"Hey, Christine ! T'as changé de coiffure ? Non, t'es sûre ? Je te trouve super canon, ajourd'hui, genre radieuse, tu vois ! T'as trouvé un mec ça y est ? C'est pas le type qui t'a posé un lapin la dernière fois, j'espère ? Le gars méritait pas une seconde chance."

Klaus parle plus ou moins tout seul tandis que la dénommée Christine l'entraîne en cellule de dégrisement pour ce qui doit être la... oh, il a perdu le compte, mais on va en tout cas dire que ses nuits passées dans cette cellule lui ont épargné pas mal de nuits à la belle étoile, et à force, les gars du commissariat, il les connaît bien. Il arrive même pas à leur en vouloir. Puis cette fois, il doit avouer qu'il avait un peu déconné. Arriver défoncé à une réunion des Narcotiques anonymes n'avait potentiellement pas été l'initiative la plus éclairée de son existence - ce qui en dit long compte tenu du peu d'initiative éclairées dont il avait jamais fait preuve. Mais il avait pas fait exprès. Juré. Ou presque. Theresa, cette petite vieille aux joues fripées qui lui servait de logeuse dernièrement y tenait tellement, à son petit jeton de sobriété qu'il lui agitait sous le nez pour lui prouver qu'il avait été un gentil garçon qu'il avait pas voulu la décevoir. Il avait l'impression d'avoir l'esprit clair, lui, c'est pas comme si son état était si flagrant ? Pas vrai ?

Bon, apparemment oui, et cette brave petite Theresa refuse d'aller le chercher, cette fois. De la famille ? Un ami à contacter ? Ils lui posent même plus la question, maintenant. Ils le savent, à force, que Klaus est seul. Seul de chez seul. Putain de seul. Deux ans qu'il erre vaguement ici, et pas la moindre trace du reste de la fratrie, et évidemment, plus de Ben... Déjà, le coup de Dallas, c'était sévère, mais il avait quand même su rebondir. Pas qu'un peu, même. Et il avait Benny. Bordel, il lui manque, ce con. Ils lui manquent tous. Même Luther et sa vénération du paternel, même Antonio Banderas et son obsession malsaine pour JFK, même Five et ses tendances psychotiques, sans parler des frangines... Ouais, Dallas, au final, c'était pas si mal.

Cet endroit, par contre, ressemble à un gigantesque trip à l'acide, qui n'aurait pas de fin. Les gens sont tous bizarres, la ville est bizarre, et pourtant, en matière de bizarrerie, y a pas grand-chose qui est supposé pouvoir surprendre Klaus Hargreeves. En fait, peut-être que c'est ça. Il est en train de triper, et quand il pense qu'il galère depuis plus de deux ans, peut-être juste qu'il est stone depuis deux heures. Et il triperait dans son propre trip ? Un genre de tripception... Klaus vendra le concept à Hollywood quand il aura recouvré un semblant d'esprit.

Comateux, affalé à même le sol, il fixe le plafond. L'absence de fantômes dans sa vie (pas les fantômes métaphoriques qui vous collent au train où que vous alliez, ça ils avaient de beaux jours devant eux encore) aurait pu justifier qu'il file droit sur le chemin merveilleux de la sobriété, maintenant, pas vrai ? Ouais, mais le chemin de la sobriété, quand on est seul, c'est un chemin plutôt merdique. Avoir l'esprit clair dans ces circonstances, c'est une plaie, alors tant pis. Il sent son organisme regagner progressivement un pitoyable état de sobriété, et il aime pas spécialement ça.

Encore qu'il est loin d'être redescendu, parce qu'il a l'impression d'entendre la voix de Five. Il se redresse, incrédule, et... non, sans déconner, c'est bien la voix de Five, et c'est bien son frangin qu'on traîne sans ménagement jusque dans sa cellule et qui atterrit sur les fesses, pile sous son nez. Ils sont deux à se demander s'ils ne sont pas en pleine hallucination, mais c'est Five qui le verbalise.

"Oh Five..." Klaus se rapproche de son frère, et comme pour s'assurer qu'il s'agit bien de lui, n'hésite pas à passer ses mains un rien crasseuses sur son visage pour venir lui pincer les joues, juste histoire de s'assurer qu'il n'a pas de vision, qu'il est là, en chair et en os en face de lui. "Mon petit Five, c'est bien toi ! T'as même gardé ce costume ridicule !" Klaus éclate d'un rire euphorique avant de serrer brièvement le frangin dans ses bras. "Toi tu sais où on est, pas vrai ? Tu vas nous téléporter et tout m'expliquer, qu'est-ce que t'en dis ? C'est pour quand la fin du monde, cette fois ? C'est pas encore Vanya, si ?" Il grimace. "T'as forcé, t'as une haleine à réveiller un mort, ça tombe bien, moi j'y arrive plus. Longue histoire. Bon, on y va ?"

La réaction de Five au moment de faire comprendre à son frère de bouger ses pattes de son visage décoche un grand sourire à Klaus. Il faut bien qu'il s'agisse de lui pour qu'il se montre à ce point acerbe et agressif. Ce monde n'a aucun sens, cette situation n'a aucune sens, mais il est agréable de remarquer que certaines choses ne changent pas. Son frère reste ce vieux revêche à l'apparence de gamin. Le regard de Klaus tombe sur ses mains, et ses ongles noircis, quand Five émet l'espoir - vain - que celles-ci n'aient pas traîné n'importe où. Où est-ce qu'il les a laissées traîner le plus récemment ? Il saurait pas trop dire. En revanche, on omet souvent de remarquer à quel point les doigts sont fascinants... Il serait sans doute capable d'épiloguer sur la question en cet instant.

