissant ses doigts glisser le long de son gilet, dont il s’applique à détacher les boutons un à un. « Et tu me laisses faire… »

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feat. Hannibal

La pensée des paroles prononcées avec douceur par Hannibal, une douceur qu’il n’adresse qu’à lui, d’une subtilité qui tient à la sincérité de ses propos, quand il se complaît dans de faux semblants avec presque tous les autres, est une pensée aussi agréable que n’est délicate la manière dont il l’insinue dans l’esprit de Will, tout en caressant ses joues du bout des doigts. Est-ce pour autant qu’il doit y croire. Le mensonge n’est plus admis, c’est la règle, leur règle, ni directement, ni par omission, surtout par omission. Est-ce pour autant qu’Hannibal respecte toujours cette règle ou qu’il ne la déforme pas dans son propre intérêt ? Difficile à dire, en réalité.

Cependant, il décide de ne pas remettre son propos en question et d’en apprécier les implications et la portée, ce qu’Hannibal lui apprend, lui affirme à mi-voix. Ce sentiment de chute constante, qui tôt ou tard aboutira à l’abysse où ils se précipitent presque à corps perdu a quelque chose d’enivrant, mais ce que la chose a d’exaltante est aussi ce qu’elle a de dangereuse : tout pourrait s’arrêter à tout moment. Peut-être que s’il n’était question que d’eux, d’eux et de personne d’autre comme il l’avait cru au moment de leurs retrouvailles, Will appréhenderait la chose d’une autre manière, mais il est retenu à la surface par tout ce qui mérite qu’il s’y accroche… Et il ne peut pas faire fi de ce constat qui rend la perspective de la chute soudainement plus angoissante. Le vertige de la chute vaut plus que son douloureux dénouement, c’est la pure et stricte vérité.

Était-ce ce que Will avait pensé au moment de les précipiter l’un et l’autre dans le vide ? Probablement que oui, ou bien n’avait-il pensé à rien. Ce qu’il sait, c’est qu’il retardera ce dénouement, cette échéance autant qu’il le pourra, car pour l’air, il ne se voit pas la souffrir. Elle lui paraît bien trop insurmontable, bien trop insupportable. Will ne dit rien jusqu’à entendre quelques mots supplémentaires qui le désarçonnes. Y mettre un terme dès maintenant ? Changer de vie ?

« C’est trop tard », commente tout d’abord Will d’un ton qui se veut définitif mais qui ressemble davantage à une affirmation qu’à une excuse.

En réalité, il sait qu’il a tort d’affirmer à cela. Y mettre un terme dès maintenant, c’est mettre un terme à bien plus qu’à l’éventualité d’être condamnés, arrêtés, ou pire… Il peut affirmer que c’est trop tard, qu’ils sont allés trop loin quoi qu’il en soit, et se réfugier derrière cette excuse ce qu’il y a de plus confortable, mais ce n’en serait pas moins une excuse pour autant. Et surtout, surtout…

« Ce n’est pas ce que je désire », reprend-il avec lus de conviction avant de déposer doucement ses lèvres sur celles d’Hannibal. « Tu aurais vraiment été capable de le faire ? Pour moi ? Changer de vie ? Changer… ta nature ? »

Peut-il croire qu’il serait capable de consentir à un tel sacrifice de sa nature pour… lui ? Et lui-même, d’ailleurs, serait-il vraiment capable de consentir au sacrifice de sa propre nature, celle qu’Hannibal a si bien su révéler en lui. La réponse est au fond évidente.

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feat. Hannibal

Chaque parole paraître trop enjôleuse, trop emphatique pour être prise au sérieux, pourtant Will, qui connaît Hannibal mieux que personne, sait qu’il pense chacun des mots qu’il prononce en cet instant. Il n’oublie pas de quelle duplicité son autre peut être capable, mais de même qu’il sait quelle peut être l’ampleur de ses mensonges, il a conscience de l’étendue de sa sincérité quand il est question, dorénavant, d’exprimer les sentiments qu’il éprouve à son égard. A ce sujet d’ailleurs, dans la plus pure intimité et avec une franchise pour le moins désarmante, il est capable de bien moins de pudeur que n’en affiche Will, pour qui chaque « Je t’aime » est un effort arraché à son absence d’habitude, lui qui n’avait pour ainsi dire jamais prononcé ces mots avant qu’Hannibal ne fasse immersion dans sa vie et les en extirpe avec une facilité déconcertante. A Molly, certes, il a pu dire qu’il l’aimait, mais la superficialité de telles déclaration le frappe toujours de plein fouet quand il doit faire face aux émotions qu’Hannibal lui inspire, et à ce qu’il éprouve quand c’est de ses lèvres que ces trois mots s’échappent.

Elle sait donc que ces paroles sont dites, oui, mais qu’elles sont pensées, surtout. Quand il affirme qu’il n’y a rien au monde qu’il ne serait capable de faire pour lui, ce ne sont pas que des mots : ceux-ci sont révélateurs, aussi, d’une remarquable vérité, qui donne à Will ce sentiment d’importance qu’Hannibal seul est capable de lui communiquer. Au regard d’Hannibal, Will se sent nécessaire, important, il se sent tenir un rôle d’exception dans le grand ordre de l’univers, opinion biaisée par le fait, bien sûr, que dans ces instants-là, l’univers de Will Graham ne se réduit plus qu’à Hannibal Lecter, lui et lui seul, et tout le reste disparaît presque aussitôt, comme si tout le reste, à la vérité, n’avait tout bonnement jamais existé, et cesserait d’exister en même temps que lui, et donc en même temps qu’eux.

Il ne veut pas qu’ils changent, il ne veut pas que quoi que ce soit change, mais l’idée que ce puisse être le cas, parce qu’il l’aura décidé, parce que c’est une ultime concession qu’Hannibal est prêt à faire pour lui au mépris de ses propres considérations, ça a une importance remarquable, et qui transcende absolument tout le reste au point de le réduire au point que tout le reste devienne immédiatement ce qu’il y a de plus accessoire. Il ne veut pas de cela, mais il veut l’assurance de ce qui ne doit surtout pas être.

« J’en suis de plus en plus certain », reconnaît doucement Will, sans aucune forme d’ironie. Il ne veut pas s’amuser à mettre à l’épreuve les limites potentielles de l’homme qu’il aime et qui partage sa vie, mais il y a quelque chose de satisfaisant dans le fait d’en obtenir constamment la confirmation. « Je t’aime aussi », souffle-t-il si bas contre ses lèvres que ces confidences ne pourraient jamais être recueillies que par lui seul. « Comment est-ce que tu te sens ? Est-ce que tu penses que tu serais capable de tolérer… »

Son front reste collé au sien tandis que ses mains glissent doucement, sensuellement, depuis ses épaules jusqu’à son torse, puis entre ses jambes.

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feat. Hannibal

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