D’accord, d’accord, c’est pas forcément cool de sa part de décider à la dernière seconde de prendre Mutt en otage alors qu’il est à deux doigts de sortir, mais qu’est-ce que vous voulez, il le trouve juste irrésistible, là, tout de suite (bon, d’accord, c’est le cas absolument tout le temps, mais vous avez bien compris, pas vrai ?), et si en plus il doit disparaître de son champ de vision pour les heures qui viennent, autant grapiller le temps qu’il peut, pas vrai ? Il n’a pas envie de s’arrêter en si bon chemin, c’est tout, et dans le fond, il sait pertinemment que c’est le cas de Mutt aussi.

Quand ils sont lancés, ni l’un ni l’autre ne sont capables de faire preuve de modération (et pas seulement sur ce plan particulier, en vérité, et c’est bien le problème). Alors forcément qu’il va insister, puisqu’il sait que Mutt va lui céder. Et en effet, c’est bel et bien ce qui finit par arriver. Quand Klaus entend le sac de Mutt choir au sol, il sait qu’il a gagné la partie.

« Tu vois que ça valait bien la peine de rester juste quelques minutes de plus », dit-il avec un sourire mutin au lèvres avant de s’écarter pour se rhabiller rapidement. « Dis, ça te dit pas que je vous accompagne, sinon ? J’ai pas fait les boutiques depuis une éternité. Puis je suis de très bon conseil, en plus. »

Klaus ne peut pas passer à côté de la réticence de Mutt à l’idée qu’ils sortent ensemble tous les deux, mais il commence à y être habitué, au point même qu’il devienne de plus en plus rare qu’il lui propose la moindre sortie, quand bien même, parfois, ça le démange et qu’il tente le coup quand même. Prétendre qu’il accepte sans problème cette condition constante (et dont il a parfois le sentiment que Mutt ne verra jamais le bout, parce que Mutt ne sera tout simplement jamais prêt) serait mentir, mais s’il lui arrive parfois d’en formuler le reproche au jeune homme, il n’en a pas l’intention en cet instant.

En vérité, il est capable de comprendre ce qui tourmente Mutt, et il voit bien qu’il bataille, il n’a pas envie de le mettre dans une situation qui soit inconfortable, et il a envie d’être patient… juste, c’est pas ce qu’il sait faire de mieux. Mais en l’occurrence, il est dans de bonnes dispositions. Il a pas l’intention de griller la « couverture » de Mutt, tout ce qu’il veut, c’est passer un bon moment avec lui et avec ce Peter – qu’il a bien envie de rencontrer, par la même occasion. C’est tout. Il est de bonne humeur, dans de bonnes dispositions, et leurs ébats d’il y a un instant l’encouragent d’autant plus à se montrer patient et conciliant, qui plus est.

« T’inquiète, je me tiendrais sage comme une image. Même si on pourrait faire tout un tas de choses dans une cabine d’essayage. » Il affiche un sourire. « Je déconne, t’en fais pas. » Il dépose à son tour un baiser sur ses lèvres. « Je t’aime. »

Plus que tout. Ces mots coulent si naturellement quand il les lui adresse que c’en avait été presque déroutant pour commencer. Moins maintenant, juste l’expression en mots de ce qu’il éprouve si assurément, de façon si évidente pour l’homme qui partage sa vie, même si c’est dans l’intimité d’un appartement, sans plus rien laisser soupçonner de leur relation quand ils en sortent. Bref ! Satisfait d’avoir obtenu gain de cause, il s’habille donc rapidement. Et Klaus tient parole. Il se tient à carreau alors qu’ils sont en chemin pour le centre commercial, pas de geste déplacé, pas de main aux fesses, un vrai petit ange. Enfin, ils retrouvent le fameux Peter, et Klaus se demande s’il a bien fait de venir tout compte fait, parce qu’il a l’impression qu’il est mal à l’aise, peut-être qu’il aurait préféré rester seul avec son pote. Ça se comprend, dans le fond.

« Content de te rencontrer, Peter, et t’inquiète, si jamais vous préférez rester juste tous les deux, je fais ma vie dans mon coin, y a pas de soucis. »

Il a envie d’ajouter qu’ils perdraient au change malgré tout parce que la mode, ça le connaît (vu sa tenue, présentement, cette explication passe ou casse en fonction de l’appréciation de chacun), mais vu qu’il sent le Peter un peu tendu et qu’il essaye de faire bonne figure quand même, il se dit qu’il va s’épargner les commentaires qui passeront peut-être pour malvenus.

