Des amis, je n’en avais jamais réellement eu beaucoup. Vivant en solitaire dès l’âge de me 12 ans, je restais rarement au même endroit et je ne fréquentais les personnes qu’un temps très bref. Cela ne voulait cependant pas dire que j’étais insensible ou incapable d’aimer. Bien au contraire. C’est justement l’affection que j’avais pour eux qui me faisait fuir systématiquement. Je cachais un grand nombre de secrets que je me devais de préserver. Cette vérité était d’autant plus vraie lors de mes derniers temps vécus dans mon monde originel, alors que je m’étais lancé à la chasse aux démons. Les sentiments n’avaient alors plus de place dans ma vie et mis à part pour quelques rares personnes, comme mon amie Freya, je gardais mes distances avec tous tant que ces relations n’étaient pas dans l’intérêt de ma mission.
Une fois arrivé sur l’île, j’étais persuadé que ce schéma se reproduirait. La lune rouge éclairant le ciel me laissait comprendre qu’une nouvelle chasse aurait bientôt lieu et qu’il me fallait me préparer. Je ne savais pas encore qui ou comment mais il finirait par se présenter à moi. C’était donc la seule chose qui comptait à mes yeux, tout du moins c’est ce que je pensais. J’avais cependant fini par m’intégrer dans cette communauté… à ma manière bien évidemment. Je ne pouvais pas chasser ma nature de loup solitaire qui faisait partie de mon identité. Mais je faisais tout de même mon bonhomme de chemin, apportant soin et réconfort à ceux qui me le demandait. C’était après tout un devoir en tant que chaman que de guider spirituellement les membres de sa communauté tout en veillant sur le bien-être et leur santé. Ce qui est une situation plutôt paradoxale, n’est-ce-pas ?
Il m’avait fallu pourtant du temps pour accepter cette réalité, me satisfaire de la vie dans ce nouvel environnement, bien loin des paysages glacés que j’arpentais depuis mon enfance. La chose la plus perturbante de toutes restait bien sûr la perte de mes pouvoirs. J’avais vécu toute ma vie entre deux mondes, celui des morts et celui des vivants. Cette situation me plaisait. Les uns comme les autres ayant des histoires passionnantes à me raconter. Depuis ma naissance j’étais habité par ses pouvoirs médiumniques. Encouragé par ma famille et par mon clan, j’avais appris très jeune à arpenter les routes du monde mystérieux des morts avec autant d’aisance que je le faisais dans celui des vivants. Mais cette île m’avait volé se privilège, couper les ponts qui me permettait d’aller rendre visite aux trépassés. Cette situation me donnait l’impression de devoir renoncer à une partie de moi-même et c’était grandement perturbant. Aujourd’hui encore, j’espérais qu’un jour le contact pourrait être rétabli et que je retrouverais ces amis de l’au-delà que j’avais été forcé de laisser derrière moi.
Le tintement de la cloche de ma boutique me tira immédiatement de ma songerie. Mes réflexions m’avaient poussé si loin que j’eus beaucoup de peine à reprendre conscience de mon environnement. Pourtant, je finis par le faire. Mettant temporaire de côté les plantes que j’étais occupé à écraser et préparer, je m’essuyais les mains avant de passer de l’arrière-boutique à la pièce principale, cet endroit même où je recevais mes clients. Un sourire éclaira alors mon visage lorsque je m’aperçus que mon visiteur n’était personne d’autre que Klaus Hargreeves, le frère favori de mon ami Diego Hargreeves. Nous nous étions croisés quelques temps auparavant à l’hôpital alors que Diego venait d’être blessé dans une bagarre de rue. Je fis un pas dans sa direction. « Klaus… quel plaisir de vous revoir. J’avoue que j’avais des doutes. Je ne savais pas si vous finiriez par accepter mon invitation. Comment allez-vous ? »
Je lui avais laisser ma carte, l’air de rien. J’avais bien évidemment un but bien précis derrière mon invitation. Celle d’honorer la promesse que j’avais faite à son frère. Diego, désemparé et se sentant bien incapable d’aider Klaus dans la maitrise de ses pouvoirs, m’avait demandé de pouvoir le faire. Tenant énormément à mon ami, je lui avais promis de fais mon possible… tout du moins tant que son frère le souhaitait. Comment aurais-je pu refuser ? Diego m’avait sauvé la vie. Le voir était donc un bon signe. Je le laissais donc explorer ma boutique de magie d’un air amusé.
« Cela vous intrigue, non ? Vous aviez déjà eu l’occasion de visiter une boutique comme celle-ci ? »
M’approchant un peu plus de lui, je gardais mon attention portée sur cette silhouette qui me ressemblait tellement.
Ces histoires de sosie, Klaus a fini par les intégrer comme quelque chose de naturel et de logique, parce que clairement, il ne pouvait plus se permettre de s’émouvoir chaque fois qu’il rencontrait quelqu’un qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau ou bien ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’un de ses proches. C’était un cas de figure qui se produisait beaucoup trop fréquemment, après tout, et qui devait clairement faire un semblant de sens dans ce monde qui n’en avait pas. Oui, Klaus était habitué à rencontrer des sosies… Mais il restait tout de même curieux du moindre sosie qu’il rencontrait. Ce sosie en particulier l’avait particulièrement intrigué pour plusieurs raisons : déjà parce que Diego s’en était fait un ami, ensuite, parce qu’il semblait lui ressembler sur des points suffisamment troublants pour lui donner envie de creuser davantage le sujet… Ce qu’il avait donc fait le choix de poursuivre, en allant trouver ce fameux Vladek dans sa boutique… Bon, il avait laissé passer un peu de temps avant d’y consentir, mais il faut le comprendre, aussi. Il s’est donc perdu jusqu’à sa boutique, après avoir perdu puis retrouvé sa carte, et décidé que ça pouvait en valoir la peine.
