Quand Clarke lui demande s'il voit la créature, il ne répond pas, ce qui en soi tient lieu de réponse. Non, il ne la voit pas, il cherche autant que possible à identifier chaque son incongru, qui n'aurait rien à voir avec les bruits naturels de la forêt, avec ceux de l'orage ou de la pluie qui tombait dru, mais ça n'avait rien de simple. Que voit-il ? Cette question lui a souvent été posée, jamais de façon anodine. Est-ce une nouvelle illusion ? Un cauchemar éveillé ? Est-ce que Clarke se tient-elle seulement à ses côtés ? Que voit-il... ? Rien, en revanche, il sent sa présence, pesante, menaçante. Il a le sentiment que la créature leur tourne autour, un comportement de prédateur, il a le sentiment qu'elle est ici et partout à la fois. Peut-être que ce n'est pas entièrement faux, après tout. Qui sait si cette créature est vraiment seule ? Qui sait de quoi elle peut bien être capable ? Les doigts fermement serrés autour de son arme de fortune, il ne se leurre pas quant au fait qu'elle lui sera sans doute d'une bien maigre utilité. Mais qu'importe.
L'heure n'est malheureusement pas à la réflexion ou à l'élaboration d'un plan plus complexe, la créature charge à nouveau, et c'est de justesse qu'ils échappent à ce nouvel assaut. Il faudrait qu'ils regagnent la route, pour Will, c'est la seule option. Certes, ils seront à découvert, mais la créature aussi, et il serait peut-être plus simple, par conséquent, de la voir arriver, de l'identifier, et de déterminer peut-être, qui sait, une manière ou une autre de la combattre et de l'arrêter. A l'heure actuelle, la créature n'est jamais qu'une ombre, une ombre dont ils peuvent jauger le caractère bestial et violent, la taille imposante, mais c'est à peu près tout... Impossible pour l'heure de lui identifier le moindre point faible...
Mais comment rejoindre la route, cependant ? Il ne s'en était pas rendu compte, mais à éviter ainsi la charge de cet animal, ils ont aussi perdu de vue le "chemin" par lequel ils sont venus. Ou bien la route aura-t-elle disparu, comme leurs voitures auparavant ? A ce stade, difficile de savoir si c'est à cet endroit qu'ils doivent cesser de se fier, ou bien à leurs propres sens. Et les circonstances ne leur laissent guère l'occasion d'y réfléchir davantage.
Au moment où la créature charge de nouveau, Will n'est pas assez rapide, il est directement bousculé par l'animal, qui le fait tomber dos au sol. Tandis qu'il le surplombe de toute sa hauteur, il a l'occasion d'en observer les contours plus distinctement. Est-ce que... Une carrure impressionnante et... une ramure dense et menaçante. Un cervidé comme ceux qui hantaient ses hallucinations.
Ce n'est pas un hasard, ça ne peut pas être un hasard... Mais Clarke voit-elle seulement la même chose que lui, si elle voit quoi que ce soit ? Il n'a pas la moindre idée d'où elle se trouve à l'heure actuelle. Dans un réflexe heureusement retrouvé à temps après un bref instant proche de la paralysie, il tente de se défendre, le morceau de bois qu'il tient entre les mains cogne contre le cou de l'animal, lui fait pousser un grognement, semble plus énervé encore. Will tente de se redresser au moment où la créature rapproche son immense gueule de son visage. Il va avoir besoin d'une diversion. N'importe laquelle.
La peur gagnait peu à peu Clarke. Elle se sentait prise au piège dans cette forêt avec, pour seule arme, une vieille branche et avec pour seul allié, un homme qu'elle connaissait depuis moins d'une heure. Ils ignoraient tout de la créature si ce n'était qu'elle semblait immense. Ils ne la voyaient pas. Elle, en tout cas, elle ne la voyait pas et puisque l'homme n'indiquait rien, ça devait être le cas également pour lui. Comment lutter, sans arme, contre une créature qui préférait l'obscurité et dont ils ne savaient rien ? La seule chose dont elle était certaine, c'était que ce monstre était là. Quelque part. Il leur tournait autour. La pression montait à chaque seconde. La peur de ne pas voir le coup arriver. Les questions étaient nombreuses également. Que voulait cette créature ? Etait-elle seule ? Avaient-ils la moindre chance ?
Clarke tentait d'avoir les yeux partout, de distinguer le moindre bruit indiquant la présence de la créature et son approche. C'était mission impossible, ou presque. La pluie et l'orage empêchaient de distinguer quoi que ce soit. Rejoindre la forêt avait été une bien mauvaise idée. Elle se maudissait de s'y être aventurée, quand bien même elle avait fait ça pour s'armer. Il était, de toute façon, trop tard pour retourner en arrière. Ils ne pouvaient plus faire grand chose, hormis éviter les attaques de cette bête. Les éviter et survivre. Survivre dans l'espoir de quoi ? De voir la bête se fatiguer avant eux ? De la voir s'enfuir ? D'attendre un miracle et de les voir gagner face à eux ?
Une nouvelle charge de l'animal et Clarke se retrouva obligée de s'éloigner de l'homme pour l'éviter. Ce n'était pas une bonne idée. Ils devaient rester ensemble pour espérer vaincre ce monstre. Ensemble, ils étaient plus forts. Lorsque Clarke se décala donc sur le côté, elle remarqua la créature qui se jetait sur Will. Clarke retint un cri, s'imaginant déjà assister à une scène horrible où son compagnon d'infortune termine déchiqueté par la bête. Deux solutions s'imposèrent alors à elle : l'aider ou fuir. En effet, Clarke aurait pu fuir maintenant que la bête était intéressée par Will et ainsi elle aurait une chance. Mais quelque chose, tout au fond d'elle, lui disait que non. Fuir n'était pas la solution et qu'elle ne retrouverait de toute façon pas la sortie ou la liberté en fuyant. Puis, ce n'était pas elle. Clarke ne prenait pas la fuite. Elle affrontait le danger. Il était hors de question de l'abandonner ici.
Alors, elle devait trouver quelque chose. Elle ne pouvait pas rester spectatrice de ce qu'elle voyait. Il fallait qu'elle l'aide parce qu'il ne tiendrait pas éternellement cette position. Pourtant, elle n'agissait pas, fascinée par cette créature qu'elle voyait. Ce cerf à deux têtes qu'elle avait croisé lors de sa première journée sur Terre, lorsque sa propre mère l'avait envoyée sur une Terre potentiellement mortelle. S'il possédait bien deux têtes et des marques laissées par les radiations sur Terre, il était en revanche bien plus imposant que celui qu'elle avait rencontré la première fois. Il semblait immense. Que faisait-il là ? Ce monde n'avait pas connu les radiations comme le sien ! Peut-être devenait-elle folle ? Elle secoua finalement la tête, tentant de se reprendre. Will tentait de repousser l'animal, en vain. Sans trop réfléchir, Clarke se rapprocha d'eux et donna un coup du bâton qu'elle avait entre les mains sur le flanc de l'animal, aussi fort qu'elle le pouvait. « On ne s'attaque pas à quelqu'un qui est à terre ! » cria-t-elle en même temps, même si cela n'avait aucun intérêt. Elle voulait attirer son attention, elle voulait blesser la créature pour donner à Will le temps de se relever. Cela semblait fonctionner, la créature oublia l'homme un instant pour se retourner vers Clarke. Clarke qui reculait tout en serrant cette branche entre ses mains. Elle était désormais sa seule protection.
