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feat. Mutt

Pour être tout à fait honnête, Harley avait totalement oublié l’existence de Mutt Jones et de son petit ami. Ils auraient pu lui laisser une impression plus marquante, c’est vrai, d’autant plus que leur petite séance de thérapie avait été pour le moins animées, mais le fait est que toutes les séances qui avaient lieu dans ce cabinet étaient généralement animées, et qu’elle avait vu trop de patients claquer la porte de son bureau en décidant qu’ils ne voulaient plus jamais avoir quoi que ce soit à faire avec elle pour qu’elle s’en formalise encore. Ses méthodes plaisent ou déplaisent, elles ne laissent en tout cas pas insensible, de même pour son franc parler, et Harley a depuis longtemps cessé de se focaliser sur l’opinion des autres – à quelques exceptions notables près. Elle a admis que c’était une perte de temps. Alors oui, avant de retrouver ce garçon dans son cabinet, elle l’avait totalement zappé de sa mémoire, mais le jeune homme allait faire en sorte de se rendre mémorable à ses yeux.

Elle venait de dire au revoir à ce qu’elle pensait être son dernier patient de la journée, et elle est affairée à ce qu’elle aime le moins, à savoir la comptabilité, l’administratif, tous ces trucs qu’elle a tendance à bâcler ou à négliger, à ses risques et périls, quand elle voit la porte s’ouvrir sur ce garçon qu’elle met un léger temps à reconnaître avant de le resituer. Il a l’air complètement paumé, en pleine détresse… clairement il a frappé à la bonne porte… ou à la pire porte… l’un ou l’autre on va dire.

« C’est bon, je te resitue, t’es le gamin qui a craché sur mon travail. » Elle l’observe de haut en bas. « Alors comme ça on revient la queue entre les jambes ? » Elle pousse un soupir. « Bon, tu tombes bien, j’ai un peu de temps devant moi. »

Non, c’est en partie faux. Elle a des choses à faire, mais trouve que la présence du jeune homme est une véritable distraction, et une distraction plus que bienvenue. Vraiment, elle préfère largement se concentrer sur lui, là, tout de suite. Qui plus est, son impertinence, si elle pourrait déplaire à d’autres ne lui déplaît pas à elle, pas le moins du monde, même.

« Allez, installe-toi et explique-moi ce qui t’arrives. Et t’inquiète, je suis tenue au secret professionnelle, t’aurais refroidi un type derrière le local à poubelle avant de venir que j’aurais pas le droit d’en parler – et j’aurais pas que ça à faire de toute façon. Donc vas-y, je t’écoute. »

Elle-même quitte son siège de bureau pour s’installer sur le fauteuil faisant face à celui où Mutt a, de son côté, été convié à s’installer. Elle l’écoute avec la plus grande curiosité, s’interrogeant sur ce qu’il va bien pouvoir lui dire.

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feat. Mutt

Entre le Mutt qu’elle avait rencontré des semaines auparavant et le Mutt qu’elle a sous les yeux, il y a définitivement un monde. Ce n’est pas qu’ils soient totalement différent, le jeune homme qu’elle avait eu l’occasion de voir dans son cabinet était déjà manifestement fragile psychologiquement, mais il y a une différence. Toute agressivité a disparu au profit de ce qui ressemble fort à du défaitisme. Est-ce que c’est mieux ? Harley serait bien en peine de le dire… Ce n’est pas… moins bien à proprement parler. C’est juste différent. L’agressivité de Mutt ne dérange certainement pas Harley, mais elle lui conseillera forcément de l’employer à meilleur escient plutôt que de la gaspiller contre elle. Enfin, chaque chose en son temps. Elle a déjà besoin de comprendre plus en détails ce qui arrive exactement à son jeune interlocuteur. Parce que pour qu’il en vienne à lui revenir la queue entre les jambes, il s’est forcément passé quelque chose de grave – elle espère que c’est grave. Plus ce sera grave, plus ce sera intéressant pour elle. Sans l’ombre d’un doute.

« Sois. Plus. Clair », réclame Harley en détachant chacun de ses mots, attendant de la parti de son interlocuteur bien plus de transparence sur ses agissement, alors que ses mots entremêlés de sanglots ne l’aident pas à comprendre ce qui a bien pu arriver à ce pauvre type. Quant à ces pulsions… c’est toujours l’excuse facile des assassins, à ses yeux. Tout le monde a ces pulsions. Certains les écoutent, d’autres non. Et il n’y a aucun mal à les écouter, mais il faut l’assumer.

