Il était une fois...
« Quand tu es perdu dans les ténèbres, cherche la lumière. »
J'ai cherché longtemps la lumière.
Ma vie aurait été bien différente si j'étais née dans un siècle antérieur mais je suis née au beau milieu d'une infection parasite qui sévissait le pays depuis quelques années déjà. J'ai été habitué à avoir peur. Je suis constamment terrifiée. Il faudrait être complètement détraqué pour ne pas l'être.
Je ne sais pas si ma mère serait fière de moi. Elle est morte à peine un jour après m'avoir donné la vie. J'ai fais des choses abominables pour être certaine de voir la lumière du lendemain. Dans un monde comme le mien, peu de gens ont encore les mains dépourvues de sang.
J'ai grandi (comme la majorité des jeunes orphelins de Boston) dans un centre. On nous empêchait d'accéder au monde extérieur qui était bien trop redoutable. On nous disait que les infectés nous boufferaient si on osait mettre un pied à l'extérieur. Donc, je suppose que j'étais la plus curieuse des enfants parce que j'ai toujours voulu y aller ; voir la végétation reprendre ses droits et l'aurore et l'aube se disputer le soleil. Je voulais en apprendre davantage sur ce monde inaccessible, sur son passé que tout le monde semblait vouloir oublier.
J'étais si impulsive et téméraire qu'ils ont dû m'envoyer dans un pensionnat militaire. J'ai été terrifiée la première fois que j'ai vu les soldats de la milice sortir leur drôle d'appareils et nous scanner comme des animaux. Ceux qui étaient positifs au scan ne sont plus là pour en témoigner aujourd'hui.
Il est difficile d'aspirer à une vie normale dans un monde apocalyptique. Les amitiés sont éphémères la plupart du temps. Les visages familiers ne le restent pas longtemps. Certains disparaissent et d'autres connaissent un sort plus terrible que la mort.
Avec ma meilleure amie Riley, c'était différent. On se comprenait parfaitement elle et moi et même si on avait carrément la trouille – comme n'importe quel adolescent sensé ceci dit -, on essayait de vivre chaque moment comme s'il s'agissait du dernier car l'avenir était trop incertain. On étaient inconscientes et complètement agitées du bocal mais on vivait tout à fond. On sortait régulièrement de la zone de quarantaine et Riley m'apprenait à apprivoiser ce tout nouvel environnement. Elle voulait rejoindre les Lucioles, un groupe de résistants complètement idéalistes qui essayaient de trouver un remède au virus.
« On peut se la jouer romantique et perdre la boule ensemble. »
Mais Riley et moi nous étions disputés. C'était tellement absurde que je ne sais même plus quel était le sujet de la dispute en question ; quelque chose en rapport les Lucioles surement. J'aimerais tant réentendre le son de sa voix aujourd'hui.
Six semaines plus tard, elle était revenue comme si rien ne s'était passé et je feignis d'avoir tout oublié également alors on a recommencé à faire le mur.
On s'est échappées de la zone de quarantaine comme avant ; le sourire aux lèvres, l'adrénaline dans les veines. On a ri, on a parlé de nous, de nos sentiments l'une envers l'autre, on s'est embrassées comme deux ados fugitifs et on a joué dans une salle d'arcade.
Mais tout est éphémère.
C'était stupide comme idée et on l'a compris quand on s'est fait repérées par un groupe de coureurs – des infectés -, on a essayé de s'échapper mais on est sorties de cette escapade avec une jolie morsure. C'était ironique, non ? Quelques heures plus tôt, ma seule préoccupation avait été de savoir comment dire à Riley que j'en pinçais pour elle et à cet instant, je cherchais la manière la moins douloureuse de mettre fin à mes jours pour ne pas devenir un véritable monstre. Je n'en eus pas eu le courage. Alors, on s'était dit qu'on profiterait de nos derniers moments de lucidité
ensemble.
Riley a succombé à l'infection quelques temps plus tard et moi... j'attendais désespérément mon tour. Chaque matin, je regardais si ma peau devenait verdâtre, si des pustules répugnantes me poussaient sur le visage ou si j'avais des envie de meurtres soudaines. Mais rien. Que dalle. Pourquoi moi ? Pourquoi est-ce que je n'avais pas succombé comme tous ces pauvres gens ? Une ancienne amie de ma mère – Marlène - apprit pour ma potentielle immunité au virus. C'était une Luciole et elle espérait m'emmener loin de Boston pour faire des recherches sur un possible vaccin.