Lorsque la créature blessée chargea de nouveau, elle ne fonça pas directement sur Clarke, elle la frôla, la blessant légèrement au bras au passage et lui faisant tomber l'arme des mains, pour aller se réfugier entre les arbres. « Vous allez bien ? » demanda-t-elle à l'homme. « Elle va revenir, on doit essayer de sortir d'ici. » mais comment ? Tout autour d'eux se ressemblait. Il n'y avait ni chemin, ni allée pour leur indiquer la sortie. Ils étaient trempés, désarmés et perdus. Que devaient-ils donc faire pour avoir le droit de vivre et de quitter cet endroit ? Devaient-ils battre cette créature ? Trouver quelque chose ? Ne pas savoir était sans doute le pire parce que cela donnait l'impression que jamais il n'allait s'en sortir et qu'ils étaient condamnés à rester coincés dans cette forêt.
Que se serait-il passé si Clarke n'était pas venue à sa rescousse. Il n'en a pas la moindre idée. Et surtout, il ne veut pas le savoir. L'idée que sa vie aurait pu en finir - une seconde fois - si stupidement est assez intolérable pour lui. Non, il ne veut pas le savoir... parce qu'il ne veut pas envisager l'imminence d'un sort par trop funeste. A la place, il préfère, et de loin, se concentrer sur le moment présent et l'échappatoire que Clarke lui offre en s'attaquant à la bête. Celle-ci, totalement prise au dépourvu, détourne son attention de Will un moment, lui permettant de se redresser et de prendre ses distances. Lui aussi, il devait trouver une manière de s'en prendre à cette créature : mais pour l'avoir vue de près, il ignore définitivement de quelle façon ils pourraient vraiment être capable de s'attaquer à lui. Il a eu affaire à des monstres dans sa vie, c'est vrai, mais tous avaient figure humaine. Là, tout de suite, il a en sa présence une bête... une bête au passage beaucoup trop familière, et il sent la panique l'étreindre.
De loin, il voit la créature s'attaquer à la jeune femme. Elle fond sur lui mais ne fait que l'effleurer, semble-t-il, même si son bras paraît légèrement touché malgré tout. Il parvient à la rejoindre tandis qu'elle lui demande comment il va. Objectivement, il va bien, il l'a échappée belle, mais physiquement, il n'a pas souffert. Mentalement, en revanche, c'est autre chose. Il est sonné, ce qui est plutôt logique, mais il n'a pas le temps de l'être, ils doivent rester alertes, sans quoi cette situation aura de bonnes chances de très mal finir... pour peu qu'elle ait des chances de bien finir, ce dont il commence à très sérieusement douter, pour tout dire.
"Ca va", répond-il dans un hochement de tête. "Et vous ? ...Votre bras ?"
Il ne peuvent pas se permettre de disserter longtemps sur la question. Il faut espérer que la jeune femme ne soit pas trop gravement blessé, c'est certain, sans quoi cette situation pourrait encore se compliquer (comme si c'était vraiment possible). Il hoche la tête tout en essayant de déceler quelque chose, n'importe quoi, qui leur indiquerait comment sortir de cette forêt. Mais tout comme la route plus tôt avait semblé ne jamais se terminer, il a sensation que cette forêt, elle aussi, est sans fin.
"Vous l'avez vu... en détails, je veux dire ? Elle avait des bois, comme un cerf mais... plus imposant ?"
Ce peut sembler sans importance, mais il a besoin d'entendre qu'elle a bien vu la même chose que lui, sans quoi, tout cela ne viendrait qu'épaissir un mystère qui n'a à l'évidence pas besoin de l'être.
"Je crois... que je vois une lumière, là-bas, entre ces deux arbres", dit-il en désignant le point qu'il vient de remarquer, et qui ne l'avait pas frappé jusqu'alors. Ce pourrait être les phares d'une voiture. Ou bien ça pourrait ne rien être du tout.
Dans tous les cas, ça ressemble à quelque chose, et quelque part, c'est presque un progrès.
La créature était clairement plus forte qu'eux. Plus forte, plus imposante, plus rapide. Eux, ils n'étaient que deux humains perdus au milieu d'une forêt inconnue, armés de branches d'arbre, sous une forte pluie et un orage. Autant dire que le combat n'était pas égal et l'issue de ce dernier semblait clair. Sauf que Clarke ne comptait pas s'avouer vaincue. Combien de fois la situation avait semblé désespérée ? Combien de fois avait-elle pu s'en sortir malgré tout ? Elle allait y arriver. Ils allaient y arriver. Alors lorsque la créature attaqua Will, le faisant tomber au sol, Clarke ne put que réagir. Elle avait pris un peu de temps, fascinée par ce qu'elle voyait, mais elle avait fini par réagir. La jeune femme avait donc attaqué la bête en lui donnant un coup de branche sur le flanc. Cela avait parfaitement fonctionné puisque la créature détourna son attention pour la reporter sur Clarke. Elle était sa nouvelle proie. Clarke reculait, sa seule arme entre les mains. La créature se jeta alors sur elle, mais plutôt que de l'attaquer et de lui réserver le même sort qu'à l'homme, elle l'avait frôlé et s'était réfugiée de nouveau dans la forêt. Ce n'était qu'un court répit qui les attendait, rien d'autre. Il ne fallait pas avoir la bêtise de croire que tout était fini.
Will rejoignit finalement Clarke. La jeune femme lui demanda comment il allait. Peut-être était-il blessé ? Elle espérait bien que non parce qu'elle voulait avoir une chance de s'en sortir. Il la rassura puis lui retourna la question. A ses mots, elle jeta un rapide coup d'oeil à ce bras blessé. Ça picotait, mais rien de plus. Elle l'avait à peine touchée et ça, elle aimerait savoir pourquoi. Elle ne comprenait pas. Il aurait été si simple de se jeter sur elle. Pourquoi ne pas l'avoir fait ? « Ce n'est qu'une égratignure. » répondit-elle sans perdre de temps. Parce que du temps, ils n'en avaient pas. En revanche, si elle avait bien autre chose à dire c'était qu'il fallait se dépêcher parce que la bête reviendrait.
Sauf que se dépêcher de faire quoi ? Cette forêt ne semblait pas avoir de sortie. Ils étaient comme coincés, entourés par les arbres, pris au piège. Où étaient les sentiers ? Comment avaient-ils pu s'enfoncer autant ? Elle devenait folle. La situation lui faisait perdre son calme. L'homme reprit alors la parole, lui demandant des détails sur la créature qu'elle avait eu l'occasion de détailler par deux fois : lorsqu'elle attaquait l'homme et lorsqu'elle s'approchait d'elle. Quelque chose interpella alors la blonde. Cette créature avait deux têtes et des marques laissées par les radiations. N'aurait-ce pas dû être les premiers détails à donner ? Pourquoi n'en parlait-il pas ? « Oui. C'était une sorte de... cerf. Imposant et... » elle tourna les yeux vers lui, fit une courte pause et reprit : « avec deux têtes. » elle l'observa longuement, attendant sa réaction. Sa réponse.
