C’est sûr, Klaus n’est pas dans les meilleures dispositions possibles, là, tout de suite. Mais en même temps… bah en même temps, il a envie quand même. Ça fait beaucoup, beaucoup trop longtemps que Mutt et lui ne se sont pas retrouvés intimement, et quand on sait que les deux tiennent généralement plus que difficilement sans se ruer l’un sur l’autre, on peut comprendre qu’ils ne veulent pas afficher plus de réserve que cela. D’autant que la dernière fois, c’était… bref, ce serait sans doute pas plus mal, aussi, d’effacer ce souvenir-là pour de bon. Bon, forcément, ils pourront pas aller trop loin non plus, mais c’est pas un souci pour autant, ils savent y faire, dans tous les cas. Leurs corps se connaissent par cœur, et ils attendent de s’appartenir à nouveau depuis beaucoup trop longtemps, là. Alors oui, c’est sûr, Klaus n’est pas vraiment en forme, mais Mutt ne le force vraiment à rien du tout, au contraire. Il ne fait rien d’autre qu’une chose qu’il veut vraiment, profondément.

« Je me sens bien, t’en fais pas », répond-il alors avant de retrouver ses lèvres presqu’aussitôt.

Bien sûr que ce n’est pas si simple. Il ne va pas si bien que ça, et Mutt a de bonnes raisons de s’en faire. Mais là, tout de suite, en cet instant, Klaus se sent mieux faute de se sentir bien, et la dernière chose qu’il veuille, c’est que Mutt s’inquiète encore davantage. Il ne le fait déjà que beaucoup, beaucoup trop. Au final, Mutt ne se fait pas prier pour le mener à la chambre, ses lèvres ne se décollant purement et simplement pas des siennes, ou bien à peine. En un rien de temps, les voilà tous deux en sous-vêtement. Une légère grimace s’affiche sur les lèvres de Klaus quand un vent de culpabilité le traverse, alors qu’il voit son pansement, qui évidemment doit être lié à son opération… Au fond, il se dit que c’est bien que ce pansement soit là, il faut bien un rappel de combien il a merdé. Et il ne compte pas franchement sur Mutt, beaucoup trop adorable et prévenant pour cela.

Les mots pourraient bien être inutiles, au fond, parce que la douleur proche d’une torture que l’un a ressentie, l’autre l’a ressentie tout autant, sans doute avec autant d’intensité. Mais prononcer ces mots lui fait du bien, comme le fait d’exprimer ses émotions telles qu’elles lui viennent. Et les paroles de Mutt l’apaisent et le rassurent. Il a raison, ce qui importe avant tout, c’est le fait qu’ils soient ensemble, envers et contre tout, toujours l’un pour l’autre, et ainsi serré contre Mutt, il voudrait vraiment que ce soit possible, qu’ils puissent rester éternellement dans les bras l’un de l’autre.

« Moi aussi je sais que ce sera toujours toi », répond-il, la voix tremblante d’émotion quand Mutt lui promet de faire des efforts pour la suite, que l’opinion des autres, au fond, n’avait pas d’importance. « Tant qu’on le sait, on s’en fiche que les autres le sachent. »

Au regard de leur situation actuelle, Klaus s’en veut, en vérité (comme de tant d’autres choses) de lui avoir mis la pression comme il l’a fait, ou encore de lui avoir reproché d’avoir honte de lui. C’est forcément plus compliqué que ça, et ils n’ont absolument pas besoin de tout ça, en réalité. Ils n’ont même besoin de rien du tout, juste d’être ensemble. Justement, parce qu’ils s’en foutent du regard des gens dehors, pourquoi est-ce qu’il faudrait forcément qu’ils sachent. C’est très bien, après tout, s’ils ne savent rien du tout. Ça ne change rien. Et oui, c’est vrai que c’est lui, lui et personne d’autre. Jamais il n’a ressenti ça avant, et plus jamais il ne ressentira ça. Bien sûr, il y a eu Dave, et il ne rejette absolument pas ce qu’ils ont vécu, mais ce que Mutt et lui partagent va bien au-delà de ce qu’il est bien possible d’exprimer. C’est quelque chose qui les dépasse, qui les transcende, quelque part. Qui dépasse tout le reste, en réalité.

Et voilà où ils en sont. A essuyer mutuellement leurs larmes. Il n’y en a pas un pour rattraper l’autre, en cet instant. Entre l’émotion de leurs retrouvailles et l’expression nécessaire de sentiments qui vont au-delà de ce qu’ils ont jamais éprouvé, forcément, ça ne fait pas bon ménage.