Même s’il est habitué au phénomène, ça reste quand même étrange d’avoir l’impression de s’adresser au reflet de son miroir – et que ce reflet vous réponde. Il ne pense pas que ce soit là une sensation à laquelle il soit véritablement possible de s’habituer, peu à peine le temps et le nombre d’efforts que l’on consacre à la chose. Alors voilà, il y est, et Vladek l’accueille avec une grande gentillesse.
« S’il te plaît, tutoie-moi », il fait, toujours déstabilisé par le vouvoiement d’autrui… qui n’est pas systématique avec lui, car on a tendance à tutoyer un phénomène tel que lui. « Et ça va pas trop mal et toi », il demande ensuite en le dévisageant de haut en bas, sans vraiment de discrétion. Il est comme ça, Klaus, il peut se montrer particulièrement impoli presque malgré lui.
Il ne sait pas encore exactement ce qu’il attend de cette rencontre, il serait bien incapable de dire ce que ça pourra bien donner, mais une chose est certaine, c’est qu’il est particulièrement curieux, et il est tout à fait prêt à se laisser surprendre par les circonstances quoi qu’il en soit… Il est ici autant par convenance que par curiosité, surtout après les quelques mots que Diego a bien voulu lui toucher à son sujet.
« Non, c’est bien la première fois », il confirme quand Vladek lui demande s’il avait déjà visité une boutique telle que celle-ci. En effet, c’est une première… Et c’est une occasion. Il est très curieux de ce qu’il va découvrir. « Mais c’est l’occas’ ! » il ajoute avec un enthousiasme. « Tu me fais visiter ? »
Accueillant Klaus avec le sourire, je ne pouvais m’empêcher de songer au côté incongru de la situation. Il était sans doute la première personne que je rencontrais qui me ressemblait autant. C’étai étrange de rencontrer son doppelgänger dans ces circonstances. Cette île était décidément remplie de mystères, peut-être bien plus que dans le monde que j’avais quitté des années auparavant. La différence étant qu’ici, je pouvais rencontrer bien plus de personnes pour qui la magie et le monde des esprits semblaient être des réalités tangibles. Une chance pour moi d’ailleurs, je me doutais que sans cela ma boutique n’aurait jamais eu autant de succès. Laissant ces pensées de côté, je lui répondis sur un ton égal au précédent.
« Je vais bien, je te remercie. Et Diego, tu as des nouvelles de lui ? Ca fait longtemps que nous ne nous sommes pas vus. Comment va son bras ? »
Ce n’était pas tout à fait la vérité mais ce n’était pas totalement un mensonge non plus. Par bien des aspects, cette vie était bien plus douce que celle que j’avais connue dans le froid du grand nord. Mais je ne me sentais pas le droit de pouvoir en profiter pleinement alors que ma communauté souffrait encore dans mon monde d’origine. Je n’avais pas pu mener ma mission à bien et je ne pouvais m’empêcher de songer à ceux que j’avais laissé derrière moi. Cet abandon avait beau être involontaire, il ne restait pas moins indigne de mon rôle de chaman. Lorsque Klaus admit que c’était la première fois qu’il visitait une telle boutique, cela me fit sourire de plus belle.
« Eh bien, j’espère que me montrerais digne de t’introduire à cet univers. Tu verras, c’est un monde bien plus passionnant qu’il n’y parait. »
D’un petit geste de la main, je lui fis signe de me suivre. La première salle était ma boutique d’herbologie où on trouvait partout des plantes très variées et aux descriptions parfois très étranges. « Peut-être que Diego ne te l’a pas encore expliqué, je suis un chaman. L’une de mes rôles au sein de ma communauté étant de soigner les membres de ma communauté, j’ai voulu respecter la tradition et proposer aux habitants de l’île toutes sortes de remèdes à base de plantes. Mais bien sûr… ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Je m’occupe de bien plus que de leurs corps. »
C’est ainsi que nous entrions dans la partie la plus ésotérique de mon magasin. Il y avait tant d’articles variés. Des instruments favorisant la méditation comme des bols chantants ou des tambours. Des cristaux et des bijoux aux propriété bien particulière. Des instruments de divinations comme des cartes de tarot, boules de cristal ou encore pendules. J’avais également une jolie bibliothèque comprenant des livres de toutes sortes.
« Tous les objets que tu vois ici sont des objets liés à la pratique de la magie ou au spiritisme. Les croyances de chacun leurs étant propres, j’essaie d’apporter autant d’information et d’instruments nécessaires aux pratiques les plus variées. »
Je m’arrêtais alors un instant, me tournant dans la direction de mon invité reprenant avec plus de gravité.
« Je suis un guide spirituel avant toutes choses. Comprendre, prendre soin et communiquer avec les esprits de toutes créatures est une mission sacrée à mes yeux. C’est quelque chose qui m’a énormément manqué à notre arrivée ici. Ca parait peut-être idiot mais j’ai eu l’impression que l’on m’avait arraché une partie de moi-même. »
Je détournais le regard quelques instants, me demandant s’il était bien judicieux que j’en parle et d’autant plus de cette manière. « Enfin bref… si tu as des questions à me poser, n’hésite surtout pas. J’y répondrai avec plaisir. »
« Tu connais Diego, il en a vu d’autres. Il a pas attendu d’être complètement remis pour jouer les Zorro 2.0. », répond Klaus avec un sourire quand son interlocuteur lui demande des nouvelles de son frère, et l’interroge quant à l’état de son bras. « Donc l’un dans l’autre, il va pas si mal. »
Oui en tout cas aussi bien qu’un Hargreeves peut aller de manière générale… ce qui ne veut pas dire, bien évidemment, que ça va trop mal non plus… ils se relèvent toujours, à leur manière, souvent sacrément bien amoché, mais sans jamais se laisser complètement tomber. Il n’en dit pas plus, dans tous les cas, ce n’est pas à Klaus de répondre à la place de son frère.
Alors, il préfère se concentrer sur cet endroit et en découvrir davantage sur un univers qu’il ne maîtrise pas le moins du monde. Et contrairement à ce qu’affirme Vladek, Klaus trouve déjà ce domaine fascinant sans pour autant y comprendre grand-chose. Ce n’est pas parce qu’il ne s’est pas souvent rendu dans ce genre de lieu qu’il n’est pas intéressé.
