Comme on se retrouve

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Dans cette nouvelle vie, Klaus a eu le sentiment d’en avoir vécu plusieurs en une seule, et pour cause, son quotidien qui n’avait pas spécialement attendu d’arriver sur cette île étrange pour être mouvementé, avait été  bousculé de tant de manières qu’il semblait à peine concevable que cela fasse seulement trois ans qu’il se trouve ici – enfin, tout est relatif, en réalité, car parfois, il a le sentiment de s’être réveillé ici, sans repaires et sans pouvoir, pas plus tard que la veille. Tout est affaire de perspective en fin de compte.

De fait, depuis son arrivée, il a pu construire des liens et les briser, plus qu’on ne pourrait le soupçonner. Qui a-t-il gardé parmi ses contacts de personnes qu’il fréquentait avant de rencontrer Mutt ? La réponse est bien simple – personne. Parce qu’à l’époque, il n’avait pas encore retrouvé ses frères et sœurs (et certains manquent toujours à l’appel, au passage), et ses fréquentations d’alors… bon, pour commencer, il avait vu régulièrement son dealer, et croisé deux-trois têtes connues au gré de ses errances dans des lieux peu fréquentables de la ville, mais le fait d’avoir un toit sur la tête l’avait naturellement isolé de ceux qu’il avait eu l’habitude de côtoyer. Et à partir du moment où il avait pris la résolution de se sevrer une bonne fois pour toutes (après le sinistre épisode de son anniversaire, dont on évitera de parler trop longuement), les ponts avaient été coupés une bonne fois pour toutes.

Assez égoïstement, Klaus devait bien reconnaître qu’aucune des personne rencontrées et fréquentées dans cette obscure période de sa vie ne lui avaient véritablement manqué. Quand il y pense, il se replonge dans des souvenirs altérés par une consommation bien trop conséquente d’opiacées, qui l’empêchait clairement d’y voir clair. Alors sans façon…

Klaus, par exemple, n’aurait pas envisagé un seul instant de recontacter Edmund s’il n’était pas tombé sur lui absolument par hasard. Pourtant, Klaus avait de relativement bons souvenirs de lui… mais il est aussi vrai qu’au moment où sa vie s’était retrouvée sur de meilleurs rails, il n’avait pas envisagé de jeter le moindre regard en arrière… et les choses s’étaient jouées ainsi. C’est donc une surprise totale pour lui que de le retrouvé au hasard d’un rayon de supermarché, au moment de charger son caddie de quantités d’articles absolument inutiles (y en a un qui va encore râler, mais bon, faut ce qu’il faut).

« Edmund ! Mundy ! C’est bien toi ? Mince, ça fait un bail, pas vrai. La dernière fois, c’était… quand déjà ? » Il aurait pu l’ignorer plutôt que de l’aborder, peut-être même que ça aurait mieux valu, mais c’est trop tard, à présent, et parce que Klaus ne sait pas se la fermer, il continue. « T’es beau comme un camion, ça a l’air d’aller bien. »

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L’hésitation dont fait preuve Edmund au moment de saluer Klaus ne peut évidemment pas échapper à ce dernier, de même qu’il ne peut pas vraiment lui reprocher de réagir ainsi. Vu les circonstances, c’est même assez normal, en réalité. Il faut dire que les derniers souvenirs qu’ils ont en commun ne sont pas forcément les plus glorieux que l’on puisse imaginer, et c’est étrange de se retrouver tous les deux dans un contexte où ils ont l’un et l’autre évolué. Ils n’ont plus grand-chose à voir avec ceux qu’ils étaient la dernière fois qu’ils se sont vus, et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est sans doute pas plus mal, parce qu’ils n’avaient clairement pas été beaux à voir, ni l’un ni l’autre, à l’époque. La culpabilité que Klaus aurait éventuellement pu ressentir à l’idée d’avoir laissé Edmund sans plus se soucier de lui se dissipe tout de même en constatant qu’il a vraiment l’air d’aller bien.

« Ouais, c’est rien de le dire, et je suis revenu de loin », confirme Klaus.