Et Five a bien de la chance que Klaus soit trop soulagé d'avoir retrouvé un membre de sa fratrie pour relever l'incommensurable insulte faite à son style vestimentaire ? Plaît-il ? Pour quelqu'un qui s'est tapé un mannequin une bonne partie de sa vie, il a pas un goût très sûr en matière de mode, le Five. Klaus est tout à fait convaincu de l'élégance de sa tenue (donc oui, son pantalon hyper-slim troué et son gilet en cuir sans rien en-dessous sont un comble de chic selon lui, cherchez pas). Il peut laisser passer cette remarque, comme celle concernant son haleine, qui ne doit pas être spécialement glorieuse (mais c'est plus un état constant, dans son cas), Five est sur les nerfs (comme d'hab) et passablement torché, l'essentiel, c'est qu'il soit là, et tant pis si le frangin reste aussi figé qu'un statue au moment de se laisser enlacer. Il n'aurait pas pu échapper au câlin dans tous les cas, il ne manquerait plus que ça.

Et visiblement, ce qui rend Five aussi chafouin, c'est que lui qui d'habitude a réponse à tout paraît sécher sur toute la ligne. Tout comme Klaus, il a perdu ses pouvoirs, et effectivement, c'est la merde. Enfin, Klaus, de son côté, pourrait s'en accommoder - c'est pas comme si retrouver son don lui permettra de retrouver Ben dans tous les cas -, mais Five sans ses pouvoir, non seulement ça vous donne un Five irascible, mais ça réduit à néant leurs perspectives d'évasion. Pas juste de cette cellule de dégrisement (ils pourraient juste accepter d'y passer la nuit et fin de l'histoire, après tout), mais de cet endroit, quel qu'il soit. L'enthousiasme de Klaus s'étiole à mesure que Five lui fait l'inventaire de tout ce que cette situation a de désespérée. Et ça en fait paquet. Bilan : pas de pouvoirs, pas d'issue, pas d'autres frangins ou frangines. Un coup de la Commission, oui, d'accord, sans doute, mais maintenant ? Qu'est-ce qui se passe, maintenant ? D'habitude, d'habitude... La situation est désespérée mais y a toujours une vague compréhension de ce merdier. Là, c'est le chaos, un chaos total. Klaus porte ses doigts crasseux à ses doigts et en mordille machinalement la cuticule.

"OK, OK, si t'es là, si je suis là, on va bien finir par trouver les autres." Quand ? Comment ? Pourquoi ? Oh ça... "Tu sais quoi ? On a pas assez bu, encore, y a rien de mieux que l'alcool pour éponger l'alcool."

Mais pour ça, faut encore qu'ils arrivent à sortir de là.

"Attends, attends...", répète-t-il sans savoir exactement Agité, Klaus fait à présent les quatre cents pas dans la cellule. Avant d'empoigner les barreaux de cellule les plus proches pour attirer l'attention de... n'importe qui. "Christine ? Christine ? T'es encore là ? Y a mon frangin qui va dégobiller ! Faut le sortir de là !"

Un silence de plomb, marque de l'indifférence générale, accompagne sa supplique.

"Bon. Faut trouver autre chose."


Son plan était si ingénieux pourtant... Ahem...

Klaus affiche un sourire des plus lumineux quand Five consent à admettre que, pour une fois (mais une fois, c'est déjà immense, vous imaginez même pas), il est d'accord avec lui. Ce jour est à marquer d'une croix blanche, mesdames et messieurs, Five a approuvé une remarque de Klaus. Bon... compte tenu du fait que celle-ci relève du pire conseil que l'on puisse adresser à une personne déjà foncièrement alcoolisée et dont le métabolisme, qui plus est, est celui d'un gamin de quatorze ans qui ne saurait endurer que difficilement un niveau d'éthylisme plus prononcé, on pourrait affirmer que c'est le pire conseil que Klaus a jamais donné à son frère (enfin, ça se discute), il n'empêche que ça valait peut-être la peine d'être transporté dans cette putain de réalité parallèle juste pour entendre ça. Mais bon, pour se murger comme il se doit, faudrait quand même qu'ils se tirent d'ici, et ça, c'est une autre paire de manches. Faire les yeux doux à cette brave Christine n'a pas franchement donné de résultat, il va donc falloir procéder différemment.

Klaus ignore complètement la mauvaise humeur de Five (facile à faire, Five est constamment d'humeur massacrante de toute manière) quand ce dernier suggère aimablement qu'il ferme sa gueule. Bon d'accord, se contenter d'espérer qu'on prenne en pitié un gamin ivre proche de dégobiller, c'était un peu hasardeux, mais d'un autre côté, c'est à eux de nettoyer ensuite, alors à leur place, Klaus prendrait ses remarques très au sérieux. Il sait de quoi il parle, il lui est déjà arrivé de laisser une trace de vomi sécher sur son parquet pendant une semaine pour cause de flemme, sous le regard franchement horrifié de Ben, alors...

Enfin, peu importe, Five a un plan. Klaus en était sûr. Même quand Five dit qu'il n'a pas de plan, il en a un quand même, c'est son truc. Et le truc de Klaus, c'est de les suivre de façon approximative. Five va feindre un malaise, ça leur laissera une vague fenêtre pour se barrer de là. Quand même, c'est clair que Five a pas l'esprit très clair : Klaus a clairement pas la carrure de Luther, et contrairement à Five, il n'est pas une machine de guerre aux réflexes de psychopathe. M'enfin, il fera de son mieux.

"Moi ? Te laisser tomber ? Les mots blessent, tu sais", fait mine de s'offusquer Klaus tandis que Five ne l'écoute déjà plus.

