The lonely moments just get lonelier. [Abigail & Harry]

The lonely moments just get lonelier

feat. Abigail

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Harry est loin d’être attentif au cours qui se donne devant lui. Il ne sait même pas pourquoi il fait ça, pourquoi il s’oblige à se rendre à la fac si c’est uniquement pour se laisser distraire constamment par des pensées sans grands rapports avec les cours magistraux donnés en amphi, ou pour faire acte de présence… peut-être parce que son père trouve son choix d’études ridicules, et que c’est le dernier acte – pathétique – de rébellion qu’il sache encore lui concéder au moment d’être revenu la queue entre les jambes au domicile familial. Pour ce que ça sert…

Harry se sent paumé, et ça fait un moment que ça dure. Ça n’allait pas franchement après le retour de son père dans sa vie, mais il tenait le cap… Peter l’aidait à tenir le cap. Mais Peter n’est plus là. Peter l’a abandonné… il en a eu assez de supporté le poids mort qu’il représentait pour lui, il en avait eu assez de batailler pour sauver un monstre qui ne pouvait pas l’être. Au fond, même si Harry est amer par rapport à toute cette situation, il peut admettre que Peter avait eu raison de le quitter. Ça n'allait plus. Ça ne pouvait plus aller. C’était probablement mieux comme ça. Mieux pour Peter, en tout cas. En perdant son petit ami, Harry avait perdu son point d’ancrage le plus solide. Et maintenant, il se sent à la dérive. Par réconfort, par facilité, c’est vers son père qu’il s’est tourné presque instinctivement.

Est-il entièrement sûr de sa décision de retourner vivre chez lui ? Pas totalement… l’envie de ne pas rentrer est grande, parfois, mais avoir le sentiment de compter pour lui, et la gentillesse (façon Osborn, on va nuancer) dont il est capable de faire preuve à son adresse, ce sont un peu des indispensables dans sa vie qui part en vrille, alors il n’a pas envie d’y renoncer. Harry se raccroche aux maigres branches qu’il trouve sur son chemin, en même temps qu’il se détourne presque inconsciemment de tous ses proches, qui ne demanderaient probablement qu’à lui prêter une main secourable.

C’est le cas d’Abigail, qu’il ne s’attendait pas du tout à voir tandis qu’il quitte l’amphithéâtre où était donné son cours de psychologie. Il ne s’attendait pas à sa présence, mais elle le rassure immédiatement. Il ne peut se confier avec personne, c’est ce dont il s’était persuadé, mais Abigail n’est pas comme les autres. Abigail est véritablement capable de le comprendre. Il hésite quand même à se dérober à sa proposition, mais il se ravise. Ça lui fera du bien. Et peut-être que ça fera du bien à Abigail aussi, après tout.

« OK pour le verre, c’est vrai que ça fait longtemps. » Et qu’il s’est passé… beaucoup trop de choses. « Comment ça se passe pour toi ? T’as déménagé finalement ? »

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feat. Abigail

« Je vois », répond simplement Harry, quand Abigail lui apprend qu’elle a bel et bien déménagé et décidé de s’installer chez ces deux hommes qui faisaient pour elle office de figures paternelles, dont elle lui avait parlé (sans trop en dire) au cours de leur dernière conversation, qui avait très certainement été la plus profonde qu’ils aient jamais eue tous les deux, et où l’un comme l’autre avaient accepté de révéler de leur histoire et de leur passé plus qu’ils ne se seraient estimé capables d’en dire.

Il ne voit pas vraiment, en réalité… « j’entrevois » serait probablement plus approprié aux circonstances, car Abigail a certes ouvert une fenêtre sur ses secrets, mais certainement pas la porte, et il y a encore de très nombreuses choses que le jeune homme ignore à son sujet. Il est très probable, et il le sait, qu’il n’en apprenne jamais davantage, d’ailleurs. Cette pensée l’incommode un peu, mais il n’irait certainement pas reprocher à son interlocutrice une chose qu’il ne peut que facilement comprendre lui-même. Retourner dans le rassurant giron paternel après avoir lutté contre ce dernier tant bien que mal… c’est une chose dont ils se seront tous les deux rendus coupables.

