You can't just randomly follow someone around ! § Ft. Harlan

Le cours se termine bientôt, Hallelujah, une heure de plus et c’est dans les bras de Morphée qu’elle va finir par se perdre. La journée a été longue, réveillée vers trois heures du matin par un de ses colocataires qui ne connaît pas la définition du mot discret, ensuite deux heures plus tard par un des voisins qui est venu sonner par rapport à une fuite d’eau, Luna n’a pas pu se reposer comme il faut. Elle s’est levée plus fatiguée qu’elle ne s’est couchée, ce qui en dit long étant donné qu’elle s’est écroulée dans son lit en rentrant après son cours et qu’elle s’est immédiatement endormie. Ajoutons à cela que l’herboristerie a lancé une journée spéciale réduction, un produit acheté un produit offert, que son patron s’est contenté d’aider les clients réguliers et de lui laisser tout les autres…

Ses paupières se ferment, un court instant. Elle entend vaguement le professeur expliquer quelque chose, serre entre ses doigts son crayon quand elle commence à le lâcher. Quelques secondes de répit, ou certainement plus que ça étant donné que c’est d’un seul coup tout un tas de bruits qui la font sursauter. Entre les chaises qui grincent le sol et les voix des autres étudiants, Luna se rend compte qu’elle vient de manquer une bonne partie du cours. Ce n’est pas si grave, mais ça la contrarie tout de même. Dessiner a beau lui venir très naturellement, elle ne se paie pas de cours pour dormir pendant ces derniers. Un long soupire lui échappe alors qu’elle mets son cahier à dessins et ses quelques affaires dans son sac. Elle fait attention à ne pas poser la bandoulière de son sac sur le câble de ses oreillettes tout en évitant un gars un peu pressé. Alors qu’ils sortent du bâtiment, certains partent en petit groupe, d’autre moins nombreux chacun de leur côté, tout comme elle.

Elle devrait se faire quelques amis, prononcer plus de deux mots quand on lui adresse la parole. Ça fait des mois qu’elle le pense mais aussi des mois qu’elle n’en fait rien. Elle ne se reconnaît pas dans les autres jeunes femmes qui suivent elles aussi le cours, toutes plus superficielles qu’elle ne l’est. À tel point que Luna fait un effort vestimentaire les jours de cours pour ne plus avoir à supporter certains regards ampli de jugements quand elle débarque avec un pantalon flottant et un gilet si long qu’on a du mal à voir où il s’arrête. Quant aux autres, après avoir renversé tout un pot d’encre à dessiner sur son partenaire de projet et au début de l’année un latté bouillant sur un mec qui s’est montré un peu trop avenant.. Il semblerait que personne ne la remarque plus. Ce n’est pas pour lui déplaire, mais c’est vrai qu’une petite présence quand elle rentre tard le soir, ne fusse que jusqu’à l’arrêt de bus, ne serait pas de refus.

Au lieu de ça, elle fait mine d’écouter de la musique alors qu’il n’en est rien, se concentrant sur les bruits autour d’elle. Une main enfuit dans la poche avant de son sac à dessins, tenant fermement une petite bouteille de parfum qu’elle est prête à utiliser en cas de danger, l’autre main serrant la bandoulière de son sac, le pas pressé. L’arrêt de bus n’est pas si loin, mais déjà bien trop à son goût étant donné que parfois certaines lumières ne fonctionnent pas si tard sur le campus. Pourtant elle fait ce trajet deux à trois fois par semaine, elle le connaît par cœur, a déjà repéré certains endroits à contourner pour ne pas potentiellement se faire surprendre. Elle n’est pas paranoïaque, loin de là, mais une de ses colocataires s’est fait voler son portable sur ce même campus et Luna n’a vraiment pas les moyen de s’en payer un nouveau, ni un nouveau sac à dessin. Et bien qu’on dit toujours qu’il vaut mieux donner ce qu’ils demandent et ne pas se battre et risquer sa vie, elle se connaît assez pour savoir qu’elle n’est pas du genre à se laisser faire. Alors autant prendre ses précautions et éviter le pire…

Des pas. Il lui faut quelques secondes pour s’en assurer, mais oui, elle entend bien des pas. Son téléphone est enfuis dans sa poche intérieure de sa veste en jean, ses doigts prêts à dégainer son parfum et sa main prête à viser les yeux. Elle inspire profondément, pour pouvoir crier c’est une base, et sent son cœur s’affoler légèrement. C’est peut-être seulement quelqu’un qui va dans la même direction qu’elle, mais depuis des mois, elle est la seule des étudiants du soir à prendre cette dernière et elle n’a vu aucun nouveau étudiant dans la salle. Si cette personne pense pouvoir lui voler son téléphone, voir son argent, elle va le lui faire regretter amèrement.

En théorie, les chances de se faire agresser sont une sur un millier. Elle le sait, pourtant elle prend ses précautions et est sur le qui-vive dès qu’elle se retrouve à se promener toute seule. Comme si être à deux protège forcément de toute possibilité de vol, ou d’agression, ou de quoique ce soit d’autre. Alors la bouteille de parfum, c’est son arme de prédilection. Pas aussi efficace qu’un pepperspray, mais ça pique suffisamment aux yeux pour lui donner une chance de viser un bon coup de pieds et de partir en courant. Et si tenté qu’elle n’est pas certaine de pouvoir battre quelqu’un avec un minimum d’expérience au combat corps-à-corps, Luna est persuadée que question endurance, elle peut battre une grande partie de la population. Elle aime courir, alors il y a plus rapide qu’elle, sans doute, mais elle sait tenir la distance et si un voleur vous court après, c’est le plus important.