« Si, je dirais pas non à un grand verre d’eau », répond Klaus avec un léger sourire. En vérité, il ne dirait pas non à une bière, surtout, et ça lui semble bien léger et innocent en soi, mais il sait qu’il doit s’abstenir.

Pour le rester, il a surtout besoin de s’hydrater et de se reposer un peu, Mutt a tout à fait raison sur ces points. Quand Mutt lui propose ses anxyolitiques histoire de réussir à mieux dormir, Klaus a envie de répondre oui, tout de suite, mais…

« Vaut mieux pas… », répond-il avec une fine esquisse de sourire. « Et t’en as plus besoin que moi. »

Savoir que Mutt est présentement sous antianxyolitiques éveille en lui un nouvel élan de culpabilité et de tristesse. S’il en a besoin, c’est à cause de lui, et si l’un d’eux mérite de bien dormir, c’est lui.

« T’en fais pas, ça va, tu m’as épuisé, je vais dormir comme un bébé », il ajoute avec un sourire.

Ce qui n’est pas faux en soi, et ce n’est pas la fatigue qui manque, en revanche, il ne sait pas vraiment s’il peut être à l’abri de nouveaux cauchemars.

« Donc maintenant, on se gave de mousse au chocolat et on s’effondre tous les deux, d’accord ? Et interdiction de bouger de mes bras avant demain matin. »

Quoi qu’il advienne, Klaus s’en fera forcément pour Mutt, vu les circonstances, il lui est impossible de ne pas s’en faire pour lui, parce que même s’il ne peut pas totalement se mettre à sa place, il se fait une très bonne idée de ce qu’il a traversé. Et puis, il y a tout ce qui viendra après… C’est qu’il risque d’être insupportable, et que s’il parvient à décliner les antianxyolitiques que lui propose Mutt, rien ne garantit le fait qu’il ne finisse pas par les lui réclamer plus tard… Au fond, c’est même plus que probable, et dans le fond, il le sait très bien. Même là, il ne peut pas cacher que la tentation a été grande, mais au moins, Mutt sait, comme ça, que ce n’est pas le genre de choses auxquelles il doit toucher, et ainsi, ce sera sûrement plus simple, par la suite, de le retenir de le faire… même si cela revient à faire peser sur lui une responsabilité bien trop grande. Mais pour l’instant, il balaie de ses pensées l’idée des difficultés qu’ils vont avoir traversé. Ici, tout de suite, et en dépit de la fatigue autant physique que mentale, il se sent bien.

Avec un sourire apaisé, il regarde Mutt s’éloigner pour prendre la direction du salon. Il ne met que quelques secondes à lui revenir, bouteille d’eau et mousses au chocolat à la main. Parfait. Il n’a toujours pas un appétit monstrueux, mais suffisamment néanmoins pour apprécier un petit dessert, surtout apporté par son charmant partenaire, tout de tenue d’Adam vêtu. Et il a parfaitement raison, au demeurant : à quoi est-ce que ça leur sert, exactement, de porter des vêtements ? On peut légitimement se poser la question.

« On gagnerait un temps terrible, j’avoue », confirme Klaus en réponse à Mutt, sincèrement convaincu du fait que se trimballer à poil dorénavant est définitivement le mieux qu’ils puissent faire… En même temps, même s’il y a quelque chose de plaisant dans le fait de déshabiller son partenaire, ils n’ont jamais le temps de rester vêtus bien longtemps. Même dans des conditions tragiques, ils restent fidèles à eux-mêmes, juste incapables de faire abstraction de leur besoin de connexion, qui oui, est aussi une connexion physique. « Faut juste pas qu’on oublie quand on se fait livrer des trucs, parce que ça peut être vaguement gênant », ajoute-t-il en se marrant autant que Mutt (ils doivent être vraiment fatigués pour se poiler à ce point pour si peu, mais on leur pardonnera).

Déjà que le pauvre Sam aurait pu le poursuivre pour harcèlement sexuel, il ne manquerait plus que les livreurs qui se pointeraient à leur porte les taxent d’exhibitionnistes notoires. Klaus avale une première cuillerée de mousse au chocolat. Avant de s’en prendre sur la joue, ce qui fait marrer Klaus de plus belle alors qu’il finit noir de chocolat et tente de se débattre en en balançant tout autant sur le visage de Mutt (et un peu dans les draps aussi dans le processus).