En premier lieu, il découvre une boutique d’herbologie. Autour d’eux, il y avait des plantes de toutes sortes, dont un paquet que Klaus est convaincu de n’avoir jamais vu. Le premier réflexe de Klaus est de songer à ce que ça donnerait de fumer certaines de ces herbes. Mais monsieur en perpétuel sevrage ne le saura probablement jamais.
« Ouais, il me l’a dit », confirme Klaus quand son interlocuteur lui parle du fait qu’il est un Chaman. Oui, en effet, Diego lui en avait parlé, mais ça ne l’avait pas forcément aidé à se faire une meilleure idée de ce que cela signifiait. « Mais j’ai pas trop saisi ce que ça voulait dire pour autant », il reconnaît quand même, non sans rire doucement, parce que ça ne lui pose pas franchement souci d’admettre son ignorance. Il n’essaie pas d’avoir l’air plus intelligent qu’il ne l’est. Il peut briller de bien d’autres manières. « T’as une communauté… en mode gourou de secte ? » il l’interroge. « J’te juge pas, hein, j’ai fait la même », il ajoute avec un détachement total, au lieu de laisser à Vladek le temps de finir et d’aller au bout de ses propos. « S’occuper du corps des gens, c’est déjà pas mal », il affirme avec un regard qui en dit bien évidemment long.
Ils rejoignent ensuite une pièce qui transpire complètement l’ésotérisme. Des objets liés à la pratique de la magie ou du spiritisme… une histoire de croyance, en somme… et déjà, Vladek l’a un peu paumé, pour être honnête.
« Je comprends un mot sur deux mais j’adore t’écouter parler. J’ai vraiment une super voix. Ça sonne jamais pareil quand on s’entend parler », il commente quand son interlocuteur lui demande s’il a des questions. Probablement pas les questions auxquelles il s’attendait. « Donc… » Il devient un peu plus sérieux. « Tu dis que tu communiques avec les esprit, ça veut dire que tu parles avec les morts ? »
Je ne pu m’empêcher de sourire lorsque Klaus évoqua l’état de santé de son frère. En effet, j’aurais mal imaginé Diego être capable de rester bien longtemps tranquille. Et ceci en dépit même de mes recommandations ou de celle de ses médecins. Je me voyais cependant mal le juger. Le jour où m’avait tiré dessus j’avais poursuivi mon combat et ma mission, persuadé qu’ils étaient bien plus importants que mon état de santé. Je ne pouvais donc que le comprendre. Cela ne m’empêchait pas de ne pas m’inquiétez pour lui.
« Ce n’est guère surprenant en effet. Et je pense que personne ne pourra le convaincre de rester tranquille. Tant qu’il est capable de se servir de son bras, c’est le principal. »
J’avoue volontiers que je me sentais très fier à l’idée de pouvoir faire découvrir mon univers à Klaus. Être chaman était ma plus grande fierté. J’avais appris à dépasser les appréhensions que j’avais pu avoir en étant un jeune adolescent. Aujourd’hui j’étais un homme accompli et je me sentais à ma place même si les pouvoirs me manquaient toujours ou revenaient de manière étrange. Ma seule vocation était d’aider les autres tant que j’étais capable de le faire, je trouverais toujours du positif à ma situation. Je souris lorsque Klaus évoqua la communauté qu’il avait mit sur place, qui devait être cependant bien différente de la mienne.
« Tu as vraiment été à la tête d’une secte ? Intéressant. Comment tu en es arrivé là ? »
Je ne rebondis pas sur sa dernière affirmation, même si je devais bien admettre que cela m’amusait. Je réfléchis quelques instants avant de répondre à sa question.
« Un chaman est un père spirituel d’une communauté. Dans le monde occidental c’est un peu comparable à un prêtre de paroisse. Même si nos croyances sont bien différentes. Nos fonctions restent les mêmes. Guider et accompagner spirituellement les personnes… assurer un pont entre le monde réel et le monde des esprits. »
Je devais ensuite bien admettre que cela ne devait pas être simple à comprendre pour lui. Cela ne l’était jamais lorsque l’on découvrait un monde qui n’était pas le sien. J’avais moi-même eu beaucoup de mal à me faire à une vie sociale ordinaire. Je restais toujours en retrait, observant de loin ce qui pouvait se produire dans la vie de Monsieur et Madame tout le monde.
« Je comprends que beaucoup de choses t’échappent. Cela me parait forcément plus naturel. J’ai évolué dans ce monde depuis que je suis enfant. J’ai toujours su que j’hériterais de cette fonction et toutes mes connaissances de ces croyances, ces rituels ne sont pas venus du jour au lendemain. »
Je pris cependant la peine à répondre à sa propre affirmation.
« C’est étrange de rencontrer quelqu’un de si semblable à soi, n’est-ce pas ? J’avais de la peine à y croire la première fois que Diego m’a montré ta photo et j’ai encore du mal à réaliser maintenant. Tu es le premier de mes sosies que je rencontre. »
Je finis par hocher la tête lorsque Klaus me demanda si je pouvais en effet parler aux morts. Je ne voyais pas la peine de prendre des gants. Pas sur un sujet que Klaus connaissait.
« C’est le cas. Dans mon monde originel, le monde des morts et celui des vivants cohabitent en parfaite harmonie. La méditation et parfois certaines substances hallucinogènes permettaient à mon âme de franchir ce pont pour évoluer dans le monde des morts. Je pouvais discuter avec eux de la même manière que nous discutons en ce moment. Je pouvais voir, toucher et sentir de la même manière que dans ce monde même si beaucoup des choses que je voyais avaient un double sens, un message à transmettre de manière beaucoup plus métaphorique que dans cette réalité. »
Je laissais à chaque fois du temps entre chacun de mes mots pour lui donner l’occasion de rebondir et de me poser des questions. A nouveau, nous n’avions pas dû vivre la même expérience. Je m’intéressais alors à ses propres pouvoirs. « Diego m’a expliqué que tu pouvais aussi communiquer avec les esprits, c’est vrai ? »
Je ne tenais pour le moment pas à aller dans les détails même si je savais que Klaus le vivait beaucoup moins bien que moi. Je ne voulais pas prendre le risque de le brusquer d’entrée de jeu.
