Putain de paternel. Increvable. Comme une mauvaise herbe qui repousserait constamment au moment où vous vous étiez imaginés vous être débarrassés d'elle. Klaus est fébrile, sur les nerfs. Ces types qui connaissaient son adresse, ces types armés qui s'en sont pris à lui étaient envoyés par son taré de père. Maintenant qu'il a pu comparer son expérience avec celle du reste de la fratrie, il a plus aucun doute à ce sujet, et comment dire que c'est clairement l'un des pires scénarios qu'il avait pu envisager dans ce monde de cinglés. Déjà que c'est pas simple de garder la tête sur les épaules (pour peu qu'il arrive à Klaus de l'avoir) quand ce monde vous fait joyeusement tourner en bourrique, cette situation n'arrange vraiment rien. Au contraire, ça a juste pour effet de l'aggraver encore davantage... Bon, y a pas que du mauvais, ceci dit. Dans ce bordel ambiant, il a retrouvé la majeure partie de sa famille. Et il a Mutt.

Où est-ce qu'ils en sont, tous les deux ? Klaus a envie de dire que ça dépend des jours, mais à l'heure actuelle, eh bien... Ils sont plutôt... bien ? Ils seraient sûrement parfaitement bien si toutes ces autres merdes ne leur tombaient pas dessus. Klaus n'oublie pas que même si Mutt a facilement eu le dessus sur les mastodontes qui avaient foutu le bordel dans leur appartement, il aurait très bien pu prendre une balle perdue, se laisser dominer, va savoir. Il le met en danger... Et le pire, c'est que ce brave Mutty doit considérer que le pire danger, c'est pas tant les armoires à glace qui viennent pointer leurs armes sur eux à des heures indues de la journée mais le risque de voir leur relation exposée au grand jour. Un vrai plaisir. Dave 2.0. Par trop d'aspects qu'il font qu'au final, Klaus cède.

Cette nuit, il revient d'une rencontre fructueuse avec son dealer, il a de quoi leur faire passer la soirée la plus planante du monde, et il est plutôt impatient de partager sa trouvaille avec son coloc (plus plus). Sauf qu'à quelques pas de chez lui, il est surpris par une voix forte et féminine.

"J'ai rien dit, promis", dit-il en levant les bras en l'air comme si ce geste faisait gage de sa bonne foi.

Mais en se rapprochant de la miss, qui ne lui semble pas bien âgée, il comprend définitivement que quelque chose ne va pas, la voyant se tenir ainsi la tête entre les mains. Une posture au fond très familière. Alors il se rapproche, doucement. Pas forcément malin, possible qu'elle soit sous emprise et / ou violente, mais il a côtoyé suffisamment de personnes sous emprise et / ou violentes pour prendre le risque.

"Tout va bien ?"

A l'évidence non, et la question est un peu bête. Mais ce qu'il demande, surtout, en sous-texte, c'est ce qu'elle a, et s'il peut faire quelque chose pour elle.

Bon, en vrai, Klaus sait bien qu'il est pas responsable de l'état de Senua (ça lui arrive parfois de n'y être pour rien dans certaines situations, mais on peut toujours avoir un doute, en revanche, on dira même que c'est un comportement plutôt naturel), mais il se demande quand même ce qui se passe. Possible que ce soit pas ses oignons, et peut-être même qu'il va se mettre dans une situation délicate en voulant en apprendre plus, mais il éprouve une certaine empathie pour cette fille qui semble être aux prises avec ses démons, peu importe la nature des démons en question.

Elle a au moins l'air de savoir ce qui lui arrive. Oui, sur le principe, ça peut avoir l'air de rien, mais en réalité, c'est vraiment important. Cela veut dire que, même si elle n'est peut-être pas en pleine possession de ses moyens, elle sait déterminer la cause de ce qui la tourmente, et c'est généralement plus simple de s'en débarrasser quand on sait ce dont il est question... même si, parfois, cela revient à admettre qu'on ne pourra pas s'en débarrasser, point, comme Klaus a appris à vivre avec ses fantômes, le tout pour perdre finalement le seul fantôme dont il réclamait véritablement la compagnie.

"Qui ça ? Qui est-ce qui n'arrête pas de te parler ?" demande-t-il aussi prudemment que possible.