« C’est malin », il réplique d’un ton qu’il ne sait pas rendre sévère tant il est mort de rire, en cet instant. « T’as intérêt à tout lécher, maintenant. »

Très volontairement, il trace de son propre chef une ligne de mousse au chocolat depuis le haut de son torse jusqu’à son bas-ventre. Bah quoi ? On se refait pas.

Il ne faut pas longtemps à Klaus pour céder à l’étreinte de Morphée. Toute la fatigue accumulée a pour de bon raison de lui, et la présence douce et réconfortante de Mutt a tôt fait de le convaincre qu’il peut s’endormir paisiblement, et en toute sécurité. Prétendre pour autant que sa nuit aura été douce et calme serait un mensonge. Plusieurs cauchemars l’on réveillé en pleine nuit, certains réveillant malheureusement aussi Mutt dans le processus. Fort heureusement, il réussissait à se rendormir malgré tout, grapillant çà et là quelques heures plus que nécessaires de sommeil.

C’est néanmoins très tôt, aux alentours de six heures, que Klaus constate qu’il ne sera cette fois plus capable de se rendormir, et fait le choix de ne plus essayer. Il s’est réveillé de son dernier « rêve » tremblant et en sueur, et, constatant que Mutt ne s’est pas réveillé cette fois, il a fait de son mieux pour s’extirper du lit le plus discrètement possible, non sans grapiller quelques minutes à simplement… le regarder… Le savoir là, à côté de lui, est certainement la plus grande source de réconfort qu’il puisse imaginer, elle apaise légèrement ses maux, le mal de crâne qu’il sent poindre à grande vitesse et cette impression de froid qui l’assaille un peu trop violemment et qu’il tente de contrer en enfilant rapidement un caleçon – qu’il suppose propre et en s’enroulant d’un plaid une fois dans le salon.

Tout d’abord, et en s’en rendant à peine compte, il tourne en rond dans la pièce, fait les cent pas, comme une manière d’occuper son corps pour contrer les directives de son esprit. Il a besoin de se laisser distraire d’une sensation qui lui est un peu trop familière : celle du manque. Il branche des écouteurs à son téléphone et met la musique à fond, sans ménager ses pauvres tympans, avec surtout l’intention de ne laisser rien d’autre que la musique, forte et énergique, emplir son crâne. S’occuper la tête, c’est fait, il décide maintenant de s’occuper les mains… Un petit déjeuner royal pour lui et Mutt, voilà ce qu’il faut qu’il fasse ! Pour le remercier d’être aussi patient et prévenant avec lui, et pour que cette journée démarre du meilleur pied. Tiens, il va leur faire des pancakes…

Il galère un peu à trouver tous les ingrédients dont il a besoin mais remarque quand même, au passage, que l’endroit est particulièrement bien rangé. Beaucoup mieux rangé que quand ils vivaient ensemble (est-ce que c’est lui qui foutait tant de bordel ou bien Mutt s’est trouvé un goût prononcé pour le ménage, d’un seul coup ?). Plutôt que de suivre une recette digne de ce nom, Klaus préfère tenter une préparation de tête, en versant au hasard de ses envies farine, sucre, lait et œufs dans un saladier, non sans en foutre un peu partout dans la cuisine, d’autant plus qu’il s’octroie le luxe de se dandiner ce faisant.

Puisqu’il ne s’entend pas lui-même, trop affairé à la tâche, il n’a pas la moindre idée du bordel monstre qu’il est en train de faire, ni de son manque de discrétion. Rien d’étonnant à ce que Mutt ne tarde pas à se réveiller à son tour et à le rejoindre dans la cuisine. Quand Klaus se voit, un large sourire s’affiche sur son visage.

« JE FAIS DES PANCAKES », hurle-t-il pour couvrir le son beaucoup trop fort pour couvrir le son de la musique qu’il écoute, elle aussi, beaucoup trop fort bien entendu.

Le sourire sur le visage de Mutt tandis qu’il lui retire ses écouteurs vaut tout l’or du monde aux yeux de Klaus. Il a tout à fait conscience d’avoir été trop bruyant, mais Mutt ne lui en tient pas rigueur un seul instant, pas plus que du bordel qu’il a mis un peu partout, et c’est tant mieux, parce que clairement, Klaus n’a aucune autre envie que celle de bien faire, en cet instant. La seule chose qu’il souhaite, là, c’est juste faire plaisir, même si c’est avec maladresse, et se distraire de toute émotion négative, de tout symptôme un peu trop brutal qui pourrait le détourner de son intention première de juste voir ce beau sourire sur le visage de celui qu’il aime.