« Le fameux Klaus, hein ? C’est vrai que je suis fameux », répond Klaus avec un sourire ravi, plus pour la blague qu’autre chose.

Ceci dit, il doit bien reconnaître qu’il aime bien l’idée que Mutt parle de lui à ses potes. Bon, ça semble logique, ils vivent ensemble, ils passent les trois quarts de leur temps ensemble, ce serait bizarre de ne pas ne serait-ce que l’évoquer, n’empêche que ça lui fait du bien, et plaisir, de l’entendre. Ainsi, il a le sentiment de ne pas être totalement planqué sous le tapis. Il a quand même une place de choix dans la vie de Mutt au regard de son entourage, même si ce n’est pas la place de choix.

Ceci dit, Peter ne s’arrête pas là, et reprend en s’excusant. Klaus le regarde sans rien comprendre, quand il ajoute qu’il ne voulait pas pénétrer leur intimité ? Hein quoi ? L’intimité de qui ? Puis il reprend, et ça devient plus clair. Ainsi donc, les fesses de Mutt ont répondu à l’appel de Peter durant leurs ébats enflammés, et Peter a été aux premières loges. Comme quoi, Klaus a envie de dire que les fesses de Mutt sont dominées par la volonté inconsciente d’un outing. Est-ce que ça le fait quand même un peu marrer intérieurement ? On va pas se mentir, oui, surtout que Peter a l’air embarrassé, certes, mais pas du genre à fustiger Mutt parce qu’il serait avec un mec.

Ce qui le retient d’office d’observer la situation avec humour et décontraction, c’est le comportement de Mutt. Parce qu’il le connaît, à force, et là, d’être pris au dépourvu comme ça, Mutty risque fort de se taper une petite crise de panique… Alors oui, Klaus voudrait que l’idée même d’exposer leur relation ne le mette pas à ce point dans tous ses états, mais ce n’est pas pour autant qu’il l’aime le voir dans tous ses états, bien au contraire, même.

Et ça ne manque pas, le teint de Mutt vire au rouge, et son regard, un véritable appel à l’aide, sauf que pour le coup, Klaus voit quand même mal ce qu’il pourrait dire pour rattraper le coup : qu’ils étaient en train de mater un film porno gay (entre colocs hétéros, normal) dont les protagonistes portaient comme de par hasard leurs noms ? Qu’ils répétaient une pièce de théâtre conceptuelle chelou ? Non, là, à part dire la vérité et accepter que c’est pas grand-chose, ce serait pas mal.

« Bon bah désolée pour ça, hein, j’espère que t’as décrochée avant ma blague sur la sauce piquante, sinon, je te jure que c’était une blague, aucune sauce piquante n’a été maltraitée durant le… processus. »

Est-ce qu’il est en train de les enfoncer, là ? Sans doute, mais à part désamorcer la situation avec humour, il sait pas trop quoi faire d’autre. Il pourrait prendre Mutt à part et lui répéter que tout va bien se passer, mais il se dit que ça aidera pas. En revanche, ce qui peut aider, c’est que Peter accepte de rire finalement de la situation, avant de faire comprendre à Mutt que même si c’était gênant, c’était pas grave, et qu’il reste son super pote malgré tout.

« Donc on doit te chercher un futal pour la petite sauterie d’Halloween, si j’ai bien compris ? »

Bon, Klaus a le sentiment d’avoir réussi à détendre au moins un peu Peter. Il veut bien croire que certains souvenirs disons vocaux continueront de le hanter pour un petit moment (tout dépend de combien de temps il aura décidé de rester au bout du fil, le pauvre chou), mais s’ils ne dédramatisent pas de suite, ça va, bêtement, compliquer les choses, stresser Mutt et mettre Peter mal à l’aise. Non, vraiment, il vaut mieux en rire, et c’est une chose qu’il veut que Mutt réussisse à s’intégrer. Klaus affiche un sourire quand Peter ajoute qu’il a pas voulu le mettre mal à l’aise, qu’il est heureux pour lui, qu’il en parlera à personne. Klaus n’a jamais eu aucun doute quant au fait que son Mutty savait très bien choisir ses amis, mais il en a la confirmation, à présent. Peter s’est retrouvé dans une situation inconfortable, mais au final, il n’est que bienveillance, et rien d’autre, ce qui devrait faire du bien à Mutt.