Alors il finit par le dire, il avoue avoir tué ce sale type, et le sourire de Harley s’éclaire. Ce qu’elle déplore, ce n’est pas le meurtre, c’est le fait que ça le hante. Avant de répéter qu’il s’en veut, autant de paroles que la psychiatre rejette d’un revers de la main. Les regrets entravent et vous retiennent en arrière, les regrets ne servent absolument à rien.

« Bon, on va d’abord être clairs sur une chose, les bonnes et les mauvaises personnes, ça n’existe pas, y a juste des être humains qui font des conneries plus ou moins graves. Bon, la tienne est un peu coton, mais tu l’as dis toi-même, pas vrai ? Qu’il l’avait mérité. Alors commence pas à t’inventer des scrupules sous le prétexte que ça fera de toi une meilleure personne. T’as fais ce que t’as fait, fin de l’histoire. » Elle pousse un soupir. « En tout cas, pleurer et te flageller risque pas de le faire revenir d’entre les morts, alors oublie ça direct », le somme-t-elle sans détour. « Qu’est-ce qu’il a fait exactement, pour que t’en viennes à le refroidir ? »

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Un léger rire cynique s’échappe des lèvres de Harley quand son interlocuteur et patient résume en quelques mots une pensée morale simpliste qui s’applique pourtant si mal à quiconque se retrouve en position de donner la mort. « Tuer c’est mal. » Oui, sur le principe, personne ne devrait être capable de vous contredire à ce sujet. Et pourtant, Harley serait capable de donner des dizaines de cas dans lesquels au final, tuer n’est pas si mal que ça. Elle est convaincue, par exemple, que plein des héros des films d’action que Mutt doit probablement adorer ont plus de sang sur les mains que quelques criminels notoires, et pourtant, pour une raison ou une autre, on trouvera tout de même matière à les porter aux nues et à les acclamer. Elle pourrait lui sortir tout ça, mais elle se l’épargne, son but n’est pas de lui prémâcher le travail, mais de faire en sorte qu’il en arrive à ces mêmes conclusions de lui-même, tôt ou tard, et comme un grand.

Elle l’écoute donc sans rien dire et ne l’interrompt pas tandis qu’il lui parle plus précisément des circonstances dans lesquelles tout ceci s’était produit. Elle zappe assez rapidement la partie sur la préparation du mariage mais s’amuse bien plus d’imaginer les deux tourtereaux faire leur affaire derrière un buisson, comme des lapins – peut-être que Mutt devrait davantage s’inquiéter de ses addictions sexuelles que de sa propension au crime… Harley reviendrait sur le sujet plus tard. Bref, ça se faisait des choses pas très catholiques, et ils ont été surpris et filmés… Clairement, ce n’était pas très malin…

« Ce type était un connard », commente finalement Harley après que Mutt lui ait expliqué ses menaces, sa violence, le fait qu’il avait littéralement assassiné son homme devant lui.

Oui, ce type était un connard, et aux yeux de Harley, il avait clairement mérité de mourir. La culpabilité de Mutt est de trop, et elle est bien décidée de l’en débarrasser. Jamais de la vie elle n’envisagerait de réprimander le jeune homme pour avoir seulement défendu son honneur, et s’être vengé en bonne et due forme. En plus, apparemment, la police n’avait aucun soupçon sur lui, alors c’était tout bénef, pas vrai.

« Et un connard magistral », reprend-t-elle en éludant pour le moment cette histoire de cauchemars. Oh, elle estime que c’est important, pourtant, n’allez pas croire le contraire… mais chaque chose en son temps, dirons-nous, et il ne servirait à rien de sauter au second point tant qu’ils n’auraient pas pris pleinement et amplement connaissance du premier d’entre eux. « Imaginons un scénario où tu aurais décidé de ne pas le tuer, qu’est-ce que ça aurait donné, selon toi ? » Elle marque une pause. « Tu peux me parler franchement. Je veux que tu me dises exactement ce que tu penses », ajoute-t-elle d’un ton ferme pour ne laisser aucun doute à ce sujet.

