(terminé) Remnants of a Broken Mind [Harry & Alana]

Remnants of a Broken

Mind

Une certaine réserve déontologique aurait suggéré au docteur Bloom de diriger son patient vers un autre professionnel après avoir découvert qu'il faisait partie des étudiants qui suivaient ses cours. Mais Harry Osborn n'était qu'un élève occasionnel, alors qu'il était un patient assidu avec lequel elle avait déjà entamé un processus de mise en confiance et établi un diagnostique. Certes, Alana donnait certains cours magistraux et quelques conférences à l'université. Mais ses interactions avec son jeune patient, lors de ces occasions qu'ils avaient de se croiser en-dehors de son cabinet, étaient limitées au strict minimum. La prudence était de mise, d'autant plus avec un patient ayant subi autant de traumatismes. Mais tant qu'il n'en manifestait ni l'envie ni le besoin, elle était déterminée à le prendre en charge.

Si elle se fiait aux emplois du temps qu'elle avait eu l'occasion de consulter à l'université, le jeune Osborn devait tout juste sortir des cours au moment où elle l'accueillit une fois de plus au cabinet. Elégamment vêtue de l'un de ses sempiternels tailleurs, le docteur Bloom lui ouvrit la porte tout en lui adressant une ébauche de sourire cordial. Comme chaque fois, elle lui proposa d'ôter sa veste avant de lui intimer avec douceur :

- Installez-vous, Harry.

Elle étendit le bras et désigna d'un geste de la main le fauteuil sur lequel elle l'invitait régulièrement à s'asseoir. Alana ne proposait l'usage du divan qu'en de rares cas, où le patient manifestait ouvertement une envie d'être plus détendu grâce à la position allongée. Ces mêmes rares cas qui nécessitaient un suivi long et méticuleux, et des sessions parfois plus longues et donc, plus éprouvantes. Ce qui n'était pas le cas du jeune Harry. Pas tant qu'elle constatait le progrès obtenu grâce à leurs sessions hebdomadaires.

Alana prit place sur le fauteuil opposé au sien et lui laissa le temps de s'installer. Elle gardait, sur la petite table à côté de son fauteuil, un carnet où elle notait toute information qu'elle jugeait utile aux sessions suivantes. Mais, pour commencer, elle laissa l'objet là où il était et rentra dans le vif du sujet :

- Avez-vous eu des troubles du sommeil ou des angoisses inexpliquées, dernièrement ?

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feat. Peter

Même après tant de séances, ces rendez-vous avec sa psychiatre restent une véritable épreuve pour Harry. Il faut dire que la seule fois où il avait décidé d’accepter l’aide d’un professionnel, ce dernier s’était arrangé pour empirer son mal et altérer ses souvenirs plutôt que de l’aider. Naturellement, et même s’il n’a pas tout à fait conscience de ce qu’il a subi, partagé entre souvenirs reconquis et d’autres enfouis, refoulés, il n’aime pas l’idée que l’on trifouille ses pensées et sa mémoire, d’autant qu’il n’est définitivement pas fier de qui il a pu être, de qui il redoute parfois de redevenir, d’une façon ou d’une autre. Seulement, ici plus encore qu’ailleurs, il ne se voit pas affronter sa situation seule. S’il a décidé d’étudier la psychologie, c’est en partie pour cela, pour réussir à mettre des mots concrets sur ce qu’il est sur ce qu’il a subi…

Le docteur Bloom, il le sait à plus forte raison qu’il suit à présent plusieurs de ses cours, s’avère brillante en plus d’attentive et respectable. Il veut lui faire confiance, dans la mesure de ses capacités à accorder sa confiance à quiconque, ce qui ne rend pas ces rendez-vous moins difficiles pour autant. Ils l’obligent à sonder des parts de lui-même qui aimeraient bien rester enterrées… Ce serait évidemment plus confortable si elles poursuivaient de l’être. Mais ça ne peut pas être aussi simple… Alors même si à contrecœur, même si à reculons, il passe le pas de la porte de son cabinet, il retire sa veste et la dépose sur le porte-manteau et s’installe sur le fauteuil où il a pris l’habitude de s’asseoir, toujours un peu mal à l’aise, toujours un peu tremblant. Et alors, la séance commence, et Harry, parce qu’il sait que c’est nécessaire, accepte de se confier.

« Pas plus que d’habitude », répond tout d’abord Harry, légèrement cynique, quand Alana lui demande s’il a eu des troubles du sommeil, des angoisses inexpliquées.

Il ne se souvient pas de sa dernière nuit de sommeil réparateur, à vrai dire… mais le docteur Bloom attend qu’il se livre, et il est évident qu’il ne peut pas se permettre de rester à la surface de ce qu’il ressent, ou de se protéger derrière une feinte indifférence ou une ironie mordante. Ça peut passer avec d’autres, qui auront l’impression de bien le connaître mais au fond ne savent absolument rien de lui, mais ça ne peut certainement pas, en aucun cas, passer quand il est question de son thérapeute.