« C’est une bonne chose. Tu avais besoin d’être entourée des bonnes personnes. »

S’agit-il vraiment des bonnes personnes pour autant ? Cela reste à voir, en réalité, mais de son côté, il veut croire que contrairement à ce que certaines apparences pourraient laisser croire, Abigail est bel et bien capable de prendre les meilleures décisions pour elle-même, il est même totalement convaincu de cela. Alors qu’ils se rapprochent d’un bar pas trop encombré à cette heure de la journée, où ils pourront s’installer tranquillement sans être incommodés, Abigail lui demande où il est installé à présent. Il n’a besoin que d’un regard en direction de son amie pour être convaincu du fait qu’elle est déjà au courant. Il se demande même si elle n’en saurait pas déjà plus sur lui-même et sur ses décisions que ce dont lui-même pourrait bien être capable lui-même. Elle a probablement mieux choisi ses études que lui. Elle a l’impression que ses grands yeux clairs sont capable de percer son âme à jour.

« Mon père m’a de nouveau proposé de venir vivre chez lui… » Ces mots, alors qu’ils viennent de s’installer à une table près de la fenêtre, ce n’est pas tant à Abigail qu’au dessous de verre placé devant lui, qu’il triture du bout de ses doigts, qu’il semble les adresser. « Et j’ai accepté. »

Harry ne parle pas de Peter. Peut-être qu’il le fera, mais pour dire quoi ? Il est évident qu’Abigail est déjà au courant, et il ne sait pas ce qu’il pourrait ajouter qui ne réveillerait pas, presque aussitôt, sa douleur et sa morosité.

« Tu trouves ça idiot ? »

Lui, oui, un peu. Et en même temps logique. Et rassurant. Il a cessé de lutter. Contre lui-même. Et ça lui fait du bien.

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C’est un soulagement plus grand encore que ce qu’il avait soupçonner d’entendre Abigail lui affirmer, sans la moindre once d’hésitation dans la voix, avec un calme et une douceur qui le réconfortent qu’il n’a pas été idiot de retourner vivre chez son père… ou en tout cas qu’elle ne le considère pas comme idiot pour ça. L’air de rien, avoir quelqu’un qui abonde dans son sens à un moment si critique de son existence est absolument essentiel pour lui. Pas dit que ce soit sain, par contre, parce qu’il a aussi besoin qu’on lui remonte les bretelles, mais à force d’une lutte acharnée contre lui-même, le simple fait d’entendre son amie abonder dans son sens lui fait un bien fou. Entre les lignes, il l’entend lui dire qu’il s’en sortira, et qu’il doit se fier à son instinct et à ce dont il estime avoir le plus besoin à l’heure actuelle.

Alors que Harry veut répondre quelque chose, la serveuse prend leur commande. Harry, qui ne se sent définitivement pas d’humeur à prendre la moindre décision pour lui-même, y compris le plus infime, fait le choix de suivre le mouvement et décide de suivre Abigail dans son choix en commandant une bière à son tour, exactement la même. Quand la serveuse s’éloigne, Abigail reprend la parole et donne plus de substance à sa réponse.

Est-ce que c’est le meilleur choix pour lui ? S’il décide de mettre à profit la part la plus rationnelle de lui-même, il est bien obligé de répondre que non. Non, ce n’est pas le meilleur choix pour lui-même, et il va forcément en pâtir, d’une façon ou d’une autre, mais il en est arrivé à un stade où il n’a même plus vraiment l’impression d’avoir le moindre choix, en réalité… Il ne se sent pas capable de résister aux appels du pied de son père. Ce dernier sait veiller sur lui, même si c’est à sa manière bien à lui – soit une manière particulièrement dangereuse. Elle a raison, c’est effectivement le choix le plus logique qui puisse être. C’est celui qui s’impose à lui, et est-ce que ça doit forcément être un mal de s’écouter, au moins pour une fois ? Non, c’est probablement une bonne chose, en réalité.

« T’as parfaitement résumé ce que je ressens. Et puis... j'en avais marre de lutter... pour rien, au final », confirme Harry avec un fin sourire accompagné d’un hochement de tête.

Oui, c’est précisément son ressenti, et il n’est pas étonné que la jeune femme le comprenne… elle est probablement la mieux placée pour le comprendre, en réalité. Par certains aspects, sa situation n’est en fin de compte pas si différente, loin de là, même.

Ça … se passe pas si mal, en fait. Je sens qu’il fait vraiment des efforts avec moi. Alors… c’est pas demain qu’on lui décernera la palme du père de l’année mais… ça me fait vraiment du bien d’être retour chez moi… où quelque part qui y ressemble. J’y resterait peut-être pas éternellement – j’en sais rien –, mais en attendant, ça me fait vraiment du bien.