L'homme désigna finalement un espace entre deux arbres où il distinguait de la lumière. Clarke eut un soupir de soulagement, espérant enfin quitter la forêt. Même si elle ne croyait pas aux miracles et se disait qu'il y avait bien peu de chances que tout rentre dans l'ordre alors qu'ils n'avaient rien fait de particulier. « Allons voir. » déclara Clarke en s'avançant vers cette source de lumière. « C'est une plaisanterie ? » demanda-t-elle puisque plus ils s'avançaient vers cette lumière, plus elle semblait être loin - ou à la même distance, en tout cas. Etaient-ils en train de s'enfoncer dans cette forêt en suivant un piège ? Elle commençait sérieusement à se le demander. « Nous n'avons pas pu aller si loin la première fois, si ? » N'auraient-ils pas dû atteindre la route depuis un moment ? Les distances semblaient ne rien valoir ici, il ne fallait pas s'y fier et il en devenait compliqué de savoir comment et où se diriger. « Je ne sais pas vous, mais j'ai un mauvais pressentiment. » En même temps avec tout ce qui venait de se passer, normal, non ? « J'ai l'impression qu'on fonce tout droit vers un piège... » Peut-être se trompait-elle totalement, mais son instinct lui conseillait de se retourner et de courir. Mais avant toute chose, elle voulait avoir l'avis de Will, peut-être gardait-il davantage son calme et raisonnait-il mieux qu'elle, à cet instant précis.
Quand Clarke lui confirme tout d'abord que la créature était bel et bien un cerf, un cerf trop imposant par sa taille pour être de ceux que l'on croiserait normalement en forêt, Will se sent en partie soulagé... et en partie non. Soulagée car il ne l'a donc pas imaginé, et en même temps... Un cerf... Est-ce que ce n'est pas terriblement spécifique ? Hasard, ironie ou machination plus obscure que cela, il n'en sait rien, mais il finit par se demander s'il n'est pas responsable de l'apparition de cette bête... même si ça n'a aucun sens (mais pas plus que la situation en elle-même, cela dit, alors à partir de là). Du moins jusqu'à ce que la jeune femme y aille de ses propres observations.
"Deux têtes ?..." répète-t-il, parfaitement désarçonné par une telle information.
Est-ce qu'il est vraiment possible que la créature ait été bicéphale et qu'il ne l'ait même pas remarqué après l'avoir vue d'aussi près ? Après qu'elle l'ait surplombé de toute sa hauteur ? Peut-être que la peur avait altéré sa perception, mais tout de même... de là à ne pas remarquer que ce monstre avait deux têtes ? Et non, il ne remet pas en question la description que lui fait Clarke. Il ne comprend rien de ce qui se passe, mais il a décidé de lui faire confiance, et elle lui a déjà prouvé être digne de cette confiance. Il serait plus simple, d'ailleurs, de remettre tout de go son discours en cause, car de fait, le voilà contraint d'admettre... l'inadmissible. "Je n'en ai vu qu'une..."
A la façon dont elle l'a regardé en attendant sa réponse, il devine qu'elle a pensé la même chose que lui avant qu'il ne s'exprime. Ils ont vu la même chose... et en même temps, ils n'ont absolument pas vu la même chose. Mais alors quoi ? Est-ce que cette bête se métamorphose au gré de qui les observe ? Ou bien est-ce une sorte d'étrange hallucination collective ? Mais pourquoi verrait-elle un cerf, elle aussi, eut-il deux têtes ou non ? Sans compter que sa blessure au bras, bien que superficielle, n'en est pas moins réelle.
Malheureusement, ils n'ont pas le temps de s'épancher sur ce genre de considérations, ils n'ont pas le temps de s'épancher sur quoi que ce soit. Ce sont leurs vies qui sont en jeu, et l'urgence leur impose d'agir d'abord et de réfléchir ensuite, quand bien même Will sait, d'expérience, que ce n'est jamais la meilleure des options que d'agir sans réfléchir.
La source de lumière que Will repère, Clarke semble la voir aussi, et c'est de concert qu'ils avancent aussi rapidement qu'ils le peuvent dans cette direction, sans la moindre idée de ce qui pourra bien les attendre. Malheureusement, ce semblait n'être qu'un piège de plus. A mesure qu'ils avancent en direction de la lumière, cette dernière paraît s'éloigner toujours davantage d'eux, ne leur laissant aucune sorte de répit. Plus ils s'enfoncent, plus les pensées de Will rejoignent celles de Clarke. Non, ils ne s'étaient pas à ce point éloignés de la route, et maintenant, il est très probable que cette lumière ne soit qu'un leurre et ne cherche qu'à les voir s'enfoncer encore plus profondément dans les profondeurs de cette forêt.
"Je crois que vous avez raison", admet Will en s'arrêtant un instant le temps de réfléchir. Ils ne peuvent pas se permettre de faire du surplace éternellement, mais se jeter tout droit dans la gueule du loup ne leur sera pas d'une grande aide non plus, certainement pas. Ils doivent prendre le temps d'y réfléchir aussi posément que nécessaire. Parfois, la meilleure manière de déjouer un piège est encore de s'y précipiter pour l'observer de près, mais dans des circonstances comme celles-ci, Will est d'avis que ce serait la pire idée possible. Il prend une grande inspiration, cherche à se focaliser. "Très bien, on va dans la direction opposée. Aussi vite qu'on peut et sans se retourner."
Et s'ils se tirent de ce bourbier en un morceau, il y a pas mal de choses sur lesquelles il faudra qu'ils reviennent, mais ce n'est ni l'endroit, ni le moment.
Tous les deux semblent avoir vu la même chose à un détail près. Un détail d'importance. Le cerf que Clarke avait vu possédait deux têtes, comme celui qu'elle avait vu la première fois qu'elle avait posé les pieds sur Terre. Ça ne pouvait pas être un hasard. Cette chose était forcément liée à elle d'une quelconque façon. Peut-être devait-elle y comprendre un message caché ? Le plus étrange était que pour Will, ce cerf semblait avoir également une signification - c'était en tout cas l'impression qu'il donnait. Il avait une signification, mais il n'avait qu'une tête d'après son étonnement. Alors comment avaient-ils pu être attaqués par la même créature, sans voir pourtant la même chose ? Cette ville avait le don de rendre fou, de rendre les choses incompréhensibles, de jouer avec ce qu'ils entendaient ou voyaient. Ils ne pouvaient faire confiance à personne, à rien. A la question d'étonnement de Will, Clarke se contenta de secouer la tête de haut en bas pour confirmer. Oui, il avait deux têtes. Elle n'en ajoutait pas plus parce que ce n'était pas le moment pour en discuter plus en détail ou pour comprendre la signification de toute cette histoire. La première chose à faire était de sortir d'ici et, de préférence, en vie. Clarke l'avait longuement observé, comprenant plus clairement qu'il n'avait vu qu'une tête, confirmant cette pensée qu'elle avait pu avoir. Il le déclara d'ailleurs très clairement comme pour mettre fin aux doutes de la blonde. « C'est impossible... » souffla-t-elle. Elle ne remettait pas en doute les mots de l'homme ou ce qu'il avait vu, simplement la situation dans laquelle ils se retrouvaient piégés depuis... Depuis combien de temps d'ailleurs ?