« Je voulais te faire la surprise, que tu mettes les pieds sous la table et que tout soit prêt », lui répond Klaus sans vraiment de déception dans la voix car, à vrai dire, il préfère la présence de Mutt que de la musique trop forte ou de la cuisine hasardeuse quand le but de la manœuvre est de combler une solitude douloureuse, même quand elle n’est pas vouée à durer. « Mais ouais, vaut mieux que tu m’aides, je crois que j’ai mis plus de farine par terre que dans le saladier », il ajoute avec un air franchement amusé.

Mutt ajoute que préparer des pancakes, ça lui rappelle la maison, et Klaus constate immédiatement que quelque chose change, dans son regard, dans ses yeux qui tout à coup s’humidifient. Il n’a pas besoin de s’excuser, encore moins de se justifier, Klaus sait exactement ce que ça signifie. C’est un sujet qu’ils abordent parfois, mais finalement pas si souvent, parce qu’il est douloureux. Klaus, lui, ne demanderait qu’à ne jamais revoir son paternel, quand Mutt, de son côté, réclame ses parents sans succès. Et c’est normal que l’absence de ses parents lui pèse à ce point, c’est normal qu’il craque. C’est logique. Et Klaus se sent triste pour lui, et démuni aussi, face à sa détresse, parce que, de son côté, y a rien qu’il puisse faire pour l’aider à retrouver sa famille. Et c’est injuste, quand il songe que lui-même a retrouvé presque toute sa fratrie – y compris Ben. Tiens, il n’a même pas eu l’occasion de le lui dire, encore, pour Ben… mais c’est clairement pas le bon moment, là.

Sans hésitation, Klaus vient prendre Mutt dans ses bras, et le serre contre lui aussi fort qu’il le peut. Le voir ainsi pleurer, le savoir aussi mal, ça lui arrache le cœur. Littéralement. Il a vraiment l’impression qu’on lui en retire des lambeaux. Si quelqu’un mérite pas de vivre tout ça, c’est bien lui, et Klaus voudrait tant être capable de lui offrir un peu de bonheur !

« Tu sais, je suis sûr qu’on va finir par les retrouver, moi. Cette ville, elle est bizarre, faut attendre dix plombes pour retrouver les gens qu’on aime, mais ça finit toujours par arriver, alors toi aussi tu vas retrouver ton père et ta mère. C’est sûr, c’est même évident. »

Ou bien, c’est juste des paroles en l’air, parce que c’est pas une chose dont il peut être certain, encore moins une chose qu’il est en droit de promettre à Mutt, en réalité, mais en même temps, il a envie qu’il garde espoir.

« Va bien falloir que je rencontre ma belle-famille, au bout d’un moment », ajoute-t-il avec un sourire mutin. Il dépose un tendre baiser sur les lèvres de Mutt après avoir chassé les larmes sur ses joues du bout des doigts. « Tu te sens de les faire, ces pancakes ? Sinon, tu t’installes juste peinard sur le canapé, et je m’occupe de tout ! »

Klaus a-t-il vraiment raison ? Ou ne se contente-t-il pas d’abreuver Mutt de faux espoirs quand il serait autrement préférable qu’il tourne la page, qu’il accepte que ses parents ne sont pas là et qu’ils ne seront jamais là. Est-ce que ce ne serait pas mieux d’ailleurs ? S’ils ne sont pas là, ils ne sont pas prisonniers de cette île comme eux-mêmes le sont, après tout. Il devrait sans doute abonder dans ce sens, plutôt, mais non, il ne veut en aucun cas que Mutt baisse les bras, ce serait le pire, à ses yeux. Alors oui, il préfère croire qu’Indiana et Marion sont ici, et qu’il finira pas les rencontrer. Car c’est vrai que c’est ce qu’il souhaite. Oui, il a envie de rencontrer les parents de Mutt. Ils font partie constituante de son histoire, et surtout, Mutt les aime tellement. Il parle si souvent d’eux… Klaus a bien compris que toute l’attention et tout l’amour qu’il pourrait lui donner (et en même temps il en réclame beaucoup en retour, ce qui n’aide pas spécialement non plus) ne permettraient pas au jeune homme de combler ce vide… et si rien ne se passe, si ces retrouvailles n’ont pas lieu, il sera peut-être toujours insatisfait. Pour Mutt, Klaus serait même prêt à échanger sa place contre la leur s’il pouvait avoir l’assurance que ces retrouvailles le rendraient pour de bon heureux.