Qu’il puisse constater que sortir un orteil du placard ne lui attire aucune foudre divine pourrait éventuellement l’encourager à sortir le pied tout entier la prochaine fois (bon, là, il en attend peut-être un peu trop de lui, mais ça c’est une autre affaire. Klaus continue tout de même d’adresser des regards soucieux à Mutt. C’est vrai, qu’il aurait bien aimé que sa plus grande phobie ne le concerne pas, ceci dit, il n’aime pas le voir dans cet état, mais il a quand même l’air de se détendre un peu, et ça aussi ça le rassure.

« Gwen ? » Il rebondit sur le sujet en songeant qu’il sera plus safe que de s’épancher sur leur situation pour le moment, en espérant que ce n’est pas Peter qu’il va angoisser dans le processus, mais s’il lui parle d’elle, c’est que ça doit aller, non ? « C’est qui, Gwen ? Elle est comment ? »

Pas besoin d’être diablement intelligent (et ça tombe bien, car Klaus ne l’est pas, diablement intelligent) pour comprendre que qui que soit cette fille (ou bien ce mec ? ça lui a inspiré un nom de fille au départ, mais possible qu’il se goure), elle a tapé dans l’œil de Peter, qui au passage lui a tout l’air d’être un garçon absolument adorable. Et donc, Peter a l’intention de se saper en vampire à la mode Twilight pour Halloween. Pas con, les vampires, c’est super sexy.

« Mais oui qu’on vient, et quand on en aura fini avec toi, ton Edward aura l’air d’un péquenaud », affirme Klaus en s’autorisant une tape familière sur l’épaule de Peter.

Pour tout dire, Klaus se réjouit d’autant plus de cette virée shopping, maintenant. Parce que même s’ils éviteront – évidemment – les grandes démonstrations en public, ils ne vont pas avoir à mentir sur leur relation (même si Klaus devine que Mutt ne voudra pas s’épancher sur le sujet).

« Tu parles, Peter porterait mon style avec classe. » Puis Mutt revient de lui-même au sujet de leurs ébats, et Klaus se marre doucement. Il voudrait protester, même pour la forme… mais non, OK, il veut bien reconnaître qu’ils ne sont pas du tout des exemples à suivre, pour des dizaines de raisons. « Les vampires, ça porte pas de jeans, il te faut une autre matière. Par contre le noir et les fesses moulantes, c’est une o-bli-ga-tion. »

Au moins, une chose est certaine, et c’est que Mutt choisit bien ses amis. En même temps, Klaus n’en a jamais douté, Mutt a forcément bon goût puisqu’il l’a choisi… mais bref, preuve en est du fait que, passé l’embarras naturel de ce pauvre garçon qui a dû être le témoin auditif involontaire de leurs ébats, il est totalement compréhensif envers Mutt, que ce soit concernant ses préférences ou même les cachotteries qu’il avait faites à son meilleur ami. Rien que pour ça, il gagne d’office des points auprès de Klaus, qui s’intéresse rapidement à sa vie, et donc à cette fameuse Gwen qui serait le portrait craché de Brooklyn.

« Ah oui, tu déconnais pas, on lui teint les cheveux et c’est carrément elle », reconnaît Klaus, impressionné.

Mais apparemment, au-delà de ça, elles n’ont rien à voir. Klaus ne sait pas si l’une d’elles seraient supposées se vexer de cette remarque. Mais heureusement qu’elles ont des caractères différents, au moins elles sont sûres de se distinguer. Ceci dit, pour ce qu’il sait de Brooke, il est convaincu que personne au monde ne pourrait la confondre avec qui que ce soit d’autre, entre ses cheveux roses (qu’il trouve toujours aussi stylés) et sa passion pour les dinosaures. Peter commence une phrase qu’il ne finit pas, mais Mutt s’en charge à sa place. Et ouais, il a pas tort, s’ils décidaient de s’intéresser à Brooke faute d’avoir eu la jolie Gwen, y aurait clairement quelque chose d’un peu malsain là-derrière. Même si Brooke est une fille vraiment chouette, et que Peter est un garçon vraiment chouette, et que les gens vraiment chouettes ont de bonnes raisons de finir ensemble. Enfin, il se permet pas de faire de commentaires pour autant. Brooke et Peter, c’est les potes de Mutt, à la base. Lui, il se contente de se taper l’incruste comme bon lui semble.