« Et toi du coup ? Tout se passe bien ? »

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Harry ne cherche pas à ce qu’on le détourne des chemins ô combien dangereux qu’il a décidé d’emprunter, il ne veut pas qu’on lui fasse entendre raison, il ne veut pas qu’on le persuade de se détourner de son père et de conserver le peu qu’il lui reste de bon sens et de santé d’esprit tant que celle-ci demeure… Non, Harry ne souhaite rien de tout cela. Ce qu’il veut, ici et maintenant, c’est l’approbation des personnes qui comptent encore pour lui, faute d’avoir su obtenir celle du garçon dont il était tombé douloureusement amoureux, pour le regretter presque aussitôt. Abigail abonde dans son sens, elle ne le juge pas, elle ne cherche pas à le réparer comme Peter n’a eu de cesse que de vouloir le faire à la fin de leur relation. Elle est prête à l’accepter tel qu’il est, entièrement, complètement, sans restriction ni condition. Cette pensée lui fait du bien, elle lui réchauffe le cœur. Abigail ne se rend pas compte d’à quel point il avait besoin d’entendre ce genre de mots, de la part d’une personne à qui il tient, d’une personne qu’il estime, et dont il sait que les intentions ne sont pas manipulatoires, comme l’ont toujours été celles de son père.

Il hoche doucement la tête, adhérant totalement au discours de son amie quand cette dernière affirme qu’il est terrifiant et épuisant de lutter contre qui l’on est vraiment. Accepter cette part de soi, ne plus se laisser gouverner par la peur de qui l’on pourrait devenir, c’est enfin s’assumer totalement, pleinement… et bon sang, Harry en a cruellement besoin. Il veut se sentir en phase avec lui-même, il veut juste… se sentir enfin serein, apaisé, ce qu’il n’a jamais été tout ce temps qu’il a cherché à lutter contre sa part d’obscurité, celle-là même qui l’accompagne au fond depuis beaucoup trop longtemps pour qu’il puisse s’imaginer être véritablement capable de faire quoi que ce soit contre elle.

« Tu as raison. Je crois que je vais m’écouter davantage », fait-il avec un fin sourire. « Je sais pas vraiment ce que je veux, sur le long terme, mais là, tout de suite… » Il hausse les épaules. « Ça me fait du bien. Et j’ai besoin de me sentir bien, tu vois ce que je veux dire ? »

Oui, elle voit ce qu’il veut dire, il est convaincu que c’est le cas. Il n’a pas l’impression d’avoir besoin de déguiser ce qu’il pense réellement, en sa compagnie, il s’exprime à la mesure de ce qu’il ressent et pense véritablement, sans s’imposer un filtre quelconque au risque de la décevoir. Et il avait clairement besoin de cela.

« Je suis content que ça se passe bien pour toi. Et ça se sent, que ça te fait du bien. T’as l’air plus… » Harry cherche ses mots, sans être certain de savoir trouver le plus approprié à ce qu’il souhaite exprimer. « … épanouie, je dirais. »

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feat. Abigail

Harry affiche un fin sourire sincère quand Abigail lui fait reconnaître qu’il n’y a rien de mal à s’écouter de temps en temps. Les deux, qui ont décidé de s’intéresser de plus près à la psychiatrie, ne peuvent être sans le savoir. Après tout, ce domaine en particulier n’est-il pas fondé exactement là-dessus ? Savoir s’écouter réellement ? Si… en partie, du moins. Bien sûr, s’écouter ne signifie pas que l’on doit tout tolérer ou s’en servir de prétexte à s’abandonner à ses plus bas instincts. Non… Mais peu importe… Harry ne veut pas se concentrer sur ce qui est moral et sur ce qui ne l’est pas, sur ce qui est acceptable ou non. Il veut juste être heureux, rien d’autre… Et même si retourner chez son père ne veut pas dire pour autant qu’il se sentira réellement épanoui, c’est tout de même toujours mieux que de s’abandonner à la solitude, et rien d’autre…

Une solitude qui ne lui semble plus si grande, en réalité, au moment de constater que c’est sans doute à tort qu’il s’est imaginé ne plus avoir personne. Abigail est là, elle, fidèle au poste. Elle le soutient sans le moindre jugement, elle le soutient avec une touchante sincérité, qui ne manque pas de le troubler. Parce que quand Abigail affirme voir parfaitement ce qu’il veut dire, il sait que ce n’est pas juste une formule, ce n’est pas juste une façon de parler, ou le genre de parole mi-conciliante, mi-réconfortante que l’on adresserait à quelqu’un que l’on veut rassurer sans pour autant être totalement capable de se mettre à sa place. Non. Abigail le comprend. Elle le comprend vraiment. Elle peut s’identifier à ses doutes et à sa douleur, elle peut vraiment, aussi, se mettre à sa place… et plus encore que ce que Harry s’imagine au regard de tout ce qu’elle lui a appris à son propre sujet et au sujet de son père.