J'étais sans équivoque et malgré moi,
le salut de l'humanité.« Quoi qu'il arrive, tu trouves toujours une bonne raison de te battre. »
Mais mon trajet vers la base des Lucioles était semé d'embûches. Marlène fut blessée pendant un petit accrochage avec un trafiquant d'armes et, par conséquent, incapable de m'emmener à Salt Lake City. Elle confia mon sort entre les mains de deux contrebandiers en qui je n'avais aucune confiance. Ce fut ma première rencontre avec
Joel. Flegmatique, imperturbable, sévère et casse-pied ; des adjectifs qui lui correspondaient parfaitement. Malgré moi, je fus contraint de les suivre - lui et son amie Tess qui me semblait plus charitable – jusqu'au Capitole. Ils n'avaient aucune idée de la mission indispensable qui leur avait été confié. Mon immunité était un secret connu par peu de personnes. Ils finirent par apprendre que j'avais été mordu quelques semaines plus tôt et que je n'avais toujours pas muté en un affreux mort-vivant pustulé. Mais Joel restait complètement indifférent, il ne voulait pas de ce job et, en ce qui me concernait, je ne voulais pas qu'il s'occupe de moi.
Tess insista néanmoins pour poursuivre notre route et terminer le boulot. On arriva au Capitole, une des bases des Lucioles, mais la milice de la ville y était déjà, armes à la main et l'envie de tirer sur tout ce qui bougeait. Tess avait été mordue et son sort était par conséquent scellé. Elle nous fit gagner du temps et Joel et moi sortirent indemnes ; tous les deux.
On fit un sacré bout de chemin avant notre prochain arrêt, apprenant peu à peu à se connaître. Il était parfois pire que je l'avais imaginé, presque inhumain. Quant à moi, j'étais un crampon qui s'attachait à lui et tentait d'en apprendre davantage. Pour une raison qui m'échappa, nous semblions parfois partager des moments complices. Son ami – enfin, façon de parler -, nous fournit une voiture ; le trajet s'annonçait long et périlleux.
Nous fument pris dans une embuscade de chasseurs ; les infectés n'étaient pas les seuls dangers auxquels nous faisions face. L'Homme était un des monstres les plus impitoyables. Je sauvais la peau de Joel pour la première fois alors qu'il m'avait adjuré de rester à l'écart. Difficile pour lui de se faire à l'idée qu'une adolescente de quatorze piges venait de lui assurer une existence encore pleine de péripéties. De rien, Joel.
Finalement, tous les êtres humains ne sont pas des barbares. Il y avait des gens comme Joel et moi, qui tentaient de survivre, de profiter d'une vie moins pénible. On ne sait pas où cela nous mènera, on ne sait pas si ce calvaire à une fin mais on continue, coûte que coûte. C'était le cas d'Henry et Sam, deux frères qui tentaient également de fuir la ville. Joel n'accorde pas facilement sa confiance à autrui et je ne peux pas le lui reprocher ; il a plus d'expérience dans ce domaine que moi. Il connait les vices des Hommes et il sait que, bien souvent, la méthode du « chacun pour soit » prime sur le reste. Cependant, ce n'était pas le cas des deux frères. C'était agréable d'avoir des alliés. Sam me rappelait l'amitié passée que j'avais eue avec Riley et Joel avait beau jouer l'apathique, il appréciait la compagnie d'Henry. On projetait de continuer cette route fastidieuse ensemble mais ça n'a jamais pu se faire.
Sam s'est fait mordre lors d'une embuscade d'infectés et s'est jeté sur moi dès que sa mutation a commencé. Henry est intervenu et a abattu son propre frère sous nos yeux. Il ne s'en serait jamais remis alors il a retourné l'arme contre lui.
C'était deux frères. C'était deux survivants, tout comme Joel et moi. Mais ils avaient eu moins de veine que nous.
« Tu n'es pas ma fille. »
Toutefois, Joel restait fidèle à lui-même. Il ne voulait pas terminer la besogne qu'on lui avait confiée ; quel poids j'étais ! Il voulut donner le job à son petit frère, Tommy, qui s'était installée avec sa femme et quelques amis dans une centrale électrique fonctionnelle.
Tous les gens auxquels je tenais m'avaient lâché. Il avait suffit d'un mois pour que je m'attache à ce vieillard. Je n'étais jamais restée aussi longtemps auprès de quelqu'un. On avait partagé tant de choses, déjà parcouru une bonne partie du pays ensemble... Et il voulait me refourguer comme une marchandise sans valeur à son frère que je ne connaissais pas ?
On se disputa ; des mots et des maladresses nous échappèrent. Je pensais que je ne pourrais plus recoller les morceaux de pots cassés, qu'il allait m'abandonner quoique je dise. Mais à ma grande surprise, on continua le trajet ensemble. Je ne compris pas ce qui avait pu le faire changer d'avis. Etais-je si convaincante que cela ? Ou est-ce que, au fond, ce senior savait se montrer sentimental ?