Il sent que la miss est tiraillée, sous pression, alors Klaus fait de son mieux afin d'éviter, s'il le peut, tout geste brusque, la dernière chose qu'il puisse vouloir serait de la braquer encore plus. Déjà, la demoiselle accepte de communiquer avec lui, et même si elle n'est pas très explicite par rapport à sa situation, Klaus veut y voir une bonne chose, enfin, dans la mesure du possible. Cela veut dire qu'elle arrive quand même à faire abstraction xde ce qui la tourmente pour communiquer avec lui.

Quant à ce qui la tourmente ?? Il ne sait pas trop... Il ne voit pas de fantômes autour d'elle, ce qu'il aurait pu considérer comme une déduction logique (ici, il s'est habitué à ne pas être le seul à pouvoir voir et sentir les esprits - il ne sait pas s'il doit trouver cela rassurant ou non, d'ailleurs)... alors c'est qu'il doit s'agir d'autre chose, mais de quoi.

Klaus avance d'un nouveau pas, aussi prudemment que s'il avait affaire à un animal blessé qu'il devait éviter à tout prix de voir fuir ou s'agiter au moindre mouvement. Il doit reconnaître, objectivement, que c'est un peu de cette manière qu'il a tendance à voir et considérer son interlocutrice. Enfin, "interlocutrice" est peut-être un grand mot pour les quelques paroles qu'ils ont su échanger jusqu'ici.

"Moi c'est Klaus, comment tu t'appelles, toi ?"

Les furies, hein ? Bon, à l’évidence, cette fille a des voix dans la tête, et qui lui sont suffisamment familières pour qu’elle leur ait donné des petits noms. Charmant. Est-ce que Klaus, pour autant, doit décider de la taxer de folle ou de la fuir ? Non, au contraire, parce que même s’il ne va pas prétendre comprendre ce que cette fille traverse, il sait en revanche ce que ça fait de voir des choses que les autres ne voient pas, d’entendre des choses que les autres ne voient pas. C’est son quotidien, ça…

Bon, en ce qui le concerne, et même si tous les fantômes qui ont croisé sa route n’ont pas toujours été amicaux, il n’est pas aussi… harcelé qu’à l’air de l’être son interlocutrice, mais justement. Elle lui fait de la peine, cette fille, avec cet air désespérément, comme atteinte d’une malédiction contre laquelle elle est pas capable de lutter. Ça doit être horrible d’avoir des voix, constamment, dans sa tête, et de pas être en mesure de s’en débarrasser. C’est une chose que Klaus ne pourrait décemment pas souhaiter à qui que ce soit. Et même s’il est pas sûr de pouvoir faire grand-chose pour elle, il se dit que ne serait-ce que le fait de ne pas passer son chemin, ça peut vouloir dire beaucoup pour cette pauvre fille (entendre pauvre fille au sens premier du terme, elle lui fait vraiment de la peine).

« Enchanté, Senua », il dit doucement, en se disant d’un autre côté qu’il devrait peut-être parler plus fort pour que sa voix porte au-dessus de celles que Senua nomme les furies. Sauf qu’il a pas envie de la brusquer. A tort peut-être, il a un peu tendance à la voir comme une sorte d’oiseau blessé. Il a l’impression que s’il fait le moindre geste brusque avec elle, il risque de lui faire du mal ou de lui faire peur, et c’est pas ce qu’il veut, évidemment. Elle a l’air d’en baver suffisamment comme ça.

Elle le dévisage un instant, et Klaus se demande un peu ce qu’elle peut bien penser. Peut-être qu’elle a fait enfin attention à son apparence, qui détonne de celle de beaucoup d’autres, et qu’elle se dit, comme beaucoup d’autres, qu’il a l’air ridicule… Il n’accorde aucune forme d’attention à ce genre d’a priori, mais il sait quand même que ces a priori existent. Mais non, finalement, elle prononce quelques mots qui le font sourire.

« Pas un guerrier, non. Tu me verrais, je sais absolument pas me battre. Mais merci, j’aime beaucoup aussi », ajoute-t-il en ce qui concerne la peinture qu’il a autour des yeux. C’est bien la première fois que l’on qualifie son maquillage en ces termes, mais il aime bien. Il laisse passer un temps de silence. « Ces furies, ça fait longtemps qu’elles sont avec toi ? » demande-t-il alors.

Il espère ne pas enfoncer le couteau dans la plaie, mais il a envie de comprendre.

« Tu sais, je sais ce que ça fait… d’entendre des choses que les autres entendent pas. »

"Victoire du peuple, sérieusement ?" dit-il alors que Senua lui apprend les origines de son nom.

