Quand Mutt l’exhorte à courir et fait lui-même quelques pas, Klaus ne l’entend pas vraiment, ni ne le voit. Il est paralysé, figé, assailli par un flot d’images traumatiques qui cimentent ses pieds au sol et empêchent le moindre mouvement de sa part. Il n’a plus conscience d’où il est ni de ce qui se passe. Il n’y a eu que les coups de feu, l’assaut ennemi, et un souvenir pour venir se transposer à une réalité qu’il ne sait pas accepter dans sa stricte réalité.

Ce n’est qu’au moment où Mutt lui balance une claque en plein visage que Klaus reprend subitement conscience de ce qui se passe et d’où il se trouve. Ses yeux s’écarquillent et passent de Mutt à Ben, de Ben à Mutt, qui attendent tous les deux qu’il se ressaisisse et s’ancre dans l’instant présent, avec ce qu’il implique de dangers. Le retour est brutal, mais il n’a pas vraiment le temps de se remettre les idées en place. Il hoche la tête, encore un peu hagard, quand Mutt le presse de partir. Il n’entend pas ses excuses, surtout parce que, sur le moment, il ne comprend pas vraiment de quoi il s’excuse exactement. Il est encore à l’ouest, mais suffisamment lucide néanmoins pour comprendre, alors que de nouveaux coups de feu retentissent, qu’il est plus que temps de se barrer, oui.

Tout en se laissant porter par ses jambes plus qu’autre chose, il se laisse en partie tirer par Mutt qui le pousse à courir jusqu’à ce qu’ils atteignent un carrefour. Tremblant, Klaus n’est pas du tout sûr de ce qui vient de se passer. Son regard tombe sur la blessure de Mutt, et il s’attend presque à y voir une blessure beaucoup plus grave que celle qui l’affiche, et qui semble n’être, en effet, que superficielle. La vision d’un corps ensanglanté veut se superposer à une réalité moins violente, et il doit s’efforcer de demeurer ancré à cette réalité précise, chaotique, certes, mais dans laquelle, semble-t-il, ils s’en sortent tous les deux.

Mutt s’excuse de nouveau, le regard baissé, l’air sincèrement désolé. Il prend le temps de s’intéresser à son propre état quand Mutt lui dit espérer qu’il n’a rien. Son cœur bat peut-être un peut trop fort, son corps tremble peut-être un peu trop, mais en dehors de ça, il va bien.

« C’est bon, j’ai rien », dit-il d’une voix qui tremble elle aussi, et manque peut-être, par conséquent, de crédibilité.

Quand Mutt ajoute qu’il va lui ficher la paix, qu’il a fait le con, que c’est mieux comme ça, Klaus ne sait pas trop quoi dire. Il a peut-être pas tort… ça fait combien de temps qu’ils se connaissent ? Pour Mutt, des années, d’accord, mais pour Klaus… une heure ? Deux peut-être, il en sait fichtre rien tant il s’est passé de trucs en peu de temps. Et durant ce laps de temps, on a déjà cherché à les abattre copieusement. Y a comme des signes qui trompent pas et qui semblent vouloir lui dire et redire de pas trop s’approcher de ce gars. Ouais, mais d’un autre côté, avec tout ce qui s’est passé, il peut pas faire comme si cette rencontre était anecdotique, ou comme si Mutt était juste… un type comme un autre, un gars un peu tordu qui aurait décidé de jouer avec sa vie un temps avant de se barrer. Klaus passe une main dans ses cheveux, mal à l’aise, tente un regard à l’adresse de Ben, comme s’il pouvait laisser reposer sur lui la décision de séparer son chemin de celui de Mutt, là, tout de suite.

« Arrête de t’excuser, c’est pas toi qui as essayé de nous tirer dessus, pas vrai ? » finit-il par dire. « Ecoute, je sais pas trop quoi penser, là. Mais j’ai pas envie que tu me ramènes à Dallas. J’ai pas envie que tu me laisses. Je sais pas… j’ai envie de rester avec toi. »

Sauf qu’il se l’explique pas totalement, parce que ce qui le pousse à ne pas rejeter ce type impulsif qui pourrait bien le foutre dans une merde plus sombre encore que celle dans laquelle il se retrouve déjà lui échappe totalement.

« Enfin, on va pas aller loin, comme ça. Sauf si… » Son regard tombe sur une décapotable garée un peu plus loin. « Tu sais faire démarrer ce genre d’engin sans la clé, toi ? »

Ils sont plus à ça près, hein.

Dans le fond, ça rassure quand même un peu Klaus que Mutt soit pas du genre à voler des bagnoles tous les quatre matins, et lui-même n’éprouve pas forcément une motivation folle à l’idée de voler la voiture du premier venu pour mettre le pied au plancher et prendre la tangente, mais en même temps, s’ils font le bilan de la situation, ils ont pas beaucoup de choix non plus. La voiture de Mutty est complètement HS, y a une bande de Texans cinglés et armés qui veulent leur peau et... ben voilà, ça suffit comme résumé, non. Klaus se sent flippé, et en plus de ça, il commence sérieusement à avoir les crocs. Alors tout ce qu’il veut pour l’instant, c’est mettre le plus de distance possible entre lui et ces types, même s’il a un peu le sentiment, là, tout de suite, que les emmerdes les suivront où qu’ils aillent. Pour ça, peut-être qu’il aurait dû écouter Mutt et faire le choix de juste reprendre sa route et se barrer. Il veut pas. Il est là, il y reste. C’est pas un hasard, ça peut pas en être un, si leurs chemins se sont recroisés. Non, y a forcément une raison, et même si c’est bizarre et qu’il comprend pas tout, il sent bien que sa place est avec lui, là. Puis… après ce qu’il vient de se passer, il va certainement pas juste se barrer et faire comme si tout ça n’avait pas d’importance, hein.

Alors oui, l’option « vol de voiture » lui paraît encore assez raisonnable dans un contexte qui, lui, n’a absolument rien de raisonnable, en revanche. Klaus le regarde faire tandis qu’il s’efforce de faire démarrer le véhicule, grimace quand il voit Mutt se prendre un coup de jus. Il râle un peu, mais Klaus sent qu’il est sur la bonne voie… Mais forcément, il fallait que ça se complique.

