Rencontre surprenante

Cela faisait un moment que Harry n’était pas retourné en cours. Les derniers événements, puis son retour chez son père, l’en avaient dissuadé. L’an prochain, il suivrait le cursus que son père avait choisi pour lui… Mais quand on commence quelque chose, il faut le terminer, et à l’approche de ses partiels, il avait voulu passer chacun de ses examens, sans exception. En espérant les réussir. Ses diplômes, s’il les obtenait, ne lui serviraient probablement pas à grand-chose (dans tous les cas, son père dirait que ces diplômes n’auraient servi à rien même s’il était allé au bout de son cursus), mais c’était une question de principe… et une question de fierté, aussi, sans doute.

Quoi qu’il en soit, dernièrement, il est plus assidu, à la fac. Ça lui permet de renouer rapidement avec certains de ses camarades… ça lui permet de passer du temps avec Abigail… de passer du temps loin de son père. Et c’est à la fois une bonne chose et une chose dangereuse. Il aurait envie de revenir en arrière, de retrouver son vieil appartement miteux, et de vivre loin de l’emprise de son géniteur… et en même temps, il est toujours impatient de rentrer chez lui, enfermé dans ce cocon paternel qui lui évite de trop réfléchir, de se poser des questions auxquelles il n’a pas envie de trouver de réponses, au risque que ces dernières fassent mal, voire même beaucoup trop mal.

Harry, comme tous les soirs, ne cédera donc pas à la légère envie de faire machine arrière et rentrera gentiment au bercail. Enfin… gentiment…. C’est sans compter sur le monstre qui sommeille en lui, et qu’il est loin, très loin, de contrôler comme il le voudrait. Dernièrement, les doutes, la fatigue, la colère, sa culpabilité vis-à-vis de la pauvre Manon, qu’il mène en bateau dans l’intention de la livrer tôt ou tard à son père, font excessivement mauvais ménage avec le reste de ses résolutions… les choses ne pouvaient probablement que mal finir.

Il a compris qu’il se transformait quand il était déjà trop tard pour faire marche arrière. Quoi qu’il en soit, il n’en avait pas la moindre envie. Quand le Hobgoblin s’exprimait, Harry se sentait libre, libre d’exprimer sa rage, libre d’exprimer sa souffrance, libre d’exprimer sa colère. Quand il devient le Hobgoblin, il n’est plus tout à fait lui. La créature imposante, d’un orange vif, prend toute la place. C’est elle qui élève sa voix dans un grognement qui fait trembler tout ce qui l’entoure, qui bouscule les véhicules et malmène les passants… avec une violence affirmée. Il ne devine pas que dans l'ombre, et depuis un moment, quelqu'un l'observe.

Rencontre surprenante

Sa voix résonne à ses oreilles… une voix inconnue, mais un ton étrangement familier. Il sourit avec un sourire. La créature ne veut pas y prêter garde et poursuivre son œuvre destructrice, mais quelque chose en lui, cette part de conscience qui ne lui appartient pas vraiment et que l’on assimilerait plutôt à l’autre lui, celui qui ne bataille plus vraiment pour revenir à la surface, et attirée par cette voix qu’il découvre appartenir à une silhouette encapuchonnée. Il a voulu le distraire de ses actions violentes… et ça fonctionne. Il ne s’intéresse plus à tous ceux qu’il heurtait ou blessait, indifféremment, il s’intéresse à cet homme dont il ne comprend pas s’il est suicidaire ou pense vraiment pouvoir s’attaquer – même verbalement – au Hobgoblin sans en payer de sévères conséquences.

Affronter quelqu’un à sa taille ? Cela ne fait pas partie des considérations de la créature, qui ne raisonne plus vraiment d’une manière qui puisse être qualifiée d’un tant soit peu morale. Le Hobgoblin détruit pour détruire, il détruit dans un élan violent et rageur, il ravage avec rage, sans la moindre considération pour ceux qui l’entourent : jeunes, vieux, petits, grands, forts, faibles… cela lui est totalement égal. Quand Harry Osborn pourrait éprouver quelques cas de conscience moral, le Hobgoblin, lui, ne se pose pas tant de question… Mais même quand ce dernier prend le contrôle, il n’est jamais totalement aux commandes. Son hôte gratte constamment à la surface de sa conscience, et cet hôte est intrigué par cette silhouette qui lui fait face. Cet homme affiche une étrange bravoure… celle que l’on impute aux super-héros. Même si l’héroïsme peut se découvrir chez le tout-venant. Et souvent dans des situations d’urgence qui vous obligent à tout remettre en considération.