Pour sa part, il ne s'y est jamais franchement intéressé, pas plus qu'il ne s'est intéressé à ses origines tout court, d'ailleurs. Toutes mystérieuses soient-elles, il n'a jamais voulu percer le mystère qui entourait sa naissance, pas plus qu'il n'a un jour ressenti l'envie de retrouver la femme qui l'avait mis au monde et l'avait porté dans son ventre pendant littéralement cinq minutes. C'était pas le genre de choses qui l'intéressaient franchement... Mais découvrir l'origine de son nom, et surtout découvrir à quel point il est classe, tout de suite, ça lui plaît beaucoup plus.

"Faudrait que j'apprenne ça à Five, tiens, monsieur j'ai pas de nom", ajoute-t-il plus pour lui-même qu'autre chose.

Oui, il a un nom de guerrier, mais il a pas le sentiment d'en être un pour autant... ce qui est sans doute faux par bien des aspects, vu qu'en plus de trois décennies de vie, Klaus Hargreeves a eu plus d'une occasion de se battre, en réalité, pas forcément en jouant des poings (on irait pas très loin avec lui), mais d'autres manières qui lui paraissent un peu insignifiantes, mais qui font peut-être de lui un type qui mérite d'avoir un nom qui signifie "Victoire du peuple". Il aime bien ce que ça représente, d'ailleurs, il imagine une foule en colère en train de chanter des chansons paillardes en trimballant des têtes couronnées sur des piques, ça lui parle. Et pour ce qui est d'être tourmenté, ça... Elle n'en a pas idée... Même s'il peut sans doute lui expliquer, ou en tout cas au moins un peu, histoire de l'aider à comprendre.

Donc elle lui parle de ces furies, qui auraient toujours été là, comme ces fantômes que Klaus avait toujours connus, même quand il était haut comme trois pommes, harceleuses devenues plus insupportables à la mort de sa mère. Klaus frissonne légèrement quand la miss lui parle de la cave dans laquelle elle a été enfermée. Impossible, bien sûr, de ne pas penser à la crypte où son taré de père l'avait lui-même séquestré pour les besoins de sa précieuse Umbrella Academy.

"Je pense pas qu'on entende les mêmes. Moi je les entends mais je les vois, aussi, des fantômes, des gens qui sont morts. Et crois-moi, moi aussi j'aimerais bien qu'ils apprennent à se la fermer. Mais j'sais pas, quand les gens meurent et qu'ils me rencontrent, ils sont tellement contents de trouver quelqu'un à qui parler qu'ils causent, ils causent, je te jure, c'est lourd. Et ils t'écoutent pas en plus." Il marque une pause. "Je pense pas que tes furies soient des fantômes. J'imagine que je les verrais, sinon."

« Five c’est mon frère, et il porte un nom de chiffre parce que notre père est un enfoiré fini », répond Klaus sans donner plus de détails.

Peut-être qu’il devrait, pas vrai ? Oui, oui, peut-être, mais ce serait très long, et Klaus n’a pas forcément envie de replonger dedans. En soin, ça ne le dérange jamais de parler de lui et d’où il vient, il ne fait clairement pas partie de la catégorie de ceux qui décident de se planquer derrière de fausses histoires parce qu’ils estiment qu’ils ne seraient pas cru. Quand on entend les histoires des uns et des autres, c’est un comble, quand même. Non, Klaus a dépassé ce stade depuis longtemps. Si les gens ne le croient pas, c’est leur problème, pas le sien. Ceci dit, ce n’est pas pour autant que le jeune homme a forcément envie, pour autant, de se perdre en détails quels qu’ils soient. Non, vraiment, c’est pas la peine. Elle n’a pas besoin d’en entendre plus, même s’il se doute qu’en fournissant si peu d’explications, elle ne peut que naturellement attiser la curiosité de son interlocuteur, ce qui est on ne peut plus logique.

« Ah bah tiens, donc ton père aussi était un enfoiré ! On en a des points communs, dis donc », remarque Klaus, son sourire s’élargissant en entendant les propos de Senua.

Pas que ses paroles étaient franchement marrantes, mais Klaus préfère relativiser. Un parent qui dit de vous que vous n’apportez que les ténèbres est forcément un connard fini. Aucun parent ne devrait jamais tenir de tels propos à sa progéniture (en même temps, c’est un peu la base de la parentalité, non ? – mais certains ont tendance à manquer des classes, de toute évidence)… Donc son père est un connard, mais c’est pas grave, on peut avoir des parents merdiques et s’en sortir. Tenez, Klaus, par ex… Ouais, non, peut-être pas. Mais ça veut pas dire que c’est impossible.