« En ce moment c’est toujourss la même chose. Je suppose que c’est parce que les fêtes, ou je sais pas… Je retrouve mon père, c’est jamais exactement la même scène, mais c’est toujours la même chose. Il me supplie de lui pardonner, et je le rejette, et quand je le rejette, c’est parfois… » Il tremble légèrement. « Violent. » Il baisse les yeux. « Et je me sens pire que tout au réveil. » Il marque une pause. « Pas trop dur à analyser, pour le coup, pas vrai ? »

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Mind

Alana attendit patiemment que son patient lui réponde, d'abord avec cynisme, puis plus en détails au sujet de ses cauchemars. Concernant Harry, sa santé physique lui importait autant que sa santé psychique. Cumuler autant de nuits de sommeil destructeur avait un impact catastrophique sur l'organisme et sur le cerveau.

Préoccupée, donc, mais calme et impassible, elle quitta son fauteuil pendant qu'il développait et lui racontait ses rêves en détails, sans jamais cesser de lui accorder son attention. Elle sortit d'un tiroir de son bureau un tensiomètre et s'approcha du jeune homme. Après lui avoir demandé de relever sa manche, elle prit sa tension, comme elle avait pris l'habitude de le faire régulièrement. Ce jour-là, rien de préoccupant. Une très légère hypertension, qui s'expliquait naturellement par ce qu'il lui racontait. Elle en profita aussi pour vérifier s'il avait de la fièvre. Là encore, rien de préoccupant. Elle nota soigneusement les résultats et s'assit finalement au bord de son bureau, mains posées à plat sur le bois.

La question de Harry la fit sourire.

- Tout dépend de ce que l'on veut analyser.

Elle continua de s'adresser à lui avec cet air posé qu'elle adoptait toujours lors des consultations. Elle avait noté mentalement le détail qu'il avait ajouté concernant les fêtes, un temps propice à la nostalgie, car un temps traditionnellement passé en famille. Mais elle décida de garder ce sujet pour plus tard et se concentra donc sur ce qui lui semblait être le plus urgent ce jour-ci :

- J'aimerais que vous me parliez de cette violence. Par quoi est-elle motivée, dans vos rêves ? S'adresse-t-elle entièrement à votre père, est-elle partagée entre vous deux ?

Elle marqua une pause puis ajouta, plus doucement :

- Pensez-vous que cela puisse être un souvenir ?

Le cas Harry Obsorn était délicat. Alana était réticente à l'idée d'user des méthodes trop lourdes sur un esprit aussi jeune. Mais ce même esprit avait subi des expérimentations et des traitements brutaux, qui ne pouvaient que laisser des séquelles. Elle avait l'espoir, à terme, de permettre à Harry de distinguer ses véritables souvenirs de ceux, factices et superficiels, qui lui avaient été imposés par son précédent thérapeute.

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feat. Alana

Tandis qu’il déroule le contenu de son rêve, il voit le docteur Bloom évoluer à travers la pièce et la suit des yeux tandis qu’elle se dirige vers un tiroir pour en retirer ce qu’il comprend être un tensiomètre. Il ne se fait pas prier quand sa psychiatre lui demande de relever sa manche afin qu’elle puisse prendre sa tension. Il était habitué, ça ne le dérange pas, et, bien au contraire, il prend tout naturellement tout ce qu’on daigne lui accorder quand il est question de sa santé mentale. La dernière chose que le jeune homme veuille, c’est d’empirer son état. Il veut aller mieux, il le veut sincèrement, et pour cela, il sait qu’il doit accepter l’aide qu’on lui apporte. Ce n’est pas toujours simple, certes, en revanche, c’est très probablement nécessaire, et il le sait pertinemment. Quand il suggère que son rêve n’est sans doute pas difficile à analyser, le docteur Bloom lui répond avec ce calme et ce naturel qui lui ressemblent tant : tout dépend de ce que l’on veut analyser. Elle a raison, bien sûr.

S’il doit se contenter de sa propre interprétation de ses rêves, il dirait que ces derniers sont ni plus ni moins que l’expression de sa culpabilité envers lui… Parce que oui, son père lui a fait endurer le pire, et il lui doit ses derniers instants, mais au-delà de ces sentiments si forts de haine et de rejet, il y a ce quelque chose dont il n’arrive pas à se départir et ce malgré tous ses efforts : une affection réelle, sincère. Quant à la violence qu’il exprime en rêve, il la voit comme l’expression de celle qu’il renferme, et qu’il a déjà exprimée par le passé… le moyen de se débarrasser du poids qui l’oppresse, et auquel il refuse catégoriquement de céder, pourtant.

« Non, c’est pas que contre mon père », admet Harry quand sa psychiatre lui demande si la violence qui l’anime est uniquement motivée par son ressentiment envers son père. «  C’est contre moi-même… », ajoute-t-il alors, le cœur serré… « Et c’est comme si ça revenait au même », conclut-il en baissant les yeux.

C’était une de ses grandes sources d’angoisse, celle qui justifiait ces nuits au sommeil tout sauf réparateur… L’image de son père et la sienne se confondaient progressivement, et au final ne faisaient plus qu’un. Et Harry est terrifié de non pas devenir comme lui, mais d’être comme lui, et de l’avoir toujours été.

