Ce fut au royaume de Camelot qu’Arthur vit le jour, fils du roi Uther Pendragon et de sa reine, Ygerne de Bois, qui hélas poussa son dernier soupir peu après sa naissance. Victime de la magie, celle-ci fut dès lors interdite au sein de Camelot et punie par l’ultime châtiment : la mort. Il y avait eu une véritable chasse aux sorcières pour décimer toutes traces de magie et Uther n’avait pas hésité à encourager les massacres, si bien que cette sombre période fut nommée la grande purge. Ainsi toute son enfance, Arthur fut témoin des ravages que le chagrin et la haine avaient engendré chez son père le roi, le rendant amer et impartial, voire même paranoïaque envers le moindre signe magique. Il avait grandi avec l’idée que la magie était néfaste, qu’elle corrompait les cœurs et les esprits de ses victimes autant que de ses porteurs, ainsi la mort devenait libératrice selon les dires de son père. Il avait été élevé selon les exigences d’un homme rongé par la haine et la peur, et malgré cela Arthur avait su faire preuve de clémence plus d’une fois, avant même de porter le poids de la couronne. Mais il n’avait eu d’autres choix que de s’aligner aux idées du royaume et traiter la magie avec autant de mépris et de crainte que son roi. Il n’en avait que rarement vu les bienfaits, car bien des ennemis tentèrent de nuire à Camelot grâce à elle. Comment pouvait-il voir le bien en quelque chose qui avait maintes fois tenté de le tuer ou de le tromper ? Comment pouvait-il revoir les lois de son père à la baisse, quand il perdit ce dernier à cause de la magie même ? Il n'avait été que plus persuadé de sa noirceur. Il aurait pu pardonner à Morgane ses complots, si elle avait accepté d’enterrer la hache de guerre qui divisait leurs factions. Il aurait pu lui accorder l’attention qu’elle méritait, écouter ses revendications, mais elle avait choisi la violence. Elle avait fait le même choix que leur père finalement, en ne lui accordant aucun bénéfice du doute. C’était sûrement écrit depuis leur naissance, tout comme il avait entendu de la bouche d’un valeureux magicien, que leur destinée était liée. Peut-être que rien n’aurait pu empêcher l’issue de son dernier combat, mais il espérait au moins avoir été un bon roi, pour le temps que son règne avait duré. Et il espérait avoir rendu son père fier de lui, où qu’il soit aujourd’hui.

Uther Pendragon était un homme respecté au sein du royaume et parmi ses sujets, Arthur le premier. Il était son unique héritier et de ce fait, les attentes envers sa personne étaient si élevées qu’elles pesaient bien lourd sur ses épaules. Le prince avait toujours eu une certaine haute estime de lui-même, ou c’était du moins ce qu’il adorait montrer au peuple, car son for intérieur souffrait de doutes en permanence. Il était un excellent guerrier, le plus talentueux de Camelot disait-on et sur cela il n’en doutait pas, mais pour ce qui était du reste, c’était une autre affaire. Il n’était jamais assez droit aux yeux de son père, jamais assez détaché du peuple, trop sentimental ou trop clément, pas assez intransigeant et peut-être un peu trop proche de son serviteur, aussi – pour qui il avait souvent sacrifié son honneur sans sourciller. Il s’était mis dans bien des situations gênantes ou totalement impensables pour Merlin, en bafouant parfois l’autorité du royaume pour lui épargner une sentence injuste. Et pourtant, ce n’était pas si bien parti entre eux alors même que leur rencontre ne présageait rien de positif. Arthur se souvenait encore du jour où ce misérable gueux le défia en public, osant l’insulter de crétin même lorsqu’il apprit son identité princière, et où il faillit lui arracher la tête en retour pour son manque de respect. Ce Merlin n’aurait jamais dû tomber dans ses bonnes grâces, pourtant, son quotidien n’eut jamais été aussi agréable à supporter que depuis son arrivée fracassante dans sa vie. Plus qu’un valet, ils devinrent amis avec le temps et sa sagesse l’aida dans bien des cas, malgré son idiotie maladive. Même dans les moments les plus sombres, comme la fois où Camelot fut aux prises des sœurs sorcières et de leur armée immortelle, Merlin avait su lui redonner espoir. Il avait plus d’affection pour ce garçon qu’il n’en avait eu pour quiconque, son seul véritable ami dans ce monde de fourbes et d’assassins. De tous les dangers qu’il avait encourus à cause de son sang royal, pas une seule fois Arthur ne douta des intentions de son serviteur. Même après avoir découvert ses dons magiques, effrayé d’abord puis compréhensif, il n’y avait vu que sa bonté. Il ne connaîtrait jamais plus un être aussi pur, et aussi bienveillant malgré toutes les raisons qui auraient pu le conduire à s’en aller. Pour toutes les fois où Merlin aurait pu l’abandonner ainsi que Camelot, où il aurait pu laisser la colère corrompre son cœur comme elle avait perverti celui de Morgane. Pour cette dévotion et toute la peine qu’il vit dans ses yeux durant leurs derniers instants… pour tout ça et la confiance qu’ils partageaient en toutes circonstances, le cœur d’Arthur n’oublierait jamais cette amitié ô combien précieuse.