Donc non, il n’a peut-être pas raison, mais ça le rassure de voir Mutt sécher ses larmes et sourire, et lui parler de ses parents comme s’ils n’étaient pas loin, et comme s’il les rencontrerait forcément. Et il veut que ce soit vrai, que sa mère l’aimerait vraiment, que son père ferait un peu la tête mais finirait pas l’apprécier et l’accepter…

« Tu sais, tu m’as déjà tellement parlé d’eux que j’ai l’impression de déjà les connaître. Et ils pourront que m’adorer, je suis le gendre idéal », ajoute-t-il avec un sourire au coin des lèvres qui ne cherche pas le moins du monde à être convaincant. Bien sûr qu’il est loin, très loin d’être le gendre idéal, il ne cherche même pas à faire illusion à ce sujet, mais il estime que la situation est suffisamment détendue à présent pour qu’ils se permette de plaisanter.

Klaus pouffe de rire, amusé, quand Mutt lui fait remarquer que la mixture qu’il a concocté pourrait tout à fait servir de ciment à carrelage. Pas vexé pour un sou, il admet complètement sa défaite : au moins, il aura essayé, pas vrai ? Ceci dit, oui, c’est sans doute quand même mieux si Mutt l’aide un peu, parce que dans le cas contraire, ils risquent fort de mourir de faim, ou de finir par commander leur petit-déjeuner, s’ils ne se rabattent pas sur la mousse au chocolat de la veille.

« Au moins, on aura de quoi refaire les joints de la salle de bains, je devrais peut-être la mettre de côté… », suggère Klaus, qui n’a toujours pas fini de se marrer.

Bref, Mutt prend complètement les choses en mains, fait de Klaus son commis. Klaus affiche un sourire très explicite quand il ajoute qu’il va lui donner des ordres pour la peine. Avant de passer dans son dos, de glisser ses mains sur les siennes pour l’aider dans sa préparation. Klaus fait les choses bien, ou en tout cas il essaie. Croyez-le ou non, il prend ça très, très au sérieux. Les œufs ajoutés à la préparation, il attend la suite des directives de Mutt qui n’arrivent pas.

« J’ai l’impression que vous n’êtes pas très concentré, chef », remarque-t-il en se tournant vers Mut tour lui faire Klaus. « Je sais, je sais, je suis un éternel objet de distraction. » Il va glisser ses doigts dans ce qu’il lui reste de cheveux et a complètement oublié qu’il a de l’œuf plein les doigts. « Ouuups… Bah ça te fera un shampoing naturel, comme ça ! »

« Mince, c’était pas assez subtil ? » répond Klaus avec un sourire quand Mutt suggère qu’en lui badigeonnant le crâne d’œuf (jeu de mot intentionnel), ses cheveux repousseront plus vite.

Pas que ce soit son intention (il peut être perché mais pas à ce point-là tout de même), n’empêche qui si vraiment c’était susceptible d’accélérer le processus, il ne dirait pas non. Bon, clairement, ce n’est pas le genre de choses qui va le rebuter, d’autant qu’il continue de trouver Mutt absolument canon malgré tout, ça n’empêche pas le moins du monde, mais le fait est que ça reste un signe physique d’une décision impulsive, qu’il a prise parce qu’il était malheureux, malheureux à cause de lui, et c’est pas une chose que Klaus est capable de facilement occulter. Même si là, tout de suite, il préfère taquiner Mutt plutôt que de prendre le tout trop au sérieux.

Klaus se mordille légèrement la lèvre inférieure quand Mutt joue l’inspecteur des travaux finis… à sa manière bien à lui. Clairement, il le provoque, là. Et ça marche particulièrement bien, parce que Klaus est tout sauf indifférent, là, tout de suite… Bon, ils ont des pancakes à faire, et puis Klaus a faim, mais en même temps, là, comme ça, tout de suite… il a un peu de mal à se concentrer sur sa cuisine, surtout quand Mutt ne manque pas de lui rappeler qu’il y a plein de manière de cuisiner. Klaus oublie la farine, le sucre, les œufs, il s’en fout. Très rapidement, tout ce qui compte, ce sont les lèvres de Mutt pressées contre les siennes.

Le reste est accessoire, le reste n’a pas vraiment d’importance, tout compte fait. Jusqu’au moment où Mutt décide de profiter de l’absence totale de concentration de Klaus, bien trop concentré sur tout autre chose, là, tout de suite, pour se retrouver le cou couvert de farine. Le rire de Mutt est communicatif, non. Clairement, il ne va pas s’offusquer pour si peu, au contraire. Surtout qu’entendre Mutt rire, c’est certainement la plus belle mélodie du monde pour lui, alors oui vraiment, il peut continuer de rire autant qu’il le veut. Il a même intérêt.