Harry se crispe légèrement, interdit, quand le docteur Bloom suggère que son rêve pourrait bien être un souvenir, un de ceux qu’on avait consciencieusement de sa mémoire pour se jouer de lui.

« Non », dit-il d’abord d’emblée, comme en un mécanisme de protection, avant de se reprendre. Il ne peut pas prononcer ces mots en les pensant réellement. C’est bien plus complexe que cela. « Enfin… je ne pense pas… Je crois que c’est vraiment ma… » Il se racle la gorge. « Hum. Ma mort, qu’il me demandait de lui pardonner. »

Mais maintenant, il n’en est plus complètement sûr. Et si jamais il se trompait ?

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Harry était un jeune homme intelligent. Un jeune homme intelligent, qui en plus de cela voulait véritablement aller mieux. Alana savait qu'il n'était pas comme certains de ses patients qui, réticents à affronter leur inconscient, devaient être guidés et interrogés en permanence. Elle le laissa donc développer de lui-même ce qu'il voulait lui confier, et continua de l'écouter attentivement.

- Lui pardonnez-vous ? l'interrogea-t-elle finalement, intéressée par cette notion de pardon chez Harry.

Le diagnostique qu'elle avait posé officiellement était celui de stress post traumatique chronique. Mais cette récurrence de cauchemars lui faisait craindre l'apparition prochaine de crises oniriques. L'onirisme se caractérisait surtout par des hallucinations et des illusions visuelles menaçantes. Mais ces hallucinations pouvaient aussi être auditives ou tactiles et impliquer plusieurs sens à la fois de façon désordonnée et changeante. Lors de crises oniriques, le rapport du sujet au monde était bouleversé, mais il pouvait garder une certaine continuité avec le monde extérieur. Alana suspectait déjà que son patient ait vécu cet état d'onirisme par le passé, si elle se fiait à ce qu'il lui avait raconté. Notamment au sujet de ses transformations en hobgoblin.

- Les cauchemars récurrents surgissent quand une personne est incapable de reconnaître consciemment un conflit qu’elle a dans la vie réelle. Ce peut être un symptôme de stress post-traumatique ou l’expression d’une difficulté à accepter ses propres traits ou ceux d’une situation déterminée. Comme cela se maintient sur le plan de l’inconscient, la seule expression possible se fait à travers ces rêves angoissants. Vos rêves possèdent un contenu traumatique et obsédant. Je pense qu'il s'agit d'une tentative de votre inconscient pour intégrer vos chocs passés de façon psychique.

Elle le fixa un instant, non sans empathie.

- Mais les cauchemars ne sont ni inéluctables, ni incontrôlables. Les cauchemars, lorsqu'ils n'apparaissent qu'occasionnellement, ont une utilité. Ils cessent cependant de remplir leur fonction lorsqu'ils deviennent chroniques, comme dans votre cas.

Elle saisit une feuille d'ordonnance et la remplit avant de la tendre à son jeune patient.

- J'aimerais vous prescrire des anxiolytiques légers, à prendre chaque soir avant de vous coucher afin d'améliorer la qualité de votre sommeil.

La psychiatre marqua une pause, adressa un bref sourire à Harry.

- J'aimerais également tenter avec vous la thérapie par répétition d'imagerie mentale. C'est l'une des procédures les plus efficaces dans le traitement des cauchemars récurrents.

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feat. Peter

Harry fait doucement non de la tête quand la psychiatre lui demande s’il est capable – non pas s’il est capable de lui pardonner mais s’il pardonne à son père. Une part de lui a envie de se dire que la réponse devrait être évidente : son père l’a torturé psychologiquement, il l’a manipulé, il a fait de sa vie un enfer, et il a perdu la vie à cause de lui : il est des choses qui sont impossibles à pardonner, et pourtant… pourtant… il ne peut pas prétendre que la réponse à cette question est si évidente que cela. Elle ne l’est pas. Malgré tout, après mûre réflexion, il reste certain de sa réponse au moment de l’adresser au docteur Bloom.

« Non, je ne le lui pardonne pas… Mais je crois que j’en ai envie. »

Parce qu’au-delà de tout ce qu’il lui a fait subir, en dépit du fait que Norman Osborn ait très certainement été l’homme le plus monstrueux que le jeune homme ait jamais connu, il garde pour lui un amour filial qu’il ne parvient pas à ignorer ou à négliger. Il n’est pas fier de cela, et pourtant il lui faut faire face à ce qui est, là réalité de ses émotions. Ce n’est qu’en acceptant de les regarder bien en face qu’il parviendra – peut-être – à dépasser son traumatisme.

Tandis qu’Alana donne à ses rêves une dimension quelque part plus rationnelle en les associant aux troubles qu’il cherche à surmonter, Harry réussit à se sentir quelque part rassuré. Au fond, il a besoin de cela, de ressentir qu’il y a des mots très concrets à mettre sur ce qui, quand on est encore saisi par son propre cauchemar, peine à être rationalisé. La psychologie a beau être le domaine d’études de Harry, il a clairement besoin d’expériences du genre pour se sentir ne serait-ce qu’un peu réconforté. Mais cela ne suffit pas à résoudre, bien évidemment, ses trop nombreux problèmes.