« Je les gère pas vraiment… enfin, en tout cas je les gère pas du tout, en ce moment, c’est eux qui me gèrent », répond Klaus à la question de Senua. Parce que c’est vrai. Même avant d’arriver ici, il devait encore apprivoiser des aspects de son pouvoir qu’il n’avait pas soupçonné. Et sans la présence constante de Ben à ses côtés, il ne serait sans doute, et très clairement, pas arrivé à grand-chose. « Sinon je bois beaucoup. Entre autres. C’est pas mal efficace. »

Peut-être pas le genre de conseils à donner au premier venu, mais en vrai… quiconque fait face à un calvaire tel que celui-ci et peut trouver un peu d’apaisement et de réconfort dans la drogue et l’alcool ne devrait pas s’en priver.

« Quand est-ce qu’elles se taisent, pour toi ? » demande-t-il, curieux.

Peut-être que c’est une piste à creuser pour elle ? C’est que Klaus a vraiment envie de l’aider. C’est impossible pour elle de la voir et de pas se reconnaître en elle. Alors s’il peut lui rendre service, d’une façon ou d’une autre.

Au moins, sa remarque a le mérite de faire sourire, de faire rire, même, Senua. Klaus n’aurait pas parié sur le fait que c’était possible, mais il préfère la voir avec un sourire aux lèvres, tant qu’à faire, même si c’est sur une brève durée et parce qu’on aura traité son père d’enfoiré. D’un autre côté, il comprend, c’est franchement libérateur que d’insulter son daron, à plus forte raison quand il est bel et bien un enfoiré fini… Il se pose plein de questions au sujet du père de la jeune femme, mais il se dit que ça vaut mieux, quand même, de les garder pour lui. Il voit bien que la miss est fragile. Il a réussi à gagner sa confiance, et il a le sentiment qu’elle a plus de facilités à se confier, à présent… mais il ne veut pas la braquer non plus. S’il réussit à calmer ces satanées furies en lui faisant penser à autre chose, alors il aura le sentiment d’avoir gagné au change. Peut-être à tort, mais c’est quand même le cas.

« Ouais, ils viennent squatter sans que je leur demande la permission. Et tu sais que j’ai été possédé, une fois ? Par mon propre frère, t’imagines ? Je souhaite ça à personne, vraiment », répond-il d’un ton léger, comme si une possession était un événement dont il ne fallait pas s’inquiéter le moins du monde.

D’un autre côté, c’est vrai, ce serait sans doute devenu plus gênant si ça avait été quelque chose de récurrent, ou encore si n’importe quel fantôme croisant sa route s’était permis de se servir de son corps comme si de rien n’était, mais bon non, il n’y avait eu que Ben, et même s’il voudrait le lui reprocher encore maintenant, Ben n’est de toute façon plus là. Bref, il n’ajoute rien de plus spécifique à ses propos, il ne pense pas qu’il soit non plus nécessaire d’entrer dans des détails qui pourraient faire que Senua se sente plus mal qu’elle ne l’était déjà alors que le but de la manœuvre, pour commencer, avait été de la faire se sentir mieux, et il considère que c’est toujours son but, par ailleurs. Il préfère aborder le sujet de l’alcool, des stupéfiants, de tout ce qui rend la douleur un peu plus supportable.

Alors, Senua lui parle de son peuple, et d’une sorte de champignon que prenaient beaucoup de guerriers, apparemment, le genre qui rend agressif (clairement pas le genre de drogues que Klaus aurait envie de consommer pour sa part – même s’il ne dit jamais non à une bonne omelette aux champignons), et qui avaient rendu certains malades.

« Après, c’est juste une question de dosage », affirme-t-il avec philosophie. « Tout est une question de dosage. »

Comme si lui-même était capable de faire dans la demi-mesure. Il dispense clairement un conseil qu’il n’est pas en mesure de faire respecter pour sa part.

« Ah ! donc faut que tu te trouves des occupations qui accaparent toute ta concentration ! Je suis sûr qu’on peut les faire disparaître une bonne fois pour toutes ! » Il marque une pause. « C’est qui Dillion, au fait ? »

"AH !" s'exclame Klaus comme s'il était en train de gagner un argument, alors que le principal concerné n'était pas là pour l'entendre et pour s'en défendre (et Klaus rêverait vraiment que Ben soit là pour l'entendre et pour se défendre, d'ailleurs). "On est d'accord, ça se fait pas du tout de faire ça ! Tout ça pour parler avec une fille, en plus..."

