Klaus ne se battait pas. Jamais. Il y avait plusieurs raisons à ça. Son gabarit de crevette, cela va sans dire, mais pas seulement. Il n’aimait pas ça, et il n’avait jamais estimé que la violence était la solution à quoi que ce soit. Klaus avait dû mener plus d’un combat, bien souvent malgré lui, mais il était un pacifiste dans l’âme. Raison pour laquelle il s’est surpris lui-même au moment d’envoyer son poing voler dans le visage de ce type qu’il ne connait ni d’Eve ni d’Adam, mais qu’il déteste malgré tout de son être. Et comment ne le pourrait-il pas.

Ce type pensait vraiment qu’il pouvait se permettre d’agresser Mutt sous son nez et qu’il ne se passerait rien ? Parce que oui, c’est de ça qu’il s’agit, il faut appeler un chat un chat. Peut-être que certains estimeraient que ce n’est rien, mais Klaus n’est absolument pas de cet avis : ce type abuse de Mutt, qui lui n’arrive pas à se défendre. Klaus a agi dans l’urgence, il est intervenu…

Mais à peine a-t-il eu le temps de soulager un peu ses phalanges endolories que Monty se précipite dans sa direction, ne laissant pas à Klaus le soin de pouvoir vérifier que Mutt va bien, ou aussi bien qu’il le peut dans ces circonstances. Le type l’attrape par le col, le rebord de la table cogne douloureusement contre son dos, et alors in frappe, un coup, un deuxième… Klaus essaie bien de se débattre, mais le type est clairement plus fort que lui. Et bordel, ce que ça fait mal. Klaus a les larmes aux yeux et le nez en sang, et il n’arrive tout simplement pas à réagir, pas même à hurler. Les yeux à présent fermés, il attend juste le prochain coup.

Mais le prochain coup n’arrive pas, parce que la voix de Mutt retentit alors, forte, autoritaire, et il se lève d’un bond pour attraper Monty par le col, obligeant l’autre taré à lâcher prise. Klaus se rétame au sol et peine à se redresser, quand il a vue sur ce qui se passe à côté de lui, il est sonné. Monty semble inconscient, mais Mutt insiste, encore et encore, surplombant la silhouette inerte du type. S’i continue comme ça…

« Mutt ! Mutty ! S’il te plaît ! » le supplie Klaus tout en attrapant le bras de Klaus pour le pousser à arrêter, mais il n’est pas convaincu que le jeune homme soit capable de le voir ou de l’entendre. Aveuglé par la colère, il semble coupé de ce qui se passe autour…

Jamais Klaus n’a vu Mutt dans cet état, et ça lui fait peur. Pas peur de lui, ça non, mais peur pour lui, clairement.

« Il a eu son compte, tu vois bien ! Arrête ça, s’il te plaît ! Tu vas le regretter, sinon. »

Ses suppliques se poursuivent encore et encore, et Klaus n’est vraiment pas convaincu du fait que son interlocuteur l’entende, dans le même temps, le patron du diner, évidemment alerté, se rue dans leur direction.

« J’ai appelé la police ! Vous avez intérêt à foutre le camp tout de suite. »

Vu l’était de Monty, Klaus se demande s’il n’aurait pas été de bon ton d’appeler carrément une ambulance.

Klaus pensait avoir déjà vu Mutt dans absolument tous ses états, les meilleurs comme les pires. Ils avaient tant vécu et partagé tous les deux qu’il pensait que rien de tout ceci ne pourrait lui échapper, et pourtant, l’état dans lequel il voit Mutt en cet instant ne ressemble à rien qu’il ait jamais connu de sa part, et ça l’inquiète, terriblement. C’est comme s’il était extérieur à lui-même, animé par une rage telle qu’il semblait absolument impossible de la contenir, même avec des efforts. Klaus fait ce qu’il peut pour le retenir, pour le ramener à lui-même, mais il semble parti si loin.