Ou prétend ne plus l'écouter, au moins, alors qu'il fait semblant d'avoir tourné de l'œil et s'effondre littéralement sur lui. Ne pas le tripoter ? Ne pas lui faire un truc de maman gâteau ? Allons bon, pour qui le prend-il ? Bien sûr que ce n'est pas du tout son genre, enfin... En même temps, il s'attend à quoi, exactement ? Pour une fois que Five est... à sa merci.

"Five ! Five, ma chair, mon sang !" Klaus en fait des caisses, il pousse le mélodrame à fond, serre son frère dans ses bras si fort qu'il pourrait bien  lui briser une ou deux côtes au passage. "Mon frère s'est évanoui, faites quelque chose ! Que quelqu'un fasse quelque chose !"

La personne qui s'approche n'a pas l'air spécialement convaincue, mais en voyant Five entre ses bras, il semble se dire que, dans le doute, il reste préférable de vérifier que le "gosse" n'a rien. Ils auraient son sort sur la conscience dans le cas contraire. L'homme tire une clé de son trousseau. Ils ont ceci en commun d'être deux allumettes... ça va, le type est... maîtrisable. Il a une belle gueule, au passage. Dommage de devoir l'endommager. Pas le temps de tergiverser, la porte s'ouvre, le gardien veut rentrer, Klaus s'empresse de lâcher Five et de mettre une droite au pauvre type qui se mange son poing en plein visage. Le coup n'est pas bien violent en soi mais le gars se cogne au passage contre la porte, il semble un rien sonné.

"Désolé, vraiment désolé", répète Klaus en agitant sa main douloureuse dans tous les sens.

On ne le dira jamais assez, mais ça fait mal, de donner un coup de poing.

Oups. Oui, bon, Klaus aurait pu envisager de relâcher Five un rien plus délicatement, mais il avait pas fait exprès, vraiment. Il avait agi dans la précipitation. Il avait une marge d'exécution d'approximativement quelques secondes pour essayer d'assommer le type, alors ouais, il a pas géré. Mais en attendant, s'il a fait tout ce qu'il fallait pas faire selon les dires de son frangin, ça n'empêche pas que le gars est plus ou moins KO maintenant.

"Oui, attends, d'accord...", répond Klaus, agité, qui obéit maladroitement aux directives de son frangin.

Peut-être que le psychopathe de la fratrie est habitué à ce genre de coups foireux, mais c'est toujours pas le cas de Five. D'accord, il s'est retrouvé dans des situations pas possibles, et plus d'une fois, et ça même sans pouvoir en imputer la faute à ses frères, c'est pas pour autant que c'est quelque chose de naturel chez lui. Et puis, lui aussi est pas franchement sobre, et ça aide pas spécialement, pour le coup. Malgré tout, il réussit quand même à traîner le corps sonné du type - auprès de qui il continue de s'excuser tout du long - dans la cellule. Il récupère le trousseau de clé, galère à retrouver celle qui permet de refermer la porte mais y arrive finalement. Bon, ça c'est fait. Mais ils sont quand même pas sortis de l'auberge - enfin, du commissariat, en l'occurrence.

Five réussit à être vaguement vif en dépit de tout l'alcool ingéré, suffisamment en tout cas pour mijoter un plan qui leur évite de passer face à une foule de flic qui les laisseraient jamais sortir de là en un seul morceau et les feraient retourner fissa d'où ils viennent. Au début, tout se passe bien, ils arrivent à atteindre le bureau et à refermer la porte de ladite pièce derrière eux sans attirer l'attention ce qui est, c'est rien de le dire, plutôt miraculeux. Et Five a vu juste, il y a bien une fenêtre à ce bureau. Sauf que c'est ce genre de fenêtres stupides qui vous laissent crever de chaud en été sous le prétexte d'empêcher le travailleur moyen de se foutre en l'air, même du rez-de-chaussée. Pendant que Five s'égosille et court dans tous les sens à la recherche d'une solution, d'un objet pour faire levier,  Klaus n'en fout pas des masses de son côté, il traîne tranquillement son regard dans la pièce, lève le regard en l'air.

"J'ai quelque chose !" déclare-t-il avec fierté en se rapprochant d'une armoire collée à un mur.

Il attrape iune chaise qu'il vient rapprocher du meuble pour grimper dessus et récupérer ce qui est à son sommet. Une bouteille. Du scotch, déjà bien entamée mais bon... Le cliché du flic alcoolique a encore de beaux jours devant lui, apparemment.

"Pour le courage !" décrète-t-il avant d'ouvrir la bouteille, toujours hissé sur sa chaise, et d'en boire une beaucoup trop large gorgée. "Tiens, prends au lieu de t'agiter dans tous les sens", dit-il en lançant la bouteille dans sa direction, qui vient évidemment s'écraser sur un coin de bureau et se briser en éclat. "Oups." Bon ils en sont où sinon. Ah oui. La fenêtre. "Et si..." Il commence sa phrase s'arrête en plein milieu. "Naaah." Puis quelques secondes de réflexion alcoolisée. "Ah ! On fait bloque l'accès à la pièce avec l'armoire, on défonce l'armoire - non, pas l'armoire, la fenêtre - et on court très très vite." Il affiche un sourire absolument ravi, comme s'il saluait son propre génie, du haut de sa chaise, toujours. "Heureusement qu'il y en a un de nous deux pour savoir réfléchir."

L'expression en soi relativement indéfinissable qui se fiche sur le visage de Klaus pourrait se traduire par un "M'enfin c'est pas la peine de s'énerver comme ça" quand Five menace carrément de lui faire bouffer ses couilles sous le prétexte qu'il a juste mal visé - ou que Five a mal rattrapé la bouteille, hein, aussi, question de perspective. Bon, dans tous les cas, si vraiment Klaus doit gouter à ses propres testicules, ça attendra, visiblement qu'ils soient sortis de là. Tant mieux, parce que ça le tente pas des masses. Par contre, ça lui fait penser qu'il a faim.