« Qui es-tu ? »

Sa voix est caverneuse, comme surgie d’outre-tombe. Il a besoin d’obtenir la réponse à ses questions, il a besoin de comprendre ce qu’il en est, il a besoin de comprendre, il a besoin de savoir ce qu’il peut bien en être. Partagé entre sa monstruosité et l’humanité qu’il renferme, les deux cherchent à cohabiter au sein d’un même corps titanesque. Attend-il vraiment une réponse de la part de cet homme. Sans doute que oui, en effet, mais quoi qu’il en soit, il est loin de savoir complètement appréhender la situation qui l’accapare et qui semble, à ses yeux, inédites… quoi que, dans le même temps, étrangement familière, aussi, sans qu’il ne puisse ni ne sache expliquer précisément pourquoi.

Rencontre surprenante

Un spider que tu ne connais pas… Si son adversaire voulait attirer pour de bon sa pleine et entière attention, il ne pouvait pas mieux s’y prendre, en effet… Le résultat est immédiat, sans appel… Harry et les araignées… C’est une longue histoire, d’amour et de haine… Que ce soit avec celle qu’il a toujours connu, ou bien celles dont il fera tout juste connaissance… Ce n’est jamais simple, ce n’est jamais anodin, ce n’est jamais apaisé… Un Peter Parker de plus à ajouter à la longue liste de ceux qui lui feront du mal… ou à qui il fera du mal… ou les deux, va savoir… l’issue de cette confrontation est encore bien incertaine… Elle l’est d’autant moins que la mention de ce mot, « spider », réveille la conscience de Harry mieux que n’importe quoi d’autre, et dès lors, le Hobgoblin n’est plus tout à fait seul aux commandes.

Il ne se retransforme pas pour autant. Les sens en alerte, il laisse malgré tout la part belle à sa forme la plus redoutable et la plus remarquablement dangereuse. Il veut en découdre avec ce Spider, partagé entre une rage violente et sourde, celle qui anime toujours le moindre geste de la créature… et quelque chose d’étrangement plus apaisé, une curiosité plus humaine, quoique malsaine malgré tout.

« Tu ne sais pas qui je suis », répète la créature, toujours de cette voix caverneuse qui peut laisser imaginer le pire. « Crois-moi, tu vas te souvenir de moi », dit-il alors tout en balayant d’un revers de sa main immense l’espace autour de lui dans l’intention de bousculer son adversaire et de l’écraser contre le mur le plus proche. « Tu te souviendras du Hobgoblin. Tous les spiders comme toi finissent par s’en souvenir », ajoute-t-il, l’air mauvais.

En cet instant, il semblerait bien qu’il y ait davantage de Harry que de la créature qui s’exprime réellement. C’est la première fois que le jeune homme voit ses deux personnalités cohabiter de manière si évidente. D’habitude, les deux sont en conflit constant, ses émotions dominantes décident pour lui de qui il est… Là, tout de suite, Harry se doit peut-être de faire un constat qu’il aurait sans doute voulu s’épargner.

Il n’est pas Dr Jekyll et Mr. Hyde, il ne peut pas se dissocier totalement des actes absolument terribles commis par son alter ego… car son alter ego n’en est pas un. Ce n’est pas un autre soi. C’est lui, uniquement lui, le monstre qu’il est devenu. C’est Harry aux commandes d’un corps monstrueux, et qui, au moment de se découvrir en présence d’un autre spider, laisse son esprit tourmenté décider pour lui de la parche à suivre. Ce n’est pas seulement la colère qui guide ses actions en cet instant, mais il n’est pas dit que la chose soit beaucoup mieux. Car ses autres émotions ne sont pas plus enviables.

Rencontre surprenante

La balle fend l’air et effleure son bras surdimensionné. Ce spider-là ne se bat de toute évidence pas à la manière de tous les spiders qu’il avait croisés au cours de sa courte existence jusqu’ici. Soit. Cela ajoute un défi supplémentaire au Hobgoblin. Certes, sa blessure au bras l’élance légèrement, il a été blessé, mais sa peau de créature, plus résistante et solide qu’une peau humaine, lui épargne une douleur qui aurait été autrement plus grave et plus profonde dans d’autres circonstances. Il est de toute manière dévoré par la rage de vaincre, l’envie d’en découdre. Ces émotions obscurcissent tout jugement, toute autre considération de sa part. Armé ou pas, spider ou non, dangereux ou pas, peu importe, le Hobgoblin est bien décidé à faire des ravages, intimement persuadé de sa supériorité et de sa force… décidé à régler de vieux comptes qui n’ont définitivement pas grand-chose à voir avec le spider qu’il a sous les yeux.