« Ce n’est pas trop… addictif, comme médicament ? » demande-t-il avec réticence.

Il n’aime pas trop l’idée de devoir prendre des anxiolytiques, ou n’importe quel médicament au demeurant. Il sait en reconnaître les vertus en soi, mais il n’aime pas l’idée qu’un procédé chimique, peu importe lequel, le plonge dans un état où il ne sera pas tout à fait lui-même. Il a besoin de garder un certain contrôle, somme toute. Un comble, c’est certain, quand on a été soumis à un processus d’hypnothérapie pendant aussi longtemps. Mais c’est aussi pour cette même raison sans doute qu’il est si réticent à tout abandon, même léger, de la pleine conscience qu’il a de lui-même.

« Vous allez me demander de visualiser mon cauchemar, c’est ça ? »

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Alana hocha la tête. Harry avait envie de pardonner à son père, ce qui était un grand pas.

- C'est là-dessus que nous travaillerons lors des séances à venir, dans ce cas.

Elle perçut l'hésitation de Harry au sujet des anxiolytiques. Elle n'en était pas surprise. Ce jeune homme redoutait la perte de contrôle. Veillant à s'adresser à lui avec calme, elle tenta de le rassurer en lui expliquant posément sa décision :

- La dépendance est un risque. Mais c'est un risque qui n'intervient qu'après un traitement prolongé. Ce qui n'est pas ce que je recommande, pour le moment. C'est un essai. Deux semaines, à faible dose. Les anxiolytiques sont une aide ponctuelle, Harry. Avec ceux que je vous ai prescris, l'effet secondaire que vous risquez de subir est la somnolence. C'est pour cette raison que je vous suggère de les prendre le soir. Mais il ne tient qu'à vous d'accepter ou non.

Lorsqu'il l'interrogea sur le traitement qu'elle suggérait ensuite, elle eut un léger sourire.

- Oui. Mais pas uniquement.

Elle se redressa et adopta une attitude quasi professorale afin de lui expliquer sobrement :

- Ce traitement consiste à imaginer volontairement votre cauchemar, puis à réfléchir à la façon dont vous pouvez le modifier, avec le plus de détails possible, pour qu'il se termine mieux. C'est un exercice d'imagination, et j'insiste sur ce point. Vous pouvez changer les intervenants de votre cauchemar, les conversations, l'environnement... Tout ce qui est anxiogène et qui provoque ce sentiment d'horreur et d'impuissance. Le but est de créer des scènes agréables qui vont vous permettre de contrer l'apparition d'images désagréables lors de la pratique de la visualisation.

Alana contourna son bureau, prit dans l'un des tiroirs du meuble un carnet vierge et un stylo, qu'elle confia ensuite à son patient.

- Je vais donc vous demander de modifier le contenu de votre cauchemar. Pour être plus claire, de le réécrire avec une description détaillée de ces nouvelles images. Une fois votre rêve réécrit, je vous donnerai l'exercice suivant : le visualiser mentalement, le matin au réveil et le soir juste avant le coucher. Yeux fermés, dans le calme. L'intérêt de cet exercice est que la répétition permettre à votre esprit de transférer ce rêve réinventé au cauchemar, comme une continuité. Et, ainsi, de vous libérer de votre sentiment d'angoisse. Dans votre cas, je vous suggère que nous en profitions pour travailler sur cette notion de pardon envers votre père.

Elle marqua une pause, afin de lui laisser le temps de digérer toutes ces informations. Puis elle reprit avec cette même neutralité teintée de douceur qui la caractérisait lorsqu'elle était en présence d'un patient :

- Je ne peux pas vous garantir l'éradication de vos cauchemars. Mais cette méthode s'est révélée efficace pour raréfier ce phénomène et, si les cauchemars persistent, pour les rendre moins angoissants malgré tout.

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feat. Peter

Harry est à la fois satisfait et inquiet du degré de confiance qu’il est capable de placer dans sa psychiatre. Satisfait, parce qu’avant d’entamer sa thérapie avec elle, il avait été tout sauf certain d’être véritablement capable de confier ses troubles à qui que ce soit (et quand bien même c’est effectivement le cas, il lui aura tout de même fallu du temps avant de parvenir à s’exprimer sans détour et en toute transparence en compagnie de son interlocutrice), inquiet, parce qu’établir ce degré de confiance revient à baisser sa garde, et il se pense bien placé pour savoir que c’est rarement une bonne chose. Aussi, peut-il la croire quand elle affirme qu’elle ne croit pas dans un risque de dépendance le concernant, qu’elle se contentera d’un traitement de deux semaines, à faible dose ? Harry pourrait suggérer que c’est une porte ouverte à tout ce qu’il ne veut pas, mais en même temps, il ne peut s’empêcher de se dire que le docteur Bloom le connaît bien, et que pour cette raison, elle n’agira jamais à l’encontre de ce qui est réellement bon et nécessaire pour lui. Alors il hoche la tête. Il ne peut de toute manière pas rejeter d’un bloc l’aide qu’on lui propose, il n’a que trop besoin du soutien, des conseils et de l’oreille attentive de sa psychiatre.