Il fallait sortir d'ici. Ça devait être leur priorité, leur principale préoccupation. La pluie ne s'arrêtait pas. La bête était sans doute cachée et attendait le bon moment pour attaquer. Ils étaient perdus en plein milieu de la forêt. Leurs voitures ne fonctionnaient plus et ils ne les avaient pas retrouvés. Il leur fallait comprendre quoi faire pour sortir d'ici, si quelque chose attendait quelque chose d'eux.
Une nouvelle chose semblait les aider à se repérer, à se diriger. Une lumière qu'ils se décidaient à suivre à travers la forêt. Mais plus ils s'approchaient, plus la lumière semblait s'éloigner ou rester toujours à même distance. Comment était-ce possible ? Clarke ressentait quelque chose, elle avait un mauvais pressentiment. Ils s'enfonçaient dans la forêt et cela ressemblait tout simplement à un piège dans lequel ils s'étaient jetés sans réfléchir, ne voyant que l'espoir de sortir de cet endroit maudit. Clarke avait alors fini par partager son ressenti et ses craintes. Ils s’arrêtèrent un instant, Will confirmant les craintes de la jeune femme. Il prit alors la décision de se diriger à l'opposé de cette lumière, aussi vite que possible. Alors Clarke ne discuta pas et se mit à avancer aussi vite que possible dans la direction opposée. Ils marchèrent un moment sans échanger un mot. Le temps semblait plus long, alors il était compliqué de dire combien de temps exactement. La pluie ne s'arrêtait toujours pas, ils étaient trempées, Clarke était épuisée et pourtant il ne semblait toujours pas y avoir de sortie. « Stop ! » Cria-t-elle à l'homme pour être certaine de se faire entendre alors qu'elle avait l'impression d'avoir parcouru des kilomètres et des kilomètres dans le vide. Ils ne sortiraient pas d'ici. « Ça ne sert à rien ! On peut parcourir la forêt tant qu'on veut, on ne sortira pas d'ici ! » lança-t-elle en désignant les alentours de ses deux mains pour montrer cette forêt sans fin. Elle n'en pouvait plus, la situation la rendait folle. « Tout ça, ça ne peut pas être un hasard... » souffla-t-elle alors, toujours arrêtée, malgré ce qu'elle semblait prétendre plus tôt dans la voiture. Ça ne pouvait pas être un simple hasard parce que si ce n'était que ça, elle ne pouvait pas trouver de sens à ce qu'elle était en train de vivre. « On ne bougera plus d'ici ! » cria-t-elle désormais à... à qui, d'ailleurs ? Elle n'en savait rien, elle-même. Elle s'imaginait qu'une force invisible, que quelque chose, que quelqu'un les observait alors elle s'adressait à cette chose. « Ne comptez plus sur nous pour vous divertir, ne comptez plus sur nous pour prendre la fuite... » elle parlait au nom de Will, sans vraiment se soucier de son point de vue. Il devait la prendre pour une folle à hurler dans le vide, pleine de rage, à parler à l'invisible, plantée là, trempée, au milieu de la forêt. « On ne bougera plus d'ici. Envoyez-nous ce que vous voulez, faites ce que vous voulez... On gagnera le droit de sortir ! » Lança-t-elle, reposant les yeux sur Will. Inutile de perdre davantage de temps. Ils ne gagneraient rien à fuir de toute façon, elle en était désormais persuadée. Elle avait déjà été confrontée à pire, il fallait qu'elle affronte ça comme elle avait toujours affronté son passé : sans fuir, en prenant les décisions difficiles, en affrontant le danger. Parce que c'était, finalement, toujours le seul moyen pour s'en sortir. Pas le meilleur pour s'en sortir indemne, mais le meilleur pour régler les problèmes. Le seul qu'elle connaissait.
Oui, c'est impossible... Evidemment que c'est impossible. Tous deux semblent autrement intelligents et rationnels, tous deux ne semblent pas de nature à s'engager dans les élucubrations les plus folles. Mais en même temps... qu'est-ce qui est encore impossible, à ce stade ? Rien de tout ce qu'ils ont vécu cette nuit ne semble entièrement possible : cette route sans fin qu'il n'avaient jamais vue un jour ? La panne simultanée de leurs véhicules, l'attaque de cette créature gigantesque, peu importe qu'elle ait une ou deux têtes... Tous ces événements ne savaient pas trouver d'explication cohérente...
Alors, à ce stade, est-ce encore si incongru que d'admettre que l'un et l'autre n'ont pas vu la même chose ? Peut-être pas... peut-être même que cela devrait les rassurer... enfin, oui ou non. S'ils étaient tous deux aux prises avec une sorte d'hallucination collective, alors il leur serait plus simple - peut-être - de s'en tirer que s'ils étaient vraiment la cible d'un monstre, et ce qu'importe son apparence. Impossible ou pas, quoi qu'il en soit, l'essentiel reste de parvenir à quitter cet endroit. Tout le reste a bien peu d'importance en comparaison.
Alors qu'ils courent sans le moindre repère, sous la pluie battante et sans la moindre idée d'où ils pouvaient se rendre, Clarke a la lucidité de les interrompre dans leur course. Le constat qu'elle formule est fataliste, certes, mais force est d'admettre qu'elle a bel et bien raison. Ils auront beau explorer cette forêt en long et en large et de fond en comble, ça ne changera absolument rien. Ils ne peuvent pas fuir cette situation, mais ils peuvent se poser et tenter de l'appréhender. Will reste muet tandis que Clarke déverse sa rage sur un ennemi inconnu. Crier et donc signaler leur présence (comme si elle ne l'était pas déjà) ne lui semble pas forcément des plus avisé, mais il laisse faire. Dans tous les cas, le danger, au vu de sa nature, ne va pas être moins important sous le prétexte de faire preuve d'une quelconque discrétion.
"Très bien", soupire-t-il. "On ne peut pas fuir la menace, et on ne peut pas espérer la vaincre par la force." Il laisse passer un temps de silence. "Ce cerf à deux têtes, qu'est-ce qu'il représente, pour vous ?" Est-ce qu'il représente quelque chose ? Peut-être que c'est un hasard malgré tout. "Je ne crois pas que ce soit un hasard si on nous a envoyé cette créature en particulier. Ou si nous ne l'avons pas vu de la même manière."
Il marque une pause, se lance. Il ne peut pas tout dire, Clarke estimerait sans doute, s'il lui racontait toute l'histoire, qu'il est le monstre qu'elle devrait fuir, bien plus que le monstre, bien plus que la pluie, la forêt et la route sans fin. "Dans mon autre vie, il y avait cet homme, Garret Jacob Hobbs, qui tuait des jeunes femmes, les portraits crachés de sa fille." Il tente de chasser la pensée qui s'impose à lui immédiatement, celle d'Abigail, et de son impuissance à la sauver. "Il chassait le cerf, collectionnait leur bois." Il marque une pause. "Je l'ai tué... Il venait d'assassiner sa femme, il allait tuer sa fille..." Son premier meurtre, qui avait laissé sur lui une impression ô combien durable. Le spectre de Garret Jacob Hobbs n'avait cessé de le hanter après ça. "Que cet animal soit un cerf, ce n'est pas anodin, par pour moi."