Quand il finit par se reculer, il a le visage recouvert de larmes et il tremble comme une feuille. Bien sûr, Klaus s’inquiète du sort du type qui vient d’être passé à tabac, tout salaud peut-il être, mais c’est tout de même Mutt qui l’inquiète encore bien davantage. Heureusement, Monty a beau être mal en point, il est vivant… Quand Mutt se retourne vers lui, Klaus sent bien que son état ajoute à son angoisse, et c’est la dernière chose qu’il veuille. Ouais, il est pas dans le meilleur des états, là, tout de suite, mais il s’en fiche. Il a vu pire, et surtout, c’est Mutt qui l’inquiète avant tout et surtout. Alors il l’attire à l’extérieur, vide ses tripes au sol… Il revient à lui, prend conscience de ce qui vient de se passer. Mutt, le premier, serre Klaus contre lui, chose que ce dernier s’apprêtait à faire de lui-même.

« Ça va aller… », répond doucement Klaus. Est-ce qu’il en est si sûr ? Pas des masses, mais tandis qu’il le garde contre lui, la chose qui l’intéresse et le concerne, c’est de le sentir soulagé. « J’aurais pu finir dans le même état que lui, t’as juste voulu me protéger… Je suis con aussi, je sais pas ce qui m’a pris… »

Lui, frapper cette armoire à glace ? Rétrospectivement, c’était franchement risible, mais sur le mpment, il n’a pas vraiment réfléchi.

« T’inquiète, je vais bien, c’est plus impressionnant qu’autre chose. »

Enfin, c’est ce qu’il suppose, parce qu’il n’a pas la moindre idée d’à quoi il ressemble, là, tout de suite. Mais il s’en fiche. Son état, c’est rien, et dernièrement, il est passé par bien pire (le plus dur, c’est sûrement qu’il donnerait tout pour ne serait-ce qu’un verre, là, tout de suite, et que ce n’est absolument pas près d’arriver).

« Mais toi, ça va ? Tu m’as fait peur… »

Et au fond, il continue d’avoir peur pour lui… même s’il essaie de ne pas trop le montrer afin de ne pas trop renforcer ses propres craintes ou encore sa culpabilité même si c’était peut-être trop en demander dans le fond.

« Il faut qu’on file, vite », décide Klaus tandis qu’il entend les sirènes de police. Peut-être que c’est pour eux, peut-être que non et que le patron a juste voulu leur mettre un coup de pression… Pas le temps de vérifier, Klaus veut les mettre à l’abri le plus rapidement possible. Il entraîne donc Mutt par le bras et court à toutes jambes. Fuir les lieux n’est clairement pas la manière la plus saine et mature de faire, mais non, Klaus ne veut pas exposer Mutt à de pires conséquences à ses actes que celles qu’il encaisse déjà… Alors ils courent, ils courent, et ils ne s’arrêtent, à bout de souffle, que lorsque Klaus estime qu’ils doivent être hors de danger…

« On va rentrer, on va boire un bon chocolat ou je sais pas quoi et tu va prendre tes cachets, puis… tu vas m’expliquer… tu veux bien m’expliquer ? »

« On ira voir les flics, mais pas tout de suite », le rassure Klaus.

Il n’est pas très enthousiaste à cette idée, mais Mutt n’a pas tort, s’ils laissent à l’autre crevard le loisir de porter plainte avant eux, ils vont s’en prendre plein la tronche alors que quand même, fallait rappeler que c’est lui qui avait commencé… Oui, il fallait qu’ils prennent les devants, mais dans l’état où est Mutt, ça leur rendra pas service d’y aller tout de suite. Déjà, il faut que Mutt prenne le temps de se remettre de ses émotions. Aux yeux de Klaus, c’est la priorité absolue, le reste est secondaire. Et il voit bien que tout se mélange dans la tête de Mutt, et pour cause, il s’inquiète de son état, mais aussi de celui de l’autre crevard qui aurait bien pu s’en prendre à eux plus violemment encore.