Klaus affiche un fin sourire quand son interlocuteur observe que l’essentiel reste que Diego puisse encore avoir l’usage de son bras. Pour le reste, il était en effet évident qu’il serait incapable de tenir en place. Quand on connaît ne serait-ce qu’un peu l’énergumène, on ne peut définitivement pas s’attendre à autre chose.
« Je préfère pas savoir ce qu’il fait de son bras », remarque Klaus avec un sourire entendu, mais sans en dire plus, choisissant au passage d’évoquer, comme si de rien n’était, la glorieuse période où lui-même était gourou de secte.
C’est sûr que ce n’est pas anodin, mais c’est une chose qu’il assume totalement. Pas parce qu’il en serait particulièrement fier, n’allons pas jusque-là, d’autant que ça s’était plutôt mal passé en certaines circonstances, mais parce que ça fait partie de son parcours et de son histoire, et qu’il ne veut pas avoir honte de quoi que ce soit dans sa vie, même de ses périodes les plus sombres et hallucinées. Pour celle qu’il n’a pas juste oubliées.
« Ça », ajoute-t-il quand son interlocuteur lui demande comment il en est arrivé là – question plus que légitime, il faut bien le dire. « C’est une longue histoire de voyage temporel, de barbe trop longue et de vieille riche libidineuse », il résume seulement avec un sourire en coin. « Mais c’était pas trop mal… enfin au début », il ajoute avec une légère grimace.
Cependant, Vladek lui fait comprendre assez vite que chaman et gourou de secte ne seraient pas exactement la même chose… quoi que Klaus ait quand même pas mal de difficultés à saisir la nuance, car le père spirituel d’une communauté comparable à un prêtre qui accompagnerait spirituellement ses ouailles… ouais, c’est complètement une secte, en fait… ça le surprend un peu que Diego ait plongé dans ce genre de truc mais bon… chacun gère la douleur comme il peut.
Klaus pense comprendre le gros de ce qu’il lui dit, mais c’est sûr et certain qu’il n’est pas capable de tout saisir. Oui, beaucoup de choses lui échappent en effet, et ce ne sera probablement pas si simple de faire la part des choses, mais il retient ce qu’il trouve amusant de retenir. On va dire que Klaus Hargreeves possède – et a toujours possédé – une mémoire à géométrie variable.
« J’ai rencontré plusieurs sosies déjà, je commence à être rodé, mais t’es le premier à avoir à peu près mon âge. Faut admettre qu’on a plus de gueule autour de notre trentaine qu’avant… même si on a toujours été excessivement séduisants », il dit en riant.
Mais il reprend son sérieux quand Vladek lui apprend que lui aussi, oui, est capable de parler aux morts. En se trouvant en état de méditation, il parvient à communiquer avec eux.
« Ouais, j’peux leur parler aussi mais c’est pas le même délire genre encens, patchouli et planche de Ouija… juste ils apparaissent, et je leur parle… » Il marque une pause. « Je peux les contrôler, aussi. Mais bon, ça, j’évite. »
J’approuvais dans un mouvement de tête ses premiers propos, amusé par sa remarque. En effet, qui sait ce que Diego pouvait bien trafiquer lorsque l’on avait le dos tourné. Le connaissant, cela ne pouvait se résumer qu’à des activités physiques et jouer les meurtriers… encore que Klaus ait certainement une autre théorie bien plus amusante et surprenante. C’était une chose qui nous différenciait et qui rendait le jeune homme en face de moi vraiment intéressant. Même si notre ressemblance physique était évidente, nous n’avions pas été fabriqué dans le même moule. J’avais toujours eu du mal à me séparer de mon air sérieux et de mes idées moroses alors que Klaus semblait beaucoup plus enclin à voir les choses avec plus de légèreté et d’optimisme. Un trait de caractère que je lui enviais un peu mais qui poussé à l’extrême ne pouvait lui attirer que des ennuis. C’est tout du moins ce que j’entendais au travers du témoignage de son frère. Je souris largement lorsqu’il évoqua son rôle de gourou de secte et comment le hasard l’avait poussé là-dedans. A nouveau, nos situations étaient bien différentes.
« Tu as fini par t’en lasser, c’est ça ? Pourquoi ? Trop de responsabilités ? ou tu voulais simplement à passer à autre chose ? »
Je réfléchis alors à ma propre situation, devenant immédiatement plus sombre. Je restais silencieux quelques instants avant de reprendre la parole.
« Remarque je suis certainement la dernière personne que pourrais te juger. Contrairement à toi, ce n’est pas le hasard qui m’a conduit à devenir chaman. C’est une sorte d’héritage familial. Mais c’était un engagement trop lourd de conséquences et j’ai fui ma communauté à l’âge de 12 ans. »
Je me tournais vers lui, lui adressant alors un sourire triste mais je refusais de me laisser aller à trop de mélancolie.
« Je vis en loup solitaire depuis et je me rends disponible pour mon prochain à chaque fois que je peux. Une manière pour moi de rattraper la lâcheté dont j’ai pu faire preuve à l’époque. »
Nous en arrivions au sujet forcément inévitable de notre ressemblance physique. C’était tellement étrange de songer que Klaus pouvait déjà connaître plusieurs de nos sosies alors que moi je n’en connaissais alors qu’un seul. Bon, pour être honnête ce n’était pas si surprenant que cela. Klaus était quelqu’un de beaucoup plus ouvert et sociable que moi. Cela me faisait penser à une histoire qu’il n’avait peut-être pas encore entendue… tout du moins pas à ma sauce.