Ce qu’Edmund est en droit d’interpréter comme il veut. Non, il ne va pas prendre de travers une telle remarque, même si, pour avoir côtoyé son lot de revenants, il se pense en droit d’affirmer qu’il s’en tire vraiment pas mal du tout dans son genre, et que beaucoup des macchabées qui se plaisent à lui tenir compagnie (et qu’il n’a pas toujours sollicités au passage) devraient clairement en prendre de la graine de leur côté. Oui, il revient de loin pour plein de raisons, mais ce qu’Edmund ne peut évidemment pas savoir, c’est qu’il revient carrément d’entre les morts, alors qu’il a bel et bien failli y passer, au sens le plus strict du terme.

« T’as vu ça ? Et sans faire un crochet par le rayon alcool », fait-il avec une mine un peu fier quand Edmund observe que s’il est là, à faire ses courses, c’est que ça ne doit pas aller trop mal quand même. Bon, tout est relatif, évidemment, parce qu’il a quand même eu une période franchement sale et pas franchement heureuse, et aussi que c’est pas spécialement son argent qui lui permet de se les payer, ses courses, mais ça, c’est encore une autre paire de manche, il va éviter de s’épancher trop longuement sur le sujet. « T’as l’air de bien t’en sortir, aussi. Qu’est-ce que tu fais, maintenant ? »

Quelle drôle de conversation, hein ! C’est comme s’ils étaient deux vieux potes de lycée qui se retrouvaient des années plus tard, sauf que dans leur cas, les souvenirs qu’ils avaient en commun étaient pas spécialement de ceux dont il était possible de rire à gorge déployée… Bon, encore faut-il qu’ils sachent se souvenir de tout ça, d’ailleurs… et dans le cas de Klaus, toute cette période est… sacrément floue, honnêtement.

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« Eh bien non », fait Klaus, qui bizarrement se sentirait presque embarrassé, comme si c’était un aveu honteux que d’admettre qu’il est en plein sevrage, alors que ça devrait plutôt être un motif de fierté.

C’est clair qu’il avait une sacrée descente, la force de l’habitude. Et c’est bien le problème, au final. Klaus ne buvait pas juste comme ça, en passant, quand il s’y mettait, ce n’était pas juste un verre, juste une façon de trinquer, ou quelque chose du genre… Non, quand Klaus buvait, il voulait asphyxier ses émotions, ses pensées, ses pouvoirs, c’était une manière de se tenir à distance de l’horreur la plus absolue, la plus insoutenable, une façon de perdre une partie de sa conscience, de ne plus être tout à fait lui-même. S’il devait se remettre à boire, ou à consommer quelque autre substance addictive que ce soit, ce serait immédiatement la dégringolade et il le sait. Il n’a pas le choix que d’arrêter tout net, ce qui est un combat constant pour lui, car l’envie le reprend régulièrement, et pour avoir déjà vécu trois années de sobriété pour finalement retomber dans ses anciens travers, il sait que ce n’est pas un combat que l’on gagne vraiment un jour… il faut être vigilant à tout instant.

« Je suis sobre de chez sobre », reprend-il avec un fin sourire, sans rendre la question à Edmund, qui a répondu indirectement. Edmund n’avait sans doute pas un rapport aussi complexe et conflictuel que lui avec la boisson, et c’est tant mieux pour lui. Il a trouver sa propre manière de revenir sur de bons rails, et c’est ce qui compte, naturellement.

Il revient de loin, il le confesse lui-même, et sans surprise. Il a un bon job, apparemment. Journaliste et reporter-photographe. Klaus, en entendant ça, ne peut s’empêcher d’émettre un sifflement impressionné. Lui-même ne peut prétendre avoir si bien évolué de son côté… en tout cas certainement pas professionnellement (pour cela, il faudrait qu’il s’en donne la peine).