« Je suis sûr qu’on peut faire un super gommage avec ça. Quoique… ça manque peut-être un peu de sucre », observe Klaus entre deux baisers passionnés.

Klaus cherche à tâtons le sucre sur le plan de travaille dans son dos, sans prendre la peine d’y jeter un regard – et pour cause, cela l’obligerait à détourner les yeux de Mutt, et c’est évidemment hors de question. Et donc, plutôt que de mettre la main sur le paquet de sucre, celle-ci, à la place, vient plonger directement dans la préparation à pancake encore incomplète. Il affiche d’abord une mine dégoutée en contemplant sa main couverte de pâte visqueuse avant de l’agiter sous le nez de Mutt en se marrant de plus belle. Il lui faut pas grand-chose, très clairement, mais n’empêche : ce que ça fait du bien de rire !

« Sinon », dit-il quand il a repris un peu son sérieux, mais les mains toujours pleines de pate à pancake, évidemment. « On sort prendre le petit dej dehors. » Il se reprend vite, songeant au fait que ne pas s’afficher plus que nécessaire reste une prérogative. « Ou je descends à la boulangerie et je nous prends de vrais croissants bien gras. » Il adresse à Mutt un sourire complice. « Enfin, y a pas besoin que ce soit tout de suite tout de suite, non plus. »

Il y a quelque chose d’évident mais d’en même temps infiniment rassurant à constater que leur relation n’a pas changé d’un pouce en dépit de ce qui leur est arrivé. Non, ce serait mentir que de prétendre que leur relation n’a pas changé, elle a bien évidemment évolué, et elle ne sera plus jamais complètement pareille après ce qu’ils viennent de traverser, mais en dépit de tout, leur complicité, elle, est intacte, et leur amour crève si terriblement les yeux que toutes les occasions qu’ils peuvent avoir de l’exprimer ne peut qu’être à saisir. Cette pièce emplie de leurs rires à tous les deux, le jeu auquel ils se livrent tous deux, il n’en faut pas plus à Klaus pour se sentir bien, pour se sentir heureux et complet. Même avec de la pâte plein les mains. Qu’il est très tenté d’aller essuyer sur le visage quand Mutt lui demande ce qu’il a voulu faire (comme s’il en savait quoi que ce soit).

Il s’abstient cependant quand Mutt suggère que oui, prendre le petit déjeuner dehors lui irait bien. Évidemment, Klaus sait ce que ça veut dire, et que ce ne sera clairement pas une raison pour se montrer câlins et expansifs en public, mais le seul fait que Mutt sache l’envisager sans s’en sentir angoissé, ça rassure d’office Klaus et rend cette perspective encore plus séduisante à ses yeux. Même s’il a raison : pour l’instant, ils sont l’inverse de présentables… Une petite douche ne serait pas de refus, même si faire une telle suggestion et penser qu’ils vont juste passer un coup sous l’eau avec un peu de savon, ce serait très mal les connaître. Mutt n’a même pas besoin de le sous-entendre, bien sûr, pour qu’il soit décidé, presque d’autorité, qu’ils la prendront évidemment ensemble, cette douche.

Klaus a à peine le temps de passer sa main crasseuse sous l’évier que Mutt l’entraîne déjà jusque dans la salle de bains, et il ne faut pas beaucoup plus longtemps pour qu’ils se retrouvent de nouveau nus comme des vers. Klaus rit de nouveau de bon cœur. C’est effectivement et définitivement absurde de leur part que de s’obstiner à se rhabiller comme ils continuent pourtant de le faire malgré leurs résolutions. Klaus ne dit rien, bien sûr, pas le temps de parler, pas l’occasion non plus, alors que ses lèvres n’ont pour unique but que celui d’embrasser celles de l’homme qu’il aime.

« J’ai ma petite idée », répond Klaus avec un sourire qui en dit long quand Mutt suggère, ses lèvres jamais loin des siennes, que de telles circonstances ne peuvent prêter qu’aux scénarios érotiques les plus échevelés. A n’en pas douter.