Si Arthur devait avoir des regrets, l'un d'eux serait de n’avoir jamais pu protéger Morgane aussi bien qu’il l’aurait dû. Ancienne pupille de feu son père, roi de Camelot et aux côtés de qui il avait grandi. Ils se connaissaient depuis l’âge de dix ans et elle était l’une des jeunes femmes les plus respectables qu’il lui avait été donné la chance de rencontrer. Il l’appréciait autant pour son élégance que son audace, elle qui ne craignait jamais de le défier ou de le narguer, ce qui avait souvent donné lieu à des joutes verbales amusantes. Il appréciait leur amitié qui se mua en quelque chose d’un peu moins amical à un moment, et sans doute avait-il vu en elle la future dame qui l’accompagnerait plus longtemps que durant de simples banquets. Une issue toute tracée qui aurait pu être bien accueillie ; elle était une dame de la cour et lui un prince, la courtiser n’en serait que naturel, mais son père n’avait jamais encouragé cela. Peut-être était-ce là un indice déjà, à cette époque bien tranquille… Il s’était souvent posé la question, de savoir s’il voyait Morgane comme une femme avec tout ce que cela impliquait et malgré les fois où son affection fut grande, ce n’était jamais allé plus loin. Elle était comme une sœur pour lui et lors de sa chute dans les escaliers, alors qu’elle semblait condamnée, il se souvint avoir clamé qu’il sacrifierait volontiers sa place à la tête du royaume pour qu’elle puisse voir un autre jour se lever. Il tenait à elle à n’en point douter, mais il était loin de s’attendre au destin cruel qui les liait. Les secrets et mensonges de son père étaient nombreux et pas toujours nobles, Arthur le savait. Or, le plus grand bouleversement de son existence fut d’apprendre que Morgane et lui partageaient le même sang, mais le choc et la traîtrise de sa demi-sœur le même jour, mirent sa foi et ses sentiments à l’épreuve. Il était aussi bien déçu de son père pour lui avoir caché toute sa vie qu’il n’était pas si unique, qu’il aurait pu avoir une sœur à aimer et protéger comme tel ; que de Morgane et ses complots démesurés envers la couronne, pire ensuite sa haine, contre laquelle il s’était senti impuissant. Il n’avait déjà pas eu de mère, mais il avait perdu une sœur avant même d’en réaliser les enjeux. Ses états d’âmes ne l’empêchèrent pas de contrer les plans de celle-ci cependant, ni de lui déclarer officiellement la guerre ensuite, mais son cœur était dévasté. Si seulement il avait consacré plus de temps à Morgane par le passé, si seulement il avait pris le temps d’écouter ses peurs et de la rassurer, lui qui avait peu à peu pris ses distances sans le vouloir.. Sans se rendre compte que derrière ses sourires, elle se noyait sous la crainte et la solitude. Elle aurait pu être sauvée à temps, si seulement.

Mais il y avait une autre jeune femme dont la bravoure et l’audace l’avaient quelques peu charmé entre-temps : Guenièvre. Son courage n’avait d’égal que sa douceur et il apprit à connaître la personne qui se cachait derrière l’image d’une simple servante. Quelque chose en lui changea un jour où il faillit mourir, alors qu’il était alité et fiévreux, condamné pour certains, mais qu’au milieu de son agonie il entendit les mots forts d’une personne qui croyait toujours en lui. Au réveil et alors que Guenièvre se trouvait dans la chambre, les souvenirs lui revinrent instantanément et il sut, quelque part au fond de son cœur, qu’il n’oublierait jamais ces paroles précieuses. Arthur n’était pas l’homme confiant qu’il paraissait être et il ne se voyait pas aussi grand que certains l’affirmaient, peinant à croire qu’il vaudrait mieux que son père en tant que souverain, mais il s’efforçait de le rendre fier chaque jour – en vain parfois. Alors certainement que la jeune femme lui avait donné courage et depuis ce jour, il n’eut cessé de remarquer sa présence au château. C’était donc ça, qu’on appelait l’affection ? Son cœur faillit bien bondir hors de sa poitrine le matin où il osa l’embrasser et pour la première fois, il tomba amoureux. Il n’avait encore rien ressenti de pareil et le fait qu’il ne puisse pas y donner suite, leurs rangs ne le permettant pas, attisa ses sentiments plus que ça ne les essouffla. On dit qu’il n’y a pas plus grande force que celle de l’amour et c’était sans doute vrai, au vu de sa résistance après toutes les épreuves qu’il fit subir à son propre coeur ; pour toutes les fois où il faillit perdre Guenièvre et pour toutes les autres, plus sournoises, où son coeur fut trahis et brisé… Arthur n’en avait jamais aimé une autre, pas même lorsqu’elle avait bafoué sa confiance dans les bras d’un autre homme. Il l’eut pardonné, parce qu’il l’aimait toujours après ça et encore aujourd’hui, même s’il l’avait laissé partir à présent. Sa passion était restée à Camelot et il espérait que son ancienne reine avait été de nouveau heureuse, après son trépas. Elle le méritait. Il pouvait imaginer le vide qu’il avait dû créer en s'en allant, car elle avait aussi manqué à son cœur en arrivant sur cette île, mais leurs chemins s'étaient séparés et il leur fallait tous deux avancer. Arthur n'était plus roi et sa vie devait changer. Il avait mis des mois et des années pour l’accepter, mais il était plus ou moins en paix avec tout cela désormais.