« Mutt… arrête ça, Mutt, y a les flics ! »

Mais Mutt ne l’écoute pas, trop concentré sur son ouvrage, si bien qu’au moment où il réussit à faire démarrer le véhicule, les deux agents de police les salue de ce ton qui laisse clairement entendre, et très immédiatement, qu’ils vont passer un sale quart d’heure (et pas forcément juste un quart d’heure). Mutt répond, essaie de garder l’air innocent. Klaus a déposé un sourire forcé sur son visage. Klaus laisse Mutt gérer la discussion, il sent bien que c’est clairement pas le moment de la ramener. Il se contente de « Non, je vois pas du tout », quand Mutt joue les innocents à l’évocation d’un diner. Bien sûr, ils ne sont pas crédibles pour un sou, il fallait s’y attendre. Mais évidemment, la situation se complique au moment de devoir montrer les papiers à la flicaille, qui n’est vraiment pas du genre commode… Bon. Ils sont dans la merde…

Leur petit jeu n’a pas pris une seule seconde, et il n’y a pas la moindre chance pour qu’ils ne finissent pas à l’ombre, là, tout de suite… Sauf s’ils réussissent à se barrer de là fissa. Un seul échange de regards suffit. Klaus a parfaitement compris où Mutt voulait en venir. Au point où ils en sont, prendre la fuite, c’est pas le pire qui pourra leur arriver… même si les flics ont les papiers de Mutt, et ça, en revanche, c’est pas le pied. Klaus n’y pense pas sur le moment, il se marre de bon cœur avec Mutt, alors qu’ils pense distancier les flics. Oui, sauf que ça se passe pas comme ils le voudraient. Le véhicule ne met pas longtemps à faire du surplace. Plus d’essence… Bon, si on doutait encore du fait qu’ils étaient maudits, les deux, là… Rien à faire, les flics les rattrapent… Klaus réfléchit à toute allure à une situation de repli, mais rien ne lui vient.

« Je suis désolé, voler une voiture, c’était vraiment une idée à la con », admet Klaus alors qu’il voit les deux types dans le rétroviseur.

« Allez, la plaisanterie a assez duré comme ça », fait un des deux flics. « On vous embarque. »

L’instant d’après, ils sont conduits au poste et envoyés en cellule sans l’ombre de la moindre dignité, non sans avoir été fouillés et interrogés avec une insistance qu’on leur aurait sans doute épargné dans d’autres circonstances. On va pas se mentir, c’est pas la première fois que Klaus finit en cellule, ce sera sans doute pas la dernière, mais il s’en serait bien passé.

« Tu vas regretter de m’avoir retrouvé, avoue », fait Klaus à l’adresse de Mutt avec une légère esquisse de sourire.

Situation merdique, ouais, mais inutile de la rendre encore plus pesante non plus. Après quelques minutes, un type vient les retrouver.

« Vous avez le droit de passer un coup de fil, un seul. »

Klaus tourne la tête vers Mutt, dans la situation actuelle, il sent que c’est surtout sur lui qu’il lui faut compter.

Une fois de plus, Klaus se sentirait presque submergé par ce qu’il parvient à ressentir d’affection, d’amour inconditionnel de la part de Mutt, et surtout… désarmé par la manière dont il lui est facile d’accueillir ces sentiments, de les prendre pour lui et d’avoir plus que terriblement envie de les partager… Pas qu’il les partage tout à fait… il le connaît si peu, au fond, tout en ayant aussi le sentiment de le connaître par cœur. C’est vraiment bizarre, mais ça renforce du moins en lui une conviction sincère et profonde : il s’en fiche de se retrouver au poste de police, là, tout de suite, il s’en fiche de toutes les emmerdes qu’ils ont rencontrées et de celles qu’ils rencontreront. Il comprend pas vraiment bien ce qui lui arrive, mais il sait en revanche qu’il serait incapable de regretter d’avoir croisé la route de Mutt Jones.

Quand on leur propose un coup de fil, Klaus sait que le mieux à faire, ça reste de laisser Mutt gérer, même s’il sait pas trop ce que ça va donner. Il va sûrement contacter le fameux paternel dont il lui a parlé plus tôt. Ce père qui le connaît. Ou peut-être pas. Ou peut-être bien que oui. Mais qui dans tous les cas risque fort de ne pas accueillir la nouvelle en applaudissant des deux mains (en même temps, aucun parent sensé ne ferait ça).

Klaus est un peu anxieux en attendant le retour de Mutt. Il est habitué à ce genre d’endroit, même s’il y passe pas toutes ses journées non plus, mais le contexte est quand même un peu spécial, et il sait vraiment pas à quoi s’attendre pour la suite. Il a pas franchement envie de rester seul – bon il y a Ben, mais Ben ne compte pas vraiment et Ben tire la tronche depuis l’instant où Klaus a suggérer de voler la première voiture venue. Affalé sur une banquette, Klaus fixe le plafond dans un profond soupir et ignore les regards tournés dans sa direction… Il sent bien qu’il fait tache ici… ceci dit, d’aucun affirmeraient (mais ça c’est parce qu’ils y comprennent absolument rien) qu’il fait tache partout. Heureusement, Mutty ne met finalement pas longtemps à revenir. Faut dire que ce genre d’appel, c’est souvent expéditif.

Il lui confirme, en s’installant à côté de lui, que son père va venir… sauf qu’il en a pour quatre heures de trajet… autant dire qu’ils ont le temps de mariner longtemps ici. C’est là qu’un petit joint ferait quand même pas de mal… Quelle connerie, la sobriété, quand même… Pas qu’ils en auraient l’opportunité si Klaus était pas sevré, mais il serait sans doute stone dans n’importe quelle circonstance, ça ferait sans doute passer la pilule d’une autre manière.

« J’espère que ton vieux va nous ramener de quoi manger. On en aura jamais vu la couleur, de ces fichus cheeseburgers, et j’ai les crocs. »

Il adresse à Mutt une esquisse de sourire. Il ne relève pas quand il a prit sa main dans la sienne pour la retirer presque aussitôt. Ça lui aurait sans doute pas fait de mal, là, tout de suite, un geste de réconfort. Mais Mutt est là, à côté de lui… et en fait, ça lui suffit.

« Je suis pas sûr de réussir à me reposer, là, mais si t’y arrives, vas-y, mon épaule fait un super oreiller… » Il jette un regard autour de lui. « Enfin, c’est pas forcément une bonne idée en fait. Le type au fond là-bas arrête pas de me dévisager, je sais pas si tu devrais pas être jaloux. »

Klaus affiche un fin sourire en entendant Mutt évoquer Reginald. Ce n’est certainement pas lui qui ira lui reprocher d’afficher son animosité envers celui qui ne pourra clairement jamais être considéré comme le père de l’année. Klaus note juste une chose qui à ce stade est évident, à savoir toutes les confidences qu’il a pu faire à Mutt, y compris au sujet de son enfance et des traumatismes que Reginald Hargreeves n’hésitait pas à faire subir à ses enfants – parce que Reginald Hargreeves est évidemment un fieffé bâtard, si quiconque avait le moindre doute à ce sujet (ce dont on peut douter, quand même). Il n’avait plus vraiment de doutes sur la question, mais ça le confirme quand même. Mutt sait tout de lui, il ne s’est pas arrêté à la superficialité d’un personnage excentrique, qu’il n’oublie pas d’être pour autant. Il sait aussi ce qu’il a pu endurer. Et donc oui, ça lui fait du bien de l’entendre traîner ce brave Reggie dans la boue.