« La classe ! Je lis pas le journal mais faudra que j’essaie pour toi, tiens », dit-il alors. « Et sinon ben… » Il occulte la partie travail, il estime que ce n’est pas spécialement nécessaire. Il pourrait parler de ses séances photo avec Estella, mais au final, il décide de répondre à ces dernières questions. « J’ai retrouvé quasiment tout mes frères et sœurs, à part Vanya et Luther, je t’ai parlé d’eux ? Je sais plus… » Tout est flou. « Toi je me souviens, t’avais deux sœurs et un frère, c’est ça ? Enfin, t’as toujours, je suppose. Tu les as retrouvés ? » Il marque une pause. « Sinon, les amours, je dirais que ça se passe plutôt pas mal. » C’est tout naturellement que son sourire s’élargit. « … Figure-toi que je suis fiancé, maintenant ! »

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Klaus apprécie sincèrement les paroles d’Edmund quand ce dernier lui assure être content pour lui. Il sait que ce ne sont pas des paroles en l’air, et il les apprécie d’autant plus. Venant d’autres, elles peuvent parfois avoir moins d’impact, parce qu’il pense qu’il est impossible de se faire une idée réelle de ce que cela représente de revenir à une vie saine après avoir vécu une véritable descente aux enfers. On n’en revient pas si facilement, et surtout, on en garde des séquelles pour toujours, c’est inévitable. Même quand on se targue d’être aussi sobre que possible. Edmund, lui, doit sans doute comprendre son combat. Il n’a pas complètement arrêté l’alcool, certes, mais y a des signes qui trompent pas, et avec la drogue, quand on a vraiment été camé, on peut pas passer à une fois de temps en temps, donc Edmund est vraiment revenu sur les bons rails. Tant mieux pour lui, vraiment.

« Je te dis pas que mon avis sera très intéressant parce que j’y connais rien du tout, mais ce sera un plaisir », fait Klaus en improvisant une courbette qui pourrait signifier « à ton service » quand Edmund confirme qu’il apprécierait avoir son opinion sur ce qu’il écrit… pas que ça serve à grand-chose, mais ça…

Il ne dit rien, se contente d’un fin sourire quand Edmund lui assure qu’il retrouvera les frères et sœur qu’il n’a pas encore retrouvés, tôt ou tard. Il le pense aussi, mais le temps commence à être long malgré tout. Bon, il a déjà retrouvé un petit paquet de Hargreeves qui, pour la peine, lui en ont fait voir de toutes les couleurs, alors, quelque part, il devrait presque se réjouir du fait qu’ils ne soient pas encore au grand complet.

« Oh mais carrément ? C’est fou ça, hein ? C’est le silence radio pendant des plombes, et hop, d’un coup, y a toute la fratrie qui vient te coller aux basques. Mais c’est cool, non, c’est trop bien, même. Et ça se passe bien, du coup, la coloc avec ton frère ? »

Klaus pense commencer à doucement comprendre les raisons qui auront peut-être poussé Edmund à se remettre sur les bons rails… encore qu’il n’en sait rien, peut-être que ça date d’avant les retrouvailles entre Pevensie… Lui-même est complètement paumé chronologiquement. Il a vécu tellement de trucs complètement dingues, et en si peu de temps, qu’il serait au final bien incapable de dire quand il a cessé de parler à Edmund pour la dernière fois. Qu’importe, ils raccrochent les wagons – notamment, donc, en évoquant ses fiançailles, son sujet de conversation récurrent et préféré ces derniers temps.

« Merci, il s’appelle Mutt, et c’est l’homme de ma vie. Enfin, on se marierait pas si c’était pas le cas, hein ? Je suis pas sûr que les mariages blancs servent à grand-chose, ici », ajoute-t-il comme s’il réfléchissait très sincèrement à la question. « Rooo ça va d’être aussi défaitiste, là », dit-il quand Edmund évoque ses propres relations. « Si ça se trouve, la prochaine fois qu’on se verra, c’est toi qui vas m’annoncer que tu te fiances et j’aurai rien vu venir. »

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Par moments, Klaus se dit lui-même que c’est un peu facile de tout mettre sur le dos de cette ville à chaque fois qu’un truc se passe. Est-ce que c’est vraiment si simple que ça ? Est-ce que la ville a vraiment une conscience ou quelque chose du genre ? Chaque fois que ces pensées l’habitent, ceci dit, il les abandonne très rapidement, parce qu’elles ont le don de lui filer de sacrés nœuds au cerveau, l’air de rien, donc merci mais non merci. Il sait pas si on a raison de croire que la ville possède autant de pouvoir que ça, mais ce qu’il sait en revanche, c’est que c’est une bonne planque, et qu’il aime bien, lui, vivre en planqué quand on lui en donne l’opportunité (et ce n’est malheureusement pas si courant, même ici, même loin du père Hargreeves et de la Umbrella Academy).