Bon d'accord, c'est un résumé assez grossier de la situation, mais en même temps, puisque Ben n'est pas là pour se défendre, évidemment que Klaus va s'amuser à raconter tout et n'importe quoi à son sujet... C'est... un genre d'hommage, on va dire ? N'empêche que oui, ça avait pas du tout été une expérience agréable que d'avoir été possédé, et jamais de la vie, pour rien au monde, vraiment, il ne voudrait revivre une chose pareille. Mais bon, il n'en fait pas un drame non plus, plus un genre d'anecdote amusante. Pour le nombre de choses indues qui sont entrées dans son corps, Ben Hargreeves n'est certainement pas la pire.

"J'a cinq frères et deux soeur, enfin, on a été sept à adopter par le même père, mais techniquement, on est quarante-trois frères et soeurs, même si on a pas les mêmes parents."

Est-ce que ce qu'il raconte a du sens ? Probablement que non, mais ça n'a pas grande importance, dans le fond. Il dit les choses comme elles lui viennent, et comme bien souvent, il est de toute manière un peu trop défoncé pour suivre le fil de ce qu'il raconte lui-même.

"Tu sais quoi, je devrais te présenter ma soeur, elle aussi elle est du genre incontrôlable, quand elle s'y met."

Est-ce que ça l'aide, qu'il lui raconte ça ? Pas du tout. Pourquoi est-ce qu'il lui raconte ça ? Il n'en sait rien, cf. plus haut, Klaus ne réfléchit pas exactement à ce qu'il raconte dans tous les cas. La jeune femme n'a clairement pas l'air d'avoir ni une situation, ni une vie facile.

"Je suis désolé... Moi aussi j'ai aimé un homme que j'ai perdu." Il se rapproche de Senua et dépose doucement une main sur son épaule. Elle lui fait de la peine, cette petite, elle a l'air d'avoir un passé si fort, si lourd... Evidemment qu'il a envie d'être là pour l'aider, pour la rassurer... ça se fait pas d'avoir eu autant de peines et de problèmes à un si jeune âge. "Mais tu sais, ça t'empêchera pas d'être heureuse, ça te permettra juste d'avoir de beaux souvenirs."

Il serait presque philosophe, on dirait bien, en tout cas, il se sent d'humeur à disserter sur ses états d'âme, ça c'est certain, et il ne s'en prive clairement pas.

Les remarques de Klaus au sujet de Ben sont évidemment très justes, et il serait sans doute capable de le reconnaître s’il n’était pas capable de tant de mauvaise foi quand il est question de son frère. Ceci dit, il n’a pas forcément envie de revenir beaucoup trop longtemps sur son fantôme préféré, parce que son fantôme préféré n’est plus là, et il n’y a rien qu’il puisse faire à ce sujet. A choisir, Klaus préfère encore éluder le sujet. C’est constant chez lui.

C’est assez naturellement que Ben arrive sur le tapis, parce qu’il a trop longtemps fait partie de sa vie pour qu’il puisse en être autrement, et quand c’est le cas, au final, il n’a qu’une envie, et c’est de ne plus en parler, parce que le souvenir de son frère, qu’il est convaincu de ne plus jamais retrouver, est beaucoup trop douloureux. Il préfère donc passer sur les remarques de Senua sur Ben, même s’il sait, évidemment, qu’elle a parfaitement raison. Comme Ben avait – plus ou moins – toujours eu raison également. Il préfère répondre à sa question suivante, quand elle lui demande ce que cela peut bien faire d’avoir des frères et sœurs.

« Parfois c’est envahissant », qu’il répond. « Parfois, on se fait la guerre pour rien, mais en même temps… on veille les uns sur les autres. Enfin la plupart du temps, y a des exceptions quoi. »

Et à certains moments, Klaus n’avait pas forcément été un frère exemplaire non plus, il n’était pas celui des Hargreeves à qui on se fiait, et pour cause, il était celui qui disparaissait sans qu’on sache où, mais au bout du compte, tous autant qu’ils sont, ils s’aiment, ils tiennent les uns aux autres et ils se protègent. Et si l’un doit se sacrifier pour tous les autres, eh bien… il n’hésite pas à le faire.