Elle accélère un peu le pas, pour agrandir la distance entre elle et la personne qui la suit. Sans trop de résultat, car elle peut entendre que cette personne accélère aussi. Elle cherche du regard une silhouette à proximité, quelqu’un qu’elle pourrait reconnaître de son cours, quelqu’un qui promène son chien… Mais elle ne voit personne et ses doigts se resserrent autour de son parfum. Bon, l’arrêt n’est plus très loin mais dans le doute, elle peut toujours faire un petit jogging ce soir et rentrer à pieds. Personne n’aura le temps de se demander si elle a un téléphone portable ou de l’argent sur elle si elle passe en courant. Luna serre davantage son sac contre elle, prête à pousser une bonne accélération pour au moins perdre la personne qui la suit. Elle s’arrêtera plus loin pour s’assurer qu’elle n’est pas en train de courir pour rien, après tout, ce n’est peut-être qu’une personne qui emprunte le même chemin. Elle va paraître bizarre à s’en courir comme ça mais elle n’est plus à ça de près auprès de ses camarades de cours. Si c’est l’un d’eux. Ça pourrait aussi être quelqu’un d’autre et alors ce que cette personne pense n’a que peu d’intérêt. Mais alors qu’elle s’apprête à démarrer son petit sprint, voilà qu’une voix l’interpelle.

Instinctivement, elle se retourne. Dans l’espoir que ce soit un des autres étudiants. Bien qu’elle ne soit proche d’aucun d’eux, elle ne s’est jamais présentée à eux avec son nom mais seulement avec le diminutif qu’elle a toujours préféré.

Son regard se pose un court instant sur celui qui la suit avant de chercher quelqu’un derrière lui. Il n’y cependant personne. Il est évident que c’est bien lui qui a prononcé son nom mais elle fronce les sourcils en l’observant. Elle ne s’est peut-être pas fait des amis parmi les autres étudiants, mais elle n’a pas mauvaise mémoire et lui, lui ne fait pas partie des étudiants qui suivent le même cours qu’elle. Certes, il doit y avoir d’autres cours qui terminent à la même heure, mais il n’y a strictement aucune raison qui justifie que quelqu’un à qui elle n’a encore jamais adressé la parole connaisse son nom. Bandoulière toujours serrée dans sa main, les doigts de son autre main tenant toujours son parfum, elle hésite un court instant. Il y a quelque chose…. Quelque chose de familier, chez lui. N’arrivant pas à mettre le doigt dessus, elle se dit tout simplement qu’ils ont une fois dû se croiser et qu’elle a tout simplement oublié.

« Uhm.. Pardon mais on se connaît ? »

Voilà, lui semble se souvenir d’elle, alors il n’a qu’à éclairer sa lanterne. On pourrait croire qu’elle pense forcément qu’étant amnésique c'est qu’il s’agit de quelqu’un qui la connaissait avant, mais ça fait des années qu’elle vit dans cette ville sans que cela ne se soit jamais produit. Maintenant persuadée qu’elle vient d’une petite ville au milieu de nulle part et qu’elle ne croisera jamais personne qui la connaissait, c’est la dernière chose à laquelle elle pense.

Il se présente à elle, comme étant son frère. Et l’espace de quelques secondes, Luna le regarde complètement ébahie. Un frère, jumeau qui plus est ? Non, elle n’aurait pas pu oublier ça quand même ! Alors elle le dévisage, cherche à comprendre, puis se rend compte que si. Si, elle a oublié, comme elle a tout oublié. Comme quand elle avait envie de dessiner mais qu’elle s’est rendue compte qu’elle n’arrivait pas à mettre sur papier ce qu’elle voulait et que petit à petit, les muscles se souvenaient de ce dont sa mémoire ne voulait pas se rappeler. Alors un membre de sa propre famille, elle sait qu’elle les a tous oublié. Mais un frère ? Un père, ou une mère, c’est parfois voulu de les oublier. Un frère ou une sœur, elle n’imagine pas à quel moment on peut prendre la décision de leur tourner le dos, à moins qu’il y ait une dizaine d’années d’écart qui fait qu’ils ne soient pas proches, ce qui n’est forcément pas le cas. On ne peut pas ne pas être proche de son jumeau. C’est la seule question qui lui a le plus occupé l’esprit en se retrouvant un beau jour sans mémoire, est-ce qu’elle avait de la famille, des frères ou des sœurs ? Et maintenant, devant un parfait inconnu, la réalité la rattrape et la réponse s’offre à elle.

Elle ne le connaît pas. Enfin si, elle le connaît, elle ne se souvient pas de lui, une bien piètre nuance dans son esprit. Pourtant, elle peut voir que se rendre compte qu’elle ne se souvient pas de lui l’affecte. Et son premier instinct, alors même qu’elle ne se souvient pas de lui, c’est de vouloir le rassurer. Elle a l’étrange envie de le serrer dans ses bras mais au dernier moment elle s’empêche de faire un pas en avant. Elle n’arrive pas à placer son visage, elle n’arrive pas à faire remonter le moindre souvenir.