Quand ils seront sortis d'ici, il faudra qu'il suggère à Five d'aller se taper un tacos. Ou des gaufres. Ou les deux. Bon, ils sont pas encore sortis, mais ça va le faire, ça va le faire. C'est sûr, ça aurait été mieux que ce brave Fivey puisse toujours se téléporter en un claquement de doigts, mais ils vont faire avec, tant pis. Enfin, ils vont faire sans, surtout, pour le coup.

Non parce que ça continue de râler, ça continue de râler, mais en attendant, c'est bien son plan - de génie - qu'il est en train de mettre à exécution, non ? Klaus dut forcer un peu pour parvenir à déplacer l'armoire en fer jusque devant la porte, le tout dans un vacarme abominable - si tout le commissariat n'était pas directement alarmé, avec ça. L'armoire, ça a quand même plus de chance de bloquer la porte que la grande perche vacillante et, selon les dires de Five, incompétente qui a dû déployer toute la force à sa disposition (c'est-à-dire pas beaucoup) pour un effort qui lui laisse à présent les bras littéralement en compote, mais qui en vaut apparemment la peine, car dans le même temps, et après plusieurs essais, Five est parvenu à faire céder la fenêtre.

Five passe en tête et n'a pas l'air de se soucier des masses de voir son frère le suivre ou non (eh ben sympa, merci). Dans tous les cas, Klaus le suit bel et bien. Il a le temps de constater que l'on tente de défoncer la porte, mais il parvient à sauter par la fenêtre. Il le suit sur quelques mètres, ne le voit pas disparaître à l'angle d'une rue. Tous ces efforts sont vraiment en train de lui tourner la tête.

Five l'entraîne à l'abri et après un moment durant lequel Klaus consent bel et bien à ne pas dire le moindre mot, quand ils ont l'assurance que les flics sont allés voir ailleurs s'ils s'y trouvent et que Five l'autorise à parler, Klaus n'attend pas plus longtemps pour prendre la parole. Il n'est pas bête, il a bien compris que le frangin est chafouin, mais en ce qui le concerne, il estime que sa colère est parfaitement injustifiée. Non, vraiment, pas besoin d'en faire tout un plat.

"Rooo ça va, me regarde pas comme ça, on s'en est sortis, pas vrai ?" dit-il en toute décontraction et sans se sentir l'obligation de se justifier de quoi que ce soit au demeurant. "On va se taper un tacos, ça te dit ?" ajoute-t-il, toujours comme si de rien n'était.

Parce qu'il a la dalle.

En toute honnêteté, très franchement et sans mentir, Klaus a bien du mal à comprendre ce qu'il a bien pu faire qui soit susceptible de mettre Five dans un tel état de nerfs. Non mais, vraiment, sérieusement, Il a beau se refaire le film des dernières minutes (un film avec beaucoup de couleur et beaucoup de mouvement, ça donne un peu le vertige, en vérité), il ne comprend pas pourquoi le frangin se met à ce point en rogne alors qu'il devrait être franchement ravi, pour le coup. Ils étaient partis pour passer la nuit à l'ombre et ils sont dehors, et les flics qui leur collaient au train ont l'air d'avoir lâcher l'affaire. Et en plus de ça, ben... ils se sont retrouvés, après plus de deux ans à galérer chacun dans leur coin. C'est pas trop cool, ça ? Est-ce que ça mérite franchement pas de célébrer plutôt que de se prendre bêtement la tête. Mais non, Five, parce que c'est Five est qu'il a définitivement pas bougé d'un iota (quoique si, Klaus jurerait qu'il a pris un petit centimètres ou deux, depuis la dernière fois qu'ils se sont vus), préfère ne toujours pas décolérer.

Et même, il déconne vraiment pas. Il ne se contente pas juste de le fusiller du regard... Non non... Il lui... Il lui agrippe littéralement les couilles, là ?! En d'autres circonstances, Klaus dit pas forcément non à ce genre de choses mais là ? Non mais il est pas bien ? C'est dans un parfait mélange entre le couinement et le grognement que Klaus exhorte son frère de bien vouloir lui lâcher les roustons. Il suit Five en chancelant à moitié, au moins, le frangin a l'air d'approuver l'idée de se mettre un truc sous la dent - et encore une bonne idée de la part de Klaus, mais combien que Five n'ira même pas la souligner alors même que son estomac le remercierait certainement ? Alors qu'ils approchent d'un bienheureux fastfood, Five s'interrompt dans sa marche et Klaus se le mange au passage. Et c'est de nouveau lui qui prend.

"C'est toi qui parle d'espace vital ?" rétorque Klaus de son ton le plus offusqué. "Tu viens littéralement de me broyer les couilles !" reprend-il alors que Five ne l'écoute déjà plus pour se diriger plutôt vers le restaurant duquel se dégage déjà une délicieuse odeur de frites bien grasses. Ou bien c'est dans sa tête ? Il n'en sait foutrement rien, tout ce qu'il sait, lui, c'est qu'il a les crocs - et qu'il a mal aux couilles -, ce qui sont deux informations tout à fait sans rapport mais toutes deux essentielles pour lui à l'heure actuelle.

Au comptoir, Klaus se fait plaisir. Il a envie de commander toute la carte, et c'est plus ou moins ce qu'il fait... mais à nouveau, il faut évidemment que le frangin joue les rabat-joie... Pas possible d'être aussi lourdingue... Si seulement il pouvait se détendre.