C'est l'incarnation du monstre, son monstre, mais pas seulement, Hannibal, Hobbs, la brutalité, la cruauté attirante... Il en a eu la vision concrète, hallucinatoire, il ne s'attarde pas là-dessus, pourtant, c'est bel et bien le cas.
Courir, encore et toujours courir. Clarke n'avait-elle pas fait que ça dans sa vie ? C'était l'impression qu'elle avait. Courir et affronter les dangers les uns après les autres. Ce nouveau monde ne lui offrait même pas la chance d'arrêter. Et en même temps, au fond d'elle, n'aimait-elle pas cette sensation ? Celle de lutter pour vivre, celle de se sentir exister ? Elle s'était souvent posée cette question sans être capable de lui donner la moindre réponse. Mais si actuellement il y avait bien une réponse qu'elle pensait avoir, c'était celle-ci : courir, dans cette situation, n'allait pas les sauver. Tout ce qu'ils étaient en train de faire ne servait à rien. Ils étaient la cible de quelque chose ou quelqu'un, elle en était désormais certaine. Sans doute que quelqu'un prenait un malin plaisir à les voir se débattre contre l'impossible, contre l'invisible.
Alors c'en était trop. Clarke cria à Will de s'arrêter, lui expliquant le fond de sa pensée. Ils se fatiguaient pour rien et pourtant des forces, ils en auront peut-être besoin pour sortir d'ici. Clarke sentait ses forces l'abandonner, sa patience disparaître tout comme son calme. Plantée au milieu de cette forêt, sous la pluie qui ne faiblissait pas, elle hurlait qu'ils ne bougeraient plus. Ils affronteraient ce qu'il faut pour sortir d'ici, mais ils ne divertiront plus ce qui leur faisait subir ça.
Will reprit alors la parole, semblant décrire la situation actuelle en quelques mots. Impossible de fuir, impossible de vaincre. Les probabilités n'étaient pas de leur côté, elle en avait pleinement conscience. Il lui posa alors une question sur ce cerf. En effet, selon elle, ça ne pouvait plus être un hasard. Elle ne répondit pas de suite, laissant un moment de réflexion s'installer. Il pouvait représenter tellement de choses et rien en même temps. Mais avant qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit, il prit la décision de se confier. Etait-ce donc ça ? Devaient-ils confesser leurs pêchés ? Leurs erreurs ? Leurs monstruosités ? Devaient-ils obtenir un quelconque pardon ? Se mettre en danger mutuellement en se confiant leurs secrets ? La ville cherchait, après tout, à les mettre dans des situations dangereuses en permanence alors elle n'en serait même pas étonnée.
L'homme lui expliqua donc ce que ce cerf représentait pour lui. Il lui parla donc d'un événement de son passé, d'un certain Hobbs, tueur en série, chasseur de cerfs... Au départ, Clarke ne comprenait pas bien où il voulait en venir, cherchant le rapport avec lui, avec cette situation. Mais elle ne l'interrompit pas, le laissant continuer son récit. Il l'avait tué alors qu'il venait de tuer sa femme et qu'il tentait d’assassiner sa fille. Clarke n'était pas particulièrement choquée. Dans son monde, qui n'avait pas tué au moins une fois pour se défendre, pour se faire respecter ou pour protéger quelqu'un ? Elle-même avait le sang de centaines de personnes sur les mains.
Tout cela lui permit donc de mieux comprendre la présence du cerf, pour Will. « Je vois... » souffla-t-elle simplement, reprenant presque aussitôt. « L'apparition de ce cerf s'explique pour vous. Il représente celui que vous avez tué. » elle ne relevait pas le crime dont il venait de parler parce qu'elle n'avait rien à en dire. Il avait tué pour défendre, elle n'avait pas à juger quand elle-même avait commis d'autres crimes bien plus graves, condamnant les innocents au même titre que les coupables. « Lorsque je suis descendue sur Terre, nous étions livrés à nous-même et il nous fallait de quoi manger. Avec un petit groupe, on s'est aventuré dans la forêt pour rejoindre une ancienne base militaire et sur le chemin, on l'a croisé. Le cerf à deux têtes. Il était le résultat de mutations, à cause de la radioactivité. Il était le premier animal vivant que l'on rencontrait, il était la preuve que la vie sur Terre était toujours possible. » Elle racontait tout ça sans se soucier que les détails pouvaient paraître fous. De toute façon, elle ne voyait rien de comparable à l'aveu de Will dans ce qu'elle expliquait, rien qui ne puisse expliquer la présence de ce cerf. « Il était signe d'espoir, cet espoir qui a vite disparu. C'était avant que tout ne commence... à dégénérer. C'est peut-être ça, peut-être qu'il représente celle que j'étais avant. Avant de faire toutes ces choses affreuses, avant ces combats, avant ces guerres, avant tous ces morts. Il représente tout ce que j'ai perdu, tout ce que je ne suis plus depuis le moment où j'ai posé les pieds sur Terre. » Elle ne voyait que ça comme explication. Alors, si elle n'avouait pas tout de suite tout ce qu'elle avait pu faire, elle émettait sa propre hypothèse. « Vous pensez que c'est ce qu'ils attendent de nous ? Que l'on avoue nos pires crimes ? » Parce que si c'était ça, elle espérait que Will avait quelques heures devant lui. Des crimes, elle en avait de nombreux à confesser.
Will hoche simplement la tête quand Clarke résume en quelques mots ce que le symbole du cerf représente pour lui. Ce n’est pas entièrement vrai… ou du moins, cette interprétation est incomplète, mais Will ne se voit pas détailler davantage ce que cet animal représente pour lui… il n’est même pas sûr d’en comprendre lui-même toute l’ampleur. Oui, le cerf représentait Garret Jacob Hobbs, mais pas seulement. Il représente le monstre, la bête, celle qu’incarnait Hannibal également, celle contre laquelle il devait lutter pour qu’elle ne finisse pas par devenir… eh bien, lui.
La bête, c’est le monstre, l’ombre familière qui l’accompagnait partout, et qui a cessé de l’accompagner quand il était devenu la bête. Bref, il ne peut pas dire tout cela à Clarke. Même si cette dernière ne semble pas émue outre mesure de se trouver en présence d’un homme qui a du sang sur les mains… d’un autre côté, il n’a fait mention que de son premier meurtre, celui qui lui a valu les applaudissements de ses élèves à l’Académie du FBI, le meurtre que l’on estimait juste, digne… sauf que Garret Jacob Hobbs n’est pas le seul homme qu’il a tué. Il se garde bien de lui dire toute l’histoire, mais peut-être ne peut-il pas y couper.