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Harley fixe Mutt avec insistance, une manière comme une autre de lui faire comprendre que « Je sais pas » ne sera pas une réponse acceptable à ses yeux. Oui, elle cherche à le pousser dans ses retranchements. Oui, la méthode peut être considérée comme brutale, et c’est probablement parce qu’elle l’est que le jeune homme avait mis un pas de côté et décidé de fuir son cabinet la première fois qu’il était venu la consulter, mais s’il est de nouveau présent, la psychiatre veut croire que c’est parce qu’il a compris. Il sait maintenant que seule la manière forte lui permettra de véritablement aller de l’avant. Mutt Jones a besoin d’être bousculé, et Harley devine que dans son entourage, tout le monde, son petit ami en tête, doit probablement marcher sur des œufs avec lui.

« Je n’ai jamais dit que tu en étais un. Il n'y a que toi pour le dire », répond Harley, même si la nuance est à revoir tout de même. Quiconque tue quelqu’un est bel et bien un meurtrier, en réalité, mais Mutt Jones a l’air de penser qu’il saurait être l’exception qui confirme la règle…

Ceci dit, elle est d’accord, à ses yeux, il n’est pas un meurtrier, mais il garde en lui une propension à tuer qui n’en est pas moins fascinante. Elle le laisse poursuivre, néanmoins, car pour le moment, il n’a toujours pas répondu à sa question, quand bien même il a bel et bien raison : sa victime méritait bel et bien de mourir, et c’est une bonne chose qu’il se le répète, et qu’il ne l’oublie surtout pas.

Finalement, Mutt accepte de répondre. Le type se serait tiré, aurait ruiné sa réputation, aurait peut-être écopé de prison, mais honnêtement, Harley doutait fort qu’il aurait purgé la moindre peine. Il aurait probablement continué, et le cycle de la violence aurait été sans fin.

« Et tu n'es probablement pas le seul auprès de qui ce jeune homme ait mené une telle campagne de harcèlement. Ce genre de profil a rarement une seule victime, même s’il leur arrive d’en privilégier. Ton geste a probablement sauvé d’autres vies encore », commente-t-elle d’un ton sérieux.

Ce qu’elle veut lui faire comprendre, c’est que cet apitoiement sur soi, cette culpabilisation ne mèneront absolument nulle part. Mutt Jones a besoin d’un bon coup de pied au derrière, et en la matière, Harley a de la ressource, elle trouve toujours de quoi faire, alors Mutt n’a vraiment pas à s’inquiéter pour cela.

« Quelles conséquences exactement ? Ce qui affecte ton entourage, pour le moment, ce ne sont pas tes actions mais l’état dans lequel tu t’empêtres. Tu n’es pas libéré, c’est faux, si tu l’étais, tu savourerais cette liberté plutôt que de te morfondre. » Harley le fixe longuement. « Tu n’es pas totalement équilibré, je le confirme, sinon tu n’aurais rien à faire ici… mais crois-moi, j’ai côtoyé de vrais psychopathes, plus que tu ne peux l’imaginer. Et toi, Mutt, tu n’en es pas un. »

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Harley a vraiment le sentiment de progresser avec Mutt, cette fois. Ce dernier ne se contente pas de se braquer ou de se réfugier derrière des excuses confortables, il accepte de se livrer sincèrement et de s’exprimer sur ce qui le dérange véritablement, et au final, ce qu’il lui dit est rassurant. Ce ne sont pas ses actes qui vraiment le bouleversent, c’est les conséquences de ses actes, et les conséquences qu’ils pourraient avoir sur ses proches.

« Il n’y aura de conséquences à tes actes que si tu te fais choper… est-ce que tu as l’intention de te faire choper, Mutt ? » Elle sourit. « Crois-moi, y a peu de chances que tu finisses en tôle, si les flics avaient dû te coffrer, ce serait déjà fait… le seul risque, ce serait que t’aille te dénoncer maintenant, mais tu vas pas faire ça, pas vrai ? »

Non, il ne va pas faire ça. Il ne va pas faire ça parce que ce serait contreproductif. Mutt a avoué avoir tué sa victime afin d’être enfin libre. Et libre, il l’est bel et bien, maintenant. Se dénoncer aux flics, ce serait insulter cette liberté nouvellement acquise – il n’y aurait rien au monde de plus contreproductif, c’est une certitude. Alors oui, il ne doit pas se mettre martel en tête, avec ça. Alors évidemment, c’est plus facile à dire qu’à faire, c’est toujours plus facile à dire qu’à faire, mais le jeune homme est capable de remonter la pente, il doit seulement cesser de se laisser entraver par ces émotions qui l’entravent et qui l’empêchent d’aller de l’avant et de récolter les fruits de ses efforts.