« Diego t’a déjà raconté comment on s’est rencontré, non ? Il m’a blanchi dans une affaire de meurtre. A première vue tout m’accusait dans ce crime et j’étais à deux doigts de finir mes jours en prison. Mais il s’est battu pour moi et a fait tout ce qui était en son pouvoir pour coffrer le vrai coupable. Au début, je ne comprenais pas pourquoi il faisait tout cela alors que nous n’étions encore l’un pour l’autre que de parfaits étrangers. Et un jour il a fini par m’expliquer. Il m’a dit « Tu me fais penser à quelqu’un que je connais et que j’ai perdu de vue aujourd’hui. S’il se retrouvait dans ta situation, je voudrais que quelqu’un puisse en faire de même pour lui et tout tenter pour le sauver. » Bref, tout ça pour te dire que je te dois indirectement une fière chandelle. Si je ne te ressemblais pas autant, il ne se serait peut-être jamais intéressé à mon sort. »
Un peu trop mélodramatique peut-être… mais je tenais à ce qu’il le sache. Je me doutais bien que Diego désireux sans cesse de jouer les gros durs ne lui aurait jamais raconté cette histoire de cette même façon s’il l’avait fait. C’est pour cette raison que je tenais tant à rencontre Klaus et à l’aider dans la maîtrise et la compréhension de ses pouvoirs. Pour rembourser une dette que je devais à un très bon ami. J’écoutais donc ce qu’il avait à me dire avec intérêt et fini par reprendre.
« Vraiment ? Tu peux les contrôler ? Je suis impressionné. Et comment tu le vis ? Je sais que tu as eu beaucoup de peine à accepter tes pouvoirs. Tu arrives à faire la part des choses aujourd’hui ? »
« Un peu des deux », répond Klaus quand Vladek lui demande pour quelles raisons il avait abandonné sa secte sans vraiment se retourner.
En même temps, c’est même pas comme s’il avait voulu en fonder une au départ… ça lui était juste tombé dessus, et pour commencer, c’était plutôt cool… Ensuite, bon… ça avant un peu déconné, c’est vrai. Il penche la tête de côté en fixant son interlocuteur avec attention et curiosité. Il a toujours eu le sentiment que ses sosies avaient une capacité particulière à le comprendre, il ne saurait dire si c’est juste une vue de son esprit ou qu’en matière de sosies, il est juste bien tombé, toujours est-il qu’il doit reconnaître à son interlocuteur qu’il a effectivement tapé juste pour commencer, comme s’il avait déjà su se faire une idée assez précise du personnage en peu de temps de discussion… ou bien c’est juste que Klaus est trop prévisible… Dommage, il préfère se considérer, de son côté, comme insaisissable.
Il n’en dit pas beaucoup plus et écoute son interlocuteur lui parler de son parcours de chaman, qui est visiblement une sorte de tradition familiale. Comme quoi le népotisme a la vie dure dans les milieux sectaires, quel que soit le nom que ces sectes se donnent au final. Et finalement, lui aussi avait fui sa communauté et pris ses jambes à son cou… A douze ans, c’est très jeune, mais Klaus pense comprendre quand même… Pour ce qui est d’accuser un héritage trop lourd et de vouloir fuir ses responsabilités… Disons que Klaus Hargreeves n’est certainement pas le dernier. Vladek poursuit en lui parlant de son quotidien de loup solitaire toujours prêt néanmoins à aider ceux dans le besoin… pas étonnant qu’il se soit attiré la sympathie de Diego, au bout du compte.
Klaus hoche la tête quand son interlocuteur lui demande si Diego lui a parlé des circonstances de leur rencontre. Vite fait, oui, et c’était du pur Diego, bien évidemment. Il s’était battu au nom de son sens beaucoup trop prononcé de la justice, probablement parce qu’il faisait tout de même aussi un semblant de transfert sur lui… ce qui est plutôt compréhensible, après tout.
« J’pense pas », modère quand même Klaus quand Vladek suggère que Diego ne se serait probablement pas intéressé à son sort s’ils ne se ressemblaient pas comme deux gouttes d’eau. « Diego adore les canards boiteux et jouer les héros, il aurait jamais pu résister dans tous les cas », il affirme avec un sourire complice.
Avant de parler un peu plus longuement de ses pouvoirs. C’est vrai que sur le papier, c’est plutôt badass, et même dans les faits, ça a une certaine classe.
« Y a des jours avec et y a des jours sans », il répond que Vladek lui demande comment il accepte ses pouvoirs… et visiblement, ce brave numéro deux lui avait déjà donné quelques indices à ce sujet. « Mais je suppose que c’est un peu mieux. Ça aide un peu de réussir à pas dépendre de mes pouvoirs, j’arrive mieux à les contrôler qu’avant mais bon… c’est pas une partie de plaisir pour autant. Même si la partie immortalité est pas si mal. » Vu sa propension à mourir pour un oui ou pour un non.
J’écoutais avec attention les propos du jeune homme qui se trouvait en face de moi. Je trouvais cela fascinant. Diego m’avait parlé souvent de son frère que j’avais le sentiment de le connaître intimement avant même de le rencontrer. Pourtant, jamais je ne m’étais montré aussi curieux que ce jour-là. Avoir son propre écho et savoir ce qu’il avait vécu et comment il l’avait fait était toujours plus intéressant. Il y avait toujours cette espèce d’accord secret que j’avais avec Diego. J’essayais donc de sonder mon interlocuteur pour trouve des pistes ou des moyens de pouvoir l’aider véritablement efficacement. C’était une expérience que je n’avais jamais eu l’occasion de vivre moi-même. Dans la vie d’un chaman, c’était un élément important que la transmission de son savoir. C’était un passage de flambeau oral qui se perpétuait de génération en génération. Or s’il y avait une chose que je savais, c’est que jamais je ne pourrais avoir d’enfant. Je ne pourrais donc pas transmettre à la nouvelle génération comme avait pu le faire mes ancêtres. Oh certes la situation et les objectifs étaient différents. Mais le partage de savoir et l’accompagnement resterait les mêmes. Et c’était ce qui me plaisait le plus dans cette rencontre… encore fallait-il que cela soit possible. Ce n’étais pas à moi de forcer les choses et la décision en reviendrait entièrement à Klaus.