Abigail lui confesse en retour qu’elle se sent épanouie, comme il le présumait, et Harry réalise combien il est à la fois singulier et réconfortant de constater qu’ils ont tous deux suivi les mêmes trajectoires quasiment aux mêmes moments. Ne plus cacher qui ils sont, ne plus avoir à faire semblant, à s’efforcer de rentrer dans un moule qui ne leur a jamais convenu… être accepté pour leur vraie nature. Auprès de personnes réellement susceptibles de les comprendre. Est-ce que son père lui ressemble vraiment pour autant ? Harry n’en est pas convaincu. Mais en présence d’Abigail, en revanche, il est sûr et certain d’avoir trouvé bel et bien un terrain propice et familier, une présence sûre et réconfortante, capable de l’écouter et de le comprendre.

« Et avec moi, tu ne caches pas qui tu es non plus, n’est-ce pas ? » répond Harry en la fixant avec intérêt avant de boire une nouvelle gorgée devant moi. « L’avantage, c’est que beaucoup de mon temps s’est libéré, ces derniers temps », ajoute-t-il d’un ton légèrement détaché, bien qu’en réalité, cette information le touche bien plus qu’il ne l’affirme – et Abigail ne saurait probablement être dupe de cela. « Donc… on pourra faire ça quand tu veux », ajoute-t-il avec un fin sourire. « J’aime passer du temps avec toi. »

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Abigail est quelqu’un de très secret, et Harry devine que, même s’il en a appris beaucoup à son sujet, il n’a fait qu’effleurer la surface, malgré tout… C’est intriguant quelque part, car cela l’oblige à admettre qu’il ne la connaît pas si bien que ça, et dans le même temps, il se reconnaît en elle, y compris dans cette façon qu’elle peut avoir de se protéger des autres en leur dissimulant une part d’ombre d’elle qu’elle l’estimerait presque insoutenable. Abigail lui donne envie de la comprendre, de l’apprivoiser. Harry veut parvenir à gratter ce vernis superficiel pour voir ce qu’il dissimule, pleinement, totalement, sans plus aucun artifice.

Et même s’il devine que ce qu’elle lui dissimule est probablement plus sombre encore que tout ce qu’il peut imaginer, il ne s’en inquiète pas. Bien au contraire, même. Les démons d’Abigail l’attirent, ils font écho aux siens. Bien sûr, laisser leurs monstres se côtoyer, s’apprivoiser, c’est prendre le risque qu’ils se nourrissent les uns des autres… Ils pourraient probablement tirer le pire l’un de l’autre, et pourtant, Harry a gagné la conviction qu’il saura se sentir particulièrement lui-même en sa compagnie. Elle l’accepte pleinement, sans le considérer comme un problème qu’il faut résoudre. Il est un objet fragile, brisé, mais elle est capable de contempler ces failles et ces aspérités, sans chercher de quelle façon tout réparer et colmater.

« Je comprends ce que tu veux dire », répond Harry avec un fin sourire quand Abigail lui confie qu’elle n’a aucun mal à lui raconter des choses, avec une facilité presque troublante. « C’est la même chose pour moi tu sais. Et tu peux vraiment, vraiment tout me dire. Je peux tout entendre, tu sais ? »

Il est capable de la voir pour ce qu’elle est et de ne pas la fuir. Comme il devine que quoi qu’il puisse lui apprendre de ses intentions ou de ses actes les plus sombres, il ne fuira pas davantage. Dans une période qui a été difficile pour eux deux, même si elle tend à s’améliorer pour Abigail (et en quelque sorte, depuis que Harry est retourné chez son père, elle s’améliore également pour lui), ils en ont probablement besoin plus que jamais. Harry esquisse un léger sourire quand la jeune femme confirme qu’ils devraient passer plus de temps ensemble. Est-ce une manière maladroite de se donner rendez-vous ? Harry ne passe pas à côté de l’ambiguïté de leur conversation, et il ne cherche pas à lever cette ambiguïté. Il fait simplement les choses comme il les ressent. Et c’est agréable, aussi, de ne pas remettre en question le moindre de ses actes, de ne pas se demander s’il devrait ou non faire telle ou telle chose.