Alors que le docteur Bloom poursuit en explicitant ce qu’elle entend par thérapie par répétition d’imagerie mentale, Harry a l’impression de se retrouver sur les bancs de la fac, tandis que l’efficace enseignante lui parlerait de ces méthodes innovantes qui peuvent permettre de débloquer les situation les plus désespérées en apparence. Pouvoir l’écouter avec l’attention qu’un élève apporterait à son professeur (ce qu’ils sont dans un autre contexte) convient bien à Harry, cela lui permet, un temps du moins, de se dissocier de cette situation pour en faire quelque chose de très théorique, en parvenant presque – mais pas tout à fait – à négliger le fait qu’il lui faudra mettre en œuvre les recommandations de sa psychiatre en temps voulu.

Devoir imaginer volontairement son cauchemar est un exercice qu’il estime par essence éprouvant… Faire en sorte de modifier ce qu’il y trouve d’anxiogène pour simplifier les choses, ça lui paraît presque impossible tant tout serait à revisiter dans ce cas. Quand il se saisit du carnet vierge et du stylo que le docteur Bloom lui tend, Harry a tout autant l’impression qu’elle lui confie une tâche tout à fait impossible, en réalité. Mais ne serait-ce que poser le contenu dudit cauchemar noir sur blanc serait sans doute un bon début. Il relève les yeux des deux objets quand la psychiatre ajoute que ce la devrait l’aider de faire en sorte que ces phénomènes se fassent plus rares et moins angoissants.

« Vous voulez que j’écrive ça maintenant ? » demande Harry avec une légère hésitation ? « Vous allez le lire ? » Il laisse passer un temps de pause… « Je sais pas moi-même comment il faudrait que je modifie mon cauchemar… Je crois pas que m’imaginer pardonner à mon père m’aiderait à aller mieux », ajoute-t-il d’une voix plus hésitante encore.

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Le jeune homme était hésitant. Ce qui n'était pas surprenant. Il était plus simple de se souvenir d'un cauchemar que de s'y confronter consciemment, en plein jour et avec suffisamment de distance pour pouvoir en écrire le contenu. Pourtant, c'était un exercice efficace. Le simple fait de poser des mots sur des situations aussi angoissantes pouvait permettre à Harry de prendre du recul sur ses frayeurs nocturnes.

- Oui, le mieux serait que vous l'écriviez maintenant. Si vous n'avez pas le temps de finir, je vous demanderai de continuer chez vous et de ramener ce que vous avez écrit lors de notre prochaine séance.

Les préoccupations de son jeune patient étaient pertinentes et légitimes. Ce n'était pas une attitude innée que de laisser l'accès à ses pensées les plus intimes à une tierce personne. Mais en psychiatrie, c'était une nécessité. Consciente de l'effort qu'il fallait déployer pour baisser la garde et accepter de se soumettre à ses directives, Alana adopta la posture la plus réconfortante possible et continua de lui expliquer avec calme :

- Je le lirai si vous m'y autorisez. Libre à vous de me laisser le lire ou non, mais je ne pourrai pas vous apporter mon aide dans cet exercice si vous ne partagez pas ce que vous avez écrit avec moi.

Une thérapie n'était toujours qu'une question de choix. On ne pouvait forcer un patient à aller mieux, et on pouvait encore moins le forcer à être sérieux. Pourtant, elle savait que ce jeune homme-là voulait sincèrement surpasser ses traumatismes. Elle posa délicatement une main sur son avant-bras, un geste à la fois destiné à l'apaiser et à l'encourager.

- Commencez par écrire votre cauchemar, Harry, lui intima-t-elle avec détermination, mais sans brusquerie. Avec le plus de détails possible. Et quand vous aurez terminé, nous pourrons réfléchir ensemble à ce qu'il faut modifier pour que ce soit moins angoissant. Vous êtes en sûreté ici. Cet exercice ne vous rendra pas vulnérable, il permettra au contraire à votre esprit d'obtenir une défense supplémentaire.

Elle eut une ébauche de sourire suite aux derniers propos de son patient.

- Vous n'êtes pas certain que cela vous aide à aller mieux, pourtant cela fait plusieurs fois que vous revenez sur le fait de pardonner à votre père, observa-t-elle doucement, attentive à ses réactions.

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feat. Peter

En cet instant, Harry n’a plus tant le sentiment d’être un patient en présence de sa psychiatre qu’un élève en présence de son professeur, à qui l’on demanderait de rédiger une dissertation, et qui redouterait de ne pas le faire convenablement (sentiment familier pour lui qui, à force de viser l’excellence afin de ne surtout pas décevoir son père, s’est bien souvent retrouvé dans des situations où même un résultat correct lui paraissait malgré tout insuffisant). Pourtant, ce n’est pas un devoir détaillé qu’on lui demande de faire, juste la description altérée de son cauchemar. Bon sang, que l’exercice lui paraît fastidieux malgré tout ! Harry aimerait pouvoir se l’épargner, ou qui sait, trouver une échappatoire, mais dans les faits, il est ici, en présence de sa psychiatre, et il sait pertinemment que l’exercice que lui demande cette dernière n’a vocation qu’à l’aider, une aide qu’il ne peut tout bonnement pas refuser. Alors, même si l’idée le rend assez inconfortable, il accepte de se plier à l’exercice d’un léger hochement de tête.