"Mais bien sûr mon rayon de soleil", réplique Klaus avec un large sourire tandis que Five file en direction des toilettes histoire de se laver les mains. Ben écoute, fallait y réfléchir avant de lui agripper les couilles, sérieusement. Klaus en profite bien sûr pour réclamer son double burger que Five a injustement voulu lui retirer. Il lui retire littéralement le pain de la bouche, je vous jure.

Klaus, livré à lui-même, trépigne et tourne sur lui-même le temps qu'on prépare sa commande. Il a très envie de s'asseoir et de manger, c'est un supplice, mais évidemment, la première chose de prête, c'est le putain de café de Five. Génial, il va être encore plus énervé, comme ça.

"Faut excuser mon frangin", fait-il à la serveuse qui prépare sa commande et évite scrupuleusement son regard, "il a les nerfs parce qu'il a pas tiré son coup depuis l'apocalypse." Klaus considère la tasse de café de Five. Faudrait juste qu'il se détende un peu... qu'il...

IDEE DE GENIE. DU PUR GENIE. Klaus fouille fébrilement le contenu de ses poches, il est à sec d'à peu près tout, mais en cherchant bien... Il observe un instant la pilule qu'il tient entre son pouce et son index. Oh, brave pilule de l'amour ! Voilà pile ce qu'il faut à Five pour lui retirer l'immense baobab qu'il a dans son ridicule fondement d'adolescent. Sans spécialement de discrétion, Klaus ouvre le gobelet du précieux café et glisse la pilule au fond. Replace le gobelet en urgence avant que Five ne débarque, ce qui ne tarde pas.

"Ca y est, t'es tout désinfecté ?" lui dit-il avant de lui ébouriffer les cheveux en même temps que leur plateau se remplit jusqu'à ce que la commande soit complète. "Viens, on va s'installer et rattraper le temps perdu, enfin."

A première vue, Five semble trouver le comportement - ou l'absence de comportement, devrait-on dire, en l'occurrence - pour le moins suspect. Il y a de quoi. C'est lui qui l'a cherché, hein, mais forcément, laisser Klaus seul même deux minutes semble revenir à s'exposer à un quelconque danger majeur. Peu importe, Five est suspicieux, mais il ne semble pas deviner un seul instant que son frère ait pu décider de glisser un "ingrédient" pour le moins suspect dans sa boisson. Il s'arrête seulement sur son burger, ce qui au final est le moindre reproche qu'il devrait lui faire, mais passons.

"T'es mignon quand tu fais des leçons de moral", répond Klaus avec un grand sourire. Five peut bien l'insulter autant qu'il le souhaite, ça n'a plus grande importance pour Klaus qui est passé en phase d'observation. Il attend le moment où le frangin va péricliter, mais en toute bienveillance bien sûr. Tout ça, c'est juste histoire de le détendre, rien d'autre. "Mais la dernière fois que j'ai vérifié, même si ça fait longtemps, t'étais pas un androïde ultrasophistiqué, donc arrête de te prendre pour maman." Après avoir fini sa phrase, il mord dans son burger avec appétit. Il y a en réalité bien peu de chances pour qu'il parvienne effectivement à en venir à bout, mais ça n'a aucune importance à ses yeux. Même si Five en fait une affaire d'Etat. "T'en fais pas, je vais le finir ton burger, je t'ai dit que j'avais les crocs."

Il n'essaie pas de plaider davantage sa cause. De toute façon, ils ont des choses à se dire. Des frères normaux qui se seraient retrouvés enfin après deux années à errer là comme des âmes en peine auraient sans doute commencé par là, mais il ne faut jamais compter sur les Hargreeves pour faire comme tout le monde, évidemment. D'abord la cellule de dégrisement, l'évasion catastrophe du commissariat et le droguage de café, ensuite la conversation un chouias plus conventionnelle. Et encore, conventionnelle.

"Deux ans, et toi ?" demande Klaus quand Five s'interroge sur la date de son arrivée. "Qu'est-ce que tu aurais voulu que je remarque en dehors du fait que cette île est peuplés de barjots et qu'il y a aucun moyen d'en sortir ?" répond-il alors qui sent qu'il va encore se faire insulter parce qu'il n'aura pas su être d'une grande aide. Allez, bois ton café, bois-le... "Et je te ferais remarquer que j'ai pas eu besoin que tu m'entretiennes durant ce temps-là. Je crèche chez une petite vieille adorable, Theresa... Bon il se peut qu'elle m'ai mis à la porte pile aujourd'hui, mais..."

Et à partir de là, Klaus suit très vaguement ce que dit Five, mais certainement pas avec l'attention que nécessiterait ses propos. Il ponctue de "Vraiment ?", "Tu crois ?", "Pas croyable", "C'est sûr, t'as forcément raison Fivey" les propos de son frère quant aux circonstances de leur présence ici mais surtout quant à ses théories sur ce que peut bien être cet endroit.  Lui, il veut surtout que Five boive enfin son fichu café et se détende l'oignon. Le reste de son temps, lui, est accaparé par le burger qu'il finit très rapidement avant d'amorcer la dégustation de la littérale montagne de frites qu'il a commandée. AH ! Enfin, il boit son café ! Klaus l'observe avec un immense intérêt, garde sa frite en suspens à quelques millimètres de ses lèvres.

"Ouais,pas possible ces gens qui savent plus faire de café correctement. Mais je suis sûr que tu le trouveras meilleur après quelques gorgées."

Pas de remarque de la part de Klaus quand Five affirme qu'il en faut bien un dans le lot pour mettre du plomb dans la cervelle à tous les autres. Comme s'il était le mieux placé dans ce rôle... C'était peut-être leur "aîné", techniquement, mais c'est clairement pas à lui qu'il attribuerait le rôle de boussole morale, d'instinct. Une boussole morale, Klaus en avait une. Elle lui disait un peu trop souvent ce qu'il avait pas envie d'entendre et il lui obéissait pas forcément souvent, n'empêche qu'il donnerait tout pour que Ben soit là pour rouler des yeux à ses conneries. Five est capable de la même chose, d'accord, mais c'est pas pareil quand c'est lui qui l'insulte. Puis il a une de ces fixettes avec l'idée de lui faire manger des trucs par le cul...

