Il se demandait pourquoi il se déplaçait encore mais c'était devenu une sorte de routine pour lui. Rien n'allait bouger, rien n'allait avancer... De toute manière, depuis son dernier (leur dernier) anniversaire, il s'était fait une raison. Son père ne se réveillerait jamais. Il venait de finir son année de Master, il allait entamer la seconde qui allait le mener à son diplome pour devenir archéologue et peut être irait-il jusqu'au Doctorat.

Est-ce qu'il le ferait pour lui ou pour son père ? A croire qu'il a fallu l'absence de ses parents pour se diriger vers cette voix des études sur lesquels il avait craché dessus par fierté. (et pour d'autres raisons qu'il a du mal à formuler encore) Normalement, Mutt s'était calmé là dessus. Normalement.

Il faisait assez chaud pour l'été, heureusement que l'hôpital avait la clim et il avait juste pris une sacoche avec son ordinateur, histoire d'avancer dans sa thèse. Au moins, il sait qu'à l'hôpital, il resterait focus sur son travail. Que Klaus ne serait pas là pour le faire dévier sur autre chose doucement. (pas qu'il dira non, mais justement, il ne sait pas dire non à son cher et tendre) Il devait un minimum bosser pendant les vacances pour préparer la nouvelle année scolaire.

Il avait garé sa voiture sur le parking, il avait pris l'ascenseur et rêve d'un café venant du distributeur qui lui donnera la motivation nécessaire pour bosser. Mais lorsque les portes s'ouvrent, il ne s'attend absolument pas de se trouver nez à nez avec son père littéralement. Son habituel air grognon (et voir en furie) et plusieurs infirmières qui essayent de le retenir.

La surprise se marque sur son visage littéralement. (et le regard de Mutt est si expressif qu'il ne peut bien souvent rien cacher quand une émotion forte le traverse) C'est comme recevoir un électrochoc alors qu'il ne s'attendait pas du tout à une situation comme celle-ci.

" P'pa ? " Lance-t-il. Il le détaille du regard, déjà debout et prêt à en découdre. Mutt a les larmes aux yeux d'un seul coup et aurait envie de le prendre dans ses bras mais vu le regard... Il sait qu'il valait mieux attendre un peu. Mutt était aussi assez choqué par ce qu'il se passait, alors son cerveau ne répond plus pendant plusieurs longues secondes et il reste les bras ballants.

Les infirmières protestent derrière lui. " Monsieur Jones, votre père doit retourner dans son lit, il est encore fai... " Il fait un mouvement de main pour les calmer. " Ouais, ouais, ouais... J'm'en occupe. " Bon pas sûr que le vieux l'écoute vraiment le connaissant. Mais Mutt était pareil que son père, les chiens ne font pas des chats. Mais la situation étant particulière, il espérait qu'il l'écoute. Il passe un bras autour des épaules de son père et fait quelques pas dans le couloir pour sortir de l'ascenseur et l'y éloigner. " Tu vas retourner dans ta chambre, d'accord ? " Lui demande-t-il en articulant les mots comme s'il parlait à un vieux sénile. Réflexe de le prendre pour un con comme il l'a toujours fait ? Mutt est aussi déboussolé. " T'es vraiment pas croyable... A peine réveillé, t'es déjà en train de foutre un sacré bordel... " Ajoute-t-il. Il se met à avoir un rire nerveux alors que les larmes coulent sur son visage. Allez tant pis pour le courroux du paternel, il le prend dans ses bras et le serre fort contre lui. Son coeur bat fort, il en tremblerait presque. Ca fait quatre ans que ca dure et ca fait deux ans qu'il est à son chevet. " J'ai cru que ca n'arriverait jamais... "

Des rêves cons, Indiana en avait fait un paquet dans sa vie. Des comme celui-ci ? Ça battait le record. Il était resté si longtemps dans le coma que sa mémoire, et son cerveau tout court, lui jouaient de sacrés tours. Il avait notamment totalement oublié qu’il n’était plus dans son univers, qu’il avait été pris dans des histoires pas possibles en rapport avec (et à cause de) la lune rouge. Ce qui lui avait valu de finir ici. De toute manière, quand on connaissait le bonhomme, ce n’était pas incongru de le trouver ici — Indiana Jones et problèmes allaient si souvent de pair qu’on pouvait même penser que cela faisait partie de son nom.