Nous nous ressemblions d’une manière bien étrange. En plus de nos ressemblances physiques, je semblais avoir toucher juste lorsque le sujet de nos communautés était arrivé sur le tapis. Je pouvais donc comprendre, ne serait-ce qu’un peu, sa décision et son parcours. Et lorsque la réaction de Diego vint sur le tapis, je souris en entendant les propos de son frère. Il y avait quelque chose de rassurant de savoir que selon Klaus mon cas l’aurait intéressé quoiqu’il arrive. Avoir un ami comme lui était une chose rare et précieuse et j’étais réellement ravi d’avoir pu devenir son ami.
« Merci Klaus, ça me touche. Qui sait tu as peut-être raison. »
Puis finalement, nous entrions dans le vif du sujet. La véritable raison pour laquelle il avait été conduit ici, sans véritablement le savoir. Je ne l’écoutais que d’avantage et tentais de savoir comment lui pouvait les vivre.
« Tu penses que les redécouvrir sur cette île t’as permis de mieux les canaliser ? Diego m’a raconté que votre père était un partisan de la méthode forte pour votre apprentissage, cela n’a pas dû t’aider beaucoup au départ. Est-ce que ces esprits te font toujours peur ? »
Je repensais à ma propre enfance. Mon père et mon grand-père m’avaient beaucoup apporté durant mon éducation. J’avais appris à parler et communiquer avec les esprits. Eux m’avaient permis de faire taire mes appréhensions et de prêter ma confiance à ces amis de l’au-delà. Ce qui n’avait pas été le cas d’un Klaus enfant vivant sous le joug d’un Reginald Hargreeves cruel et tyrannique.
« Tu sais lorsque j’étais enfant, les premiers esprits que j’ai vus m’ont terrorisé. Le premier était un homme d’âge mûr mort durant un accident de chasse. Il avait encore en lui le bois du renne qui l’avait encorné… encore aujourd’hui certains arrivent à me faire peur et à me surprendre. Mais j’essaie de les écouter et de les aider au mieux. T’es-tu déjà retrouvé devant cette situation ? Voir des esprits qui s’adressaient à toi dans le but que tu puisses leur rendre service ? »
C’était un peu mentir que de prétendre que mes pouvoirs étaient aussi actifs que par le passé. Mais j’avais connu le monde des morts toute ma vie et cela me manquait beaucoup, je devais bien l’avouer. Tout du moins, les derniers temps avant que j’arrive sur l’île n’avaient pas été de plus simple. Peut-être valait-il mieux ne plus voir les esprits temporairement que de vivre avec spectres de mes victimes qui n’avaient de cesse de me tourmenter. J’ouvris alors des yeux étonnés lorsque Klaus parlait de son immortalité.
« Eh bien ça… je t’avoue que si Diego m’a parlé de tes pouvoirs de spiritisme, il s’est bien gardé de me parler de ton immortalité. Comment l’as-tu découvert ? »
« Je pense des tas de choses », répond Klaus avec un haussement d’épaules négligeant quand son interlocuteur lui demande s’il estime qu’avoir redécouvert ses pouvoirs ici, sur cette île, lui aura permis de mieux les canaliser. Leur apparition progressive ou bien le fait qu’il ne se soit pas exactement trouvé dans le même état psychologique qu’à l’époque avait peut-être aidé, il est vrai… difficile à dire pour Klaus qui en réalité ne s’était jamais trop penché sur la question, tout comme sur ces trop nombreuses questions qu’il valait mieux ne pas effleurer quand on était définitivement trop sobre pour cela. « Et pas toujours dans le bon ordre », il reprend alors, ce qui répond à la question de Vladek sans y répondre du tout. « Le paternel était pas un exemple de parentalité douce », il fait avec un sourire qui se change en grimace à la pensée de cette fameuse crypte, dont Diego avait vraisemblablement parlé à son sosie. « J’dirais que ça va mieux. Mais parfois… enfin, y en a qui ont morflé, c’est quand même pas simple de faire abstraction », reprend Klaus quand son interlocuteur lui demande si les esprits lui font toujours peur.
Non, en effet, avec le temps, c’est allé progressivement mieux, mais il ne faut pas se leurrer pour autant, c’est quand même loin d’être une partie de plaisir, loin de là, et s’il pouvait s’épargner constamment de les voir, ces fichus macchabées, il ne s’en porterait pas plus mal, c’est certain. Savoir faire meilleur usage et avoir un meilleur contrôle de ses pouvoirs n’ôte pas grand-chose au fait que ces pouvoirs existent malgré tout, et qu’ils peuvent vous rendre la vie infernale.
En retour, Vladek lui apprend avoir été lui aussi terrorisé par les premiers esprits qu’il lui avait été donné de voir quand il était enfant. Tout comme Klaus, il voyait les spectres dans l’état où la mort les avait fauchés. Klaus veut bien croire que le spectacle de cet homme encorné avait dû lui ficher sacrément le jetons.