« Exactement, je suis la pro, et si je te le dis, c’est que c’est vrai. J’ai raison, et tu seras libre quand tu arrêteras de t’inventer des barrière qui n’existent pas. Tu es ton seul ennemi, Mutt, il n’y en a aucun autre, et tout ce que tu fais pour l’instant, avec cette agressivité, avec ces refuges artificiels derrière lesquels tu te renfermes, c’est creuser ta propre tombe. Tu te flagelles par confort. C’est toujours plus simple que d’accepter cette liberté qui a de vraies raisons de te faire peur, mais qui mérite d’être savourée à fond. » Elle sourit. « Tu t’es tellement battu pour l’obtenir, tu es allé au bout de tes propres limites, ce n’est pas pour rétropédaler maintenant. » Elle marque une pause. « Bon, on va procéder par étape, et on va commencer par la gestion de ta colère. Est-ce que tu as envisagé de te lancer dans une activité qui te permettrait de canaliser cette colère, ou au moins de l’orienter de manière plus saine ? Je sais pas moi, la boxe, les arts martiaux… Y a ces entreprises qui proposent de défoncer des objets avec des battes de base-ball, c’est génial, ça aussi… » Elle sourit. « Ce ne sont pas les possibilités qui manquent. »

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feat. Mutt

Harley affiche un sourire satisfait quand, sur le ton de l’évidence, Mutt admet qu’il n’a pas la moindre intention de se dénoncer. Tant mieux, c’est quand même un souci en moins que de savoir qu’il n’a pas l’intention de céder à ce qui ne serait rien d’autre qu’un coup de folie pure et dure, et qui ne mènerait personne où que ce soit, si ce n’est droit dans le mur. C’est sûr, ce serait foutre ses proches dans la merde, et les rendre malheureux, mais même pour lui-même, et quoi qu’il en pense, il sera probablement plus que ravi de s’éviter la prison à perpétuité. Personne ne peut décemment désirer une chose pareille, peu importe le prétexte.

« Ecoute, coco, le système judiciaire, je connais bien, c’est pas à moi que tu vas donner des leçons sur la question, alors si je te dis que tu peux te détendre, c’est que tu peux te détendre, vraiment », affirme la blonde avec conviction. « De toute façon, si tu dois commencer à te faire du mouron pour tout ce qui pourrait hypothétiquement arriver, tu auras plus vite fait de te faire sauter le caisson direct, mais tu ferais pas ça à ton Appolon, pas vrai ? » ajoute-t-elle avec légèreté.

Oui, elle sait que se sortir de ce foutoir émotionnel n’est pas le genre de choses que l’on arrive à faire en un claquement de doigts, mais en attendant, c’est possible d’y arriver, et c’est possible d’y arriver si on se laisse entendre dire que oui, c’est une vraie possibilité. Pour cette raison, Harley continuera de le lui répéter, jusqu’à ce qu’il passe de réfractaire à sceptique, de sceptique à convaincu. C’est un cheminement tout naturel, Mutt n’a pas de raisons d’y arriver moins bien que tous les autres. Plus d’hommes qu’il ne doit être capables de s’en imaginer sont passés par là, s’ils ont réussi, il le peut aussi. Surtout que beaucoup d’entre eux avaient une force de caractère bien moins grande que celle que Harley devine chez son jeune patient. Oui, il s’en sortira, il s’en sortira, mais il doit faire preuve de patience. Ce n’est pas comme si une solution miracle existait qui ferait tout changer d’un coup. En revanche oui, une activité sportive et exigeante pouvait bel et bien faire des miracles, de façon plus qu’évidente… Pas des miracles exceptionnels et hallucinants non plus, mais notables en tout cas.