Klaus voudrait que ces mots qu’ils s’adressent avec tant de force et de sincérité ne soient jamais mis à l’épreuve des circonstances ou d’eux-mêmes, mais même s’il n’a pas toujours l’esprit au bon endroit, il se dit qu’à certains moments, ils risquent de vouloir se quitter de nouveau, parce que Klaus aura été intenable ou trop con, ou trop accro… va savoir quoi d’autre. Il tente de rejeter cette pensée malgré tout pour ne se concentrer que sur la présence réconfortante de Mutt à ses côtés, l’assurance qu’il ne le laissera plus jamais. Il a envie de se gluer à lui, là, tout de suite, pour l’obliger à tenir sa promesse. Extrême, vous dites ? Oh bah ça c’est sûr et certain : et les sentiments qu’il a pour lui le sont tout autant. C’est quelque chose qui fait partie de lui et qui le ronge. Il peut pas lutter contre ça. Ils s’embrassent, leurs lèvres ne décollent pas l’une de l’autre, du moins pendant un long moment, avant que le ventre de Mutt ne les rappelle à l’ordre. D’accord, d’accord, il est plus que temps de sortir de leur bulle – mais pas trop quand même – et de profiter de ce fameux petit déjeuner qui sera forcément cent fois plus agréable que tous les pancakes à texture de ciment frais qu’il pourrait lui préparer.

Ils prennent quand même le temps, au sortir de la douche, avant de daigner se décoller l’un de l’autre le temps de prendre de quoi s’habiller. C’est par réflexe que Klaus par en quête de ses propres affaires pour constater qu’elles n’ont pas bougé d’un poil. Cette pensée le fait sourire. C’est presque comme s’il n’était jamais parti. Sauf que cette pensée est traîtresse, bien évidemment. Elle suggère que les erreurs peuvent aisément s’effacer, que les addictions peuvent aisément s’oublier sous l’impulsion d’une autre addiction, elle amoureuse. Mais les choses ne se passent jamais ainsi, bien sûr.

« OK pour le diner d’Allison », confirme Klaus avec un sourire.

Il se sent partagé. Il aimerait y croiser Allison et lui présenter Mutt, et en même temps, avec l’enfer qu’il a fait traverser à sa fratrie ces derniers temps, revenir comme une fleur pour le petit déjeuner n’est pas forcément l’idée la plus brillante du monde. Enfin, dans tous les cas, ils ne la croiseront très certainement pas.

Ils quittent l’appartement, et la main de Mutt vient serrer la sienne. Klaus sourit, il sait à quel point un geste comme celui-ci, si naturel quand ils sont à l’appartement, devient difficile pour lui dès qu’ils en sortent, de même pour le baiser qu’il dépose sur sa tempe. Il sent cependant, même si pour l’heure, il n’y a vraiment personne dans le coin, que Mutt reste mal à l’aise.

« Je sais, t’en fais pas », répond Klaus sans avoir besoin que Mutt se justifie davantage quand Mutt lui laisse entendre qu’il ne présumera pas de ses réactions une fois à l’extérieur.

Est-ce qu’il pourra prétendre qu’elles ne le blesseront pas du tout ? Sans doute pas. Il essaie de passer outre, il a pas envie de lui faire des reproches qu’il regrettera ensuite, mais pas simple de retourner dans un placard où il n’a jamais vraiment été pour sa part, en vérité. Klaus serre doucement sa main dans la sienne en signe de soutien. Quand les portes de l’ascenseur s’ouvrent au rez-de-chaussée, c’est lui qui relâche sa main sans attendre que Mutt le fasse de ce côté, pas par envie de rompre ce contact, mais pour lui faire comprendre qu’il n’est pas obligé de faire ça. Pas là, tout de suite, en tout cas. Ils peuvent juste prendre le petit déj sans démonstration d’affection. D’accord, c’est presque plus fort qu’eux que de s’en donner, ça ne veut pas dire qu’ils n’en sont pas capables. Ça ne les empêchera pas d’en profiter. Déjà ils sont ensemble, alors ça va très bien.

Ils finissent par arriver au diner. Par réflexe, Klaus cherche sa sœur du regard, mais cette dernière n’est effectivement pas là. Ils s’installent à une table, et Klaus zyeute la carte comme si c’était la chose la plus incroyable qu’il ait jamais vue de sa vie.

« J’ai tellement faim, j’ai envie de tout commander ! On commande tout, dis ? » il demande avec le regard brillant d’un véritable gamin. « C’est bête qu’Allison soit pas là, elle nous aurait fait un prix. En fait, faudrait que je la revois, puis les autres aussi, j’ai pas été… » Il ne finit pas sa phrase, il y a des souvenirs qu’il préfère chasser de ses pensées s’il le peut. « OH ! » il reprend en reposant la carte un peu trop fort sur la table. « Je t’ai pas dit ! Ben est là. Pour de vrai ! De vrai de vrai, en chair et en os ! »

« Évidemment que je vais tout manger », fait mine de s’offusquer Klaus quand Mutt décide de freiner sa frénésie petit-déjeunière.