« Je.. Je suis désolée mais non, je ne me souviens pas de.. Je n’ai aucun souvenir. D’avant. Avant que je ne sois arrivée dans cette ville. »

Comme si elle a besoin de préciser cela, comme si les autres étaient tous ici de leur plein choix, même si Luna a fait un effort remarquable de ne pas penser à ce que certains prétendaient leur être arrivé. C’était plus facile de croire qu’elle avait déménagé, quitté volontairement les siens et venait d’une autre ville que de croire qu’elle avait été kidnappé par des aliens et déposé dans un dôme. Oui, bon, c’est un cas extrême mais son patron en est convaincu et la seule raison pour laquelle il l’a engagé, alors qu’il y avait des candidats plus expérimenté qu’elle, c’est parce qu’elle était amnésique. À ce jour, il tente toujours de la convaincre que E.T et sa bande l’ont utilisé pour une expérience et qu’un des effets secondaires est l’amnésie. Sinon, c’est un homme tout à fait normal à part ses théories un peu folles.

«  Briggs ? Non, non ça me dit rien. » Est-ce que c’est son nom de famille ? Elizabeth Briggs, ça sonne mieux que le nom qu’elle porte actuellement. Harlan et Elizabeth. Difficile de ne pas croire son interlocuteur alors qu’il connaît le diminutif qu’elle préfère. Et puis, soudain, quelque chose lui vient à l’esprit. « Vous.. Tu n’étais pas plus petit que moi, il y a longtemps ? »

Il est plus grand qu’elle mais elle a cette nette impression, soudainement, de s’être sentie fût un temps toute puissante d’avoir quelques bons centimètres de plus que quelqu’un d’autre… Un garçon, dont le visage l’échappe. Et au plus elle l’observe, au plus son visage lui semble familier. Mais c’est comme un trop d’informations et Luna n’arrive pas à placer le doigts dessus, mais il y a quelque chose chez lui qu’elle a vu ailleurs. Mais où ? Et puis, c’est son jumeau, son frère, son sang, elle ne sait soudainement pas comment se comporter, bien qu’elle lâche sa bouteille de parfum qui glisse au fond de son sac, elle n’en aura pas besoin.

C’est horrible, cette situation. Non seulement elle ne se souvenait pas de grand-chose, mais en plus toutes les raisons qui l’ont poussé à croire que ce n’était pas si grave tombent à l’eau. Luna s’était imaginée que si personne ne l’avait réellement retrouvé, c’est que personne ne cherchait/ L’idée d’avoir des parents qui s’en foutaient de savoir si elle allait bien ou non était douloureuse, mais ça facilitait le fait de ne plus se souvenir de rien. Ça lui ôtait un poids des épaules, elle se sent si égoïste là dans l’immédiat. Alors qu’elle justifiait cette absence de souvenirs, d’autres s’étaient inquiétés pour elle. Même si c’est un scénario dont elle n’a pu que rêver, elle se sent coupable d’en être arrivée à accepter son amnésie et à ne jamais chercher plus loin.

Il propose immédiatement de l’aider, il est visiblement perturbé d’apprendre qu’elle soit amnésique mais il n’hésite pas à essayer de la rassurer. Et ça lui en dit plus sur Harlan qu’on ne peut imaginer.

« Je suis vraiment désolée, je n’y peux rien mais je pense que cette situation est plus compliquée quand on est en face de l’amnésique et pas l’amnésique en question… » Non, l’humour n’est pas son point fort mais elle continue d’essayer, même si son sourire lui vient plus facilement. « Je pense que ça m’aiderait beaucoup, avoir quelqu’un qui me connaissait avant. »

Bon, elle est sa sœur aussi, visiblement, donc c’est normal qu’il veuille l’aider mais ça lui réchauffe le cœur. Parce que les liens du sang ne promettent pas toujours entre-aide et gentillesse, au moins, elle sait qu’avec son frère, son jumeau, ils n’en sont pas à se détester. C’était un des nombreux scénarios qu’elle s’était imaginée pour expliquer qu’elle vivait à présent dans une ville où elle ne connaissait personne. Au lieu de ça, elle avait un frère et un père adoptif. Même si elle retient le fait qu’il les avait trouvé, et que donc ils ont certainement été abandonné ? Trouvé où ? Sur le seuil d’une caserne de pompiers ? Mais ses questions, elle peut encore les garder pour elle, trop occupée à chasser cette nette impression de déjà-vu.

C’est aussi la voix d’Harlan qui petit à petit lui semble de plus en plus familière. Elle a presque envie de lui tendre un livre et de lui demander de lire, persuadée que si elle l’entend un peu plus longtemps, tout va lui revenir en mémoire. Mais c’est un vain espoir, elle sait à quel point c’est dangereux d’espérer à tout prix que tout revienne, pour être finalement bien déçue quand à peine un petit souvenir pointe le bout de son nez, et encore. Plus pour longtemps. Ça lui revient, pas beaucoup, pas longtemps, l’image de deux enfants, des traits, des mots écrits mais aussi prononcés, un homme à leur côté les observants avec amusement... ça ne dure qu’une fraction d’une seconde mais c’est suffisant, plus que même, pour lui donner envie d’enfin se souvenir de tout. De ne pas craindre le pire. Elle le suit vers le banc en rangeant ses oreillettes dans une poche, passant la bandoulière par-dessus sa tête elle le dépose à côté d’elle et se tourne complètement vers Harlan. Il est ce qui lui est arrivé de plus intéressant dans cette ville depuis qu’elle s’est retrouvée amnésique dans une rue il y a plusieurs années. Et il la connaît. Enfin, est-ce qu’il la connait vraiment ? Parce qu’elle n’est peut-être plus celle qu’il a connu, et peut-être qu’en lui parlant il ne va pas aimer ce qu’elle est devenue, si elle a changé... Voilà qu’elle commence à paniquer, parce que maintenant qu’elle a retrouvé un membre de sa famille elle ne veut pas le perdre.