On continua notre route à cheval vers une université. Je lui racontai des blagues aberrantes, il me parla un peu plus de lui et me confessa qu'il voulait être chanteur autrefois, je lui demandai une chanson mais - sans surprise - il s'y refusa. Il ne me parla pas de sa fille, pas depuis que j'eus abordé le sujet chez Tommy. S'il abordait quelques fois son passé, il restait réticent à m'en dire davantage.
Quant à moi, je poursuivis ma collection de bande dessinés à travers les paysages accidentés qu'on rencontrait. J'avais parfois le sentiment que le temps s'arrêtait l'espace de quelques instants ; pas d'épidémie, pas d'infectés ni contrebandiers. C'était presque calme.
Joel et moi nous retrouvâmes encerclés par un groupe de bandits. L'un d'entre eux entraina Joel dans sa chute et ce dernier s'écroula sur une barre en fer rigide qui lui transperça la chair. Je parvins difficilement à le sortir de l'université mais la plaie béante pourrait lui être fatale...
J'étais seule, complètement seule.
« Je ne peux pas faire ça sans toi. »
Les feuilles d'automne cédèrent la place à une couverture blanche. Livrée à moi-même dans une nature hostile, une toute nouvelle peur m'habitait. Non celle de mourir mais celle de perde Joel. Même si j'arrivais à trouver quelques médicaments, bandages et désinfectants dans un centre commercial grouillants d'infectés, il restait faible et incapable de se lever ; il frôla une septicémie. Arc à la main, je chassais pour survivre. Pendant une partie de chasse au cerf, je fis la connaissance de deux hommes ; David et James. Il ne m'inspiraient aucune confiance mais il me proposèrent d'échanger des vivres contre des médicaments et dans la mesure ou aucune autre solution ne s'offrait à moi pour sauver Joel, j'acceptai.
Je retrouvai Joel la boule au ventre et lui prescrivit les antibiotiques. Mais le lendemain matin, les hommes de James et David me retrouvèrent et me capturèrent. J'ignorais encore à ce moment-là que ces hommes que j'avais pris pour des bandits étaient des cannibales, les mêmes qui avaient tenté de tuer Joel à l'université. Malgré la peur, mon instinct de survie était plus fort que tout. Je parvins à m'échapper et à éviter d'être découpée pour leur dîner. David parvint à me rattraper mais loin de moi l'idée d'être tuer comme un animal. Enragée, je me jetai sur lui et lui assénai je-ne-sais combien de coups de machettes. Les éclaboussures de sang se mêlaient avec les larmes qui coulaient sur mes joues. Joel – qui pendant tout ce temps avait tenté de me retrouver après s'être réveillé de son pseudo coma -, arriva à me calmer. Dans son étreinte, je fondis en sanglots, incapable de poser des mots sur l'épreuve que nous venions de traverser.
« Ca va aller. »
Après un périple aussi risqué, il était temps qu'on arrive à notre destination. Cela ne me ravissait pas tant que ça. J'avais pourtant longtemps culpabiliser. Tant de gens étaient morts et j'étais la clé pour éviter que d'autres ne périssent. Je voulais faire ça pour Riley, pour Tess, pour Sam et Henry. Mais cela signait également la fin de mon aventure avec Joel. Depuis l'épisode avec David, notre complicité n'avait fait qu'accroitre. Il me promit de m'apprendre à jouer de la guitare une fois que cet histoire serait loin derrière nous. On irait retrouver Tommy et on vivrait une existence paisible tandis que le monde guérirait.
J'ignore tout de ce qu'il s'est passé à l'hôpital. Mes souvenirs se confondent, certains me reviennent mais l'ensemble reste flou.
Tout ce que je sais c'est que je me suis réveillée ici, sans Joel. J'avais le sentiment d'être légèrement plus âgée, peut-être d'un an seulement. J'ai été placée dans un orphelinat jusqu'à ma majorité. Il y avait tant de monde et aucune trace d'infectés à mon plus grand bonheur. C'était une vie parfaite, la vie à laquelle j'avais toujours aspiré. Mais Joel n'était pas là pour le vivre avec moi. Les cauchemars étaient quotidiens et le temps ne parvenait pas à les apaiser.
Voilà un an que je travaille dans une salle d'arcade et fais des études de musicologie parallèlement. Je joue quelques fois de la guitare dans un bar. Instrument que j'ai appris en autodidacte bien que Joel m'ait promis de m'y initier. La cicatrice sur mon avant-bras me rappelle tout ce que j'ai traversé avant d'en arriver là. Je crois que je ne serais jamais totalement habitué à cette sérénité.
Mais je ne perds pas espoir de retrouver Joel. Je ne perds pas espoir de retrouver celui que j'appelle
mon père.