« Après, c’est bien de savoir se protéger soi-même. Parfois, on peut compter que sur soi », ajoute-t-il dans un léger hochement de tête en guise d’approbation.

Surtout quand on a une vie aussi difficile que la sienne. Car oui, Klaus sait qu’il n’a pas tout entendu tout de la vie de son interlocutrice, mais il pense en avoir entendu assez quand même pour comprendre qu’elle a vraiment été brisée, et qu’elle a vraiment souffert. Elle aussi a perdu quelqu’un qu’elle aimait profondément. Et même si ça peut sembler excessif, c’est comme ça que Klaus le ressent lui aussi. Perdre quelqu’un qu’on aime, c’est comme perdre une partie de son âme. C’est ce qu’il a ressenti quand il a serré le corps de Dave, sans vie, dans ses bras, qu’une partie de lui s’échappait pour toujours.

« Ouais, de bonnes grosses gâcheuses d’ambiance, quoi », dit-il avec un fin sourire quand elle évoque les furies avant de fouiller la poche intérieure de sa veste pour en tirer une fiole remplie d’alcool (toujours avoir des réserves sur soi). « T’en veux ? Voir si ça la leur coupe ? »

Quoi ? Personne n’a jamais dit que Klaus était vraiment de bon conseil. Il est même évident qu’il ne l’est pas.

Klaus peut comprendre le besoin que Senua a pu avoir d’avoir quelqu’un à ses côtés, une épaule sur laquelle se reposer, quelqu’un à taquiner. Klaus s’est souvent senti seul, mais dans le fond, et même s’il ne l’aurait sans doute jamais formulé comme tel en présence du principal concerné, il sait aussi qu’il a eu de la chance. Dans ses errances les plus violentes, Ben a toujours été là, et même s’il ne se privait pas de lui dire précisément ce qu’il pensait, ça n’a jamais rien ôté au fait que quand il avait besoin de parler, il était là, que quand il avait besoin de passer ses nerfs sur quelqu’un, il était là aussi…

C’était pas toujours assez, et à force de l’avoir dans son sillage, Klaus avait fini par oublier à quel point il avait eu tendance à se reposer sur Ben. C’est le fait de le perdre, de ne plus pouvoir se tourner vers lui mais d’en garder le réflexe qui lui rappelle à quel point il en avait fait une sorte d’automatisme, qu’il avait intégré comme une part intégrante de lui-même. Ce qui ne l’empêche pas, au moment de répondre à Senua qui suggère qu’il a souvent dû compter sur lui-même et lui seul, de répondre par un hochement de tête.

« On peut dire ça, ouais. »

Et c’est peut-être pas plus mal, parce que quand Klaus décide de laisser aux autres le soin d’endosser cette responsabilité, il en abuse plus que largement, il fait tout de travers, et il est incapable de ne pas faire à l’excès. Il a un personnalité pour le moins destructrice pour les gens qui l’entourent. Sa légèreté et son humour font qu’on lui pardonne et qu’on finirait presque par oublier que c’est le cas, mais _a n’empêche pas que c’est le cas. Senua est sûrement capable de comprendre, et c’est sans doute pour ça qu’elle reste seule, tout compte fait, pour être seule avec ses démons, ses furies, ses gâcheuses d’ambiance et gâcheuses de vie. Elle doit estimer que c’est plus simple comme ça, et il le comprend très bien, en l’occurrence.

Et elle n’est pas forcément bien tombée en acceptant Klaus dans son sillage, puisque ce dernier lui prodigue le pire remède qui puisse être, mais qui est aussi plus ou moins le seul remède qu’il connaisse pour sa part. Et encore, au moins il ne lui propose que de l’alcool. Si déjà, ça peut suffire à ce qu’elle se sente un peu mieux. Compenser un mal par un mal, où est le mal, hein ?

« Fais-toi plaisir, alors », dit-il en lui tendant sa flasque pour que Senua puisse y boire au goulot. « Lésine pas sur la quantité, mais bois pas trop vite quand même. » Il ne la connaît pas assez pour en présumer, mais il s’imagine qu’elle n’est pas forcément très habituée, il a au moins la décence de le prendre en considération. « Avec ça tu dormiras comme un bébé, tu verras. » Ce qui lui fait se poser une autre question. « Tu vis où ? »

« Ton père était vraiment un connard », remarque simplement Klaus, avec tout de même un sourire au coin des lèvres, quand Senua lui assure que son père aurait brisé cette épaule.