« Est-ce que notre père adoptif est ici, lui aussi ? Et toi, qu’est-ce que tu fais en ville ? » commence-t-elle avant d’enfuir ses mains dans les manches de sa veste. Un court instant elle voit Harlan de profil. Et soudainement, ça lui revient, d’où son visage lui est si familier. « Mais oui! » s’exclame-t-elle en attrapant aveuglement son sac de sa main et en plongeant ses mains à l’intérieur à la recherche de son cahier personnel. Qu’elle en ressort immédiatement, posant son sac au sol cette fois-ci contre son pied avant de feuilleter dans son cahier. Elle passe très vite sur certaines pages, c’est souvent des animaux, parfois des gens et Harlan faisait partie de ces visages qu’elle n’arrivait jamais à reproduire parce qu’elle n’avait aucun modèle. Elle s’était toujours demandée si ce n’était pas des bribes de souvenirs et maintenant, c’est confirmé. Elle tourne le cahier vers Harlan, lui montrant une page où se trouvent un visage, dessiné mais fragmenté. Un œil sur le côté droit, une mâchoire et un nez de profil et bien que lui ne voit peut-être pas la ressemblance, elle doit lui demander s’il dessine lui aussi, elle est pourtant bien là.

« Je dessinait des visages mais sans jamais pouvoir les terminer, ce qu’il y a de familier chez toi, c’est ça. Je savais que je devais avoir vu ton visage quelque part mais je ne m’en souvenais pas assez pour terminer mes dessins. »

Rien de plus frustrant que de ne pas pouvoir terminer un dessin. Mais maintenant qu’elle le voit, elle se demande comment elle n’a pas au moins pu se rappeler, ne fusse qu’un petit peu plus des détails, peut-être qu’en le dessinant totalement bien avant...

« Je me sens un peu bête, je n’ai pas cherché à te retrouver. Vous retrouver. Au début j'ai vraiment tenté de me rappeler de quelque chose, n'importe quoi, les premiers mois je ne me souvenais même pas de mon nom. J'ai finis par abandonner, j’ai préféré croire que peut-être quelque chose s’était produit et que j’avais fuis ma famille. Que si rien ne me revenait, c’était peut-être parce qu’une part de moi ne voulait pas se rappeler de quelque chose d’horrible. Et j'ai pensé à coller des affiches, avec ma photo, mais j'avais peur que je n'allais pas aimer retrouver ma famille, ou qu'un parfait inconnu en profite pour se faire passer pour quelqu'un que je connaissais... »

Cette situation ne peut que la pousser à regretter ses choix, ces dernières années. Elle aurait dû tenter plus pour retrouver sa famille. Les scénarios catastrophiques qu’elle s’était imaginé, ce n’était finalement que pour se donner bonne conscience. Pour justifier de ne faire aucun effort pour retrouver les siens. S’est-elle une seule fois demandée ce que sa famille pourrait ressentir ? Oui, bien sûr. Mais après plusieurs mois sans même voir une affiche placardée en ville, elle s’est dit qu’ils ne la cherchaient pas. Action, réaction. Pourquoi aurait-elle fait un effort si eux ne s’inquiétaient pas ?

Tout ça pour découvrir qu’elle s’est trompée, égarée dans son égoïsme. Elle peut imaginer ce que c’est, de savoir qu’on a une sœur là, quelque part, mais de ne pas la retrouver, de ne rien savoir. Le vivre a dû être d’autant plus compliqué que tout comme elle, Harlan est certainement ici depuis un certain temps. C’est alors elle la plus chanceuse, elle n’a pas eu à s’inquiéter pour sa famille car elle ne s’en souvenait pas, alors qu’Harlan lui… Il dit bien la connaître et l’espace d’un instant Luna se sent incroyablement triste. Pleurer ce qu’on a peut-être perdu est une chose, mais maintenant elle sait ce qu’elle a perdu, un frère, un jumeau, quelqu’un qui la connaît et l’aime comme tel et quelqu’un qu’elle est certaine d’aimer de tout son cœur également. Luna n’est pas de ceux qui ressentent facilement de l’affection pour quelqu’un d’autre, pourtant face à son jumeau, elle la ressent. Elle a envie de le serrer dans ses bras, de le rassurer, de lui mentir s’il faut pour lui dire qu’il ne doit pas s’inquiéter, ça va lui revenir. Et ça aide, d’avoir ce sentiment d’être en face de quelqu’un de si familier, quand bien même sa mémoire lui fait défaut.

Elle regrette presque lui avoir posé une question sur leur père adoptif, car la réponse qu’il lui donne n’est que peu plaisante. Non seulement lui n’est pas là, donc Harlan était bien tout seul lui aussi, mais visiblement il ne s’entend pas bien avec. Elle sent l’inquiétude monter, qu’est-ce que cet homme a bien pu faire pour qu’Harlan ne s’entende pas avec ? Puis, il lui dit qu’elle aime leur père adoptif, mais pas lui. Et elle ne peut s’empêcher un air dubitatif. Si ce Garrett avait fait du mal à son frère, elle ne l’aimerait pas. Donc… C’est autre chose, quelque chose qui ne va pas entre eux deux mais qui n’empêche pas Luna d’aimer leur père adoptif pour autant. Ou bien, peut-être qu’elle n’était pas au courant, qu’Harlan a ses raisons, de très bonnes raisons, et qu’elle les ignorait et qu’il n'a jamais voulu lui dire… Mais il ne lui aurait pas annoncé qu’il a des problèmes avec leur père adoptif s’il tentait de garder un secret. Ou bien il pense qu’elle ne tirait aucune conclusion ?