« Il va s’en remettre, t’inquiète, ça va aller… »

Est-ce qu’il le pense vraiment ? Il l’espère en tout cas, mais il est pas sûr qu’il aura pas des séquelles. Clairement, Mutt n’y est pas allé de main morte, mais en même temps, il refuse que son petit ami s’inquiète, là, tout de suite. Il refuse qu’il ajoute ce souci là à tous les autres. Bien sûr, ce ne sont pas ses paroles qui suffiront à rassurer Mutt, mais il fait ce qu’il peut. La situation est telle qu’il n’est pas vraiment simple de déterminer de quelle façon la gérer le plus intelligemment. Quand ils arrivent à l’appartement. Klaus suit Mutt du regard quand ce dernier prend ses comprimés… la pensée fugace de combien il serait facile de détourner l’attention de Mutt pour en piquer lui-même doit vite être chassée de ses pensées. Le manque, en cet instant, est difficile à supporter, il rêve d’un verre, de deux, de dix… de quelque chose de beaucoup plus fort, mais il se gifle mentalement. Mutt a besoin de lui, et cette fois, il se défilera pas sous le prétexte de ses addictions à la con. Il sera là pour lui, jusqu’au bout. Parce qu’il l’aime plus que tout. Klaus s’installe sur le canapé, à côté de Mutt. Le contact froid des glaçons contre son visage le fait grimacer mais lui fait du bien en même temps.

Alors, Mutt accepte de parler, de tout lui dire. Est-ce qu’il lui doit ces explications ? Oui et non, il n’en a pas le devoir envers lui, mais Klaus apprécie qu’il lui fasse suffisamment confiance pour discuter de tout ça avec lui. Il y avait une histoire derrière sa rage, sa douleur, sa honte, et Klaus l’écoute religieusement, sans l’interrompre, conscient que le laisser dérouler ce récit de bout en bout est quelque chose d’important pour lui, une étape qu’il lui faut impérativement franchir afin de parvenir à se sentir… non pas en paix avec lui-même, mais soulagé d’un fardeau qu’il porte pour lui seul depuis beaucoup trop longtemps. Il est plus que temps qu’il s’en déleste en partie… Klaus sera ravi d’en porter une partie de son côté, si cela peut permettre à Mutt de se sentir soulagé comme ça. Et donc, il lui parle de cette histoire sur les réseaux qui ne s’est jamais tassée, et du fait que ce sale type le harcèle depuis lors.

« C’est trois fois rien », répond Klaus avec douceur quand Mutt lui demande s’il ne douille pas trop. Bon, si, il a franchement mal. Mais à l’heure actuelle, il décide qu’il s’en fout complètement, un point c’est tout.

L’histoire qu’il lui raconte ensuite, c’est un truc qui remonte à l’enfance. Logique, dans le fond – les pires trucs sont toujours ceux qui remontent à l’enfance. Ces bons vieux traumas enfouis si profondément qu’on pourra jamais s’en débarrasser d’une pichenette. C’est un truc que Klaus connaît parfaitement aussi, à une autre échelle (merci papa Hargreeves). Il a le cœur serré quand il l’entend lui relater le harcèlement pur et dur qu’il a subi. Quelque chose d’insidieux parce que progressive : privation, chantage… ça avait dû être horrible à vivre pour un gamin d’à peine onze-douze ans. Mutt s’interrompt dans son récit. Il est secoué, Klaus aussi… parce qu’il estime que ce que Mutt a vécu est déjà gravissime, et pourtant, il devine que ce n’est qu’un début, et que le pire est arrivé ensuite. Klaus passe doucement un bras au-dessus de l’épaule de Mutt et caresse doucement ses cheveux (ce qu’il en reste) d’un geste qu’il veut le plus réconfortant possible.

« T’es pas obligé de continuer si c’est trop dur pour toi », il lui dit avec douceur, parce qu’il sent bien combien lui dire tout ça a été compliqué déjà, et il s’attend au pire pour la suite.

Mais il devine que Mutt ira jusqu’au bout de son discours… parce qu’il faut qu’il exorcise ses démons une bonne fois pour toutes.