La vérité, c’est que, connaissant l’énergumène, et surtout au vu de la manière dont son estomac a été malmené ces derniers temps, il est plus que probable qu’il se sente rassasié après quelques bouchées, mais avoir les yeux plus gros que le ventre serait presque une marque de fabrique chez lui, il se verrait mal s’en priver, ce serait presque une insulte à sa personnalité flamboyante – autant dire, donc, que c’était tout à fait inconcevable.

M’enfin, il peut bien se rabattre sur un super-menu malgré tout. Il ne cherche même pas à négocier, car maintenant seulement, il réalise qu’il ne lui a toujours pas parlé de ce sujet qui devrait pourtant avoir une importance primordiale, plus que tous les autres. Parce que c’est clair que Klaus a tanné Mutt avec Ben, normal, il ne fait même pas exprès, mais Ben fait souvent une apparition, même lointaine, même anecdotique dans toutes les histoires qu’il pourrait raconter sur lui (logique, en même temps), alor en toute logique, ouais, il en a pas parlé à moitié à Mutt, ironique quand on sait les efforts qu’il fournissait à nier l’existence de Ben auprès de tout le monde quand il était à ses côtés, il n’a sans doute jamais autant parlé de lui qu’à partir du moment où il n’était plus là. Mais il est là, oui, et Klaus a trop envie de le voir rencontrer Mutt, c’est sûr qu’ils vont s’adorer.

« Bah il est vivant de chez vivant, hyper… palpable », ajoute-t-il faute d’un meilleur terme. « Et un peu qu’il faut que tu le rencontres, tu vas l’adorer, il va t’adorer… Bon… c’était pas… je sais pas trop en fait, quand je l’ai revu, j’étais pas… enfin pas très en forme, tu vois. »

Donc ça n’a peut-être pas été les retrouvailles du siècle, et il serait assez incapable de dire de quoi ils avaient parlé plus exactement. C’était sans doute pas plus mal. Le revoir dans de meilleures conditions, et avec Mutt, ce serait clairement un progrès.

Alors qu’ils discutent de tout ça, Klaus sent la main de Mutt se poser sur son poignet, et ça le fait sourire. C’est sûrement la démonstration d’affection publique la plus directe qu’il lui ait adressée jusqu’ici, alors peut-être que pour plein de gens, ça peut avoir l’air de rien, mais pour Klaus, c’est pas la même chose, en revanche. Pour Klaus, ça compte vraiment. Klaus s’en ficherait presque de sa commande, à ce stade, il se contenter de demander « la même chose » que Mutt. Klaus s’apprête à reprendre la parole, mais il voit que le regard de Mutt est perdu ailleurs. Son regard suit le sien. Un type près du bar, et il voit son sourire disparaître.

« Tu le connais ? » demande Klaus alors que le type les dévisage.

Bon, en tout cas, lui, c’est sûr qu’il connaît au moins Mutt. Le type se rapproche et casse leur bulle de bonheur en quelques secondes seulement. Le mec vient carrément s’installer à leur table. Ben vas-y, demande pas la permission, surtout…

« Te dérange pas, surtout. »

Et le ton est direct donné quand le gars prend la parole, traite Mutt de PD (mais qu’il aille bien se faire voir, en fait ?). Et ça monte dans les tours, d’un côté comme de l’autre. Klaus laisse son regard aller de l’un à l’autre comme s’il suivait un match de ping-pong. Il s’était pas du tout, mais alors pas du tout attendu à ça. Et encore moins à ce qui arrive ensuite. Le gars qui pose la main sur la cuisse d’un Mutt figé de panique. Klaus, comme sur des ressorts, se redresse d’un bond.

« Mais tu vas le laisser, oui ? »

L’instant d’après, le poing de Klaus vole dans le visage de Monty sans que lui-même comprenne ce qu’il est en train de faire. Pas son genre de se battre, mais il a vu la détresse de Mutt, non, il l’a ressentie, comme si c’était sa détresse. Il fallait qu’il réagisse, qu’il fasse quelque chose, et spontanément, la tarte en pleine figure, ça a encore semblé le plus adéquat.

« Aouch ! » sa main ne le remercie clairement pas, là, tout de suite. Il a les phalanges en feu. Il agite ses doigts en l’air en espérant faire passer la douleur. Bordel, ça fait mal de foutre des pains.