« Oh. Il a fait quelque chose de mal ? »

Elle ne veut pas lui demander si leur père lui a fait du mal, à lui spécifiquement, mais le sous-entendu est là. Elle ne s’en souvient pas, donc son avis sur ce Garrett va uniquement se baser sur ce que lui raconte Harlan. Et elle pourrait douter, après tout, il faut toujours avoir les deux versions, mais c’est son frère. Son jumeau. Elle est persuadée que sa parole vaut plus que celle de n’importe qui d’autre. Une certitude qu’elle ne devrait pas avoir face à ce qui est quasiment un inconnu, et pourtant elle l’a. Et s’il lui dit que oui, alors elle se fera une première idée sur cet homme qui les a recueillis.

Science et technologie ? Au moins on sait qui est le plus intelligent dans la famille, parce que Luna préférait fuir les chiffres et peu importe si c’était de simples mathématiques ou des formules.

« Oui, je suis étudiante en art plastiques, même si je ne sais pas encore vraiment ce que je vais faire comme métier après, je travail déjà et l’herboristerie me plaît assez pour envisager d’y rester à long terme. » Bon, en même temps, à moins de trouver un métier tout frais payé dès qu’elle a terminé ses études, elle n’a d’autres choix que de rester en tant que vendeuse dans la boutique. « Si tu envisages de changer je suppose que c’est pour suivre une autre voie ? »

Une fois de plus, elle ne peut savoir ce que lui aime, ce qu’il veut, ce qu’il préférait. Il va falloir qu’elle se creuse les méninges, parce que c’est désagréable d’être dans le néant alors qu’elle est supposée savoir tout ça. Heureusement, l’espoir lui revient dès qu’elle lui tend son cahier et qu’elle commence à comprendre pourquoi certains de ses dessins sont impossible à finir. Alors elle ressent réellement le besoin de s’excuser, car c’est lamentable que son seul essai, ses seules bribes de mémoire, se soldes sur un bout de papier. Mais quand il lui répond, c’est pour la décrire, comme elle était avant. Et d’abord Luna a du mal à le croire, parce qu’elle ne voit pas comment elle aurait pu être aimée de tout le monde. C’est à peine si elle est arrivée à se faire un ami sur le Campus, peut-être deux ou trois en dehors, mais elle n’est même pas certaine que ça compte comme de réelles amitiés. Mais le côté solitaire ?

« Je me reconnais dans l’aspect solitaire. » dit-elle un sourire au coin des lèvres, même si sa façon de la décrire l’amuse, comme si lui est tout le contraire. « Donc si je comprends bien, tu es pessimiste, grincheux et indifférent ? Mais sociable, ça rattrape tout. »

Bien sûr, elle plaisante, même s’il venait à lui dire que c’est un peu ça, elle aurait du mal à le croire. Sauf pour la partie où il est plus sociable qu’elle. Il a ce que Luna aime appeler une bouille sympathique, de ces gens à qui elle pourrait adresser la parole sans avoir l’impression d’être silencieusement jugée pour on ne sait quoi. Ou alors c’est parce qu’il lui semble si familier qu’elle pense ainsi ?

« Écoute, dans l’espoir que la mémoire me revienne, et sinon on aura encore le temps de parler du passé, raconte-moi plutôt ce que tu as fait ces dernières années ? »

C’est étrange, ce qui arrive là. Même si pour l’instant elle le prend plutôt bien, elle sait qu’une fois de retour chez elle, elle aura besoin de se poser quelques instants. Et peut-être besoin d’en parler, même si elle doute que sa colocataire apprécie qu’elle la réveille pour lui expliquer que, oops, elle a retrouvé son frère, qui est son jumeau, et visiblement elle n’avait pas une famille horrible dont elle était bien contente de ne plus se rappeler. Non, ce n’est pas le type de conversations à avoir à minuit. Mais c’est une inquiétude pour plus tard, il lui semble de plus en plus familier, alors qu’ils ne se parlent pas depuis plus de dix minutes. Et qu’elle est déjà prête à prendre les armes, de façon totalement méthaphorique, contre leur père adoptif s’il a fait du mal à Harlan. Pourtant, son explication la rassure tout en l’intriguant davantage.  

« Notre père biologique ? On sait qui s’est ? »

Parce qu’il vient de lui dire que Garrett les a trouvé, alors forcément, elle s’imagine deux gamins abandonnés sur une aire d’autoroute pendant que les parents continuent joyeusement leur chemin. L’image se fait davantage car Harlan parle de leur père biologique, mais non de leur mère. Et Luna ne sait pas si ça veut dire qu’ils étaient avec leur père uniquement et qu’ils n’ont jamais connu leur mère, ou si ça veut dire que seul leur père est revenu les chercher. Bien qu’elle s’était imaginée bien des scénarios, et que forcément la case parents décédés avait été cochés pour faciliter son amnésie, savoir qu’elle a peut-être avec certitude perdu sa mère, c’est autre chose. Encore un truc à digérer plus tard.  

Heureusement qu’ils s’éloignaient un peu de ce sujet en parlant de ce qu’ils faisaient et suivaient comme cours. Luna ne peut s’empêcher un sourire lorsqu’il lui décrit aimer s’éclater. Elle a toujours, comme beaucoup d’autres très certainement, imaginé que des jumeaux étaient un peu comme le Yin et le Yang. Si on lui avait posé la question ce matin encore, c’est ce qu’elle aurait répondu, qu’avoir une jumelle, ou un jumeau, serait vraiment fantastique mais qu’ils devraient avoir leurs différences pour ne pas s’étriper en se disputant la console de jeu. Et elle ne s’imagine pas dans une telle situation avec Harlan, parce que même sans se rappeler, elle voit et sait qu’ils sont différents tout les deux. Et tout le reste de ce qu’il lui raconte ne fait qu’éclaircir cette image qui semble lui trotter dans la tête. Soirée, boîte, musique, un sentiment d’être très agacée et en même temps se sentir très mal à l’aise tout en se rendant quand même là. Un souvenir, un morceau seulement, mais qui s’explique parce que si elle voulait trouver son frère, c’est visiblement là qu’elle devait aller le chercher.