Un rire mauvais, guttural, s’échappe des lèvres de la créature quand son adversaire lui fait remarquer que le propos qu’il a tenu plus tôt ne tient de rien d’autre que du cliché pur et dure. Tous affirment que l’on se souviendra d’eux, et à tous l’histoire finit par donner tort. Peut-être bien, mais Harry Osborn – non, le Hobgoblin – s’assurera que cette fois soit différente. Il y mettra un point d’honneur, même, car il en va d’un orgueil trop de fois heurté, et d’un besoin de briller, d’exister, d’être vu et reconnu, quand bien même cela doit être de la pire manière possible, en se rendant coupable des crimes les plus insurmontables et impardonnables possibles.

« Oh vraiment ? C’est assez fou à quel point je m’en moque royalement », rétorque le Hobgoblin alors que le spider le somme de laisser la ville tranquille.

Bien sûr qu’ils ont tous bien assez à penser sans qu’il vienne les emmerder par-dessus le marché. Est-ce que ça changera quoi que ce soit pour autant à ses yeux ? Non, certainement pas. Il ne veux plus faire preuve de clémence et d’indulgence, il se contente de décharger toute cette haine, cette folie meurtrière qui n’a pas la nécessité d’avoir d’objet particulier, juste la nécessité de s’exprimer avec force et violence, et rien d’autre.

« Tire, vas-y, fais-toi plaisir, gâche tes balles si ça t’amuse, mais tu ne peux rien contre moi. »

Il s’exprime avec beaucoup d’assurance, mais celle-ci n’est que de façade, en réalité, car au fond, un coup bien porter pourra largement l’atteindre et briser son corps et sa volonté. Seulement, pétri d’un orgueil absolument démesuré, et d’une envie bien trop forte de carnage, il n’est pas réellement en mesure de s’en rendre tout à fait compte.

Rencontre surprenante

On ne va pas se mentir, en matière de jargon maléfique, Harry a encore beaucoup à apprendre. Il n’a pas la facilité des spiders pour les traits d’esprit ou les jeux de mots… il n’a jamais été très loquace, par ailleurs. S’exprimer tel le super-vilain lambda qu’il est peut-être est encore la meilleure manière qu’il ait trouvé de se donner une contenance, de l’importance, et de se faire passer pour un super-vilain prémium. On ne peut pas tout réussir.

C’est déjà beaucoup pour lui que de se fondre entièrement, pleinement dans le personnage du Hobgoblin, d’embrasser sa part d’obscurité sans chercher obstinément à lutter contre… sans doute ne faut-il pas trop lui en demander, pour ce qui est du reste… Toujours est-il que, réflexions suremployées ou pas, il fait ce qu’il estime devoir être, il attaque sans objet réel, avec la seule intention de semer le chaos et de se repaître des conséquences monstrueuses de ses actes, qui savent étrangement lui apporter un réel sentiment de bien-être et d’accomplissement. Il obtiendra plus en s’abandonnant à cette nature inacceptable qu’en restant celui qu’il était autrefois, trop faible, et d’une inutilité manifeste.

Le Hobgoblin ne prend pas la peine de répondre quand il cherche à le piquer en affirmant qu’il n’est rien d’autre qu’oubliable – à juste titre, sans doute… Il ne veut pas se laisser affecter par ces paroles précises, il ne veut pas admettre qu’elles sont vraiment susceptibles de le heurter… Il se veut irréductible, il se veut invincible, inattaquable… Mais il ne l’est pas. Oui, sous cet aspect, il est moins fragile, mais les coups de feu répétés de son adversaire ont véritablement un effet sur lui… Un spider à la gâchette facile… Peut-être qu’il ne se souviendra pas de lui… mais l’inverse n’est pas vrai, en revanche… Loin de là, même.

Une balle heurte sa jambe droite et lui arrache un grognement profond de douleur… Oui, la blessure aurait été plus grave autrement… et la balle aurait traversé son mollet plutôt que de s’enfoncer dans sa peau épaisse, semblable à une carapace… mais la douleur reste bien réelle. Un long filet de sang coule jusqu’à ses chevilles, et alors, Harry ne contrôle plus rien.

Sous l’effet de la douleur, il tremble de tous ses membres et se retransforme bien malgré lui… Il a belle allure, le super-vilain arrogant. Le voilà qui a repris figure humaine, tremblant comme une feuille et recroquevillé sur lui-même. Harry reprend le plein contrôle sur son corps et sur son esprit, et il n’a dès lors plus rien du Hobgoblin. Il n’est plus rie d’autre que Harry Osborn. Non pas inoffensif ou innocent, mais en revanche terriblement impuissant et vulnérable.