Il était étrange de passer d’une vie de roi à celle d’un simple citoyen, mais il ne trouvait pas cette situation désagréable. Après tout, il avait souvent souhaité avoir une vie normale et être traité comme tel. Il ne saurait dire si elle aurait été plus facile à Camelot, mais elle aurait été moins douloureuse pour sûr. Il n’aurait pas eu à trancher sur les lois concernant la magie, ni à combattre sa demi-sœur pour la couronne ou à souffrir autant de ne pas pouvoir enlacer la personne qu’il aimait, juste à cause de son titre. Il n’aurait pas eu autant de vies à protéger ni autant de morts sur la conscience, mais il n’aurait sans doute pas fait autant de belles rencontres. Merlin, Gwen et ses fidèles chevaliers, devenus sa nouvelle famille lorsque la sienne s’était effondrée et que pour rien au monde il ne voudrait oublier. Pour cela et les aventures inoubliables, pour la paix amenée dans son royaume et ceux voisins, pour tout ce qu’il avait accompli de bien : Arthur n’avait aucun regret. Camelot était son foyer et il le resterait à jamais, même si sur cette île, il continuerait d’exister dans son cœur seulement. Cependant et ce malgré toute la bonté dont il voulait bien faire preuve, il ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine rancœur envers ses ennemis, mais surtout et fatalement, Mordred. Il s’était tant attaché à ce gamin, que sa trahison lui était difficilement pardonnable. Il l’avait arraché à son monde et pour cela, il lui souhaitait de ne jamais recroiser sa route. Si cette île avait accueilli son âme, il se disait qu’il avait dû en être de même pour ses fidèles rivaux… mais il y avait bien quelqu’un qu’il aimerait revoir ici, pour peut-être enfin, avoir la chance d’être en paix avec elle après tout ce qu’ils s’étaient fait endurer.  


2019.01.01 ➸ Les vagues l'ont recraché et c'est sur un tapis de sable que le jeune roi s'est réveillé. Le ciel est éblouissant et c'est comme s'il sortait d'un songe. Sa tête est lourde, mais son corps est étonnamment léger sans cotte de mailles et lorsqu'il le réalise, Arthur se relève avec pour réflexe, d'apporter une main à sa ceinture vide. Il n'est pas seul sur cette plage, mais personne à portée de sa voix et il prend alors le temps de se situer. Son épée est bien là, mais elle repose sur le sable et soudain, comme une illumination, l'homme soulève le pan de sa chemise pour y découvrir avec effroi, la cicatrice d’une blessure qui lui avait été fatale. L’angoisse submerge son cœur tandis que sur cette plage immense, il se demande si ce n’est pas l’éternité qui vient tout juste de lui ouvrir ses bras. Les images de ses derniers instants lui reviennent peu à peu et il se souvient, Arthur, des dernières paroles entendues et du dernier visage observé avec tendresse. Il se souvient avoir été reconnaissant, effrayé et finalement …apaisé. Il s’est éteint dans les bras de Merlin, qu’il a laissé seul dans ces bois et de manière plus large, il a laissé un royaume sans leur roi. Il se retourne alors vers l’océan et les regrets s’empilent à l’idée de devoir renoncer à tout ce qui était cher à son cœur là-bas, de l’autre côté, même s’il n'y pouvait rien changer.

Les jours, les semaines et les mois passèrent durant lesquels il comprit que, s’il avait goûté au baiser de la mort, il n’avait cependant pas été gratifié d’un séjour céleste. Le monde est différent, déroutant lorsqu’on a plusieurs siècles de retard, mais Arthur est bien vivant. Les maisons ici côtoient le ciel et les chevaux ont été remplacés par des machines, sans parler de ce petit objet bruyant qui lui sert de messagerie.. Dire qu’il était perdu à son arrivée est un euphémisme, mais il avait vite su qu’il n’était pas le seul à devoir tout réapprendre, tel un enfant qui découvrait le monde. Pour Arthur il n’y a aucun doute : tout ceci est dû à la magie et pas la plus bienfaisante. Il a certes eu la chance de survivre ou renaître de ses cendres, mais il aurait préféré le néant à cette vie solitaire. Ses proches ne sont pas ici, du moins il ne le pense pas et en quatre ans, pas un jour n’est passé sans qu’il n’ait eu de pensée pour Camelot et son peuple. Si la magie l’a envoyé dans cet univers, ne devrait-il pas trouver le moyen de faire le voyage inverse ? Il est cependant encore trop méfiant envers la magie pour se rapprocher d’un de ses détenteurs. Il n’avait confiance en aucun d’eux, sauf un, mais il était sans doute temps de se faire à l’idée qu’il ne les reverrait jamais, ni lui ni personne de sa contrée.