Il sent qu’elle ne le formule pas comme une hypothèse exagérée mais comme une chose que son taré de père aurait bel et bien été capable de faire, et clairement, ça l’attriste que de l’apprendre. Personne ne mérite d’être à ce point malmené, encore moins par la personne qui vous a mise au monde, ou la personne qui est supposé prendre soin de vous, sous la responsabilité de qui vous êtes supposés être. Certains diront que ce genre d’épreuves renforcent, mais très honnêtement, Klaus trouve ça un peu facile, trop facile, même, comme vision des choses. Le père de Senua était un putain de tyran, fin de l’histoire, il n’y avait vraiment pas, décidément pas, à chercher plus loin que ça. Et c’est terriblement triste.

Il ne se montre cependant pas forcément de meilleur conseil quand il offre à la miss de boire dans sa flasque, il n’empêche qu’il est convaincu que ça lui fera du bien. La demoiselle tire un peu la tronche. Eh oui, c’est pas de la piquette, c’est de l’alcool assez fort, mais justement, comme elle le dit, ça réchauffe. Klaus rit doucement en entendant le léger rot qui lui échappe. Ce n’est pas moqueur du tout, mais il se dit qu’au moins, la boisson aura un minimum d’effet sur elle, et ça tombe bien.

Quand elle lui apprend qu’elle n’a pas dormi depuis si longtemps qu’elle ne s’en souvient même plus tant son cycle de sommeil est altéré par la compagnie des furies, il a le cœur qui se serre. Vraiment, cette pauvre fille n’a pas eu la vie facile, et ça continue d’être le cas. Il voudrait dire qu’il sera capable de faire quelque chose pour elle, mais il en doute fortement, en réalité. Il sent bien que ce n’est pas quelques gouttes d’alcool qui règleront ses nombreux problèmes. Mais au moins, il est capable de l’écouter, et de la comprendre, même si ce n’est que partiellement.

Klaus récupère sa flasque et en profite pour en boire une gorgée. Il sent qu’elle n’en boira pas davantage, mais ce n’est pas plus mal, le but n’est pas non plus que la pauvre se mette une mine monumentale : ça lui rajouterait des problèmes alors que, à l’évidence, elle en a déjà bien assez.

« Oh, c’est bien que t’aies une chambre à toi, c’est cool. » Il grimace un peu quand elle lui parle des furies, du fait qu’on la considère comme folle parce qu’elle entend des voix. Et peut-être que c’est vrai, peut-être qu’elle aurait besoin de consulter, que ce qu’elle a peut se résoudre. « Si tu les entends, c’est qu’elles existent pour toi », répond Klaus. « Mais peut-être que quelqu’un pourrait t’aider… t’as déjà penser à aller voir un psy, par exemple ? »

Bon, après, les psys, ça coûte un bras, c’est bien le souci.

« Tu ne peux pas oublier si elles sont tout le temps là », remarque Klaus, sincèrement triste pour ce que traverse Senua en permanence. La pauvre en a les larmes aux yeux, et Klaus ne peut s’empêcher de trouver cela terriblement triste.

Surtout qu’il sait que c’est pas le genre de choses qui s’oublient si facilement. Lui, il anesthésie ses problèmes avec la drogue, l’alcool, toutes les substances addictives et psychotropes qui lui passent sous la main, mais il sait bien que ce n’est jamais si simple, évidemment, et que ce n’est pas parce qu’on réduit les voix à un murmure qu’elles se sont tues pour autant. Senua sera peut-être toujours incapable de se débarrasser de ses furies, tout comme Klaus de son côté a toujours été incapable de se débarrasser de ses fantômes.

Autant essayer de se concentrer sur du plus positif, du coup, comme le fait qu’elle a un toit au-dessus de la tête. Se dire que cette pauvre pitchoune a pu vivre dans la rue, ou au beau milieu de la forêt, ça lui serre le cœur. Lui, bien sûr, a un quota hallucinant de nuits passées à la belle étoile, mais lui c’est pas exactement pareil malgré tout, surtout qu’il a été habitué, et puis il a roulé sa bosse, il ne peut pas en dire autant de la pauvre Senua. Et elle a été renversée par une voiture, en plus du reste, enfin bref, la pauvre les accumule, très clairement.

« Je suis sûre que tous les psys sont pas des horribles manipulateurs qui font du mal aux gens – enfin j’imagine –, je suis sûr que tu peux en trouver un très bien », lui assure Klaus qui pour le coup parle absolument sans savoir.