« Au fait, tu as l’intention de faire une pendaison de crémaillère ? » il demande en devinant la réponse, tout comme lui-même éviterait probablement d’inviter Abigail chez lui, pour éviter que cette dernière subisse un interrogatoire de la part de son père.

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Le fait qu’Abigail élude sa question et se contente d’y répondre par un fin sourire n’a pas échappé à Harry. Un peu tristement, il songe qu’il y a probablement des secrets que la jeune femme ne daignera jamais partager avec lui. Il ne serait pas très juste, d’attendre de sa part qu’elle le fasse nécessairement, compte tenu de l’effort que cela lui demandera peut-être, voire des trahisons que cela induirait vis-à-vis d’autres personnes. Il en sait déjà beaucoup plus que la plupart des autres, et sans doute devrait-il se contenter de ce seul constat… Sans doute, oui, mais il ne peut s’empêcher de trouver que ce n’est pas assez. A Abigail, Harry n’a rien caché. Il s’est présenté à elle tel qu’il était, et ça lui a fait un bien fou… Il voudrait qu’Abigail savoure cette chance elle aussi, cette possibilité d’être totalement transparente avec quelqu’un d’autre… Mais au fond, pourquoi s’attend-t-il à ce qu’elle l’ait attendu pour cela ? Parce que lui-même l’a attendue sans le savoir ? Probablement…

Il relègue cependant cette pensée au second plan. Ce n’est pas si grave qu’il ne sache pas tout d’Abigail, il en sait déjà beaucoup, et tout ce qu’il sait d’elle lui donne envie d’apprécier d’autant plus sa compagnie, et de se donner plus d’occasions encore de passer du temps en sa présence. Cette histoire de pendaison de crémaillère n’est qu’une suggestion de se revoir. Cela dit, il se passe bien du fait qu’il y ait du monde autour d’eux. Il sourit doucement et s’amuse de l’entendre affirmer que ce serait une très mauvaise idée.

Il n’en est pas si certain, mais il ne connaît pas tous les tenants et aboutissants de l’histoire. Pour ce qui est d’être la seule personne qu’elle se verrait inviter, il ne va pas prétendre que ça le dérange. Assez égoïstement, cela convient assez bien à Harry qu’Abigail n’ait pas vraiment grand-monde dans sa vie… à bien y regarder, lui non plus. Quelques illusions d’amitié mais qui s’étioleraient bien vite au fil du temps, puisque Harry se chargerait de les mettre à distance, et c’était tout… Il ne tenait pas nécessairement à conserver aucun de ces liens… si ce n’est son lien avec Abigail.

« Non, on a pas besoin de ce genre de prétexte, c’est vrai. Mais ça me plairait bien de voir comment c’est, chez toi. On pourra toujours faire une pendaison de crémaillère à deux, ça marchera aussi. Et on sabrera ça au champagne. J’en trouverais bien un excessivement cher à emprunter dans la cave de mon père. Et puis, j’aurais peut-être l’occasion d’entre-apercevoir les deux hommes qui t’ont accueillie chez eux. Avec ce que tu m’as dit à leur sujet, tu m’as rendu curieux. »

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S’ils l’intriguent ? Oui, bien sûr. Abigail ne lui a pas dit grand-chose de ces deux hommes qui l’ont accueillie sous leur toit, et qu’elle prend pour des pères de substitution, mais elle en a dit suffisamment à ce sujet pour l’intéresser et pour ce qu’il veuille en savoir plus. De manière générale, Abigail Hobbs est un puits de mystère. Harry sait qu’il en sait plus au sujet de la jeune femme que la plupart des personnes de son entourage, et qu’il doit se sentir privilégié pour cela, mais il a conscience de n’avoir qu’effleuré la surface, et plus il apprend à la connaître, plus il veut en savoir sur elle, c’est plus fort que lui. Alors oui, il veut en savoir plus sur ces individus… mais il ignorait que ces derniers devaient être liés de près ou de loin à Peter. Le visage de Harry se ferme légèrement à l’évocation de son ex-petit ami, mais il ne l’arrête pas. Même si c’est un sujet difficile à aborder pour lui, parce que la blessure est encore fraîche, il ne veut pas qu’Abigail s’empêche de tout lui dire. D’autant plus qu’elle a nettement attisé son attention et son intérêt en lui apprenant que Peter était mêlé, d’une façon ou d’une à cette situation.