« Tu devrais lui dire, à ton frangin », fait Klaus innocemment sans éventuellement endosser un blâme sous-entendu qu’il pourrait clairement admettre sa part de responsabilité dans tout ça. Le pire, c’est que sur le moment, il n’a même pas conscience de cela. Après tout, Klaus va bien et il est en bonne santé : pour lui, c’est un peu comme si ça effaçait toutes les conneries de leur passé commun. « Il finira sûrement par l’apprendre, de toute façon », ajoute-t-il dans un haussement d’épaules.

Et sans s’attarder davantage là-dessus, il décide de se focaliser, sans doute égoïstement une fois encore, sur le mariage à venir, qu’il visualise de mille et une manières tant qu’ils n’ont encore rien concrétisé, et pour le moment, tout ça reste très flou.

« On a pas encore de date, c’est un bordel d’organiser un mariage, tu le savais, ça ? Mais le plus tôt possible, ce serait bien », ajoute-t-il comme si le sort allait se plier à sa volonté sans avoir besoin de lever le petit doigt pour cela. « Mais carrément, ouais, pour les photos, ça pourrait être cool, enfin, faut que j’en parle à Mutty avant, forcément, mais ça pourrait être bien, carrément. »

En soi, ça lui va bien d’accepter les services d’Edmund, pourquoi pas, après tout. Est-ce que ce serait pas un peu bizarre ? Est-ce qu’ils ne sont clairement pas de bonnes fréquentations l’un pour l’autre ? Klaus n’y réfléchit même pas, il se laisse porter par l’instant de la rencontre, et il réfléchira sans doute plus tard à ses conséquences.

« Moi je t’ai toujours trouvé très ouvert », affirme Klaus dans un haussement d’épaules, il joue tant celui qui ne veut pas comprendre que c’est à se demander s’il ne comprend réellement pas. « Enfin… »

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Ses conseils, Klaus devrait peut-être se les garder pour lui, il n’a aucun droit, après tout, d’en donner le moindre à son interlocuteur. Après tout, il aura eu plutôt tendance à le mener dans les pires directions possibles, alors ce n’est pas franchement juste, maintenant, de commencer à gentiment lui dire quoi faire quand lui-même sait à peine se gérer tout seul (ne sait pas se gérer tout seul).

« J’ai pas dit que c’était ta faute », réplique Klaus comme s’il ne voyait pas du tout d’où une telle remarque pouvait bien venir. « Même si je vois pas trop de la faute de qui d’autre », reprend-il, ce qui est vraiment une très mauvaise idée.

Klaus a tendance à jouer toutes les mauvaises cartes, et le pire, c’est qu’il le fait sans réfléchir, parce qu’il ne se rend pas compte de ce qui se passe dans la tête de son interlocuteur – c’est à peine s’il a vraiment conscience de ce qui se passe dans sa propre tête pour commencer, il faut dire.

« Oui bon, on va d’abord te trouver quelqu’un, et après le mariage », décrète Klaus avec assurance. « Après, ça va vite. Regarde, Mutty et moi, ça fait même pas un an qu’on est ensemble. »

Ce qui prouve bien que, techniquement, ils devraient ne pas se précipiter et faire le choix plus sage d’attendre un peu ? Faire des choix sages et réfléchis, ce n’est clairement pas leur genre, ni à l’un, ni à l’autre, donc ça n’arrivera clairement pas. Klaus récupère la carte d’Edmund et l’observe un instant.

« T’as carrément une carte de visite, cette classe ! Je devrais m’en faire une, moi aussi, tu remplaces juste photographe par glandeur, et hop, le tour est joué », se marre-t-il avant de venir glisser ladite carte au creux de la poche de son pantalon.