Il laisse couler alors que Five reprend. Ce qu'il veut, c'est récupérer ses pouvoirs, Klaus pourrait répliquer qu'ils sont deux. Sauf que non, ça lui va assez, au final, de pas se taper la causette avec tous les défunts du coin, ça le repose un peu, mais il se dit que tout ça, ça peut pas durer. Leur voyage à travers le temps et l'espace a peut-être déréglé leurs pouvoirs, mais en attendant, bien sûr qu'ils vont revenir... De toute façon, il faudra bien. D'une" parce que sans ça, Five va être encore plus ingérable, d'autre part parce que c'est bien la seule manière dont ils peuvent espérer partir de ce fichu îlot perdu dans il ne sait quelle dimension chelou. Mais là encore, pas de commentaire. Klaus attend, Klaus veut que le café fasse son effet sur Five, histoire de le mettre qui sait, dans de meilleures dispositions.

Et à ce sujet, Five finit par comprendre. Sûrement parce que son frère a pas été des masses discret (qui l'eut cru). A un moment, Klaus veut jouer les offusqués en affichant l'air le plus choqué du monde, mais il sait que ça prendra pas, surtout qu'il voit à la tête que tire le frangin que sa petite pilule magique est bel et bien en train de faire effet.

"Détends-toi, faut pas t'énerver ou tu vas faire un bad trip, détends-toi, je te dis, tu va voir que ça va te faire du bien. Tu me remercieras plus tard."

Ou. Pas. Dans tous les cas, ce qui est fait est fait, et si Five accepte de se laisser aller, il comprendra que tout ce que Klaus a voulu, lui, c'est faire en sorte que son frère aille un peu mieux. Klaus l'observe se laisser gagner progressivement par les sensations euphorisantes de la drogue, et ça a l'effet escompté. Bien sûr, il recueille quelques insultes au passage - mais ça, c'est son lot quoi qu'il fasse, alors bon. Quand Five se met à rire aux éclats, Klaus ne peut s'empêcher de rire avec lui.

N'empêche, c'est pas si souvent qu'il a l'occasion de voir Five se marrer, ça lui plaît bien. Lui-même est assez naturellement défoncé, mais il regrette de ne pas s'en être gardé un peu pour lui. Quoique c'est mieux si un des deux est... raisonnablement... lucide. Oh et puis, à quoi bon ? Klaus récupère ce qui reste de café dans le gobelet de Klaus et en avale le contenu d'un trait.

"Tu vois, c'est pas si dramatique", répond Klaus entre deux fous rires. Il considère le plateau de nourriture bien entamée, il n'a pas fini son burger, mais peu importe, il veut compter sur le fait que Five sera manifestement trop stone pour lui faire encore des reproches. "On bouge d'ici, allez ! Qu'est-ce que t'aurais envie de faire, maintenant ?"

Ecouter les impulsions d'un Five défoncé, ça peut être particulièrement intéressant.

"On s'en cogne." C'est bien ce qu'il vient de dire. "On s'en cogne." Alors, c'est peut-être un détail pour vous, mais pour Klaus ça veut dire beaucoup (que Five est libre et heureux d'être là malgré tout, tout ça). C'est si rare de le voir juste... lâcher prise. D'accord, c'est pas en décidant qu'on se fout de tout qu'on arrive très loin dans la vie, mais de temps à autre, quand même, ça fait du bien. Et même, c'est nécessaire. C'est encore plus nécessaire dans une situation comme la leur, alors qu'il est évident dans tous les cas qu'ils ne peuvent absolument rien faire, qu'ils soint coincés là. Alors paniquer, s'énerver, ça va bien cinq minutes, mais se laisser porter, adopter la méthode Klaus, ça peut être un bon plan... Et pour ce qui est de son plan, il marche définitivement mieux que tout ce que le jeune homme aurait bien pu soupçonner. Oui, bien sûr, évidemment, il avait exactement voulu obtenir une telle attitude de la part du frangin. De là à espérer que cela arrive vraiment, par contre, y avait un monde... Comme quoi, tout est susceptible d'arriver, sur ce lopin de terre. Absolument tout.

Five se lève et fait tomber sa chaise derrière lui, Klaus se marre en le regardant faire avant de se lever à son tour. A la table d'à côté, ça râle sévère, mais... ben, ils s'en branlent, pas vrai. Dans tous les cas, et quoi qu'ils décident de faire cette nuit, ils n'en auront rien à carrer de personne, et ce sera parfait. Bon, le lendemain, Klaus en entendra parler tandis que ce brave Fivey retrouvera tout de sa charmante personnalité (pas totalement disparue vu la manière dont il cause au mec qui a manifesté son agacement), mais ils s'en fichent de demain. C'est bien ça le concept. Ils s'en fichent de tout. Et c'est parfait comme ça. Ils quittent finalement le restaurant et Klaus se marre en regardant son frère batailler avec la porte. Le spectacle vaut vraiment le coup d'oeil... il devrait filmer ça... Merde, ça lui fait penser qu'il a laissé son portable au commissariat, il est pas prêt d'en revoir la couleur. Bah... tant pis.