Klaus garde sa main serrée dans celle de Mutt. Il ne doute pas de combien les confessions qu’il lui adresse sont difficiles à formuler pour lui. Ce n’est sans doute pas de trop de sa part que d’affirmer que tout ceci le bouffe. Lui-même est capable de le ressentir, de l’observer chez son petit ami, et ça lui serre le cœur à un point terrible. Oui, il aurait accepté et respecté son silence, mais il n’en est pas moins soulagé de constater qu’au final, Mutt ne s’y résigne pas. Clairement, ça le rassure… Car même si cet aveu doit être difficile, c’est sans doute une étape plus que nécessaire pour l’aider à dépasser tout ce traumatisme (encore qu’un psy sera sans doute mieux adapté que lui pour recueillir ces informations et savoir qu’en faire et comment y réagir). Le plat de son pouce caresse doucement le dos de sa main tandis que, donc, Mutt poursuit.

Et la suite est à la hauteur de toutes les horreurs que Klaus avait malheureusement appréhendées. Klaus grimace d’office quand Mutt lui parle du jour où ce Jackson l’a entraîné dans les toilettes. A partir de là, on ne peut qu’être certain du fait que la suite a forcément dégénéré. Klaus a la gorge serré, l’estomac noué quand il entend parler de ces abus terribles. Il aurait envie d’être là, aux côtés de Mutt, à cette époque, pour le rassurer et le défendre, dans la mesure où il en aurait été capable. Ici, il n’y a rien qu’ils puissent faire pour réparer l’injustice qu’il a subie. Tout ce qu’il reste possible de faire, c’est d’en parler, et de surmonter ça ensemble. Au moins, Mutt a fini par se défendre. Ouais, la violence ça résoud rien, mais dans le cas de Mutt, Klaus préfère entendre qu’il s’est débattu, qu’il s’est battu, quitte à se forger une réputation bagarreuse. Il préfère l’avoir su gamin turbulent que victime silencieuse, même si la loi du silence a tout de même régné pendant beaucoup trop longtemps sur sa vie.

Au fond, Mutt se montrait terriblement lucide et brillant, il y en a pas beaucoup qui, ayant vécu ce qu’il a vécu, seraient capables de réfléchir à tout ça, de reconsidérer tout leur comportement à l’échelle de ces événements. Oui, Klaus le connaît mieux que n’importe qui d’autre, n’empêche qu’en cet instant, il a l’impression de le redécouvrir. Et même si ça lui fait vraiment mal, même s’il souffre pour l’enfant, l’adolescent qu’il a été, et même pour lui maintenant, qui accuse encore les conséquences de ces épisodes douloureux de son existence, il est en même temps heureux de la confiance que Mutt lui accorde. Il ne s’est jamais senti plus proche de lui qu’en cet instant… et sa seule frustration est de ne pas savoir quoi faire pour l’aider à dépasser tout ça.

« Putain, Mutt… je suis tellement désolé. Personne devrait avoir à vivre ça. Personne… », dit-il, l’estomac noué. Il se rapproche de Mutt et le serre dans ses bras, aussi fort qu’il le peut. « J’ai envie de te dire que ça passera, j’ai envie de te dire que ça arrêtera de te faire mal mais… bordel, j’ai aucune idée de comment on efface ça », ajoute-t-il tout contre lui. « Merci de m’avoir raconté tout ça. J’imagine même pas comme ça à dû être dur pour toi. » Il dépose un baiser sur ton front. « Je suis là pour toi maintenant, quoi qu’il arrive, et je pourrais pas bastonner tous les connards qui te voudront du mal mais… tu peux compter sur moi quand même. » Il laisse passer un temps de silence. « Je t’aime tellement, si tu savais. On peut dépasser tout ça, on peut… on va dépasser tout ça. Ce type-là, Monty, il va pas s’en sortir comme ça, et pour ce Jackson… peut-être que tu devrais parler de tout ça… tu sais, à un spécialiste. » Il s’écarte légèrement de lui pour le regarder dans les yeux. Ses propres yeux sont embués de larmes : les paroles de Mutt lui ont fichu un sacré coup au cœur. « Je pense à toutes les fois où j’ai dû te mettre la pression, je suis tellement désolé pour ça aussi… »