« Euh… ouais… », reconnaît Klaus, soudainement mal à l’aise quand Edmund lui fait remarquer que leurs interactions sociales n’étaient pas vraiment un exemple. Ils avaient été défoncés quasiment à chaque fois, forcément qu’ils ne se comportaient pas de la même façon. Enfin… « la plupart du temps », c’était gentil encore. C’était quasi-constant, à ce moment-là, au point que c’est presque miraculeux que Klaus ait su retenir le nom d’Edmund malgré tout. « Mais regarde, là, on parle bien même sans toute cette merde donc… comme quoi… »

Il commence à sentir comme une légère tension dans l’air. Il ne saurait trop dire si cela vient uniquement de lui ou du fait que leur discussion ait basculé vers un sujet délicat qu’ils auraient plutôt intérêt à ignorer.

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« Hein quoi ? » répond Klaus, en jouant les ignorants une fois de plus,incapable de vraiment comprendre l’agacement d’Edmund. Il suffirait sans doute qu’il dise qu’il était désolé, mais comme il ne voit pas vraiment de quoi il devrait s’excuser, il n’en fait littéralement rien. « Chacun est responsable de sa merde, Eddy. »

Est-ce qu’il l’accuse de la sienne ? Pas qu’il sache, en tout cas, et pour cette raison, il préfère tenter de noyer le poisson et discuter de son mariage, même si, par certains aspects, ça peut s’avérer être un terrain tout aussi houleux, au bout du compte. Et évidemment, Edmund ne manque pas de remarquer qu’il se précipite un peu trop vite dans cette union. Beaucoup ne leur en ont pas fait la remarque, ils ont émis leurs remarques ailleurs ou ont admis que les deux têtes brûlées qu’étaient Mutt et Klaus n’écouteraient absolument rien, de toute manière. Mais là, quand même.

« Je vois pas pourquoi on devrait attendre un an de plus », réplique-t-il en haussant les épaules. « C’est l’homme de ma vie. »

Comme si c’était la réponse à absolument toutes les questions de l’existence, il ne cherche même pas à argumenter, pas plus qu’il admet qu’il serait sans doute préférable qu’il réfléchisse avant d’agir. Il commente le discours d’Edmund d’une grimace quand il lui demande s’il ne s’ennuie pas en ne bossant pas.

« Y a plein de choses à faire de sa vie en dehors du taf, tu sais ? Et le taf, je suis pas fait pour, de toute façon », reprend-il comme si c’était la réponse miracle à toutes les questions de l’existence.

Quand Edmund reprend en admettant qu’il lui en veut pour le passé, définitivement, Klaus affiche des yeux ronds et ne comprend pas, ou plutôt, il ne veut pas comprendre.

« Je te demande pardon ? Je t’ai pas fourré la coke dans le nez, que je sache ! » réplique Klaus dont le sourire s’est directement effacé.

Surtout parce qu’il refuse d’accuser un blâme qui, dans le fond, est mérité – et il le sait bel et bien. Évidemment qu’il n’a pas forcé Edmund à se droguer, mais il l’a largement incité, l’a mené sur la pire piste possible, n’a pas un seul envisagé de remettre en question le fait qu’il entraînait son ami d’alors vers une véritable descente aux enfers. Bien sûr qu’il a pas voulu lui faire du mal, mais en revanche, il a bien souvent minimisé l’impact de ce qu’ils prenaient, parce que lui, il consommait depuis tellement longtemps qu’il avait perdu le fil, au bout du compte.

« J’ai rien fait de mal, je comprends pas pourquoi t’es en colère comme ça. »

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Klaus a envie de le prendre au premier degré quand Edmund affirme lui souhaiter d’être heureux avec Mutt – et au passage, il l’est bel et bien (même si par moment, cette relation le met dans des états pas possible) –, mais il a vraiment comme le sentiment qu’il y a un malaise. S’il acceptait de virer ses œillères une bonne fois pour toutes, il comprendrait sans doute, mais semble-t-il qu’il en est incapable, et qu’égoïstement, il préfère se concentrer sur sa situation plutôt que de prendre conscience de ce que son discours peut avoir de déplaisant pour son interlocuteur. Pour reconnaître sa culpabilité, il faudrait qu’il ait conscience d’être coupable, et coupable, il n’a aucune conscience de l’avoir été. Il a décidé de considéré Edmund comme un acteur de sa vie passée, sans envisager avoir eu une certaine influence sur lui, et réciproquement. Il a tellement voulu jeter un voile sur ce passé chaotique qu’il en a tout rejeté en bloc, et Edmund est devenu une victime collatérale, ni plus ni moins.