Klaus, globalement, joue les spectateurs de la déchéance de son frère, et il adore vraiment ça. Il se marre, il se marre, et il n'essaie pas de le contenir. En fait, il a bien envie de voir jusqu'où ce brave Fivey serait capable d'aller, alors il interfère le moins possible. Quand il gueule dans la rue, il se contente de faire de même, sans s'inquiéter de dire quoi que ce soit d'intelligible. Qu'est-ce qu'il est chou, Five, quand il est défoncé, n'empêche. Klaus commence à songer qu'il devrait droguer son café plus souvent.

"Je m'occupe de nous acheter ce qu'il faut, frangin. Et tu sais quoi, Fivey, toi aussi, tu mérites de vivre", ajoute-t-il en appuyant le plat de ses mains sur ses épaules. "T'es un putain de héros, Fivey, on est des putains de héros." Ils avancent dans la rue, ils ont l'air fin, dans l'état où ils sont. "Par contre faut que tu m'avances les biffetons, frangin chéri." Il attend sagement en tendant la main que son frère s'exécute, puis il disparaît dans une supérette le temps d'acheter trois bouteilles d'alcool trop transparentes pour être honnête. "Allez, on va se mettre une mine.", dit-il en glissant une bouteille entre ses mains. "Dis, ça te dit qu'on aille à la plage ? J'ai envie de voir l'océan."

Klaus adresse de grands yeux ronds à son frère quand ce dernier fait remarquer que personne n'a envisagé de le remercier pour toutes ces fois où il leur a sauvé les miches, comme s'il avait une révélation, et c'est presque un peu ça.

"Attends, c'est vrai, on t'a jamais dit merci ?" Il laisse passer un long temps de silence, réfléchit à ces occasions au cours desquelles il aurait été de bon ton de le remercier... il y en avait aussi un paquet d'autres où la reconnaissance n'était pas spécialement de mise, ceci dit, c'était quand même vrai que maintenant qu'il y réfléchit, ces mots ne sont peut-être jamais sortis de sa bouche, pas à l'adresse de Five. "C'est pour ça que t'es tout grincheux tout le temps comme ça, dis ? Parce que tu manques juste de reconnaissance ? En fait t'es juste une pauvre créature en manque d'affection."

Il lui adresse un regard attendri, pas différent du genre de regard qu'il adresserait à un chiot trop mignon abandonné en pleine rue. Sans attendre l'autorisation du frangin (pour quoi faire ?) il s'empresse de le prendre dans ses bras et de le serrer très fort - trop fort - dans ses bras.

"A-do-rable. Suffisait de l'dire, tu sais", dit-il sans le lâcher directement. "Merci", lui dit-il en l'écrasant presque avant de daigner enfin le lâcher un minimum.

Petit instant d'émotion passé (enfin, l'émotion de Klaus, surtout), ils se remettent en route, et progresse de façon fort peu droite et fort peu digne à travers les rues de la ville, s'attirant de temps à autre quelques regards ô combien courroucés. Klaus hausse les épaules quand Five s'afflige de l'idée qu'il puisse éventuellement passer du temps dans le lit des petites vieilles qui acceptent de jouer les logeuses pour lui.

"Tu sais Theresa est plutôt bien conservée, pour ses soixante-dix piges, et puis, elle a de l'expérience", répond-il avec un petit sourire au coin des lèvres.

Pas la peine d'en dire davantage, ils finissent leurs petites emplettes, et pour une fois, Five ne rejette pas en bloc une de ses idées en l'insultant au passage, ce qui pour Klaus relève de l'exploit le plus remarquable, vraiment. Bon, faut dire que l'idée est plutôt innocente en soi. Se mettre une mine en bord de mer, qui refuserait ça, sérieusement ?

Une fois dehors, Five suggère d'aller en boîte. Klaus regrette de pas avoir eu l'idée en premier. L'idée d'imaginer Five en boîte de nuit est beaucoup trop tordante, elle le fait se marrer tout seul très concrètement, d'ailleurs, mais bon, ça lui va d'attendre un peu avant d'y aller, ça va leur permettre d'adopter une stratégie pour faire rentrer le gamin qu'a l'air d'être Klaus dans une boîte quelle qu'elle soit. Le plan sera sûrement pas de plan du tout, d'ailleurs, mais passons.

"Eh, ça va !" réplique Klaus en ne faisant que mine de s'offusquer quand Five souligne l'absurdité de le laisser aux commandes, même pour un truc aussi con que de se rendre à la plage. "T'as peut-être connu l'apocalypse, mais moi j'ai fait le Vietnam, je te rappelle", réplique-t-il avant d'oublier presque aussitôt ce qu'il a dit ou pourquoi il a dit, surtout quand Five ajoute qu'il se sent motivé à tout un tas de choses, c'est l'occasion. "T'as vu, c'est génial, hein ? Tu vas voir, on va tout faire. On va bien trouver une manière de te faire rentrer en boîte, et après, on pourrait... Oh ! J'ai envie de me faire un nouveau tatouage, tu m'accompagnes. Un petit papillon dans le bas du dos, ce serait du meilleur effet sur toi." Petit sourire, leurs pas finit par les mener sur la plage. "Mais d'abord... bain de minuit !"

Il n'attend pas de savoir si Five le suit, Klaus se précipite vers l'eau, prêt à s'y jeter tout habillé.

Le sourire jusque-là fiché sur les lèvres de Klaus s'efface derechef quand Five évoque Dave. Bien sûr, avoir abordé lui-même le sujet du Vietnam revenait à s'engager sur une pente glissante, mais Klaus avait eu l'intention d'évoquer le sujet pour aussitôt passer à autre chose, ce n'est pas comme si, avec ce qu'ils avaient ingéré de substances illicites, ils allaient pouvoir longtemps articuler une pensée cohérente. Mais entendre ainsi prononcer le nom de Dave lui fait l'effet d'une gifle en plein visage, qui le réveille d'un coup et paraît un instant effacer de son organisme tout ce qui l'avait jusqu'ici plongé dans cet état doux et vaporeux qui lui plaisait tant, et surtout, qui lui permettait très souvent d'occulter des pensées aussi sombre que celle-ci, que Five vient de rappeler à lui sans aucun tact ni aucun ménagement. On peut le dire, Klaus a le droit à un bon gros retour de bâton cosmique, en cet instant. Il ne dit rien, laisse couler cette remarque, mais son esprit est ailleurs quand son frère reprend la parole.