Pour autant, l’homme grincheux était persuadé de se trouver dans un rêve. Il tirait cette conclusion à cause de cette sensation de vague et de brume qui polluait l’esprit. Vous savez, la même qu’on a dans n’importe quel songe qui nous place à la fois à distance et de voir l’ensemble d’un œil extérieur tout en étant au centre de la scène. Bref, ça manquait de sens et de logique. Et ça énervait Indiana de ne pas comprendre. Il balayait la pièce d’un air hagard et contrarié comme en témoignait ses sourcils froncés. « Quel rêve de merde. » grommela-t-il quand il comprit qu’il se trouvait présentement dans un hôpital. Son premier réflexe fut donc de répondre à son envie de quitter les lieux dès que faire ce peut, parce que, quitte à être dans un songe frôlant le niveau zéro de l’intérêt et de l’amusement, autant le fuir au plus vite. Sans réfléchir, Indiana arrachait tous les fils et divers capteurs qui étaient accrochés à lui, ignorant la légère douleur que cela lui provoquait. La théorie du rêve se confirmait quand il parvint à se lever, l’air de rien, comme si ça ne faisait pas plusieurs années qu’il était dans le coma, et à sortir sans mal de sa chambre. C’était à ce moment-là qu’Indiana se heurta aux infirmières, alerté par les nombreux bruits en tout genre qu’avait provoqué le décrochage de ses fils. « Monsieur Jones ! Il faut que vous retourniez dans votre chambre, vous ne pouvez pas… » Elles craignaient, à juste titre, un malaise ou que son corps ne tienne pas après un réveil aussi brutal de sa part. « Monsieur Jones, il va surtout rentrer chez lui et s’enfermer à double tour pour qu’on lui foute la paix ! » C’était venu du tac au tac, accompagné d’un sourire franchement sarcastique. Déjà que dans la réalité, il n’avait aucun mal à envoyer bouler toustes celleux qui s’imaginaient pouvoir lui donner un quelconque ordre, alors dans un rêve… Croyez-moi qu’il allait encore moins se gratter. Il passait donc ce barrage d’infirmières sans mal (en les bousculant quoi) pour rejoindre tout aussi aisément l’ascenseur, poursuivi par ses dames. Dans un autre contexte, plus jeune, et sans Marion, il aurait apprécié que des femmes lui courent après, mais… pas là. Pour son plus grand plaisir, l’ascenseur était déjà là.

Et s’ouvrait sur Mutt.
Sur Mutt.

Son fils n’était pas le seul à être décontenancé par ce face-à-face. Lui aussi. Au point que cela l’avait réduit au silence, sans perdre de sa grogne. Indiana ne se souvenait peut-être pas des années qui précédèrent son coma, en revanche, la mort de son fils… Indiana était également saisi par une émotion vive. D’autant plus que, si on restait dans le postulat du rêve… Cela faisait un moment que le père en proie à un deuil impossible à faire n’avait pas vu sa progéniture dans ses songes. A regret. Indiana n’avait jamais su si s’était un bonheur ou un poids de vivre cette relation onirique. Pour l’heure, c’était un poids. Parce que l’émotion de Mutt lui rappelait ô combien il lui manquait, ô combien il nourrissait des regrets à son sujet. Une part de lui en voulait à Mutt de ne pas être réapparu plus tôt dans ses rêves. Une autre le remerciait… Bref, c’était très confus, comme cette situation. Indiana était si perturbé par la présence de Mutt qu’il avait laissé les infirmières expliquer la situation au jeune Jones qui le prit par les épaules.

Indiana se laissa trainer. Au départ il ne réagissait pas spécialement aux paroles de Mutt parce qu’il ne les comprenait pas, mais aussi parce qu’il ne les entendait pas — elles se résumaient à un brouhaha sourd. Il était plus occupé à scruter son fils, à se rendre compte qu’au fil du temps, son souvenir, même dans ses rêves, s’était étiolé. A regret, encore. Mais là… Mutt semblait bien réel. Avait-il vieilli… ? Son toucher avait également instillé le doute chez l’explorateur. Il était trop concret pour être rêvé. Où étaient-ils réellement ? Le père qu’il était avait besoin de s’assurer de la tangibilité de son fils dans un contexte pareil — il crevait d’envie de lui caresser la joue, de lui montrer un peu plus d’affection qu’il ne l’avait fait de son vivant, mais une retenue étrange l’en empêchait. « Mutt… Mutt… Je comprends rien à ce que tu me dis. » tenta-t-il, mollement, touché par les larmes de son fils qu’il ne comprenait pas. Lui aussi avait quelque part envie de pleurer en prenant conscience lentement qu’il n’était peut-être pas dans un rêve finalement. Comprenant la dernière phrase de son fils de travers, son agacement presque naturel chez lui revint malheureusement au galop : « Bien sûr que ça n’aurait dû jamais arriver ça (il étendait ses bras pour faire comprendre que ce “ça” englobait leur situation qui n’avait pas de sens) puisque tu es mort ! » Silence. Ça lui faisait terriblement mal de le verbaliser. Il en avait même senti son cœur se serrer, mourir. Indiana était dans une sorte de déni constant vis-à-vis de Mutt. Parce qu’il n’aurait jamais dû mourir. Parce qu’Indiana s’estimait fautif dans cette histoire. Il aurait dû l’empêcher de s’engager. Il aurait dû… Il y avait des trémolos dans sa voix qui étaient presque effacés par sa colère adressée contre lui-même, contre Mutt dont la présence continuait de le perturber. « On est où ici ?! Je comprends rien à ce qu’il se passe ! Pourquoi… » Il manquait un peu de souffle. Il sentait son corps tanguer. Peut-être était-ce trop d’émotions d’un coup… Instinctivement, Indiana se raccrochait à son fils, tenant fermement son épaule. Il murmurait : « Pourquoi t’as l’air si réel alors que je suis dans un foutu rêve à la con ! » Indiana se demandait s’il n’avait pas un peu trop bu la veille pour que tout soit aussi brumeux… Il tentait de fouiller dans sa mémoire, mais rien ne lui revenait. « Ramène-moi chez moi, j’en ai déjà marre de les voir. » souffla-t-il à propos des infirmières et surtout pour s’échapper de ses émotions qui le broyaient.