C’est un miracle qu’ils se sont croisés ici, parce qu’elle ne se rend pas en soirées et elle doute fortement qu’elle l’aurait un jour croisé au magasin pour venir chercher du Thym.  

« Tu t’amuses bien plus que moi, ça c’est certain. » Mais, ce n’est pas ce qui l’intrigue le plus, à vrai dire, dans tout ce qu’il vient de lui dire. Et elle bug un peu sur ça, soudainement. « Tu as rencontré quelqu’un ? »


Et ça lui revient. Comme ça, d’un coup. Peut-être pas tout, parce que regagner près de deux décennies de souvenirs en une seule fois la laisserait vraiment mal, surtout si elle devait se souvenir de ce qui s’est passé dès le début des incendies. Mais elle se souvient d’Harlan. Plus vaguement de Garrett, mais elle ne s’attarde pas à y réfléchir. Elle se souvient de tout, leur enfance, leur adolescence. Elle se souvient comme elle préférait être avec lui qu’avec ses amis, parce qu’eux étaient différents, bien qu’elle ne se souvienne pas exactement ce qui les diférenciait. Elle se souvient des promenades en forêt, quand ils étaient plus jeunes, parce que c’était plus calme, plus tranquille… Un élément l’échappe mais ça lui revient tellement vite, tant de souvenirs centrés sur une seule personne, que vraiment, ça n’a pas d’importance si quelques détails lui échappent encore.  

Les larmes lui montent aux yeux et elle lâche jusqu’à son sac, qui tombe par terre, pour quasiement se jeter sur Harlan.  

« Harlan ! »

Une fois qu’elle a passé ses bras autour de son cou, elle s’accroche, le serrant si fort dans ses bras qu’elle en d’ailleurs mal au bras. C’est Harlan, il l’a trouvé. Il l’a trouvé, elle l’a oublié, abandonné. Mais.. Il n’est pas tout seul, c’est tout ce qui compte, il n’est pas tout seul. Il y a tellement de chose qu’elle veut lui dire, tellement, à commencer par s’excuser trente-cinx milles fois mais ce n’est pas du tout ce qu’elle finit par faire.


« Je t’avais dis que le jour où tu rencontrerais vraiment la bonne personne, ce sera comme un phénomène cosmique, regarde, ça m’a redonné la mémoire ! »

Elle en rit, bêtement, avant de le lâcher parce qu’elle le serre si fort qu’un passant pourrait croire qu’elle cherche à l’étouffer. Elle frotte brièvement sa main sur ses joues pour faire disparaître les larmes qui ont coulées. Et sans s'en rendre compte, elle passe du tout au rien parce que soudainement, c'est comme si ces dernières années ne s'étaient jamais produites.

« Tu sais que maintenant, t’es obligé de tout me raconter en détail ? »

Un léger sourire aux lèvres, elle veut bien le croire quand il dit vouloir être optimiste pour leur père biologique. Même si les premiers scénarios qui lui viennent en tête quant à abandonner ses enfants ne sont pas bons, elle ne peut juger présentement. Surtout que jusqu’à il y a moins de quinze minutes, elle pensait qu’elle avait eu une famille horrible, d’où le fait qu’elle avait si facilement tout oublié à leur sujet.

Pourtant alors qu’ils parlent elle se rend compte que ça lui revient, de petites choses anodines qui lui semblent inexplicables, qui l’auraient été il y a un quart d’heure encore. Mais pas maintenant, alors qu’à côté d’elle est son frère, son jumeau. La personne qu’elle connaît certainement mieux qu’elle ne se connaît elle même. Dans une autre vie, ici, c’est différent. Pourtant alors qu’il lui parle, qu’il lui dit avoir rencontré quelqu’un, elle a cette certitude que c’est un fait anodin le concernant. La surprise lui vient, autant de ce qu’elle semble soudainement savoir que de la notion qu’Harlan s’est laissé piéger par des sentiments. Quelque chose qu’elle a déjà ressenti dans le passé, noué à bien plus de confusion que cette fois parce qu’au final, elle se souvient de si peu et de tant de chose sans que cela ne forme une image réellement nette dans ses pensées. Mais assez pour qu’elle ait l’impression de ne plus être elle, d’être Luna qui s’exaspère du comportement d’Harlan tout en l’acceptant tel qu’il est, parce qu’il est son frère et qu’il est tout ce qu’elle a à part… Non, elle n’est pas encore là dans ses souvenirs, mais un manque se fait ressentir et elle sait que ça aussi, c’est quelque chose d’étrange et de nouveau à laquelle elle va devoir s’habituer.

« Hmm hmm, je vois. »

Dit-elle un sourire au coin des lèvres avec le regard qui pétille d’amusement, parce que rien ne lui revient d’un coup mais elle se sent soudainement tellement plus à l’aise avec lui. Le peu qui lui revient semble être suffisant pour que l’ancienne Luna, qui qu’elle fût, réapparaisse un instant. Bien que certainement différente, mais ça aussi elle s’en inquiétera plus tard. De toute façon, Harlan semble soudainement être les souvenirs qui reviennent en avant, sans pour autant qu’elle n’arrive à se placer dans des souvenirs où elle est pourtant persuadée avoir été présente. Elle hausse les épaules à sa question, mais Harlan regardant le ciel il est évident qu’il ne la voit pas.