Et donc, quand finalement, les politesses sont passées et qu’Edmund daigne lui dire ce qu’il a sur le cœur (car s’il devait attendre que Klaus s’excuse de lui-même, il pouvait attendre encore longtemps, c’est une certitude), Klaus tombe un peu des nues, au final. Il a un mouvement de recul, observant Edmund comme s’il le voyait pour la toute première fois. Il ne s’imaginait pas du tout que les choses allaient prendre cette tournure… Mais sur ce genre de plan, ce n’est pas une nouveauté, Klaus Hargreeves a toujours manqué, tout particulièrement, d’intelligence et de sagacité.

Et évidemment, ce que dit Edmund est cent fois vrai. Klaus donne toujours l’air de tout prendre par-dessus la jambe, et à quelques exceptions près, c’est effectivement le cas, de même qu’il a tendance à se planquer plutôt que » d’assumer. Et c’est vrai aussi qu’il ne s’était que rarement, pour ne pas dire jamais, interrogé sur ce qu’Edmund était devenu, s’il allait bien, s’il s’en était sorti, de même pour tous les autres partenaires de galère qui avaient croisé sa route et dont, de même, il ne savait plus rien. Il côtoyait ce genre de milieu depuis trop longtemps. Il avait appris à considérer que les gens n’étaient que de passage dans sa vie, certains arrivaient, repartaient, revenaient. C’était juste comme ça que ça avait commencé.

« Eh, tu te calmes, t’es responsable de ta merde, commence pas à me balancer ça sur la gueule. Tu sais combien d’années de ma vie j’ai perdu, moi ? Est-ce que j’accuse la terre entière pour autant ? Tu penses vraiment que t’as la moindre foutre idée de ce par quoi je suis passé ? C’est bien que tu suives une thérapie, tant mieux, tu devrais me remercier pour ça, pas venir m’emmerder. » Il ne fait aucun commentaire quant au fait que Mutt serait sa nouvelle drogue, ce qui revient au même. Parce qu’en vérité, c’est absolument ça, même s’il ne veut pas l’assumer. « T’étais déjà un chieur à ce point-là à l’époque ? Parce que dans ce cas-là, heureusement que j’étais défoncé non-stop, t’étais beaucoup plus supportable quand j’étais stone. »

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Klaus avait naïvement cru que leurs retrouvailles allaient se poursuivre sur leur ton initial sans que rien ne change ou ne varie. Qu’est-ce qui avait bien pu lui laisser penser une chose pareille ? Difficile à dire tant cela paraît absurde, dans le fond, à y regarder de plus près, mais Klaus n’était pas forcément doué pour regarder les choses de si près, et ce n’était pas faute de l’agiter sous ses yeux. Avec lui, l’expression « ne pas voir plus loin que le bout de son nez a tendance à prendre tout son sens, et cela n’arrange rien, bien sûr, que Klaus ait eu de la poudre dans ce même nez une bonne partie du temps où ils se sont fréquentés. Il est incapable d’entendre ou de comprendre la rancœur d’Edmund, car à ses yeux, l’essentiel, après tout, c’est qu’ils s’en soient sortis. Pourtant il est bien placé pour savoir que quand bien même la blessure guérit, la cicatrice demeure, et c’est une chose avec laquelle on est contraint de vivre sa vie entière.

« Mais j’avais pas envie de m’en sortir ! » réplique Klaus d’un ton sans doute trop fort. Quand il est énervé, bien loin d’être impressionnante, sa voix vire dans les aigus. « C’est peut-être pas cool pour toi, mais t’attendais vraiment de deux camés qu’ils se tirent vers le haut ? »

Klaus n’avait pas eu envie de s’en sortir, et même au moment de commencer à sortir avec Mutt, il n’avait pas changé radicalement ses méthodes de consommation, il avait juste eu un toit sur la tête, ce qui l’avait donc poussé à déserté ses squats habituels. Oui, il trouve les reproches d’Edmund injuste, parce qu’ils avaient été deux à être au fond du trou, et au moment de commencer à vouloir s’en sortir, oui, il avait été égoïste, mais il n’avait absolument pas réfléchi, c’était déjà assez dur de s’en sortir lui-même.