« Nan, j’ai jamais été encorné », il dit d’abord, feignant de ne pas avoir compris la question. « Quoique si, peut-être, j’ai un vague souvenir, du genre, mais je sais plus. » puis il accepte de répondre plus sérieusement quand même (parce qu’au bout d’un moment, il s’agirait de faire preuve d’un peu de sérieux, malgré tout. « Le seul esprit qui me demandait son aide bah… c’était Ben. Diego t’a parlé de lui, j’imagine ? Au final, c’est lui qui m’a aidé et moi pas du tout », il ajoute avec un air légèrement désabusé. « C’est normal qu’il t’en ait pas parlé », il ajoute quand Vladek observe que Diego ne lui aura pas parlé de son pouvoir d’immortalité – au moins une chose de personnelle qu’il ne sera pas aller répéter… en même temps il aurait eu du mal. « Il était pas au courant. Et moi non plus. Personne, en fait. Même pas moi… pourtant je suis mort une paye de fois. C’est bizarre au début, mais en fait, c’est plutôt pratique. »
Je souris aux premiers propos de Klaus. Il y avait chez lui cette sorte de fantaisie fascinante. J’admirais ça, d’autant plus que de mon côté j’avais toujours eu l’habitude de paraître très sérieux et réfléchi. Sans doute trop, j’avais toujours eu du mal de ce côté pince sans rire. Aujourd’hui, j’estimais simplement, et encore plus sévèrement, que je n’en avais plus le droit. J’avais commis tant de crime, versé tant de sang. Tous ces sacrifices au service d’une mission sacrée qui m’avait été attribuée… et cela n’avait finalement servi à rien. Je fermais un instant les yeux pour chasser ces idées noires. Ce n’était pas ce qui devait me préoccuper en ce moment. Je lui adressais un air compatissant lorsque Klaus me parla de leur père. Je savais pour l’avoir entendu dire de la bouche de Diego que leur éducation avait été sévère voir cruelle. Aucun père ne devrait faire endurer cela à ses enfants et pourtant Reginald Hargreeves n’avait pas hésité une seconde à leur faire vivre un véritable enfer.
« Je suis navré, Klaus. Je ne peux pas prétendre savoir ce que tu as endurés. J’ai reçu une éducation beaucoup plus douce que la tienne et mes pouvoirs en faisait entière partie. C’est moi qui ai démérité ce que mon père et mon grand-père mon transmis. »
Je rabaissais un instant les yeux, honteux devant cet aveu que je venais de lui faire.
« La seule chose que je sais c’est que vous en avez morflé et que Diego s’en veut terriblement de ne pas avoir été à la hauteur vis-à-vis de toi. Enfin c’est tout du moins le sentiment qu’il me donne… mais que cela reste entre nous. »
Il me parla alors de Ben, un souvenir qui semblait plus doux pour lui. Je hochais alors la tête.
« Ben ? C’est votre frère qui est décédé très jeune… c’est cela ? »
Je réfléchis alors un instant, songeant à cette situation et déclarant alors à voix haute.
« Peut-être que c’était cela dont il avait besoin… t’aider lui donnait peut-être la sensation d’achever son œuvre sur Terre. Où se trouve-t-il aujourd’hui ? »
Il me parla alors de son don d’immortalité. Clairement, c’est une capacité que beaucoup lui envieraient. Cela dépassait les lois de la Nature et je ne savais pas vraiment si c’était une bonne chose ou non. Il faut dire que ma culture croit fortement aux esprits et à la survie de l’âme après la mort. Cela faisait partie de ma vie. Mais que penser d’une survie corporelle éternelle ?
« Comment as-tu réalisé que tu possédais cette capacité ? »
Klaus rejette la compassion de Vladek d’un revers de la main. C’est comme ça, il a appris à faire avec faute de pouvoir faire sans ce paternel abusif et increvable qui avait même trouvé le moyen de les poursuivre jusqu’ici. C’est agréable d’entendre quelqu’un vous dire qu’il regrette ce que vous avez vécu, mais à la fin de la journée, ce vécu reste le même, et on décide de ce qu’on veut en faire ou non, voilà tout. Vladek, lui, lui confie avoir reçu une éducation plus douce… Klaus pourrait dire que ses pouvoirs aussi, d’une certaine manière, faisaient partie de son éducation, mais bien sûr, c’est un faux questionnement, un faux débat. Il ne peut qu’écouter son interlocuteur et combler les vides de ce qu’il ne comprend pas encore avec son imagination débordante et foisonnante.
« T’as pas l’air d’avoir démérité tant que ça », commente Klaus en haussant les épaules, même s’il suppose qu’aux yeux de son interlocuteur, ça ne change franchement pas grand-chose dans tous les cas.
Quant à Diego et sa culpabilité vis-à-vis de lui, Klaus en a plus conscience que ce qu’il en donne l’air, mais ça fait tout de même du bien de l’entendre de la bouche de quelqu’un d’autre, et de quelqu’un qui, visiblement, a su gagner la confiance de son franginou préféré, ce qui n’était clairement pas gagné d’avance pour commencer. Klaus ne commente pas, il se contente de sourire. Oui oui, ça reste entre eux… Mais y a quand même moyen que Klaus aborde le sujet au détour d’une conversation, l’air de rien.
« C’est ça », répond Klaus quand Vladek l’interroge au sujet de Ben. « Vraiment, Diego t’a probablement plus parlé qu’à n’importe qui, faudrait que tu lui fasses payer des séances de psy », ajoute-t-il d’un ton malicieux. « Et ouais, ce serait bien le genre de Ben », ajoute Klaus quand Vladek suggère, à juste titre, qu’en l’aidant, Ben devait avoir le sentiment d’accomplir quelque chose. Probablement. Mais à quek prix. « Maintenant, il est en ville, bien vivant, en chair et en os… c’est encore un peu bizarre parfois d’ailleurs. Il était tout le temps là, avant… » Et il ne sait pas spécialement pourquoi il s’épanche sur la question. « C’est tes trucs de chamaneries, de faire parler les gens comme ça, avoue. »
Et pour ce qui est de ses talents d’immortalité, bon…
« Comment on découvre qu’on peut pas mourir ? » Il sourit, mais sur le moment, ça l’avait pas trop fait marrer. Ni personne, d’ailleurs. Il relève sa chemise pour désigner la cicatrice sur son torse. « Le gars m’avait pas loupé, j’ai vu deux trois angelots, puis hop, retour à la normale. »
Un sourire calme et serein passa sur mes lèvres au moment où Klaus prétendait que je n’avais pas démérité l’héritage qui m’avais été transmis. Il ne comprenait pas, forcément. Comment aurait-il pu comprendre une telle chose ? A première vue, je tâchais d’être aussi confiant et responsable que je possible. Je montrais une figure qui devait donner aux personnes qui me faisaient confiance un air des respectabilités que je n’avais pas dans le fond. Tout du moins, que je n’avais pas toujours eu. L’avis de la communauté qui m’avait vu naître et grandir et même celui de ma propre famille devait être bien différent. Cependant, je ne le saurais jamais. Honteux, je n’avais jamais eu le courage de les retrouver. J’avais fui mes responsabilités, fuis les aspects négatifs de cette fonction dont je devais hériter par le sang. Je m’étais montré lâche et inconséquent et tout ce que je pouvais espérer était que ces personnes que j’aimaient n’aient pas eu à en pâtir. Mais je ne pouvais jurer de rien, encore moins maintenant que je me trouvais sur cette île mystérieuse qui possédait tant de secret. Je me résolus à me montrer honnête avec Klaus. Une manière pour moi de créer ce lien de confiance que je souhaitais.