« J’espère quand même qu’il t’en a pas trop fait baver », remarque Klaus quand Mutt lui parle de ses « mésententes » avec son paternel. Mutt lui a dit plus tôt que son père était revenu les « tester », lui et le reste de sa fratrie, peut-être que Mutty avait eu directement affaire à lui… ce qui est clairement la dernière « Tu peux cracher à la gueule de ce brave Reggie autant que tu veux, t’inquiète. En fait, je trouve ça assez sexy », ajoute-t-il à voix plus basse, parce qu’ils attirent déjà assez l’attention comme ça.

Klaus se demande un instant s’il a vraiment été très avisé de sa part de faire remarquer qu’un des types à proximité les regardait avec beaucoup trop d’insistance, quand il voit les deux se lancer dans un concours de regard qui pourrait bien durer longtemps… Surtout vu le nombre d’heures qu’il leur reste à tirer avant que papa Jones ne vienne à leur rescousse. Il se laisse faire quand Mutt passe son bras autour de ses épaules et pose sa tête sur la sienne. Peut-être que c’est un geste à éviter, mais Klaus n’a clairement pas le cœur de le rejeter, surtout que ce geste lui fait définitivement le plus grand bien. Il lui suggère de se reposer, Klaus veut lui répéter qu’il y arrivera pas, ce qui est plutôt vrai dans un premier temps. Pourtant, à un moment donné, sans qu’il ne sache exactement quand c’est arrivé, ses paupières se sont fermées. C’est moment de sentir Mutt se redresser contre lui qu’il se réveille brusquement et reprend conscience d’où il se trouve.

De l’autre côté de la grille, un type a l’air franchement pas commode, là, tout de suite, fixe Mutt d’un air sévère, jusqu’à ce regard tombe sur lui. Bon ben au moins ils sont fixés là-dessus. Le fameux Indy sait très bien qui il est et le reconnaît au premier coup d’œil. Klaus a envie de dire quelque chose, en fait, il a envie de dire tout un tas de choses, mais il se retient de l’ouvrir dans un premier temps face à l’autorité naturelle du paternel, le genre qui vous coupe clairement la chique. On a clairement pas envie de ne serait-ce que lever le petit doigt quand ce type, avec toute la prestance du monde, énumère les faits qui leur sont reprochés.

Quand le paternel ajoute une remarque concernant la détention de drogue ou la possibilité qu’il soit alcoolisé (n’empêche, c’est un comble que tout ça arrive alors que Klaus n’a jamais été aussi clean de toute sa vie), Klaus se sent directement visé, mais là encore, il ne dit rien. Il tourne son regard vers Mutt et voit bien que ce dernier est dans ses petits souliers. C’est qu’une fois hors du commissariat, alors qu’ils se sont un peu éloignés, et même si ce n’est toujours pas le moment, que Klaus se permet de prendre la parole.

« Alors je voulais vous dire, déjà merci vraiment, merci », dit-il en joignant ses mains l’une contre l’autre en signe de gratitude. « Ensuite, je suis vraiment heureux de faire votre connaissance, alors oui, vous me connaissez déjà, mais moi pas, donc ça me fait plaisir de vous voir en chair et en os. Mutty arrête pas de parler de vous, il vous adore, vous savez. » Et il reprend plutôt que de savoir s’arrêter, alors qu’il est évident pourtant que le père de Mutt fulmine. « En tout cas y a pas besoin de se demander d’où Mutty tient son charme. »

Klaus sent bien, à quelques indices subtils (comme par exemple le fait que Mutt lui défonce les côtes avec son coude, ou encore le faut que le paternel soit aussi aimable pour l’heure qu’une porte de prison), qu’il aurait peut-être mieux fait de se la fermer. Mais en même temps, les silences pesants comme ça, il déteste, il avait voulu briser la glace, dédramatiser la situation, si c’était vraiment possible. Mais évidemment, le père de Mutt n’est pas amusé pour un sou. Il fallait s’y attendre en même temps, il a dû se taper quatre heures de trajet pour récupérer son fils et son copain junky (le dernier terme n’est pas approprié à l’heure actuelle, certes, mais c’est sans doute pas non plus le moment de débattre de cette question précise). Au moins, il a le droit à un « De rien », donc c’est pas si mal, dans le fond, pas vrai ? Bon, c’est le « De rien » le plus glacial de l’histoire des « De rien », mais Klaus veut bien s’en contenter… Il s’attend pas non plus à ce que le fameux Indy saute au plafond avec ce qui vient de se passer. Bon, il a quand même le bon ton de ne plus rien dire d’autre, il se contente d’observer successivement Mutt et son père, de constater leurs similitudes.

Puis Indy rompt le silence une nouvelle fois, ne s’adressant qu’à son fils, si bien que dans un premier temps, Klaus a l’impression de se retrouver à la place de Ben. Et il veut bien reconnaître que c’est pas spécialement le sentiment le plus agréable du monde. Ben a beau être le moins concerné par la situation, lui aussi est dans ses petits souliers, d’ailleurs, ça se voit direct qu’il préfèrerait, à choisir, se retrouver n’importe où, mais pas ici.

Et donc, il s’adresse à son fils, des raisons qui l’ont poussé à se rendre à Dallas. Klaus remarque d’office que le comportement de Mutt change, comme si son père l’avait percé à jour. Tout à coup, Klaus est captivé par cette discussion… Pourquoi Dallas ? Klaus n’a pas inventé la poudre, mais il ne lui faut pas longtemps pour comprendre que tout ceci le concerne et en avoir l’estomac noué (ou bien est-ce que c’est parce qu’il n’a toujours pas mangé, bordel ?).