Clarke, à son tour, lui parle de ce que le cerf représente pour elle. L’animal à deux têtes, fruit de la radioactivité… Le cerf était, pour Will, le monstre qui se manifestait parfois sous forme de pure hallucination. Le cerf était, pour Clarke, un symbole d’espoir. Ce ne pouvait pas être anodin… Plus Will y pense, plus il songe que ce n’est pas sans raison que ce sont eux deux qui ont été choisis pour vivre cette situation particulière. Non, ils ont été « choisis ». A quel titre, va savoir, mais ils ont certainement bien plus en commun qu’il n’y paraît. Clarke semble plus prompte à reconnaître sa cruauté passée, même si elle n’entre pas dans le détail, elle semble disposée à s’en repentir. Ce n’est pas le cas de Will…
L’hypothèse de Clarke serait absurde dans un autre contexte, mais dans celui qui les concerne, Will la trouve – malheureusement – cohérente. Oui, c’est absurde mais en même temps probable. Peut-être que cette expérience est supposée être vouée à les pousser à l’aveu de leurs crimes les plus abjectes… Ce qui signifie aussi les avouer à Clarke, cette jeune femme qu’il ne connaît absolument pas. Et après ? Ce n’est pas tant le regard qu’elle posera sur lui en apprenant la vérité qui l’inquiète que les répercussions que cela pourrait avoir sur lui… Les répercussions que cela pourrait avoir pour Hannibal.
« Peut-être bien… » Il affiche un sourire légèrement amer. « J’espère que vous avez du temps devant vous. »
Will le sait bien, il en a dit trop peu, contrairement à son interlocutrice (même si elle n’a rien détaillé), pour que son interlocutrice puisse s’imaginer qu’il ait quoi que ce soit de si horrible à dire. Mais c’est le cas. Et où Clarke pourra peut-être se trouver des circonstances atténuantes, Will n’en a pas. Il ne peut invoquer pour prétexte que sa nature. Et cette nature est bel et bien monstrueuse.
« Si on doit décider de faire ça, je dois avoir l’absolue garantie que ce qui se dit ici ne sera jamais répété », dit-il en adressant à son interlocutrice le ton et le regard les plus sérieux qui soient.
Dans le cas contraire, il faudra qu’il envisage de la tuer.
Les voilà en train de détailler ce que ce cerf représentait pour eux. Ils s'imaginaient, peut-être, que ce dernier était la solution, la clé pour sortir de cette situation. Après tout, ils avaient déjà essayé de nombreuses choses, sans succès, alors ils devaient bien faire quelque chose, tout tenter. Clarke était prête à explorer chaque piste, chaque potentielle solution. Elle sortirait d'ici. Il était hors de question que cette foutue ville ait sa peau aussi facilement. Si la représentation de ce cerf semblait évidente pour Will, Clarke avait plus de mal à comprendre le sens de cette apparition. En effet, si le cerf existait bien dans son monde et dans ses souvenirs, il n'avait pas eu d'impact particulier. Alors en y réfléchissant bien, la meilleure explication qu'elle pouvait donner était l'espoir qu'il représentait au moment où elle l'avait vu. Espoir qui s'était envolé bien vite. C'était avant que toutes les horreurs ne se produisent, avant que Clarke ne cause tant de malheurs, de souffrances et de morts autour d'elle. Alors c'était peut-être ça. Peut-être représentait-il la femme qu'elle avait été, celle qui avait disparu, celle qu'elle ne serait plus jamais et celle qu'elle était devenue. Après tout, elle était prête à y voir toutes les significations possibles si ça pouvait lui permettre de quitter cet endroit.
Parce qu'il fallait bien trouver une idée, parce qu'elle était fatiguée de courir et de se battre contre l'invisible, Clarke émit une hypothèse. Et s'ils étaient condamnés à s'avouer leurs crimes pour être autorisés à quitter cet endroit ? Rien ne prouvait que ça allait fonctionner, mais peut-être fallait-il essayer ? Après tout, ils étaient tombés en panne mystérieusement et en même temps, ils avaient vu un même animal - ou presque - qui représentait quelque chose pour eux, un lien avec leur passé, avec ce qu'ils étaient et ils semblaient avoir tout deux des secrets... Elle cherchait des liens logiques là où il n'y en avait peut-être pas, mais elle en avait besoin. Elle avait besoin de trouver une raison, de comprendre. Ils n'allaient tout de même pas rester ici éternellement, il fallait bien tenter quelque chose. Il fallait bien réussir quelque chose. Alors peut-être que parmi toutes celles qu'ils avaient tentées jusqu'à présent, celle-ci était la bonne. Peut-être que cette hypothèse, cette idée, allait leur permettre de quitter cette forêt et de retrouver leur liberté. Ou peut-être que ça ne changerait rien parce qu'il n'y avait rien d'autre à faire qu'attendre. Mais ça, ils ne pouvaient pas le savoir.
Will semblait prêt à jouer le jeu, peut-être plus par obligation et envie de s'en sortir. Ce qu'elle comprenait. Autant dire qu'elle n'était pas non plus complétement emballée par cette idée de dévoiler sa vie et ses crimes à un parfait inconnu qui pouvait, ensuite, lui causer tous les torts qu'il voulait. L'idée d'être liée à cet homme dont elle ne savait rien par de tels secrets ne lui plaisait pas. « Je vous retourne la question. » lança-t-elle à son tour, à demi-sérieuse. Du temps, il allait lui en falloir au vu de tout ce que Clarke avait commis d'affreux dans sa vie. « Vous avez de la chance, j'ai oublié plusieurs années de ma vie, ça réduit considérablement le nombre d'horreurs à raconter ! » précisa-t-elle, comme pour bien lui faire comprendre qu'elle en avait commis des choses horribles et parce qu'elle jugeait qu'une petite plaisanterie ne pouvait pas faire de mal pour alléger cette ambiance devenue si lourde en l'espace d'une demi-seconde. Même si depuis, il avait dû le comprendre. Elle ne s'en était pas cachée, même si - évidemment - ce n'était pas le genre de choses qu'elle criait sur tous les toits en temps normal et qu'elle ne lui avait donné presqu'aucun détail.
L'homme reprit alors la parole et ce que Clarke entendit ne lui plaisait pas du tout. Il avait pris un ton sérieux qu'elle n'avait pas entendu jusqu'ici, son regard en disait long et elle prenait ses mots pour une menace à peine voilée - ou elle commençait à délirer, ce qui n'était pas totalement impossible non plus. « Sinon ? » le défia-t-elle pour qu'il aille au bout de sa pensée. Si jusqu'à présent, elle ne s'était pas montrée plus méfiante que ça, elle ressentait désormais une méfiance à l'égard de cet homme. Peut-être parce qu'elle allait lui confier ses pires secrets et ses pires côtés ? « Il est évident que je vais vous demander la même chose. Ne rien dire. Jamais. Vous pourriez ruiner ma vie en apprenant tout ce que j'ai fait. Il est tout aussi évident que l'un comme l'autre, nous pouvons promettre et rompre cette promesse. Rien ne pourra jamais assurer notre silence. » Non pas qu'elle comptait le trahir, mais ce qu'elle sous-entendait était qu'ils n'auraient jamais, ni l'un ni l'autre, la certitude de ne pas être trahi. Des promesses, elle en avait souvent faites et il lui était souvent arrivé de les trahir. Alors non, elle ne pouvait pas lui jurer de se taire à jamais, mais si rien ne l'obligeait à dévoiler ce secret, elle ne dirait rien. Clarke n'irait pas le trahir volontairement, par simple envie. « Alors soit on décide de se faire confiance, soit on cherche une autre solution. C'est à vous de choisir, Will. » Parce que Clarke avait déjà fait son choix depuis longtemps : elle voulait tout tenter, même si tout ne lui plaisait pas. Elle ne comptait pas mourir ici ou y rester indéfiniment. Alors il était grand temps de prendre une décision.