En une question, Abigail lui laisse entendre que Peter connaît très bien ses pères de cœur. Harry réfléchit quelques instants, et au final, la réponse est assez évidente. Deux hommes adultes, qui vivraient ensemble, en concubinage, dans l’entourage proche de Peter, il y en a peut-être d’autres, mais ceux que Harry connaît…

« Will Graham et le docteur Lecter ? Ce sont eux, ces deux hommes ? »

Harry devine une forme d’agacement dans l’attitude de Harry à l’évocation du lien entre Peter et ces deux hommes… Serait-ce de la jalousie ? Ce serait compréhensible. Personne n’aime que l’on accapare ses parents… Harry a lui aussi jalousé Peter – son Peter, celui de son monde – quand il ressentait que son géniteur était davantage intéressait par le cas de Peter que par le sien propre (et le fait qu’il soit un très mauvais père n’y changeait pas grand-chose). Il passe outre cette pensée pour le moment afin de rassembler ses esprits en même temps que toutes les pièces de ce qui s’avère n’être qu’un seul et même puzzle. Ce n’est pas rien.

« Je les ai rencontré, pas en même temps mais oui, je les ai rencontrés… »

Et pas dans les meilleurs conditions. Graham lui avait sauvé la mise après sa première transformation en Hobgoblin, et sa défiance à son égard avait été ce qu’il y a de plus évidente… Quant à Hannibal Lecter, Peter avait voulu que ce dernier lui fasse une psychanalyse gratuite qui l’avait profondément dérangé. Certes, le docteur Lecter avait été presque sympathique avec lui, mais ce que Harry retient de leur conversation, c’est que Peter l’avait considéré comme un problème à résoudre, un objet cassé à fixer à tout prix. Et il avait détesté ça.

« Je crois que ni l’un ni l’autre ne m’apprécient beaucoup… »

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Une légère esquisse de sourire se dépose sur les lèvres de Harry quand, peut-être pour le rassurer ou simplement en guise de constat, Abigail lui répond que Will et Hannibal n’apprécient pas grand-monde. Peut-être bien. Mais ils apprécient Abigail. Et ils apprécient Peter. Et les deux sont, par certains aspects, aux antipodes… Ceci dit, Harry a aimé Peter, et il… tient énormément à Abigail, donc l’un n’exclue pas nécessairement l’autre. Est-ce que ça doit le rassurer ? Il n’a pas vraiment besoin de plaire à ces deux hommes dans tous les cas, et il veut bien croire ce que son amie lui dit… Sans compter qu’au vu des circonstances dans lesquelles il a rencontré à la fois Will et Hannibal, il est assez évident qu’il ne partait pas sur des bonnes bases. Il s’apprête à répondre quelque chose, mais il se sent pris au dépourvu au moment d’entendre ce que la jeune femme ajoute.

Ils ne savent pas ce qu’il représente pour elle. Harry se retient de la dévisager au moment de l’entendre prononcer ces mots, mais il ne peut s’empêcher de poser sur elle un regard légèrement différent. Ils ne savent pas ce qu’il représente pour elle. Lui-même ne saurait trop le dire… Que représente-t-il pour elle ? Il a envie de lui poser la question, s’abstient de crainte de la mettre dans l’embarras. Et aussi, il s’épargne de la sorte de répondre à cette question pour lui-même. Car lui non plus ne saurait exactement dire ce qu’Abigail représente pour lui. Elle est une amie, une confidente… Mais il a le sentiment qu’elle est également bien davantage. Certaines relations s’épargnent peut-être de mots ou de définition. « Ami » est un terme fourre-tout, dans lequel les gens ont tendance à mettre tout et n’importe quoi. C’est pratique, c’est confortable… mais il y a probablement autant d’amitiés qu’il y a d’individus, en réalité.

« Dans tous les cas, ce n’est pas comme si je demandais à leur plaire », affirme-t-il dans un haussement d’épaules, préférant se concentrer sur cette affirmation plutôt que de revenir sur quelque chose de plus complexe. Il ne veut pas mettre Abigail dans l’embarras. Pour cette raison, il prétendra aussi ne pas avoir vu les joues de la jeune femme rosir légèrement, même s’il trouve que cela donne à son visage un caractère des plus charmants. « Tant que tu es bien chez eux, tant qu’ils t’aident à prendre un nouveau départ, peut-être qu’ils ne m’apprécient pas tant que ça, mais moi je les aime bien. » Il marque une pause. « J’ai au moins pu constater une chose, c’est qu’ils sont protecteurs. C’est un bon point. »

Il trouve de nombreuses choses à dire, qu’il fait directement le choix de ne pas formuler, de crainte de cultiver une ambiguïté qui serait peut-être de trop.