Non, Mutt n’est pas venu ici pour ses études et pour ses recherches… Il est venu pour lui. Klaus n’intervient pas dans leur prise de bec, et pour cause, il est complètement décontenancé. Ses yeux fixent Mutt, mais le regard de ce dernier est on ne peut plus fuyant. Et voilà qu’il lui apprend qu’il a découvert qu’il existait vraiment, et quelle était sa localisation, et que c’était ce qui l’avait motivé à venir ici. En soi… d’accord ? Klaus pourrait même trouver ça attendrissant ou romantique. Le truc, c’est que c’est pas du tout la version qu’il lui a servie quand il s’est adressé à lui pour commencer. Et dire que Klaus avait commencé à partir – en pensées – dans des espèces d’envolées lyriques sur la prédestination, le hasard qui les remet sur le chemin l’un de l’autre, il avait trouvé ça perturbant, mais en même temps, ça venait conforter ce sentiment, le sentiment qu’ils partageaient un lien fort, si fort qu’il n’avait besoin de lui parler que quelques minutes pour avoir le sentiment de le connaître depuis toujours. Et pourtant. Non, il a juste menti comme un arracheur de dents depuis le début, et qu’est-ce qu’il est supposé penser, là ?

« Pas fait exprès, t’es sûr de ça ? » réplique Klaus quand Mutt lui promet que leur rencontre au diner était, elle, le fruit du hasard le plus total. « T’es sûr que c’est pas plutôt parce que je t’avais parlé de Dave et de l’endroit où j’allais le rencontrer ? » Il enfonce ses doigts dans ses cheveux, ses ongles dans son cuir chevelu, de déception, de crispation. « Est-ce qu’il allait vraiment m’en foutre une ou est-ce que tu voulais juste m’empêcher de le retrouver ? » Il baisse le regard. « Ce que je peux être con… »

Oui, il se sent vraiment con, là, tout de suite. En même temps, il peut pas juste blâmer Mutt alors que c’est lui qui à accepter de le suivre dans ses délires alors qu’il ne sait rien de lui.

« Je sais pas à quoi je pensais. Je sais même pas qui tu es. » Il tourne son regard vers le père de Mutt. « Vraiment désolé pour tout ça, vous inquiétez pas, j’aurais plus une sale influence sur votre fils ou… je sais pas ce que vous vous imaginez en fait. » Il marque une pause. « J’ai rien à faire ici… »

Il a le sentiment qu’on lui brise le cœur une deuxième fois en quelques heures seulement.

Klaus se sent habité d’une sensation vraiment étrange, et au-delà de désagréable, par ailleurs. Il a l’impression de perdre quelque chose d’important, de perdre quelque chose de précieux. Au moment de tourner le dos à Mutt, il a le sentiment de renoncer à quelque chose de fort, d’essentiel, comme s’il tournait le dos à quelqu’un qu’il connaîtrait depuis toujours, alors que le matin même, il n’avait pas la moindre idée de qui était Mutt Jones et n’avait que le nom de Dave à l’esprit.

Ce n’est vraiment pas de gaité de cœur qu’il choisit de s’en aller, mais il n’arrive pas à s’ôter de l’esprit qu’il a commis une erreur. Peu importe combien de fois Mutt pourra lui dire et répéter qu’il l’aime et qu’il le connaît par cœur, peu importe à quel point Klaus voudra se convaincre que c’est réciproque, tout ça, c’est pas vraiment « réel », et ça ne peut pas l’être. Non, c’est vrai quoi. Il peut le présenter de toutes les manières qu’il veut, il le connaît pas, ce mec. Et au final, il le connaît encore moins que ce qu’il s’était imaginé pour commencer.

Il lui répète qu’il était pas au courant, pour le diner, il lui redit ce dont il avait déjà cherché à le convaincre quelques heures plus tôt, qu’il n’aurait rien pu faire pour Dave, et que la situation aurait été bien pire s’il n’était pas intervenu. C’est sans doute vrai, dans le fond, que ça aurait mal tourné avec Dave dans tous les cas. Mais là, tout de suite, Klaus se sent trahi, et dans le même temps, il a l’impression d’avoir trahi Dave, leurs sentiments et tout ce qu’ils avaient partagé. Pour quoi… pour qui…

Klaus a déjà fait quelques pas… Pourquoi ? Et pour aller où ? Il en a fichtrement aucune idée, c’est pas comme s’il avait beaucoup de perspective mais il va se démerder… faire du stop ou… il en sait rien, il s’en fout. Il se sent paumé, complètement paumé. L’envie de dévaliser le premier magasin qu’il trouvera pour leur acheter toutes leurs bouteilles d’alcool lui revient au grand galop. Désespéré. Désespérant. Mutt ne met pas longtemps à le rattraper, se positionne devant lui,

Klaus s’arrête net. Il pourrait se contenter de l’ignorer, mais il y arrive pas. Il n’y peut rien : il a beau savoir que c’est une mauvaise idée, et qu’à ce stade, il est préférable de ne rien écouter de ce que Mutt pourra lui dire, il est incapable de ne pas lui laisser le bénéfice du doute, en cet instant. Quand il le supplie, comme ça, il est impossible pour Klaus de douter d’à quel point Mutt est sincère quand il lui dit qu’il l’aime. Ouais, mais le souci, c’est pas les sentiments qu’il a pour lui, au final, c’est la confiance qu’il peut avoir en lui ou pas, et sur ce point, Klaus ne sait définitivement pas quoi penser. Klaus ne dit rien. Il se contente de frotter le sommet de son crâne du plat de ses doigts avec vigueur, comme s’il espérait que ça saurait lui remettre les idées en place.

« Je sais plus ce que je dois croire ou pas. Ça me rend dingue. Tu me rends dingue, putain. » Il prend une profonde inspiration. « Comment je peux être sûr que tu me mens pas au sujet de Dave ? Comment je peux être sûr que tu m’as pas menti sur tout un tas d’autres choses ? »

Il aurait besoin d’une preuve, n’importe quoi, pour rétablir la confiance. Mais cette preuve, bien sûr, Mutt ne peut pas l’inventer.

Non, bien sûr qu’il a raison, et bien sûr que si Mutt avait dû lui déballer toute la vérité d’entrée de jeu, Klaus n’aurait jamais accepté de le suivre pour commencer… mais pourquoi est-ce qu’il l’a suivi, exactement ? S’il résume la situation depuis le départ, il doit quand même bien constater que quelque chose ne tourne pas rond… chez lui, chez eux, il n’en sait rien… Klaus est passé maître dans l’art des décisions impulsives et inconsidérées, mais là, ça dépasse l’entendement. Et chaque fois qu’il se dit qu’il doit se ressaisir, revenir à sa vie quoique tordue même sans Mutt, et éventuellement chercher à retrouver Dave malgré tout, il est retenu par la voix suppliante de Mutt, ce regard dans lequel il a l’impression de pouvoir deviner tout ce qu’ils ont vécu ensemble, et ses éternelles déclarations… Il l’aime tellement… est-ce qu’il se rend compte d’à quel point c’est bouleversant, d’être aimé autant ? D’à quel point, du moins, ça bouleverse tout, absolument tout, en lui.