Est-ce qu'il va vraiment faire ça ? Se compromettre ? Se trahir ? Prendre le risque de trahir Hannibal dans le processus ? Il n'est pas certain de le vouloir, ni de le pouvoir... Mais dans cette course infinie contre... quoi, exactement ? Il lui fait bien admettre qu'il n'est pas maître de la situation... Il ne peut pas espérer garder sous son contrôle une chose qui ne l'a jamais été. Oui, le risque qu'il prend est immense, et il ne peut qu'en avoir conscience, mais son instinct de préservation l'exhorte aussi à tenter les options les plus critiques si celles-ci peuvent lui garantir de rester en vie.
Après tout, quelle valeur auront ses aveux ici ? Clarke n'aura aucune preuve contre lui, si ce n'est une parole qu'il pourra tout à fait nier. Et réciproquement. Et si elle doit insister davantage, eh bien... Il prendra les mesures appropriées. Cette situation a trop duré, alors... Alors soit... il va se montrer transparent. Cela ne lui plaît pas, mais il sent qu'il n'a pas le cacher. Cette vérité sensible au point qu'il se la soit dissimulée à lui-même durant de nombreuses années, il va la dévoiler à une presque inconnue. Et qu'importe la nature des horreurs qu'elle estime avoir elle-même commises, elles seront forcément bien plus excusables, pense-t-il, que les siennes qui ne trouvent pour seule justification sa nature infiniment monstrueuse.
Will jauge un instant Clarke du regard, dans la pénombre. Non, il ne lui fait pas confiance. Certes, elle lui inspire en soi un sentiment plus positif, mais il ne s'y fierait pas. Il ne peut pas lui faire confiance. Il ne la connaît pas, après tout. Mais ça a, à l'évidence, de bonnes chances de changer dans les minutes qui viendront. Alors oui, même si la perspective lui déplaît, il fait le choix de se jeter à l'eau. Il faut bien que l'un d'eux commence. Mais comment raconter ? Se raconter ? Avec les bons mots. Dans le cabinet de son psychiatre d'alors, les mots coulaient de façon étonnamment fluide pour quelqu'un d'aussi socialement inadapté que lui, mais son psychiatre n'était pas comme tous les autres, et surtout... Ils avaient atteint un seuil de compréhension auquel nul autre ne saurait prétendre quand il était question de lui, de ses appréhensions, de sa nature, de ses aptitudes... Il ne s'attend pas à ce que Clarke le comprenne, ni à savoir exprimer clairement l'horreur de sa nature. "Garret Jacob Hobbs est le premier homme que j'ai tué... pas le dernier." Il marque une légère pause. "A partir de l'instant de sa mort, j'ai pris conscience d'une chose que je réprimais depuis longtemps, que j'ai voulu réprimer longtemps. J'ai aimé le tuer." Il s'était senti puissant, vivant... lui-même. Et là, il en dit déjà beaucoup trop. "Je suis un tueur. Je pouvais trouver des excuses cohérentes à chaque crime que j'ai commis, et je me suis caché derrière bon nombre de ces prétextes, mais la vérité, c'est que j'ai acquis une conscience plus profonde de ma nature, et j'ai eu beau chercher à lutter contre, elle m'a toujours rattrapée. Jusqu'à ce que je cesse de lutter."
Voilà qui est dit. Est-ce qu'il doit à présent détailler son histoire, lister ses victimes, les façons dont leurs vies ont été prises, doit-il parler de sa relation destructrice avec Hannibal et des extrémités auxquelles elles l'ont mené... Il estime que ce résumé est bien assez incriminant en soi pour faire office d'aveu s'il leur en faut un.
Clarke ne comprenait pas ce que l'on attendait d'eux. Elle ignorait s'ils étaient en train de faire les bons choix, de prendre les bonnes décisions, mais elle était prête à tout essayer pour sortir de cet endroit. Elle évoqua alors l'hypothèse - peut-être stupide - qu'on attendait d'eux qu'ils dévoilent leurs pires crimes. Après tout, ce cerf semblait être lié à ce qu'ils étaient réellement alors... Pourquoi pas ? Clarke n'accordait pas une confiance aveugle à Will, mais elle n'avait pas vraiment le choix si c'était réellement ce que l'on attendait d'elle. Elle se plierait à la volonté de cette chose inconnue si ça pouvait lui permettre de rester en vie et de sortir d'ici. Mais une fois qu'ils auront révélé chacun leurs pires secrets, ils ne pourront plus revenir en arrière. Ils seront, pour toujours, un danger l'un pour l'autre. Et ça, ça l'effrayait, cette idée d'avoir une menace invisible qui planait au-dessus d'elle pour toujours.