« Ils ne te connaissent pas comme tu me connais… J’aimerais en dire autant… Je pense qu’ils te connaissent mieux que je ne te connais. »

Et c’est une petite frustration de sa part, qu’il exprime à demi.

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Il y a une conviction sincère dans la voix d’Abigail quand cette dernière lui confirme que ses pères de cœur sont de nature protectrice envers elle, en plus de l’aider énormément. L’attachement qu’elle ressent envers ces deux hommes est évident. C’est assez étrange pour Harry de les observer sous cet angle, sachant qu’il les a l’un et l’autre croisés dans des circonstances qui n’autorisaient pas réellement la moindre complicité, mais il décide de se focaliser sur ce qui est le plus flagrant : il n’a qu’à entendre Abigail parler de Will et Hannibal pour comprendre à quel point ces derniers comptent pour elle. Et c’est le plus important, après tout : qu’elle soit entourée de personne à qui elle tient très sincèrement. Et Harry ne se verrait certainement pas interroger l’affection que la jeune femme ressent envers ceux qu’elle a choisi de prendre pour des parents de substitution.

Après tout, il en est de même pour lui, on peut franchement s’interroger sur ce qui le lie à son géniteur et à pourquoi il recherche la présence  de ce dernier en dépit de tout le mal qu’il lui a fait. Dans le fond, Abigail est plus légitime avec ses émotions qu’il ne saurait l’être lui-même. Il le constate en quelques mots, Abigail se sent apaisée, en phase avec ses choix… et de fait, Harry lui-même réalise combien le bien-être d’Abigail est important à ses yeux. Il a besoin de savoir qu’elle va bien, qu’elle se sent bien, et qu’elle se sent capable d’affronter la vie avec les meilleures armes possibles pour cela.

« On verra en temps voulu », se contente de répondre Harry avec un léger sourire, presque un peu embarrassé.

Rien ne l’oblige à connaître ces deux hommes, et pourtant il le voudrait, pas tant pour lui-même que parce qu’il veut connaître ce qu’il y a d’important dans la vie de son amie. C’est étrange à dire et à appréhender, d’autant plus intrigant qu’il se rappelle avoir formulé une pensée équivalente, mais qui autrefois était liée à sa relation avec Peter. Il n’est pas forcément nécessaire qu’il revoie ces hommes, n’est-ce pas, et pourtant… il se dit que c’est probablement une condition nécessaire au développement de sa relation avec Abigail… et même si Harry ne sait pas plus précisément vers quoi cette relation se dirige plus exactement, il sait qu’elle est vouée à évoluer. Tout comme eux-mêmes paraissent avoir évolué, incidemment, de la même manière et dans des directions similaires : un constat qui devait tout naturellement les rapprocher, presque malgré eux.

Harry ne peut s’empêcher de rougir légèrement, sous l’effet de l’alcool peut-être, ou d’un léger embarras, quand, affectueusement, Abigail passe une main dans ses cheveux. Il sourit avec une légère gêne mais dans le fond ravi de se rapprochement, si infime soit-il, qui lui donne le sentiment d’être un peu plus léger.

« C’est le drame  de ma vie, ça, mon cerveau est en ébullition », confirme Harry non sans une certaine douceur de ton. « C’est pas toi que vas me le reprocher, quand même. Je suis sûre que tu n’es pas capable de t’arrêter de penser, même quelques secondes. »

Ce n’est pas un reproche, uniquement un constant qui la lui rend plus attirante encore.

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Harry esquisse un fin sourire sincère quand Abigail admet que tous deux ne sont pas si différents… C’est une chose que Harry n’a de cesse de penser en effet de son côté. Plus il parle avec elle, plus il leur trouve de points communs. Des manières de penser qui sont loin d’être différentes, des manières d’appréhender la vie qui sont également tout sauf anodines. Ce n’est pas uniquement une histoire de daddy issues particulièrement plus complexe que la moyenne (quoique ça y contribue forcément), c’est un tout, et un tout difficile à appréhender autrement que de cette manière. Ils ne sont pas différent tous les deux, effectivement, et Harry apprécie d’entendre son amie formuler ce constat à voix haute.

« Ça te surprend ? » l’interroge-t-il d’un ton légèrement taquin en faisant le constat de son attitude rêveuse.

Il ignore si elle est réellement surprise, mais il devine en revanche qu’elle ne s’était probablement jamais fait cette réflexion auparavant. Obligée à ce constat par les circonstances… Qu’en déduire alors ? Est-ce qu’elle regretterait le fait de ne pas être uniques ? Est-ce qu’elle avait eu envie de penser qu’elle ne ressemblait à personne, et que personne ne lui ressemblait ? Harry ne pense pas qu’Abigail ait jamais été autocentrée, et encore moins au point d’aboutir à de telles réflexions. Il ne sait pas si elle répondra à sa réflexion ou se contentera de laisser couler.