Il se sent quelque part un peu soulagé d’entendre qu’il n’aura pas l’obligation de lire à sa thérapeute ce qu’il aura écrit. Cela lui apporte immédiatement un agréable sentiment de réconfort. Et même, le convainc davantage de bel et bien confier ses écrits à son interlocutrice. Il a besoin de cela, d’avoir l’opportunité du choix. Quelque part, ça le soulage… ça ne va pas rendre l’exercice beaucoup moins laborieux pour autant, certes, mais tout de même un peu – ou en tout cas, c’est ce qu’il a envie de croire pour sa part.

« D’accord », consent-il doucement, le regard baissé sur son papier et son stylo, alors qu’elle lui demande de décrire son cauchemar de la manière la plus détaillée possible, lui rappelant qu’il est dans un cadre sûr et réconfortant ce qui, il le sait, est effectivement vrai. De même qu’il est vrai que quelque part, quelque chose se dénoue en lui, sans quoi il ne reviendrait pas sur ce pardon qu’il pourrait être susceptible d’accorder à son père.

Alors il prend une grande inspiration et ferme les yeux un instant, comme pour se remettre en mémoire la situation initiale de son rêve. Il tremble légèrement, comme s’il redoutait que ce seul exercice ne l’y replonge aussitôt, mais il parvient à se distancier de cette exercice. Tentant de décrire les faits avec une certaine distance, donc, il parle de lui à la troisième personne, comme s’il surnageait son rêve sans en être le protagoniste. Il se voit distinctement se préparer un café qu’il oubliera de boire, puis entendre des coups répétés à la porte, il se souvient l’hésitation au moment d’ouvrir et sait étonnamment bien décrire l’expression sur le visage de son père, qui l’attend de l’autre côté. Le reste, leurs lignes de dialogue, son un peu floues… Il sait qu’à un moment donné, son père s’agenouille et croise les mains, comme en prière, pour le supplier de lui pardonner, puis ses doigts agrippent sa chemise, fermement, presque violemment… Il s’arrête là, marque une légère pause, lève les yeux vers Alana.

« Je n’arrive pas à me souvenir du reste. »

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L’application de Harry au moment de se mettre à écrire était bon signe, selon Alana. La réserve du jeune homme était naturelle, et était même un réflexe qu’elle saluait. Mais il était consciencieux, et déterminé, deux qualités qu’elle appréciait tout particulièrement chez ses patients. Alana s’était spécialisée, entre autres, dans les drames familiaux et le cas de Harry entrait par définition dans son domaine d’expertise. S’il y avait bien un patient pour lequel elle était décidée à trouver des solutions, c’était lui. Non pas tant par affect que par empathie, en vérité.

Elle s’effaça volontairement pour le laisser se plonger dans son rêve et dans l’écriture de celui-ci. Elle garda donc le silence, baissant les yeux sur ses notes, songeant à la suite de la thérapie. C’était un cas complexe que celui de Harry Osborn. Fragile. Lorsqu’ils étaient tous deux plongés dans le cadre secret et sûr de son cabinet, Alana ne se faisait aucun inquiétude quant à l’attitude de son patient. Mais elle redoutait les influences extérieures. L’esprit de Harry était encore malléable, heurté par des années d’abus et de séances d’hypnothérapies qui avaient considérablement endommagé sa mémoire et son inconscient.

Lorsqu’il releva les yeux de son carnet et annonça qu’il ne se souvenait pas de la fin de son cauchemar, Alana l’observa de son regard pénétrant et l’interrogea après un temps de silence, d’une voix volontairement neutre :

- N'y arrivez-vous pas, ou ne voulez-vous pas vous en souvenir ?

Ce n’était pas tant à la conscience de son patient qu’elle s’adressait à cet instant, qu’à son inconscient. Elle adoucit ses suspicions d’un sourire avant de poursuivre d’un ton docte :

- Dans le premier cas, je peux vous y aider. Dans le second, je ne peux guère vous forcer.

Elle choisit de ne pas l’interroger immédiatement sur le contenu de ce qu’il avait écrit, mais de se concentrer  plutôt sur son état actuel :

- Que ressentez-vous à présent que vous avez écrit votre rêve ?

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feat. Peter

La psychiatre a le don de lire en lui mieux que lui-même. Logique, sinon, elle serait sans doute une mauvaise psychiatre, mais ses questions, toujours profondes et pertinentes, n’en sont pas moins déroutantes aux yeux de Harry qui doit alors remettre en question des propos formulés avec ce qu’il pensait être la plus grande honnêteté avant d’accepter qu’ils soient remis en question. Est-ce qu’il est vraiment incapable de se remémorer la fin de son souvenir, ou est-ce qu’il ne le veut pas ? La question, il s’en rend compte, se pose bel et bien… Il hésite, constatant que c’est peut-être un mélange des deux, en réalité.