« J’ai des choses qui me reviennent, là, tout de suite, de toi. Mais si c’est si facile, je n’ai pas envie de te poser mille et une questions te concernant, parce que j’ai l’impression que je dois déjà savoir tant de choses et… je n’ai pas envie de te découvrir comme si tu étais un inconnu. Ça va me revenir, c’est obligé. Et donc tout ce qu’il y a à raconter c’est tout ce qui s’est passé depuis qu’on s’est vu la dernière fois. Si Damian est important pour toi, alors je veux tout savoir. » Elle penche légèrement la tête sur le côté, l’air pensive, avant de reprendre. « Attends est-ce qu’en étant ta jumelle ça veut dire que j’ai le droit de le menacer de mille et un supplice s’il te brise le cœur ? »

Elle regarde Harlan avec curiosité, parce qu’elle ne sait pas si c’était ainsi que ça fonctionnait entre eux, avant, s’ils lançaient chacun des regards noir à quiconque intéressait à l’autre pour prévenir du danger à venir si quelqu’un faisait du mal à leur jumeau, jumelle… Elle ne sait pas si elle en serait capable, mais avoir un frère veut dire le protéger aussi, non ? C’est l’image qu’elle a d’une famille. C’est peut-être une image bien trop basé sur ses envies d’une famille parfaite qui ne l’avait pas renié pour justifier sa solitude dans cette ville.

« Si on jouait à la carte sœur et frère protecteurs, désolé mais je serais la seule à menacer quelqu’un. Entre le boulot et les cours j’hiberne principalement dans le studio avec ma colocataire. Puis, les mecs c’est juste bon à briser des cœurs… Enfin, je veux dire.. uhm, la plupart. »

Elle ne veut bien évidemment pas dire que lui fait partie de ceux-là, bien qu’elle se souvient vaguement la raison qui la poussait à chercher Harlan en boîte et qui lui permettait à peu près à savoir le retrouver. Mais même avec le peu qui lui revient, dans l’immédiat, il n’a pas l’air du genre d’individu qui vous arrache le cœur, le piétine et puis vous le redonne entouré d’un beau nœuds et d’un mot d’excuse minable. Bon, son image des hommes en général est un peu négative, on lui pardonnera ça, même après tant d’années elle sait que quelqu’un lui a brisé le cœur bien avant son amnésie. C’est peut-être pour ça qu’elle l’est devenu, d’ailleurs, amnésique, pour oublier un pauvre idiot qui aura fait l’une ou l’autre connerie impardonnable qui l’auraient poussé à fuir et à pleurer pendant des semaines. Ou tout autre chose tout aussi pathétique. Non, vraiment, Luna préfère éviter l’amour, quand bien même elle croit en l’amour avec un grand A. C'est totalement contradictoire mais c'est ainsi. Puis, elle n'est pas douée avec les gens en général alors quelqu'un qui lui plaît, homme ou femme, ce n'est pas comme si elle peut prendre son courage en main et se lancer. Luna est une catastrophe ambulante quand il s'agit de s'approcher de quelqu'un qu'elle apprécie. Elle le sait, et si elle était déjà comme ça avant, Harlan doit le savoir aussi. Elle serait presque tenté de lui demander s'il sait quel est l'abruti qui lui a fait perdre espoir quand il s'agit de sentiments, mais peut-être qu'il ne sait pas. Et c'est peut-être mieux ainsi, elle n'aimerait pas apprendre qu'il était malheureux ces dernières années pour x ou y raison, ça doit sans doute être pareil pour lui vis-à-vis d'elle.

Les rares fois, au début, où elle s’était imaginée être retrouvé par sa famille, ça ne se passait pas comme maintenant. Mille et uns scénarios, mille et unes raisons qui l’auraient poussés à les fuir, à ne pas avoir le besoin de les retrouver, hors face à Harlan elle a l’impression de s’être trompée si profondément sur le sujet qu’un platiste aurait paru plus crédible qu’elle. Et ça la mets mal à l’aise, dans l’immédiat. Elle se souvient en une fois avec la certitude la plus puissante qu’il soit que c’est son frère, son jumeau, une moitié d’elle que personne ne pourra jamais remplacer ou évincer de son cœur. Et pourtant, alors qu’elle l’observe et lui parle il n’y a rien qu’elle sait réellement de lui. Les images qui lui viennent, des flashbacks sans nul doute, n’ont aucun sens sans un minimum de contexte et elle ne s’attarde pas sur des souvenirs plus prononcés. Pas alors qu’il est en face d’elle, à porté de bras et qu’elle a maintenant envie de s’accrocher à la manche de sa veste et de ne plus jamais lâcher ce bout de tissu, par crainte que celui qui la porte disparaisse comme par enchantement.