« Quand t’as fini par t’en tirer aussi, tu m’as pas spécialement chercher pour me sortir de là non plus, que je sache. Pour autant que tu pouvais en savoir j’aurais pu être clamsé au beau milieu d’un caniveau. » Il marque une pause. « Et putain, t’as quoi contre les princesses siliconées ! » ajoute-t-il alors sans que tout ceci n’ait le moindre sens pour lui, mais surtout parce qu’il ne saisit pas le reproche, pourtant pertinent, que lui fait son interlocuteur en cet instant. « Pour quelqu’un qui s’en fout, t’es quand même sacrément barré. Faut arrêter, hein. » Il marque une pause. « C’est toi qui veux pas être pote avec moi, alors tu te calmes, peut-être. J’aime tout le monde, moi », ajoute-t-il en levant les mains au ciel sans trop savoir dans quel but. En guise de pure défense, sans doute. Une défense inutile, bien évidemment.

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Vu le tournant qu’a pris leur conversation, c’est sans doute préférable, oui, qu’Edmund le laisse tranquille, mais même si Klaus a le sentiment de s’être pris une infinité de reproches pour absolument rien (alors que la plupart étaient mérités, mais se remettre en question n’a jamais été spécialement le fort de numéro quatre, quand bien même il essaie quand même de progresser à ce sujet), il ne déteste pas Edmund ou ne va pas le compter au nombre de ses ennemis (ce sont de toute façon toujours les autres qui font de lui un ennemi plutôt que l’inverse, en fin de compte – enfin, même s’il a aussi côtoyé un bon gros paquet de connards). Il préférerait juste ne plus s’en prendre sur la tronche, tant qu’à faire. On dirait juste bien que la communication ait été interrompue, et il sera sans doute assez difficile de la rétablir convenablement. Donc le souci, c’est pas tant que Klaus veuille qu’Edmund le laisse tranquille que le fait qu’il y pige absolument rien… Si quelqu’un pouvait avoir la bonne idée de connecter ses neurones, ce ne serait pas du luxe, d’ailleurs.

A ce stade, Klaus se dit qu’après s’être envoyés toutes ces joyeusetés dans la figure, il songe qu’il pourrait presque réussir à redevenir pote avec Edmund. Même quand il l’engueule comme du poisson pourri, il réussit à le trouver quand même un peu touchant – faut le faire, je sais. Mais bon, visiblement, c’est quand même pas gagné… Il peut pas réparer le mal qu’il a fait à Edmund, ou en tout cas, il le pourra pas tant qu’il n’en aura pas pris la mesure, et c’est ça, le truc, il ne s’en rend pas vraiment compte. Des amis en dehors de sa famille, Klaus envisage qu’il en a sans doute eus encore moins que ce que son interlocuteur énumère, justement au nom de situations comme celle-ci, parce qu’à force de se détacher de lui-même et donc des autres, il n’est plus capable d’identifier l’amitié en tant que telle. Et quand elle finit par se briser, il s’en découvre le premier surpris sans savoir réellement expliquer pourquoi au bout du compte. Ça a bien peu de sens, et pourtant, c’est bel et bien un fait.

Il veut répliquer un truc, même s’il ne sait pas quoi, même s’il se sent complètement largué, mais au final, Edmund lui arrange grandement la tâche en coupant court directement à toute discussion. Bon ben… ça c’est fait.

« Ça marche, on fait comme ça, bisou », lui adresse-t-il sans bouger de sa place et sans être convaincu qu’Edmund l’entende, restant où il est tandis qu’Edmund se dirige vers les caisses avant de quitter la magasin.

Bon ben… ça doit vouloir dire qu’il voudra pas être photographe à leur mariage tout compte fait.