Il s’étonne quelque peu de ce long silence qui suit cette observation et se demanderait presque s’il a dit quelque chose de travers. D’un autre côté, il n’y est pas pour rien dans la manière que son amie a de réagir à ses observations. Après tout, il l’avait dit lui-même, elle était tout autant habituée à cogiter que lui. Ce qui passerait pour une conversation très simples entre eux deux exige étonnamment que l’on se penche sur plusieurs autres niveaux de lecture, conscients et inconscients, induisant par conséquent des cas comme celui-ci, où l’essentiel se lisait dans le silence, où les choses pouvaient être comprises sans être nécessairement dites.

« Pour être honnête ? » répond Harry avec un sourire amusé quand Abigail lui demande si la bière lui plaît. « Pour moi, tous les alcools ont plus ou moins le même goût. » (En train d’imaginer Harry dire ça en face d’Hannibal). « Mon père adore ce whisky hyper-cher et rare qu’il m’a fait goûter parfois, il aurait probablement pu me servir un vieux scotch de supermarché que je n’aurais pas vu la différence », affirme-t-il alors. Cette bière a un goût de revenez-y, pourtant, mais Harry a comme l’intuition que la boisson maltée n’a pas grand-chose à voir avec ça. « Mais j’apprécie beaucoup la compagnie », ajoute-t-il non sans une certaine malice.

The lonely moments just get lonelier

feat. Abigail

L’honnêteté d’Abigail touche sincèrement Harry, à plus forte raison qu’il devine qu’elle n’est pas si courante, et qu’à force de considérer que nul ne serait capable de la comprendre ou de savoir se mettre à sa place, il ne servait à rien de s’ouvrir. Vivre dans le secret permanent, c’est une chose qu’ils ont en commun, même si ce secret permanent est peut-être d’une autre nature… Ils ont osé se confier l’un à l’autre, ils sont parvenus à se comprendre, et pour cette raison, se sont rapprochés, plus qu’ils ne se pensaient capables de se rapprocher de qui que ce soit. Façonner des amitiés et des connivences était une chose très simple… quand on décidait de ne pas être totalement transparent, quand on arrondissait les angles, quand on polissait son image.

Il ne fait aucun commentaire sur la question, il se contente d’apprécier silencieusement ce constat, celui d’une complicité naturelle, entre eux, l’impression d’avoir enfin trouvé quelqu’un qui sera capable de tout voir, tout entendre, tout comprendre de soi sans prendre la fuite… avant de rencontrer Abigail, il ne pensait pas que c’était possible… Et il devine que l’inverse est tout aussi vrai. Il préfère laisser la conversation couler sur un sujet en apparence plus innocent, alors qu’il admet n’avoir pour l’alcool qu’un goût très limité, l’empêchant de savoir le savourer à la mesure qu’exigerait peut-être certains millésimes.

Harry sourit doucement quand elle ajoute que seule la compagnie, en effet, fait qu’une boisson serait plus spéciale qu’une autre. Il ne saurait dire si vraiment il aurait apprécié cette bière qu’il boit pour s’occuper les mains s’il ne prenait pas tant de plaisir à le partager avec Abigail, dont il apprécie toujours davantage la compagnie à mesure que les jours passent et que les point de connivence entre eux vont en se confirmant.

Abigail lui confirme que cette soirée est des plus agréables pour elle aussi… ce n’est pas si courant que l’on dise si frontalement ce que l’on ressent, surtout quand on est aussi renfermé qu’Abigail Hobbs, mais Harry apprécie d’autant plus son impulsivité, et plus encore ce que cette dernière suggère, à savoir qu’elle n’a pas envie que cette soirée se termine. Il voit bien que cette proposition impulsive l’embarrasse bientôt, et il trouve sa charmant, il lui répond directement par un sourire à la fois rassurant et encourageant pour lui faire comprendre

« Pourquoi pas, oui ? » Il réfléchit à ce qu’il pourrait lui proposer. Une seule chose est certaine, c’est que l’inviter chez lui est exclu… et c’est au moment d’y songer à son tour que c’est à lui de se sentir embarrassé, à présent. « Je suppose que tu n’es pas du genre à aller en boîte, pas vrai ? Mais on pourrait se faire un ciné, par exemple ? – Je t’invite, évidemment ! »