Harry n’est pas de mauvaise volonté, il ne parvient bel et bien pas à se souvenir, mais si c’est le cas, c’est très probablement parce que le cœur n’y est pas : et en effet : il n’a pas envie de se souvenir… parce qu’il est compliqué d’affronter ce cauchemar si frontalement. Il comprend aisément ce qu’il retirera d’en devenir un acteur actif plutôt qu’un protagoniste tout à fait passif, mais ce n’est pas pour autant qu’il éprouve de véritable facilité à voir cette réalité en face… Mais il le faut, il sait que c’est ce pas qui est le plus difficile à franchir, mais c’est justement parce qu’il est le plus difficile qu’il est certainement également le plus nécessaire, et Harry n’a surtout pas le droit de s’y dérober, sous aucun prétexte.

« Et si je n’arrive pas à me souvenir parce que je n’ai pas envie ? » suggère-t-il quand même à voix haute avant de prendre la mesure de ce qu’il estime être une effronterie déplacée. Il marque une pause hésitante avant de reprendre… « Il y a une manière d’aider tout de même ? »

Il sait qu’il doit prendre sur lui et essayer d’abattre cette barrière mentale, mais l’aide du professeur Bloom ne lui serait très clairement pas de refus pour cela. Il a bien peur d’être tout à fait incapable d’y parvenir uniquement par lui-même. Il sait qu’il doit insister, mais il ne veut pas s’y prendre de la mauvaise manière et se braquer encore davantage, il en est tout à fait hors de question.

« Je me sens… vidé », reconnaît Harry après avoir réfléchi à son ressenti après avoir jeté son rêve sur le papier.

Il aimerait pouvoir parler de soulagement, mais ce n’est pas vraiment le cas, ce qu’il éprouve, c’est plus une sorte de léthargie qui s’apparenterait davantage à une profonde fatigue qu’à la sensation de s’être délesté d’un poids. Il ne trouve pas une meilleure façon de parler de cette sorte d’état d’abattement. Il a l’impression que ce rêve est devenu plus tangible à présent qu’il l’a jeté sur le papier, qu’il est plus accessible aussi, et il ne sait pas vraiment si ça l’inquiète ou si ça le rassure, en réalité… C’est comme si ce rêve avait encore davantage le pouvoir de le poursuivre, et dans le même temps, sa présence noir sur blanc le rend peut-être un peu moins effrayant.

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Alana ne réagit pas d’abord pas à la suggestion de son patient. Imperturbable, elle attendit qu’il poursuive de lui-même. C’était la seule manière de savoir à quel point il était sur la défensive. Après qu’il lui ait demandé si elle pouvait l’aider quand même, elle acquiesça sobrement.

- Bien sûr. Je suis là pour ça.

Ses yeux clairs scrutèrent le visage de son patient avec une implacable neutralité. Elle ne releva pas ses effronteries et se concentra plutôt sur les craintes que reflétaient une telle attitude :

- Mon but, en tant que thérapeute, n’est pas de vous faire souffrir, Harry. Ma seule intention est de vous aider et de répondre à vos besoins.

Elle le répéterait autant de fois que nécessaire. La méfiance de son jeune patient était légitime et elle ne lui en tenait pas rigueur le moins du monde. Mais elle avait besoin de s’assurer, en permanence, qu’il soit toujours volontaire.

Le sentiment de vide évoqué par le jeune homme attira son attention. Alana se déplaça tout en continuant de s’adresser à lui d’un ton posé :

- C’est naturel que vous ressentiez une baisse d’énergie. Actuellement, vous êtes plongé dans un état proche des conditions requises pour l’hypnose. Vous venez de faire un exercice mental complexe, qui non seulement vous demande des efforts de mémoire mais également de contrôler vos réactions inconscientes.

Elle revint auprès de lui après quelques secondes, lui tendant un verre d’eau.

- Buvez. Ce n’est que de l’eau et du sucre, mais ça devrait vous donner un regain d’énergie.

Elle attendit qu’il accepte le verre avant de revenir s’asseoir dans son fauteuil, jambes croisées. Son regard scruta une nouvelle fois le visage du jeune homme. Enfin, constatant que la fin de leur séance approchait, elle lui donna ses instructions :

- Je propose que nous travaillions sur la suite de votre cauchemar au cours des prochaines séances. En attendant, j’aimerais que vous emportiez ce carnet chez vous et que vous réfléchissiez à une manière de détourner ce que vous avez écrit pour que vous puissiez y songer avec de moins en moins d’angoisse. Je vous suggère de commencer par repérer les éléments anxiogènes, ou ceux qui vous mettent mal à l’aise. C’est sur ces éléments que vous allez devoir vous concentrer, et ce sont ces éléments que vous allez devoir modifier. Je sais que ce n’est pas un exercice facile, Harry, mais vous pouvez prendre tout le temps dont vous avez besoin pour l’accomplir. Ce n’est pas grave si ce n’est pas terminé avant notre prochaine séance. Essayez néanmoins.