Il n’a pas que Dave dans la tête, Mutt se trompe à ce sujet, Mutt a réussi à s’y faire une place étonnamment conséquente en un temps record, et c’est bien pour ça, en réalité, que le sujet « Dave » revient immanquablement sur le tapis, il n’arrive pas à comprendre qu’un amour auquel il s’est accroché pendant si longtemps puisse si rapidement se dissiper au profit d’une histoire dont il ne sait rien, ou si peu de choses. Mutt compte alors qu’il ne devrait pas, techniquement, compter. Comment réussir à l’expliquer sans avoir l’impression d’envoyer paître le peu de raison qu’il est encore capable de posséder ?

« Comment ça, il te pourrit la vie quand… »

Il s’interrompt au beau milieu de sa question. Clairement, il n’y comprend rien, en revanche, il devine que ce n’est pas la chose à faire que de remettre le sujet Dave sur le tapis… pas qu’il soit facilement évitable en ces circonstances, mais il serait trop facile de mettre sur le dos du grand absent le caractère ô combien chaotique de cette situation. Ils en sont les responsables, et il faut bien qu’ils l’admettent.

« Laisse tomber, c’est pas la question. » Il prend une grande inspiration qui ressemblerait presque à un gémissement exaspéré. Cette situation lui donne des nœuds au cerveau. « Je sais que tu m’aimes, je le sais. »

C’est ça le truc. Il l’aime. Tellement. C’est tellement évident. Et lui, à côté de ça, n’a définitivement plus la moindre idée de ce qu’il est supposé ressentir ou non. Oui, dans le fond, ce n’est pas lui qui décide, ce n’est pas lui qui choisit, mais il se sent particulièrement perturbé par ce qu’il éprouve et n’est pas capable de contrôler du tout. Il y a en tout cas une chose qui semble assez certaine. Peu importe les circonstances dans lesquelles ils se trouvent, peu importe la situation, ils ont le don de se rendre mutuellement dingues, tous les deux… Dans tous les sens du terme, sans doute. Et oui, il le sait, qu’on peut faire des trucs stupides quand on est amoureux, il a pas fait grand-chose de différent en traquant Dave pour l’avertir de sa mort imminente. Il laisse passer un temps de silence, tente de se raccrocher aux wagons qu’il peut, sauf que c’est tout sauf simple, et d’autant moins qu’il n’a pas la moindre idée de vers où il se dirige, au bout du compte.

« Bon, d’accord, si tu me dis que tu n’as pas menti au sujet du diner, je te crois. », reprend-il. « Je suis paumé, tu comprends ? Je comprends pas comment je peux… » Essayer d’articuler ses pensées d’une manière cohérente lui demande plus d’efforts qu’il ne le voudrait. « J’ai l’impression de te connaître depuis toujours, et… je sais pas d’où ça me vient. » Il marque une pause plus longue. « J’ai les crocs. Ton père avait parlé de fast food, non ? »

Il a l’impression de ne faire que ça. Faire un pas en avant, puis deux en arrière, puis trois en avant… Et c’est pas dit que ce soit la dernière fois qu’il réagisse comme ça.

« Je crois bien que ton vieux me déteste, d’ailleurs. »

Klaus n’a aucun mal à le croire, quand Mutt affirme que ce qu’il ressent est tellement fort qu’il se sent parfois submergé. Il est totalement capable de le comprendre, sans être sûr de le vivre complètement, parce que ça se voit dans chacune de ses attitudes qui pourraient peut-être sembler excessives si Klaus n’avait pas de son côté tendance à être très excessif lui-même dans tous les cas. Il veut bien croire que ce soit beaucoup trop fort pour être rationnel, car toute cette situation ne l’est pas non plus, rationnelle, de toute évidence. Tout ce qui les concerne invoque en eux des émotions profondes, démesurées, et si c’est déjà le cas pour Klaus qui ne savait pourtant même pas qui était Mutt le matin même, il est évident qu’il ne peut en être autrement en ce qui concerne Mutt.

Mutt qui évoque ces paroles déjà prononcées, et sans doute plus d’une fois, mais qui ont l’air neuve dans l’esprit de Klaus… Dans tous les cas, il se sent vaguement plus détendu, et il se rend compte que c’est autant dû à sa décision de calmer le jeu qu’au fait de voir un sourire s’afficher sur ce visage encore trempé de larmes. Voir Mutt pleurer le met au supplice. C’est un spectacle auquel il n’a pas la moindre envie de devoir assister de nouveau. Il serre plus fort la main que Mutt a prise dans la sienne, en faisant fi du paternel, qu’il entend râler dans leur dos. OK, peut-être que c’est pas malin de sa part, de leur part, mais ça lui fait tellement de bien, là, tout de suite. Alors… il s’en fout ? Ouais, un peu.

Dans tous les cas, Klaus, un peu plus détendu, accepte donc de suivre Mutt jusqu’à la voiture du paternel, tout en continuant de songer que ce dernier préfèrerait sans doute qu’il se taille dans son coin. Mais peut-être que c’est qu’une impression ? Mutt lui apprend qu’ils lui en ont fait voir de toutes les couleurs. C’est pas difficile à croire, ça… Dans tous les cas, au moment de s’installer à l’arrière du véhicule, Klaus adresse simplement un sourire sans doute trop large à Indiana avant de s’affaler littéralement sur le siège, bientôt rejoint par un appétissant cheeseburger – un peu froid, certes, mais ça, il fallait s’y attendre.

Il laisse le père et le fils se prendre la tête tout en savourant son burger (et en réalisant par la même occasion à quel point il avait la dalle, en fait). C’est pas le spectacle le plus harmonieux du monde, qu’ils leur donnent, là, tout de suite, mais Klaus s’est toujours imaginé que c’étaient comme ça que devaient être la plupart des relations père-fils : un peu de chaos et beaucoup d’amour. Le type avait quand même pris l’avion depuis New York et s’était tapé quatre heures de trajet juste pour aller récupérer sa progéniture et son « ami » junky… enfin, dans son esprit sans doute en tout cas. Quelque part, il trouve ça beau, et les regarder se prendre le chou, c’est un peu comme regarder une vieille sitcom à la télé : ça a quelque chose de drôle et d’apaisant à la fois.