Pas de tatouages de papillons pour Five, donc, bah... y a plein de motifs disponibles, ils pourraient même décider de recouvrir ce fichu parapluie, s'ils le décidaient, et Klaus serait bien capable de donner à son frère des dizaines de suggestions de motifs plus affreux les uns que les autres en compensation, mais le coeur n'y est plus. Klaus voit la mer s'étendre à perte de vue devant eux, et décide que la meilleure façon encore de se rafraîchir l'esprit pour faire repartir cette soirée du bon pied, c'est de s'y jeter d'office et sans plus réfléchir. Il s'en fiche d'attraper la crève, puis, puisque Five accepte de le suivre, son idée doit pas être si con, pas vrai ? Quoique, Five s'arrête à mi-chemin et insulte le sable.

Klaus n'écoute plus son frère, de toute façon. Il a déjà plongé dans l'eau trop fraîche, et il fait maintenant la planche dans l'eau, ses vêtements collés à sa peau, le regard rivé au ciel au-dessus de lui. C'est à peine s'il entend Five, qui continue de pester contre ses idées et contre le sable collé à ses pieds.

"T'as remarqué... on a les mêmes étoiles que chez nous ici. Enfin je crois. En fait, j'en sais rien...", dit-il sans être certain que Five soit capable de l'entendre depuis la plage, et dans le fond, il s'en fiche un peu.

Ce n'est qu'après plusieurs longues secondes qu'il consent à s'extirper de sa léthargie pour se tenir de nouveau debout dans l'eau et jeter un regard à son frère. Dans un soupir, il quitte l'eau pour retrouver Five sur la plage.

"Même sous pilule, t'arrives à être chiant, c'est pas croyable", dit-il, peut-être plus agressif qu'il ne le serait en temps normal. Sa réflexion sur Dave, que Five a sans doute déjà oubliée, reste prisonnière d'un coin de son esprit. Il prend des mains la bouteille que Five tenait plus tôt et en boit une grande gorgée. "Vas-y, propose-en une, d'idée brillante. Mais oublie pas qu'on te laissera entrer nulle part sans moi."

Klaus accueille la réflexion de Five avec indifférence quand ce dernier lui fait remarquer que si, le ciel est complètement différent ici. Ah bon ? Pourtant il aurait juré le contraire... d'un autre côté, ouais, c'est vrai, l'astronomie, il en a jamais eu grand chose à faire, pour tout dire. Et les étoiles, dans le fond, elles se ressemblent toutes. Les constellations sont pas les mêmes. S'il le dit, c'est que le petit génie qu'est Five doit avoir raison, lui il s'en fiche un peu, de toute façon, c'était jamais qu'une remarque comme les autres, il s'est contenté de dire ce qui lui passait par la tête. Et c'est vrai que ce qui lui passe par la tête, c'est bien souvent un tissu de conneries du genre épais. Il laisse couler les remarques de Five sur lui comme l'eau qui trempe ses vêtements alors qu'il sort de l'eau, il décide qu'il s'en fiche.

En fait, il commence à se dire qu'il se fiche de tout, là, tout de suite. Même si Five reste Five, et que cette soirée a déjà pris une tournure qui ne ressemble absolument à rien de ce qu'ils s'était imaginé, il devrait être content, euphorique de l'avoir retrouvé. A la place, il se sent franchement déprimé, en cette seconde. Il peut chasser les remarques désagréables de son frère d'un revers de la main, c'est de l'ordre du réflexe intuitif, à ce stade, mais il ne peut pas balayer la pensée de Dave et juste ne plus y revenir. Il arrive juste pas à le chasser de son esprit. Et ce qui l'agace, là, tout de suite, c'est même pas tant le fait que Five rivalise d'insultes à lui adresser, mais qu'il ne se rende pas compte du fait qu'il l'a blessé pour de vrai, en abordant certainement le seul sujet vraiment susceptible de vraiment le faire réagir.

Et alors qu'il l'a rejoint sur la plage, ça ne s'arrête absolument pas, bien au contraire. Five se montre même particulièrement véhément. Il hausse les épaules quand Five suggère qu'il va sans doute choper la crève. Rien. à. foutre. Vraiment rien à foutre.

"C'est pas con ça, peut-être qu'on est mort. On peut plus voir de fantômes quand on est mort, pas vrai ? Mais j'ai jamais vu de morts se soulager la vessie, c'est pas faux."

N'empêche que maintenant qu'il lui a sorti ça, Klaus y pense sérieusement. Et si c'était ça, l'endroit où disparaissent ceux qui ne venaient plus le hanter ? Est-ce que Ben pourrait être ici ? Est-ce que Dave pourrait être ici ?

"T'as vraiment aucune idée de ce que t'as dit de travers, pas vrai ? En même temps, tu débites tellement d'insultes à la minute, c'est pas étonnant que tu perdes le fil malgré ton immense cerveau." Il pousse un léger soupir, il a décidément perdu toute bonne humeur. "Me parle plus jamais de Dave, tu seras gentil. Et va où tu veux, fais ce que tu veux, je pense que je vais rentrer me pieuter. Ah merde c'est vrai..." Il a plus d'endroit où crécher. "Bah, j'dormirai ici, voilà", décrète-t-il d'un ton décidé.