« Inconfortable ? C’est comme une seconde peau, t’as l’impression de rien porter et de te balader à poil c’est i-dé-al ! » répond Klaus en en faisant évidemment des caisses. Et qui devrait sans doute s’abstenir de parler de lui à poil à Peter mais bon, on se refait pas. Il ne le prend évidemment pas mal quand Peter tente de lui faire un compliment qui tombe un peu à plat. Il sait que son style n’est pas du goût de tous, mais ça ne la dérange pas outre mesure, il ne recherche pas l’approbation des autres, sinon il serait pas sorti de l’auberge. « T’inquiète, je sais que tu me trouves classe », il ajoute avec légèreté tandis qu’il s’intéresse davantage à la tenue qu’il faut choisir pour Peter, à présent.

« Le lycra, c’est top, comme matière, et écoute pas Mutty, le jean ça moule rien du tout, point barre », ajoute-t-il avec une opinion très arrêtée sur la question, tout en jaugeant Peter de haut en bas. « Mmmm… je suppose que j’arriverais pas à te convaincre de porter du cuir, pas vrai ? » Mutt lève les yeux au ciel, pour la blague, à la réflexion de Mutt sur la privation de shopping et ses mains pleine de doigts. « T’es pas mécontent que j’en aie autant, des doigts, il me semble », il lui souffle à l’oreille, avec un sourire, en lui glissant innocemment une main aux fesses alors que Peter fouille un portant en quête d’un pantalon à sa taille.

Klaus se contente d’afficher un sourire qui pourrait se traduire par « tu m’as bien eu » quand Mutt lui fait la remarque que les jeans serrés qu’il porte ne le dérangent pas outre mesure, ce qui est loin d’être faux. Il pourrait arguer que c’est absolument pas la question, parce qu’effectivement, c’est pas la question et que le style vampire sexy n’est pas le même style que celui du motard baroudeur, mais de toute manière, il serait plus simple de se faire une idée définitive au moment des essayages de Peter. C’est là que les marraines bonnes fées interviendraient, en fonction de ce qui s’avérerait le plus seyant ou non sur Peter. Bref, pas plus de remarque à ce sujet qu’à celui du cuir qui coûte un bras (parce que bon, c’est vrai).

Klaus s’est un peu laissé emporter, c’est vrai. L’ambiance générale, le fait de se retrouver en présence d’une tierce personne qui savait ce qu’il en était pour eux, la conviction que son geste passerait bien aperçu, lui avait bêtement fait penser, à l’évidence, que son « tout petit moment d’égarement » amuserait Mutt plus qu’il ne le mettrait en rogne. Mais Klaus range bien vite sa main au moment de lire la colère dans les yeux de Mutt, avant qu’il ne s’adresse à lui comme s’il réprimandait son gamin de cinq ans.

Klaus baisse les yeux. Il a bien envie de répliquer quelque chose, et c’est pas les idées qui lui manquent, en réalité, mais le cœur, lui, n’y est pas. Le cœur, lui, s’est tout doucement fissuré… Rien de grave, quelque chose de tout bête qui ressemble à de la déception mêlée de résignation. Il n’en veut pas tant à Mutt de lui répéter les conditions qu’il ne lui a jamais cachées au fait qu’ils soient ensemble, c’est à lui-même qu’il en veut, en réalité, parce qu’il a bêtement cru qu’ils avaient juste fait un petit pas en avant, et maintenant, il a l’impression d’en avoir fait dix en arrière.

Il est presque tenté de partir et de laisser les deux potes ensemble, son enthousiasme retombé, et songeant que ce serait le mieux, autant pour Mutt que pour Peter, mais Mutt le tire par le bras, sa manière à lui, sans doute, de le convaincre de ne pas y aller pour autant.

« M’attrape pas le bras, les gens pourraient se poser des questions », il répond, un rien cynique, mais pas très haut, à la seule adresse de Mutt. Il n’a pas envie de piquer une crise non plus, mais il ne peut s’empêcher de se sentir blessé par ce qui vient de se passer, comme à chaque fois qu’il a le sentiment de faire honte à Mutt. « Je vais faire un petit tour dans les rayons », ajoute-t-il un peu plus fort. « Vous m’appelez pour les essayages ? » ajoute-t-il en collant une expression joyeuse sur son visage.

Il ne veut pas plomber l’ambiance ou mettre Peter mal à l’aise (il doit déjà l’être bien assez), c’est pour ça qu’il se dit qu’il ne serait sans doute pas plus mal, dans le fond qu’il s’isole juste le temps de se remettre dans le bon état d’esprit.