Lui-même, très clairement, aurait plus que besoin d’un psy, et pourtant il n’en a pas. Déjà parce que clairement il n’en a pas les moyens (c’est que ça coute les yeux de la tête ces conneries), ensuite parce qu’il ne voudrait pas qu’un total inconnu s’amuse à décortiquer soigneusement le contenu de son cerveau. Merci mais non merci, en fait, vraiment très peu pour lui. Alors pourquoi il le conseillerait à Senua ? Bah, ce n’est pas parce que certaines choses sont mauvaises pour lui ou plutôt qu’il préfèrerait ne pas avoir à les approcher même avec un bâton, qu’il considère qu’elles soient mauvaises pour tout le monde. Faut juste tomber sur la bonne personne. Senua a besoin de parler, c’est évident, ça se voit à la manière qu’elle a de s’adresser à lui, déjà. Ils ne se connaissent pas et elle lui a fait suffisamment confiance pour lui parler, et elle n’avait même pas eu besoin d’attendre d’avoir trop bu pour cela, ça veut tout dire, non ?

« Je sais pas si c’est le truc à faire de plus penser au passé, c’est tentant j’dis pas, mais c’est pas parce que tu prétends qu’il est plus là qu’il va vraiment être plus là, tu vois ce que je veux dire ? »

Vu que lui-même a bu, et vu qu’il est lui, possible qu’il ne soit pas des plus cohérents.

C’est terrible de parler à ce petit brin de femme et de constater à quel point elle souffre, à quel point elle est en détresse. Klaus n’est définitivement pas le mieux placé pour l’aider, mais il voudrait sincèrement être capable de pouvoir faire quelque chose pour elle, parce que vraiment, personne ne devrait se mettre dans des états pareils (dixit celui qui est capable de se mettre dans des états pires encore). Quand elle articule son envie de ne plus exister, Klaus se sent mal pour elle. Si personne ne s’inquiète d’elle ou ne la prend en charge, il se dit que tôt ou tard, il est évident que cette pauvre gamine paumée va faire une irréparable connerie… et il sera pas de ceux capables de l’empêcher, en tout cas il le pense pas. C’est déjà à peine s’il parvient à se gérer lui-même, alors ce n’est clairement pas à lui qu’il faut demander de prendre soin d’une autre vie que la sienne.

Elle reste convaincue, de son côté, que personne ne peut l’aider. C’est franchement triste… Est-ce que c’est vrai ? Il en sait rien. Lui a ses propres démons, mais il n’est pas dans sa tête, il ne sait rien des furies et de combien elles sont violentes et insidieuses, il ne sait rien des messages qu’elles martèlent constamment au creux de son crâne. Il ne sait pas comment elle pourrait gérer ça.

Ceci dit, il apprécie d’entendre qu’elle s’est trouvée des repères, des valeurs fortes, des personnes sur qui elle sait qu’elle peut compter, qu’elle s’est rendu compte que le monde n’était pas son ennemi, et qu’elle pouvait rencontrer des bonnes personnes. Il apprécie être considéré comme une de ses personnes… même s’il ne considère pas forcément qu’il pourra faire grand-chose pour elle malgré tout. Ça fait du bien de l’entendre dire qu’elle pense qu’elle peut être capable d’y arriver. Elle peut tenter en tout cas. Et tenter, a-t-il envie de dire, c’est déjà le début du succès, l’air de rien. Il faut bien commencer quelque part, en tout cas.

A un moment, elle fouille dans son sac et en tire quelque chose qu’elle lui présente comme une rune de lumière, quelque chose qui apporte de la lumière dans les ténèbres. Il l’observe un instant, songe que c’est peut-être juste un grigri, une superstition, mais on peut faire de grandes choses à partir de superstitions. Et il en sait quelque chose, lui, l’ancien gourou de secte.

« Tu me l’offres ? » demande-t-il, incertain, en considérant l’objet. « T’en as peut-être plus besoin que moi, non ? » Il sourit. « J’ai pas de mérite. Je te prends pas pour une folle parce que tu n’es pas folle, c’est tout », il ajoute-t-il avec un sourire en coin. « Au fait, il veut dire quoi, le tien, de nom ? » demande-t-il ensuite avec une sincère curiosité dans la voix.

Si lui continue de se faire appeler « Victoire du peuple » - et il va admettre que ça ne lui déplaît pas parce que ça claque –, il peut bien lui donner un nom à rallonge stylé aussi, pas vrai ?