Elle finit par refermer ses doigts sur la manche de sa propre veste, un tic presque nerveux qu’elle a d’habitude dans le bus quand elle rentre tard le soir, ou lorsqu’elle se retrouve seule au milieu d’une foule qui l’a mets mal à l’aise. Aucun visage à poser sur des parents biologiques, mais ça ils sont deux visiblement, aucun visage à poser sur leur père adoptif.. Même si elle ne sait pas ce qu’elle pense réellement de ce dernier vu que son jumeau lui ne semble pas tant l’apprécier. Il semble amusé par ce qu’elle dit et Luna ne comprends pas tout de suite pourquoi, sauf bien sûr si leur dynamique de frère et sœur était totalement différent et qu’ils se souciaient peu de qui traînait avec l’autre. Ce qui lui semble.. impossible. Luna a beau ne pas être BFF avec sa colocataire, voire par moment à peine la supporter, elle a déjà reçu le surnom de furie  enragé par un mec à qui elle a fait passer l’envie de poser ses sales pattes là où il ne fallait pas. Et sa colocataire, ce soir-là, l’a laissé faire et laissé sortir les griffes pendant qu’elle restait à l’écart. C’est pourtant une scène toute contraire qui a mené à leur rencontre, mais si elle est prête à s’imposer face à un inconnu pour quelqu’un avec qui elle partage tout au plus un appartement… Elle s’imagine prête à plus pour sa famille, pour son frère.

« Différent ? Mais merci pour la confiance, je peux très bien m'être mise au karaté ces dernières années tu sais. » Elle imagine bien, que différent ou non, elle ne doit pas faire peur à grand-monde. Luna n’a pas les traits sévères, ni la voix qui porte, encore moins une once d’autorité naturelle. Alors oui, c’est certain que quand menace il y a c’est avec un rire qu’on l’accueil. Mieux vaux être sous estimé que le contraire, non ? Et puis, s’il fait du mal à Harlan elle va lui arracher les yeux. « Il peut se moquer s’il veut, ça ne changera rien. »  Malgré le fait que c’est elle qui s’est lancée sur le sujet des menaces, elle n’en est pas moins étonnée de la conviction qui l’habite en cet instant. Elle ne pense pas, non, elle sait que peu importe qui, comment, pourquoi, c’est lui qu’elle choisirait de croire, de soutenir, de défendre. Si sa tête ne se souvient pas, son cœur lui semble savoir. C’est son frère, sa famille. Qu’on essaie seulement de lui faire du mal pour voir. Elle arque un sourcil quand il lui dit être débrouillard, alors, non, elle ne se souvient pas de grand-chose mais quelque chose lui dit qu’il n’y a rien de plus faux que ça. Il a bien l’air plus capable qu’elle, sachant qu’elle est un désastre ambulant rien d’étonnant ni de surprenant. Mais là où elle sait qu’elle est du genre à se faire oublier, Luna mettrait sa main au feu qu’Harlan est tout le contraire, de ceux qui s’attirent des ennuis sans même essayer.

Au moins, côté cœur, il semble avoir trouvé son bonheur. Elle est persuadée que quand la mémoire lui reviendra plus, bien plus, qu’elle voudra comprendre comment cela a pu arriver. Aimer faire la fête ne veut pas dire qu’on fuit les relations, hors ce détail l’échappe encore vis-à-vis de son jumeau. Elle se perd un instant dans ses pensées, oubliant que tous, ou presque, les mecs sont tous des idiots sans cœurs, pour tenter de se rappeler d’Harlan. Mais les images ne viennent plus, son esprit s’est montré coopératif pendant quelques minutes et semble à nouveau décider de se terrer dans le silence. Elle en entend pourtant encore assez pour cligner quelques fois des yeux, sortir de ses pensées et regarder Harlan, confuse.

« Austin ? » Ce nom.. ne lui dit rien. Quelqu’un qu’elle a connu ? Qu’ils ont connu. Mais vu leur sujet de conversation, ça ne peut qu’être une chose. Et alors qu’il y a encore une heure elle aurait donné son dernier salaire pour connaître l’histoire derrière son cœur brisé, oui parce qu’amnésie ou pas on sait quand on a un chagrin d’amour, elle serait à cet instant prête à tout donner pour ne rien savoir du tout. « Non, je ne connais pas, plus, enfin, je ne me souviens vraiment de rien tu sais. Je pense que tu me reviens parce que tu es là, devant moi. Sinon.. c’est le néant. Je n’arrive pas à me souvenir de quoique ce soit avant cette ville… C’était un de nos amis ? »

Par pitié qu’il ne lui dis pas qu’elle est tombée amoureuse d’un de ses potes, bonne façon de faire dans les clichés mais aussi de créer la zizanie dans une amitié. Puis si c’est cet Austin qui lui a brisé le cœur, elle n’ose même pas imaginer la difficulté que ça a dû être de le voir au lycée, risquer de le voir chez elle parce qu’il est là pour voir son frère, c’est pire. Et elle tente donc de changer de sujet, parce que sérieusement, elle n'est pas certaine de vouloir connaître le fin mot de l'histoire.

« Tu dois me passer ton numéro, j'arrive pas à croire qu'on suit des cours à la même université et qu'on ne s'est jamais croisé avant. Mais.. je ne vais plus t'abandonner, bon je sais je ne t'ai pas abandonné abandonné mais j'ai pas fais d'effort pour me rappeler, alors c'est tout comme. On ne va...  » On ne va plus jamais se perdre de vue, lui dit-elle presque. Luna sait dès maintenant que rien ni personne ne l'empêchera de passer du temps avec son frère, même si elle ne retrouve pas toute la mémoire et doit apprendre à le connaître à nouveau de A à Z. Mais au dernier moment elle s'abstient, parce qu'elle ne se souvient pas de tout et qui sait, ils n'étaient peut-être pas si proche que ça et elle ne compte pas le faire fuir en se faisant passer pour la soeur pot de colle du jour au lendemain. « On peut s'arranger pour se revoir un autre jour ? J'aimerais bien resté là à te parler toute la nuit mais je dois prendre le bus, qui ne devrait pas tarder. »