« Cinq kilos… ça doit faire un sacré paquet de frites », observe Klaus en gloussant comme un abruti, alors que Mutt fait tout de même remarquer à son père, à juste titre, qu’on s’en fout royal, en vrai, de ses histoires de patate, ce qui est pas faux. « Alleeez, Mutty Senior ! » fait Klaus qui se sent de bien meilleure humeur à présent qu’il a l’estomac plein, suffisamment pour affubler le paternel d’un surnom à ce point ridicule. « Si on va à Vegas, on pourra peut-être récupérer tout le fric qu’on vous doit ! Je suis pas mauvais au black jack. Enfin, je sais y jouer. Enfin, j’y ai joué, une fois… Enfin… il me semble que j’y ai joué ? » Il se gratte l’arrière de la tête. « Alleeez Vegas, ça va être bien ! On est plus à quelques heures de trajet près, hein ? »

Cette situation est absolument absurde, quand il y réfléchit. Ce matin, Klaus ne connaissait même pas Mutt, et voilà qu'il se retrouve à l'arrière de la voiture de son daron, avec cette impression de vivre une scène familière et qu'il n'a jamais connue pourtant, et non sans en être passé au préalable par toutes les émotions possibles et imaginables. Il s'en sent presque épuisé, et en même temps, il ressentirait presque aussi une certaine forme de... contentement ? Quelque chose d'assimilé, en tout cas, il aime bien regarder Mutt et son père chamailler, il y a quelque chose de réconfortant là-dedans. Même s'il n'est pas sûr que Ben, à côté de lui, soit du même avis. Depuis tout à l'heure, il ne dit absolument plus rien, mais Klaus sent bien qu'il est totalement dépassé, lui aussi, par le déroulé des événements.

Peut-être se dit-il qu'au final, il n'aurait pas dû chercher à le convaincre de rattraper Mutt. Peut-être pas, en fait. Il a l'air de bien l'aimer quand même, le Mutty. Allez savoir pourquoi. Encore que Klaus n'a pas tant de difficultés que ça à comprendre ce qu'il y a à apprécier chez Mutt, il a déjà le sentiment de le connaître depuis toujours, il a déjà l'impression de ne pas avoir d'autre choix que de lui donner une importance magistrale dans sa vie, quoi qu'il décide et quoi qu'il fasse.

Klaus se marre doucement en entendant Indiana (s'il l'autorise à l'appeler par son prénom et pas "Monsieur", c'est qu'on est pas si mal, quand même, pas vrai ?) se défendre de porter le nom de son clebs. Il a rien suivi mais il trouve ça fendant, et comme le rire de Mutt est communicatif, il ne peut pas s'empêcher de se marrer à son tour. Puis on revient sur la destination à suivre, et visiblement, le daron a pas l'air emballé par l'idée de Dallas. Dommage, ça commençait à se faire un petit bout de chemin sympathique dans son esprit.

"Rentrer... A New York ? Je peux pas aller à New York ! Y a ma frangine, Allison, je crois pas que ce soit le moment de la laisser."

Klaus, pour la première fois, remet un peu ses pieds sur terre. Il n'avait pensé qu'à Dave, puis à Mutt, puis à toutes ces conneries. Mais il n'est pas seul dans cette galère. Et s'il se tire à New York, là, tout de suite, sans même prévenir Allison de ce qui se passe, il peut être sûr qu'elle va se faire un sang d'encre. Comme si elle n'avait pas assez de problèmes comme ça.

Ceci dit, il est pas contre la perspective du Motel, surtout qu'il se sent épuisé. Il esquisse un sourire quand Indy précise qu'ils ne dormiront pas dans la même chambre. Et s'ils dormaient dans la même chambre, est-ce que ça déraperait forcément ? Honnêtement, à ce stade, Klaus se garde définitivement de présumer de ce qu'il serait capable de faire ou non avec Mutt. Clairement, il ne contrôle pas grand-chose de ce qui lui arrive, quand il est avec Mutt. Encore que, dans tous les cas, il ne contrôle jamais grand-chose, et quand il se retrouve dans une position d'autorité (comme à la tête d'une putain de secte), il garde le sentiment que ce sont les circonstances qui le contrôlent. Klaus manque s'étouffer en buvant son soda tout en pouffant de rire quand Mutt lâche à son père qu'il veut éviter de leur donner l'occasion de "jouir bruyamment" dans la pièce d'à côté.

"Moi ça me rend un peu curieux...", remarque distraitement Klaus avec un sourire en coin quand Indy ajoute qu'il veut pas savoir la manière dont ils s'y prennent. C'est que l'air de rien, lui ne sait rien de cette part de leur relation... pas que ce soit un truc à discuter devant le paternel pour autant mais ça. "Y a quoi dans vos prospectus, là ? ça parle pas que de patates, quand même, si ?" dit-il en s'avançant pour récupérer un des prospectus en question sans demander l'avis de personne, renversant au passage son propre soda sur le siège arrière (et un peu sur Ben, mais ça). "Ouuups."

Le discours de Mutt le rassure un peu et a le don de dédramatiser un peu la situation. C’est toujours aussi perturbant pour lui de réussir à déterminer quel rôle il tient exactement vis-à-vis de lui, et il continue encore de changer son fusil d’épaule d’une seconde sur l’autre, mais en attendant, une vraie complicité continue de se manifester avec évidence entre eux, et ça, clairement, ils ne peuvent pas l’imputer aux circonstances, plus à quelque chose qui semble inné chez eux deux. Il se marre franchement quand il suggère avoir voulu lui passer la bague au doigt avant d’observer que non, c’est pas encore légal. Vegas ou pas, tout ce qu’il sait, c’est que cette nuit au motel sera pas du luxe, ne serait-ce que pour se mettre les idées en place, parce que pour le moment, ses pensées partent vraiment dans tous les sens. D’accord, d’accord, ça fait pas une différence monumentale avec ce dont il a l’habitude, certes, mais il aimerait bien, quand même, trouver un juste milieu entre ses élucubrations mentales habituelles et ce remue-ménage constant.

C’est plus simple de focaliser ses pensées sur autre choses. D’autres choses de type l’évocation de leurs ébats apparemment mémorables, mais dont Klaus ne peut pas du tout deviner la nature (même s’il a quand même suffisamment d’imagination pour se faire tout un tas de scénarios… en se disant au passage que s’ils n’ont pas essayé certains d’entre eux, ça pourrait être pas mal de le tenter). Plus facile aussi de se focaliser aussi sur les fameux prospectus du paternel, même si ça doit déclencher un inévitable « accident de soda ». Klaus ne devrait peut-être pas, mais il ne peut s’empêcher de se marrer quand Indy lui colle un coup de dépliant sur le crâne. Il se sent presque de la famille, comme ça.

