Inej passa nonchalamment la porte du café. Ce n'était pas son adresse habituelle mais elle n'était pas contre un peu de changement. L'odeur des grains de café imprégna aussitôt ses narines et elle esquissa un sourire ravi. Comme souvent durant sa pause avant de retourner travailler, elle commandait un café bien amer afin de rester en forme. En fin d'après-midi, elle comptait aller visiter le cirque en ville. En réalité, être une acrobate indépendante avait ses avantages et inconvénients et elle hésitait de plus en plus à rejoindre une troupe d'artistes.

Le Spectre adorait son boulot. Cela lui rappelait son enfance lorsqu'elle jouait les funambules ou qu'elle grimpait sur le toit de la caravane de ses parents. La criminalité ne lui manquait pas vraiment. Elle se languissait en revanche de ses coéquipiers. À son plus grand bonheur, elle avait retrouvé le tireur d'élite zemeni - Jesper - qui lui avait fait des révélations assez troublantes. Inej n'avait pas encore pris le temps de poser davantage de questions. Connaitre toute la vérité l'effrayait encore plus que de ne rien savoir.

La jeune femme se laissa choir sur un des tabourets au bar et réarrangea ses cheveux indisciplinés. Elle arborait toujours la même queue-de-cheval bien serrée et une tenue qui la laissait libre de ses mouvements. Elle chercha du regard un employé disponible pour accéder à sa commande et le jeune homme aux cheveux auburn attira son attention.

« Bonjour. Pourrai-je avoir un café s'il vous plait ? »

Inej plissa les yeux, elle avait cet étrange impression d'avoir déjà fait face à cet homme. Il lui fallut quelques secondes pour se rappeler où elle l'avait aperçu. En réalité, il lui était apparu quelques fois dans ses hallucinations. Brièvement certes mais toujours avec clarté. Elle n'y avait jamais réfléchi jusqu'ici et si ce jeune homme avait eu de l'importance, Jesper lui en aurait sans doute parlé.

«Nous nous connaissons, n'est-ce pas ? J'ai déjà vu votre visage. » demanda-t-elle stupéfaite. Elle espérait ne pas se fourvoyer sinon la situation était particulièrement embarrassante...

Bien qu'elle fut presque certaine de ce qu'elle avançait, elle regretta d'avoir pensé tout haut. En réalité, ses hallucinations étaient souvent traitres mais quelque chose en elle s'était réveillé dès qu'elle l'avait interpellé. Elle en venait à se demander si elle avait bel et bien choisi ce café par hasard ou si les saints lui jouaient de nouveau un mauvais tour...

Il l’avait éviter, il avait réussi à sortir avant lui, le voyant entrer dans l'ascenseur, parce que oui, ils habitaient sur le même étage, Wylan avait dévalé l'escalier et passez la porte principale et ce juste avant que les portes de la cabine s’ouvrent à nouveau rendu en bas, il était pas mal fier de lui sur ce coup, bien que essoufflé, il continua sa fuite vers le café. La journée se déroulait bien, il servait ses clients comme à son habitude, prenant quelques minutes pour discuter avec les habitués desservant les tables vides pour les libérés, il aimait y travailler, cela lui rappelait Ketterdam le fait de mélanger les grains de café et de voir quel goût cela allait donner, il avait fait plusieurs expérimentations depuis ses débuts et il avait trouvé plusieurs mélange qui plaisait au client. C’était un matin comme un autre, où il se sentait presque chez lui, il ne s’attendait seulement pas à y voir une partie de sa vie refaire surface aujourd’hui. Bon il allait peut-être pouvoir s’en sortir à nouveau, peut-être que Inej se trouvait comme Jesper sans souvenir et qu’il pourrait éviter le tout, mais non. Au moment où il allait lui donner le menu des cafés servir pour la journée, elle lui demanda s’il se connaissait, il aurait pu éviter la question, mais la tentation fut trop forte.

Pas dans cette vie, je m’en rappellerais.

Il avait joué subtile, mais sûrement trop, si elle avait le moindre souvenir comme lui, elle le saurait qu’il parle d’avant la lune rouge et il ne pouvait prendre la chance que Jesper soit au courant de qui il est ou de leur relation. Son collègue avait du sentir sa gêne, car il lui offrit de s’occuper de la jeune femme, ce que le chimiste refusa avec un sourire, il savait avant même qu’elle commande quel mélange il lui ferait boire, celui qui lui avait rappeler la jeune femme de l’ombre dès qu’il l’eut trouver. Un café un peu corsé, un peu amer, un peu épicé, mais qui vous laisse une douceur dans la bouche, il ne sait pas comment il a réussi ce mélange, mais il en est fier.

Voila pour vous, vous me direz ce que vous en penser.

Puis il se pencha pour parler discrètement à la jeune femme.

Il n’est pas sur le menu, j’ai fait le mélange moi-même.

Une tape sur le comptoir, il alla servir d’autre client le temps que son ancienne amie goûte à son café, il devait s’avouer être nerveux, il n’avait jamais vraiment cotoyer Inej, mais Jesper lui en avait beaucoup parlé et c’est ainsi qu’il l’avait imaginer.

Malgré la réponse du jeune barista, Inej hocha la tête, feignant de ne pas être déçue par sa réponse. Elle s'empêcha de détailler à nouveau les traits de son visage ; elle cherchait à tout prix le moindre indice. Mais ses efforts semblaient vains. Il était le seul à pouvoir lui apporter des réponses. La vraie question était : pourquoi prétendre ne pas la connaitre ? Lui aussi avait-il perdu ses souvenirs ?

Pas dans cette vie. Mais dans une autre, peut-être ? pensa-t-elle tout bas.

Le barista lui concocta un mélange unique. Inej porta le breuvage à ses lèvres et sentit l'odeur des grains de café imprégner ses narines. Un mélange de saveurs explosa dans sa bouche, il était corsé mais légèrement épicé. Le goût lui resta en bouche durant quelques secondes ; c'était exquis. Il semblait particulièrement doué pour les mélanges - il s'agissait de son métier après tout -, la suli reposa la tasse sur le comptoir avant de l'interpeller.

« C'est excellent. C'est exactement ce que j'aime. »

Avant qu'il ne s'en aille servir d'autres clients, Inej essaya une dernière fois de dialoguer. Son instinct lui criait de réessayer et une force inexplicable la poussa à rependre la parole. Elle se sentait si proche de la vérité, si proche d'avoir des explications. Elle n'en doutait plus cette fois. Elle jeta un rapide coup d'œil aux collègues du jeune homme pour s'assurer qu'ils s'étaient éloignés.

« Je veux retrouver mes souvenirs, je serai prête à tout pour ça. » déclara-t-elle.

Forcée de constater que seules les menaces étaient susceptibles de fonctionner, elle sortit de sa botte une de ses dagues - Sankta Alina - et l'exposa sans gêne devant les yeux du barista. Elle était capable de tout, si elle devait le menacer pour avoir des réponses elle le ferait (et ce même dans un café). Inej fronça les sourcils et toisa son interlocuteur avec un calme terrifiant.

« Je vais donc reposer ma question : nous nous connaissons, n'est-ce pas ? »

Elle n'avait pas joué à ce petit jeu depuis longtemps. Elle s'était promis d'utiliser ses dagues en dernier recours si la situation l'exigeait. En l'occurrence, elle estimait que c'était le cas. La jeune femme était las d'attendre ; elle voulait des réponses maintenant.