Remnants of a Broken Mind

feat. Peter

Bien sûr, Harry sait que l’intention de sa thérapeute n’est pas de lui faire du mal, mais que ce soit dans son intention ou non, les circonstances font bel et bien qu’il ne se voit pas passer cette épreuve sans souffrance, et on ne peut jamais être complètement préparé à la somme de souffrance que l’on est supposé endurer sous le prétexte de se sentir mieux, ensuite. Quand il est question de son père, Harry sait pertinemment qu’il ne pourra qu’avoir mal, qu’il est impossible qu’il en soit autrement. Qu’importe combien il luttera contre cela, ce sera sans doute inévitable, et il n’aura d’autre choix que de faire avec. Alors oui, il ne présume pas de l’intention d’Alana de lui faire du mal, mais quelques soient ses intentions, en revanche, il est convaincu qu’il aura mal malgré tout, et ça ne lui plaît pas le moins du monde pour autant. Il est encore beaucoup de barrières mentales qu’il a peine à briser, au risque de se retrouvé démuni, vulnérable : plus démuni et vulnérable qu’il ne l’est déjà, en somme.

Quand il comment son état, Alana le rassure en affirmant qu’une telle baisse d’énergie est logique, il grimace légèrement quand il ajoute qu’il se trouve dans un état proche des conditions requises pour l’hypnose : ce mot, ce simple mot lui fait froid dans le dos. D’une main tremblante, il s’empare du verre d’eau sucrée que lui tend sa thérapeute et en boit une grande gorgée tandis que le docteur Bloom prend place dans le fauteuil face au sien, croisant les jambes.

Elle reprend alors la parole, et Harry, de son côté, reconnaît que l’ingestion de son verre lui fait un semblant de bien. Elle lui apprend alors que leurs prochaines séances seront consacrer à la suite de son cauchemar… Il sent déjà que c’est une chose qui va le hanter jusqu’à leur prochaine séance, et qui va la lui faire appréhender autant qu’il souhaitera y assister. Il hoche la tête comme un élève attentif qui écouterait les directives d’un professeurs (ce qu’ils sont en partie) : isoler les éléments anxiogènes et qui le mettent le plus mal à l’aise, et trouver un moyen de les modifier. Elle a raison de le souligner : ce ne sera pas un exercice facile, mais il sait bien que s’il veut exorciser ses démons pour de bon, aucun exercice ne le sera quoi qu’il en soit : c’est comme ça et il doit l’accepter, tout simplement.

« D’accord », consent-il après avoir laissé peser sur eux quelques secondes – peut-être un peu trop longues – de silence. « J’essaierai, c’est promis. » Il pousse un profond soupir. « Je suppose qu’on s’arrête là ? »

Pour aujourd’hui. Mais la prochaine fois, le retour de son père, en chair et os, altèrera la nature de leur futur entretien.

Remnants of a Broken

Mind

Elle ne l'aurait pas formulé en des termes si triviaux à voix haute, mais Harry était un jeune homme qui n'était pas dénué de bravoure. Bien au contraire. Il en fallait, pour accepter de faire un tel travail sur soi après avoir subi tant d'horreurs. La souffrance qu'il ressentait était naturelle et, malheureusement, nécessaire. C'était cette même souffrance qui lui faisait prendre conscience de ce qu'il avait subi et subissait encore par la faute de ce père abusif.

Harry n'aimait pas l'idée d'avoir à souffrir plus que nécessaire. Ce qui était une réaction de défense légitime, et même rassurante. Nombreuses étaient les victimes qui préféraient donner raison à la souffrance ressentie et s'y complaire par instinct paradoxal de préservation. Car la souffrance, c'était quelque chose qu'elles connaissaient et qu'elles savaient encaisser, contrairement à cet inconnu déstabilisant qu'était la guérison.

Son patient garda le silence, un silence qu'elle respecta. Elle lui laissa le temps de la réflexion et, dans le but de ne pas l'intimider ou le faire douter, mit fin à son observation et détourna au contraire les yeux, feignant de s'intéresser à ses notes. Le regard d'autrui pouvait être déstabilisant, encore plus pour ses patients. Et s'il était souvent utile d'observer leurs réactions pour mieux interpréter ce qu'ils taisaient, l'heure était passée de l'analyse silencieuse. Elle craignit, dans un premier temps, qu'il ne se précipite à accepter, ce qui l'aurait aussitôt rendue sceptique. Accepter trop facilement, c'était en fin de compte prendre le risque de ne pas s'investir dans l'exercice demandé. Mais, à son plus grand soulagement, Harry prit tout le temps nécessaire avant de prendre sa décision.

A sa dernière question, elle reporta son attention sur lui et hocha la tête.

- Oui.

Il ne servait à rien de le tourmenter davantage, sous peine de voir tout le progrès qu'ils avaient fait partir en fumée. Elle se leva de son siège et le raccompagna jusqu'à la porte.

- N'oubliez pas que vous pouvez me contacter en-dehors de nos séances, Harry. Si vous avez besoin de venir me parler, appelez-moi et je trouverai un créneau pour vous. Essayez de ne pas vous isoler, et ménagez-vous.

Leur prochaine séance serait cruciale. Il méritait bien un peu de répit d'ici là, même si les circonstances en décideraient finalement autrement.