« C’est gentil à toi de me dire cela, Klaus. Mais la vérité c’est que j’ai fuis. Mes pouvoirs et mes responsabilités me faisaient si peur que je n’ai pas su les assumer durant mon jeune âge. J’ai fui à toutes jambes lors de mon rituel de passage et je ne suis jamais revenu. Cet abandon pèse encore sur ma conscience aujourd’hui. »
J’étais en effet très fier d’avoir su créer une telle confiance avec son frère Diego. Surtout que d’après ce que je savais, ce n’était vraiment pas naturel pour lui de se confier et de s’ouvrir naturellement aux autres. J’aimais à croire que j’avais réussis à créer avec lui ce lien spécial qui nous permettrait de rester unis au travers des épreuves de la vie. Je l’espérais même si l’avenir était encore très nébuleux à ce propos. Je fis de bon cœur mais ne lui répondit pas directement. Je préférais m’attarder sur le sujet de Ben.
« Je comprends. Les liens que nous créons avec les vivants et les morts sont bien différents. Je ne sais pas si tu le ressens toi-même mais j’ai toujours eu l’impression que cette connexion était bien plus forte avec les esprits. Sans doute pour combler ce voile de mort. Et donc, comment le vis-tu ? As-tu l’impression qu’il te délaisse ? Ou s’éloigne de toi ? Est-ce que tu regrettes ce temps passé ? »
Je haussais les épaules et laissait apparaître un large sourire sur mon visage avant de reprendre notre conversation.
« C’est une de mes fonctions. Accompagner spirituellement les personnes que j’ai le plaisir de croiser sur ma route et celles qui requièrent mon aide. Et d’après ce que tu disais sur Diego, cela fonctionne plutôt bien. J’espère qu’il en sera de même avec toi. »
J’écoutais Klaus avec la plus grandes des attentions. Imaginer vivre une vie ou l’immortalité faisait partie de notre quotidien était si étrange.
« J’imagine que cette expérience a dû te sembler bien étrange. Cela t’unis d’avantage à ces capacités médiumniques. Et comment l’as-tu vécu ? Est-ce que tu avais conscience de ta propre mort ? Est-ce que cela t’est arrivé plusieurs fois ? »
Quand Klaus se retrouve en présence de Vladek, il a le sentiment net de se retrouver en présence d’une version plus sage de lui-même, le genre grand manitou suprême de la réflexion absolue (mais pas grand manitou en carton-pâte comme lui-même l’avait été dans le passé), alors naturellement, il projette sur lui un passé et des intentions qui ne sont pourtant probablement pas réels. Il lui affirme avoir fui, parce que ses pouvoirs et ses responsabilités lui avaient fait peur et que c’était beaucoup trop à assumer pour lui. Autant dire que Klaus Hargreeves ne pouvait que s’identifier à un tel discours. Il s’en veut d’avoir fui toutes ses responsabilités, c’est quelque chose qui le poursuit encore aujourd’hui, affirme-t-il… Klaus, pour sa part, considère que c’est en vain, et que ça ne devrait absolument pas être le cas… Il ne sert à rien d’avoir des regrets et des remords, c’est ce qu’il se dit et se répète… justement pour étouffer ses propres regrets et ses propres remords – et l’air de rien, ça fonctionne pas si mal pour lui.
« En même temps, t’as rien demandé, personne ne devrait assumer ce genre de responsabilités et de tels pouvoirs à cet âge. Tu t’es juste protégé, je vois pas où est le mal », affirme numéro quatre en haussant les épaules.
La réalité est plus complexe, bien évidemment. Elle est plus délicate, elle en appelle à des souvenirs que l’on préférerait enfouir… mais ça, c’est encore autre chose, et Klaus préfère considérer les choses sous le prisme écorné de ses propres perspectives, sans avoir à se poser plus de questions, sans avoir le moindre besoin de s’interroger… C’est ce qui importe véritablement à ses yeux.
Quand il évoque le sujet de Ben, Klaus constate que Vladek est capable d’avoir une opinion éclairée sur tout, et il apprécie vraiment ça… il a envie de dire que c’est son cas aussi, mais on va dire que l’éclairage, en ce qui le concerne, est un éclairage au néon multicolore qu’il ne faudrait surtout pas mettre à la portée des épileptiques.
« Ouais, je t’avoue, parfois je regrette l’époque où il était… » Il ne finit pas sa phrase, c’est absolument atroce d’affirmer ce genre de choses. « Enfin non, c’est super qu’il ait sa propre vie, et tout, et puis, c’était un vrai chieur, mais…. On s’éloigne, ouais, j’imagine que c’est le mot. Ça me faisait du bien de pouvoir toujours l’avoir à proximité. » Mais maintenant,, c’est beaucoup trop tard.
Quand ils en viennent à parler de son immortalité, il hoche vigoureusement la tête quand il a dû paraître étrange d’appréhender son immortalité.
« En fait, j’étais mort un paquet de fois avant de me rendre compte que j’étais capable de ça… Maintenant, bon… » Il hausse les épaules. « Je fais avec. »
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