« La course c’est bien, mais ce que je te conseillerais, c’est de t’inscrire dans une salle de sport, ou de un sport de combat, le genre un peu moins distingué que l’exprime, de la boxe par exemple. Ne serait-ce que te défouler sur un sac de frappe, je te garantis que ça va te calmer et t’aider. Et avant que tu le dises, non, c’est pas ce qui va tout résoudre, mais la seule chose qui pourra t’aider à aller mieux, c’est le temps – et le bon dosage d’antidépresseurs, parce que crois-moi mon mignon que t’en as très sérieusement besoin. »

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« Si les choses étaient toujours plus simples à faire qu’à dire, je serais sur la paille depuis un bail », constate-t-elle. « C’est pas parce que quelque chose est difficile qu’elle est impossible. Et puis, t’aimes les défis, pas vrai ? »

Evidemment que lui demander du jour au lendemain de ne plus se faire de mouron semble excessif voire même impossible, mais si l’on n’essayait pas, on entretenait de soi-même cette machine sans bouton stop. Tout cela demande, bien évidemment, une force mentale importante, mais ce n’est pas parce que c’est clairement le cas que la tâche est impossible pour autant. Bien au contraire. De son côté, en tout cas, la jeune femme ne doute pas un seul instant des compétences de son interlocuteur… Même si elle le bouscule pas mal – ce qu’elle estime être dans son propre intérêt, elle pense qu’il est tout de même capable de faire ce qui doit l’être. Il lui a déjà prouvé qu’il était capable d’une sacrée force de volonté, après tout.

Mais oui, il y a des conseils plus concrets qu’elle peut lui donner, comme celle de décharger toute son énergie violente vers quelque chose de plus défoulant et de plus sain. Au fond, Harley se moque que son interlocuteur tue à tour de bras, mais s’il a des scrupules, cela gâche immédiatement son plaisir, alors s’il n’est pas capable de tuer de sang froid sans éprouver de remords, autant présenter les choses sous un angle différent. La boxe, c’est une bonne idée, ouais… en même temps, Harley estime qu’elle est un puits à bonnes idées ambulant. Elle en regorge, elle n’y peut rien, c’est dans sa nature. Elle ne peut pas faire autrement.

« Ah bah c’est sûr que si t’as tout a arrêté, t’auras du mal à savoir ce qui te convient », fait-elle au sujet du traitement de Mutt. « Je pense qu’on t’a pas fait les bonnes prescriptions. Est-ce que tu as parlé de ces effets néfastes, ou du sentiment que ce n’était pas assez fort à tes précédents médecins ? » Elle croise les bras. « On n’est pas devins, tu sais ! Bon, mes collègues sont à quatre-vingt-dix pour cent des idiots, ça aide pas, mais si ton traitement ne te semble pas être le bon, on peut passer sur autre chose. Et normalement, si tu coupes pas tes antidépresseurs avec de la coke à haute dose, même si faut reconnaître que le cocktail est sympathique, ça ne devrait pas griller les quelques neurones qui te restent. » Son sourire s’élargit. « Qu’est-ce que t’en dis ? Tu veux bien au moins tenter le coup ? »

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La lassitude de son patient est palpable… Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Harley n’est pas nécessairement la psychiatre la plus patiente avec ceux qui passent dans son cabinet. Elle ressent le besoin de bousculer constamment ceux qui font preuve du plus d’apathie, c’est sa manière à elle de se stimuler, en les stimulant. Si elle a décidé de reprendre ses anciennes fonctions, ce n’est pas tant pour gagner sa vie dignement que dans l’espoir d’y trouver un semblant de divertissement, et pour cette raison, elle ressent le besoin de bousculer ceux qui s’allongent sur son divan, y compris ses patients les plus fragiles… Surtout ses patients les plus fragiles, en réalité. Cela peut lui donner l’air particulièrement désagréable… Mais le fait est que plus elle vous bouscule, plus elle vous vous de l’intérêt… Elle éprouve une empathie sincère à l’adresse de Mutt, et même si elle le fait à sa manière, elle désire réellement l’aider. Son souci de lui venir en aide est sincère.