Ils prennent la route, Mutt joue avec les stations, ne fait aucun commentaire quant à la remarque de Mutt quand celui-ci observe que Kennedy va pas faire long feu. Disons que pour sa part, il a eu le temps de se faire à l’idée, et ça lui fait un peu ni chaud ni froid. C’est pas cool quand quelqu’un meurt, qu’il soit le président des États-Unis ou pas, mais de toute manière, il voue pas un culte à Kennedy non plus… contrairement à Diego qui est complètement obsédé par lui (sérieux, il fait une telle fixette sur Kennedy, c’est un peu gênant – non, c’est carrément gênant, en fait, et il faudrait vraiment, mais vraiment qu’il arrête avec ça). Il laisse couler, jusqu’à ce que Mutt prononce le mot en A. Comment ça, il doit arrêter une apocalypse ? Klaus a pas le temps de réagir qu’Indy hurle à l’oreille de son fils, qui pour la peine hurle à l’oreille de son père. Klaus, de son côté, plaque ses mains contre ses oreilles et attend que ça passe. Ou plutôt, il attend qu’Indy se retourne vers lui pour décoller ses mains histoire d’écouter sa question.

« Non, non, l’apocalypse, c’était avant les sixties, avant Dallas… Enfin non, techniquement, c’était après. Enfin, on l’a déjà arrêtée, mais je suppose que ça veut quand même dire qu’on l’arrêtera plus tard, enfin tu vois ce que je veux dire. » Putain de voyages temporels. « En 2019, tu vois, y a le temps. Y a pas besoin de stresser ou quoi. »

Il est détendu, mais à moitié, parce que même s’il est très possible qu’il ait filé à Mutt des explications pas claires sur les événements, il avait l’air plutôt bien informé jusqu’ici. Ils ont quand même pas embarqué l’apocalypse avec eux… si ?

L’autre ? Comment ça, l’autre ? L’autre quoi ? Il est pas en train de lui parler d’une deuxième apocalypse, là, quand même si ? Et pourtant, ça a bien l’air d’être le cas. Klaus tente de raisonner du mieux qu’il le peut, dans la mesure où il en est effectivement capable. Comment est-ce qu’une deuxième apocalypse pourrait avoir lieu plus tôt, des années avant, que l’apocalypse qu’ils avaient arrêtée ? ça n’a pas le moindre putain de sens, on est bien d’accord ? A moins qu’ils aient embarqué ladite apocalypse avec eux. Et là, bien évidemment, Klaus pense à Vanya. Pas qu’il veuille lui imputer tous les maux de l’univers non plus, hein, mais c’est difficile de pas y songer, là, tout de suite, et ça même s’il a pas la moindre idée d’où Vanya peut bien se trouver… Jusqu’ici, il a jamais retrouvé qu’Allison, tous deux en ont déduit que le reste de la joyeuse bande devait sans doute être dans le coin, mais ça s’arrête là.

Il trouve que Mutt a l’air quand même sacrément détendu, pour le coup, vu ce qu’il lui apprend. Bon, peut-être que c’est bon signe. S’il est détendu à ce point-là, ça doit vouloir dire que ça se résout pas trop mal, cette affaire… ceci dit, il se doute que dans la version qu’il a racontée à Mutt, il se tapait pas des road trip avec son vieux non plus.

Pour le coup, et même si jusqu’ici, Klaus était très naturellement du côté de Mutt, il se rangerait plutôt du côté d’Indiana, là, tout de suite. La dernière chose à laquelle il ait envie de penser à l’heure actuelle, c’est clairement une nouvelle apocalypse, mais en même temps, celle-ci ne va pas attendre qu’il se sente en mesure d’y faire face et revenir plus tard, donc il vaut mieux qu’il se tienne un minimum informé, ne serait-ce que pour trouver un moyen d’y remédier, si c’est possible, surtout si Vanya est dans le coup, et c’est ce que Mutt lui confirme donc… La CIA enfermant Vanya en la prenant pour une espionne russe, Vanya qui pète un câble… bon ça, il a pas besoin de détails choisis à ce sujet, il sait ce que ça donne, quand la frangine pète un boulon. Le white violin, ça va, c’est encore suffisamment frais dans sa mémoire.

Est-ce qu’ils sont contents après ces explications ? Pas des masses, non, en tout cas pas Klaus, même s’il doit avouer que l’idée de s’envoyer en l’air avec Mutt, là, tout de suite, lui paraît encore plus tentante qu’auparavant.

Klaus oublie presque un temps ces histoires d’apocalypse quand le père de Mutt évoque les séjours à l’hosto que lui auraient valu certaines de ses parties de jambes en l’air. Forcément, ça le rend un peu curieux. Même très curieux, en fait… est-ce qu’il était impliqué dans les dites parties de jambes en l’air ? C’est vraiment pas le moment, mais… il a très envie de connaître les détails quand même.

« Comment est-ce que t’as fait pour atterrir à l’hosto après t’être envoyé en l’air ? C’était avec moi, dis ? » demande Klaus avant de sentir quelque chose, à sa gauche, l’observer avec un air de jugement particulièrement appuyé. Et familier qui plus est. Quelque chose qui porte le nom de Ben. « Hum mais sinon, l’apocalypse, là, on a réussi à l’empêcher ou pas ? Faudrait qu’on puisse prévenir Vanya, mais je sais pas du tout où elle est. Tu le sais, toi ? Je te l’ai dit ? » Il marque une pause. « J’oublie pas ton offre de s’envoyer en l’air, surtout si c’est la seule occase que j’ai mais j’essaie de compartimenter, là », ajoute-t-il, en manquant évidemment de sérieux.

Bon, au moins, Klaus se sent un peu rassuré d’apprendre que la fois précédente, ils ont réussi à arrêter l’apocalypse numéro deux, même s’il est clairement en train de bouleverser le cours des événements en suivant Mutt n’importe où… Mais peut-être que c’est pas si grave ? Klaus ne peut pas s’empêcher de se dire que de tous les membres de la fratrie, si quelqu’un doit avoir réussi à faire quelque chose, ce n’est sans doute pas lui dans tous les cas, donc ce n’est pas si grave s’il n’est pas dans le coin… A moins qu’il leur faille impérativement rassembler leurs forces à tous ? Il en sait rien. Pour le coup, il préfère écouter Mutt et essayer d’y voir plus clair… Il songe à ce qui se serait passé si Dave lui avait mis cette fameuse droite que Mutt lui avait épargnée.

« Ouais, ça semble cohérent, ouais », admet-il quand Mutt suggère qu’il serait sans doute en train de se mettre une murge quelque part. Oui, ça aurait carrément été l’esprit, on va pas se mentir.