« On va te prescrire quelque chose qui corresponde plus à tes besoins. Et ne parle pas de te défoncer. Si t’as l’impression d’être défoncée, c’est que ta prescription n’est pas bonne… Et tes charmants neurones arrêteront d’être aussi bien que tu le dis si tu les fais fondre avec la mauvaise dose des mauvais médicaments. » Elle l’observe avec un mélange de gentillesse et de compassion. « Evidemment, on va pas modifier ton traitement en un claquement de doigts, on va faire ça de façon progressive, il faut surtout qu’on détermine ce qui te conviendra le mieux. Mais pour ça, je vais avoir besoin de te revoir régulièrement. Tu me promets que c’est pas un one shot ? Que tu reviendras ? »

Elle a beau donner l’impression de prendre son travail par-dessus la jambe, ce n’est pas le cas du tout, elle sait le prendre à cœur quand elle se retrouve en présence de cas qui la touchent réellement… Et en l’occurrence, c’est clairement le cas. Elle trouve le cas de Mutt intéressant. Il est intéressant notamment parce qu’il lui fait de la résistance. Elle a envie de le voir reprendre du poil de la bête, elle a envie de le voir étouffer sa culpabilité jusqu’à la faire disparaître. Car, à ses yeux, cette culpabilité n’a définitivement pas lieu d’être. Mutt a fait ce qu’il estimait être nécessaire dans des circonstances elles aussi nécessaires. Il n’a absolument rien se reprocher.

« Qu’est-ce qui vous est arrivé ? » demande Harley quand son interlocuteur lui apprend ne plus vouloir toucher à cette merde sous le prétexte que ça leur a fait trop de mal.

Elle veut connaître le détail. De même que, d’expérience, elle sait pertinemment que ce n’est pas parce qu’une chose nous a fait trop de mal qu’on ne finit pas par y retourner, encore et encore et encore. L’addiction, Harley connaît. Même si, dans son cas c’est une addiction émotionnelle.

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feat. Mutt

L’air de rien, Harley se découvre une certaine affection pour ce garçon un peu brute de décoffrage, et qui ne lui a définitivement pas facilité la vie pour commencer… Justement, sans doute, parce qu’il ne lui a pas facilité la vie. Harley n’aime pas quand les choses sont trop simples ou ont l’air de couler de source, elle n’a jamais aimé ça… Raison pour laquelle les patients sur lesquels elle a toujours eu tendance à jeter son dévolu avaient ceci en commun d’être de sérieux cas cliniques. Les terrains dépressifs, les troubles de la personnalité borderline, les gens qui voulaient juste quelqu’un pour écouter leurs problèmes, elle en avait soupé. Avec Mutt, au moins, elle trouve un réel intérêt, et une raison bien concrète de prêter une oreille des plus attentives à tout ce qu’il pourrait potentiellement lui dire.

Harley adresse un regard d’avertissement à Mutt quand ce dernier se contente d’un simple « Je comprends ». Elle ne serait pas forcément surprise qu’il change d’avis en cours de route et décide de ne jamais revenir dans son cabinet, c’est un risque à courir avec ce genre d’énergumène. C’est l’un des risques du métier, cela dit, et c’est même ce qui le rend si passionnant… quand ça ne le rend pas juste plombant – malheureusement, ça arrive également.

Harley écoute attentivement ce que son jeune patient lui apprend. Et ce qu’il lui raconte fait très début de film d’horreur… Ou de film introspectif hyper chiant. Klaus et Mutt sont sur un bateau, les deux sont des junkies, l’un est en manque. Il n’a pas su dissimuler son addiction, et il a failli entraîner son pauvre futur mari dans sa chute. Oui, y avait de quoi être honteux en effet.

« Heureusement que vous avez pas plongé pour de vrai », ne peut s’empêcher de noter Harley (quoi ? l’astuce était beaucoup trop tentante). « Je vais pas prétendre que ce que t’as fait était très cool, mais je vais te poser une question toute con : pourquoi t’en as pas parlé à Klaus ? » Elle le fixe longuement. « Ouais, je devine pourquoi, pour pas compliquer les choses, pour pas l’inquiéter… Mais tu sais, dans ce genre de cas, le plus simple, c’est de parler à quelqu’un qui est capable de vous comprendre. J’veux dire, sa psy d’abord, et ensuite quelqu’un qui peut nous comprendre », se corrige-t-elle avec amusement. « Tu vois ce qui arrive quand on veut surprotéger les gens ? On finit toujours par les blesser. » Elle marque une pause. « Faire passer constamment les autres avant soi, ce n’est pas sain, ce n’est pas héroïque… La plupart du temps, c’est plus égoïste qu’il n’y paraît. »