Heureusement, apocalypse ou pas, on peut quand même compter sur les Jones pour alléger l’ambiance. Ils feraient un sacré duo comique, les deux, est-ce qu’ils en ont conscience ? Bon… Klaus va peut-être s’épargner de le leur faire remarquer, peut-être qu’ils le prendraient mal, ce serait quand même dommage, hein. Et donc, il écoute parler avec grand plaisir de ces deux fois où Mutt a fini à l’hosto – c’est un bon divertissement (au sens strict du terme, ça le divertit complètement de toutes ses préoccupations, là, tout de suite). Klaus ne peut s’empêcher de se marrer en entendant Indiana lui apprendre que Mutt s’était enfilé toute une plaquette de viagra. Puis la deuxième fois… Klaus est donc impliqué, ainsi qu’une drogue de compète… Ouais, ça aussi ça paraît plutôt cohérent. Et apparemment, ils en ont oublé d’être prudents… Ok, c’est pas drôle. Klaus se marre quand même. Solennellement, encore hilare, il dépose sa main sur l’épaule de Mutt.

« Au nom de mon futur moi, toute mes excuses pour t’avoir défoncé le cul, Mutt Jones. »

D’accord, il est inarrêtable, sa propre blague (qui n’en est pas spécialement une) le fait mourir de rire, sous le regard atterré de Ben qui, lui, n’a pas oublié ces histoires d’apocalypse. Boooon d’accord, ça va, ils vont être un peu sérieux. Et donc, le mieux, ce serait de retrouver Vanya. Sauf que bon… Si elle se trouve dans une ferme au Texas, ils ont bien le temps d’écumer tout le Texas avant de le retrouver. Non, c’est sûr qu’avec d’aussi maigres informations, ils vont arriver à rien.

Mais apparemment, le paternel a des contacts à la CIA (la classe)… c’est pas forcément ce qui va leur sauver la mise, mais au moins, Indiana a l’air de vouloir prendre le problème au sérieux, et Klaus a franchement envie de lui laisser le bébé pour jouer les insouciants finis en compagnie de Mutt. Pas qu’il ne s’inquiète pas pour sa fratrie ou pour Vanya, hein, mais chaque fois qu’ils se retrouvent, les choses ont l’air d’aller de mal en pis… c’est pas rassurant, quand même.

« Comment vous voulez qu’un truc que j’ai pas vécu me revienne ? » dit-il en haussant les épaules quand Jones père décide de le déposer à l’hôtel. « On bougera pas, on sera sages comme des images », ajoute-t-il d’un ton qui peut difficilement être pris au sérieux. « Hein Mutty, qu’on sera sage ? Parce que je prends ça très au sérieux, l’apocalypse. Suffit de voir comment ça a vrillé le cerveau de Five, j’ai pas envie de devoir me taper des mannequins pour le restant de mes jours. »

La conversation part dans tous les sens, et entre les discussions de Jones, concernant lesquelles il lui arrivait de perdre le fil, surtout quand Mutt commençait à évoquer des anecdotes qui les concernait lui et son paternel, et le discours paniqué de Ben à côté de lui qui essayait désespérément d’attirer son attention sur l’urgence de la situation, il aurait presque envie d’un peu de calme. Pas trop longtemps, hein, faut pas déconner, mais juste… quelques minutes, histoire de. Parce que là, il gère beaucoup d’émotions à la fois, et comme on lui laisse pas franchement le temps de les digérer, elles s’accumulent en une espèce de grand n’importe quoi qui n’a ni queue ni tête. Klaus est convaincu que s’il pouvait avoir accès à ne serait qu’une bouteille de bière, là, tout de suite, ce serait déjà mieux, mais à la place, il récupère en plein vol la conversation quand Mutt commence à parler d’aliens, puis de base-ball et de Frank Sinatra… Il n’a pas suivi grand-chose mais il devine que le sujet « fin du monde » est revenu sur le tapis.

C’est fou comme ils peuvent sauter d’un sujet à l’autre, c’est presque à se demander si l’apocalypse est un sujet si sérieux que ça. Mais Klaus aide pas non plus… il a beau l’avoir côtoyée de près, l’apocalypse, ça reste un truc abstrait, et encore plus abstrait dans cette situation qui n’a ni queue ni tête et qui part absolument dans tous les sens. En fait, il n’y a que Ben qui semble véritablement angoissé, mais Klaus a plus ou moins décidé, pour la faire brève, de ne rien écouter de ce qu’il pouvait bien lui dire, même si ça fait au moins dix bonnes minutes qu’il cherche à attirer son attention, que Klaus lui refuse en ne posant même pas les yeux sur lui. D’accord, d’accord, c’est vraiment pas cool de sa part mais en même temps… Il a pas assez d’oreille pour écouter tout le monde, là, et il garde le fil comme il peut, quand même pris au dépourvu au moment de constater que le paternel Jones s’arrête à la pharmacie pour leur acheter des capotes… sérieusement ? Bah… Il pourrait protester, mais en même temps, il va pas faire genre que ça va pas servir du tout.

Et ce n’est pas ce qui doit suivre qui doit témoigner du contraire puisqu’il aura suffi qu’Indiana sorte du véhicule pour que Mutt passe par-dessus son siège pour l’embrasser sans aucune vergogne… Et Klaus, loin, très loin de refuser ce baiser, avait plutôt tendance à l’intensifier, passant ses mains dans ses cheveux, laissant glisser sa langue entre ses lèvres. Il se passe un truc dingue, quand leurs lèvres se retrouvent, c’est un peu comme si elles étaient faites l’une pour l’autre, c’était un peu con, dis comme ça, mais c’était… putain d’électrique… Tout en faisant glisser ses mains dans le dos de Mutt, il prolonge ce baiser autant qu’il le peut, avec toujours plus de plaisir et de passion. Jusqu’à ce qu’un raclement de gorge l’interrompe. Klaus tourne son regard vers Ben, qui l’observe, mi agacé, mi atterré.

« Eh, t’as fini de te rincer l’œil ou bien ? »

D’un geste de la main, il chasse son fantôme de compagnie pour se focaliser de nouveau sur Mutty. Il entend vaguement le mot « apocalypse, à sa gauche, mais il décide qu’il s’en fiche, plus rien ne compte à part les lèvres de Mutt contre les siennes.

« Je comprends mieux », dit-il sans clarifier, entre deux baisers.

Il comprend mieux l’intensité de ce qui le lie à Mutt. C’est pas un truc qui s’explique. C’est un truc qui se vit, c’est tout.