Clarke laissa alors le choix à Will. La décision lui revenait. Elle, elle était prête - autant qu'il était possible de l'être - à dévoiler ce qu'elle avait fait, mais elle ne ferait rien s'il ne le faisait pas. L'homme reprit alors la parole, dévoilant la personne qu'il était derrière son masque. Si Hobbs était sa première victime, elle n'était pas la seule. Sur ce point, elle ne se permettrait aucun jugement. Elle avait des centaines de morts sur la conscience. Il ajouta ensuite que sa mort avait déclenché quelque chose en lui, qu'il avait compris qu'il avait aimé tuer. C'était donc là que leurs chemins se séparaient, que leurs ressemblances s'arrêtaient. De tous les souvenirs qu'il lui restait, Clarke n'avait jamais aimé tuer. Elle aimait avoir du pouvoir, avoir le choix, mais elle n'avait jamais tué par plaisir. Il poursuivit alors en nommant clairement qui il était : un tueur. Il assumait pleinement ce qu'il était, ne cherchant pas à se défendre ou se trouver des excuses. Il comprenait sa nature profonde. Clarke se sentit soudainement en danger, il représentait un plus grand danger que cette forêt, que cette bête... Elle était restée assise à côté de lui, dans sa voiture, sans se douter de l'homme qu'il était. Elle avait avancé à ses côtés, elle l'avait aidé avec cette créature sans avoir idée de l'homme qu'elle aidait. Il était impossible de deviner la nature profonde des gens que l'on rencontrait et il en était la preuve vivante. Jamais elle n'aurait pu imaginer ça en le voyant. « Peut-être aurais-je dû laisser cette créature vous attaquer ? » Si elle était sur ses gardes, il ne lui faisait pas peur. C'était peut-être ça le but de tout ça. Éliminer deux monstres de la surface de cette Terre ? « Je suppose que c'est mon tour... » souffla la blonde, cherchant la meilleure façon pour elle d'expliquer les horreurs qu'elle avait pu commettre sans donner trop de détails. « Je suis responsable de la mort de centaines de personnes. J'ai sacrifié des centaines de vie pour le bien de mon peuple, j'ai tué des innocents pour la survie de mon peuple. » commença-t-elle, cherchant la moindre réaction chez l'homme. Elle avait tué ces hommes de ses propres mains ou non, à cause de ses décisions, directement ou indirectement. Ses victimes comptaient des coupables, des innocents, l'homme qu'elle avait aimé... A chaque fois, elle avait voulu croire qu'il s'agissait de la seule chose à faire, mais les autres lui avaient souvent reprochés ses décisions et le droit de vie ou de mort qu'elle s'était donné. Pourtant il avait bien fallu que quelqu'un prenne des décisions et elle avait joué ce rôle, mais peut-être pas de la meilleure des façons. « Je me rassure en me disant que j'ai pris ces décisions pour sauver mon peuple, mais je suis peut-être comme vous. Peut-être est-ce simplement ma nature profonde. Rien ne justifiera ou n'excusera jamais tous mes crimes. Je le sais. » lança-t-elle, se trouvant toujours aussi monstrueuse d'avoir dû prendre ces décisions. Mais elle les avait prises pour que personne d'autre n'ait à les prendre. « J'ai condamné des centaines d'innocents, des enfants, des gens qui nous avaient aidés en irradiant une base dans laquelle ils s'étaient réfugiés pour échapper à l'extérieur où ils ne pouvaient pas vivre. » Elle aurait également pu parler des autres crimes qu'elle avait commis, des guerriers qu'elle avait brûlé vif, de Finn qu'elle avait tué de ses mains ou de toutes ses autres victimes, mais elle ne tenait pas à donner plus de détails s'il n'en donnait pas de son côté. Elle aurait tellement d'autres choses à raconter si elle se souvenait de toute sa vie, mais heureusement, ce n'était pas le cas et elle ne souvenait pas de toutes les horreurs commises. Malgré tout, elle avait tout de même bon nombre de choses à raconter s'il le fallait vraiment.
« Peut-être auriez-vous dû, oui », confirme Will d’une voix calme quand Clarke suggère qu’elle aurait sans doute mieux fait de laisser la créature l’attaquer. Il appartient dorénavant à la catégorie de ceux qui ne méritent pas d’être sauvés. Au fond, il en a toujours fait partie.
Il sent que le regard que Clarke pose sur lui a changé, et il ne peut pas la blâmer pour cela. Elle le voit tel qu’il est réellement, et quiconque peut le voir sous son véritable jour ne pourrait que vouloir se détourner et fuir, si ce n’est chercher à se défendre. Will le sait. Pourtant, il n’a pas l’intention de faire le moindre mal à son interlocutrice. Il garde une certaine forme de… moralité dans la cruauté, celle-là même qui lui a longtemps permis de minimiser ses crimes, quand bien même prendre une vie et en retirer du plaisir, un sentiment de puissance, ne peut en aucun cas être toléré ou excuser. Garret Jacob Hobbs était un assassin, Abigail serait morte s’il n’était pas intervenu (certes, il ne peut oublier le fait qu’elle était sans doute morte à cause de lui malgré tout). Randall Tier était un tueur en série, qui de surcroit avait cherché à le tuer, il pouvait faire passer pour de la légitime défense ce nouveau meurtre (qui lui avait été pourtant terriblement plaisant). Le Dragon rouge de même.
Toujours des victimes choisies, un duel entre prédateurs, duquel il était ressorti victorieux… Il avait voulu excuser ses crimes sans pouvoir les justifier… Mais à présent… A présent, tout a changé. Les précipiter, lui et Hannibal, dans le vide, avait été tuer deux monstres à la fois. Mais ils sont tous les deux à vue, consacrés dans cette sorte de renouveau, de second souffle. Toutes ses victimes, ici, ont été désignées, choisies, selon des normes qu’il a établies, qui devraient logiquement préserver les innocents. Pour autant, peut-il s’arroger droit de vie et de mort sur qui que ce soit ? Bien sûr que non. Quant à Clarke… même si son intention première n’est pas de s’en prendre à elle, il ne peut guère la considérer comme une innocente, elle ne l’est pas. Et elle le lui confirme au moment de lui raconter sa propre histoire.
Oui, c’est son tour, et donc, elle se lance. Elle a, semble-t-il, plus de sang sur les mains que lui, mais elle ne manque pas pour autant d’apporter à ces affirmations terribles une justification. « Pour le bien de son peuple ». Certains grands dictateurs ne devaient sans doute pas tenir un discours bien différent. Au moins a-t-elle conscience des limites de ces mêmes justification, elle admet qu’elles lui servent à se rassurer, que ses crimes ne peuvent entièrement se justifier. Peut-être qu’ils ne sont pas aussi différents qu’ils en ont l’air, tous les deux, peut-être est-ce pour cette raison qu’ils se trouvent à présent ici. Pourtant, Clarke n’est pas une tueuse, pas au sens où Will l’entend, il ne se reconnaît pas en elle, et elle ne se reconnaît sans doute pas en lui, lui assassin, elle génocidaire. Lui créé par un contexte, elle, influençant son propre contexte.
Will ne dit rien, il ne commente pas. Que répondre à cela. La pointer du doigt pour les crimes commis ? Il n’aura pas cette hypocrisie. Il ne la fustige pas, ne compte pas non plus minimiser ses actes… Ils sont quelque part trop… massifs pour être observés au regard de leur nouvelle situation. Elle a évolué dans un contexte social tellement singulier qu’il ne peut certainement pas se confronter à leur situation actuelle.
« Ici, vous pouvez sans doute vous consoler sur un point, toutes ces personnes que vous avez tuées n’ont peut-être jamais existé dans cette dimension, quoi que ça puisse vouloir dire. Si cela peut soulager votre conscience. » Il pousse un léger soupir. « Et maintenant ? »
Est-ce qu’ils se sont dit tout ça pour rien ? De lourds aveux qui n’auraient aucune forme de conséquence ? Will attend quelque chose. Un signe. N’importe quoi. Il a plus que jamais besoin de quitter cet endroit, ne plus subir cette situation.
Peut-être que confier ses pires crimes n'était pas une bonne idée ? Ils devenaient un danger potentiel l'un pour l'autre. Clarke avait-elle envie de vivre en sachant qu'un type comme lui vivait en ville ? Pourtant, elle savait très bien qu'il n'était pas le seul. Et si elle ne devait citer qu'une autre personne ayant commis des horreurs, elle pouvait se citer sans le moindre problème. Sauf que savoir qui il était, c'était se demander à chaque instant s'il ne voudrait pas éliminer la menace potentielle que Clarke représentait.
Alors si elle voyait désormais le véritable visage de son interlocuteur, si une part d'elle jugeait le monstre qu'il était, elle ne pouvait pas nier l'évidence. Même s'ils ne tuaient pas pour les mêmes raisons, ils se ressemblaient. Clarke n'avait jamais cherché à excuser ses crimes, elle avait dû les commettre. Simplement. Le monde était alors bien différent de celui-ci. Survivre ou mourir, il n'y avait pas d'autres solutions. Alors elle avait pris des décisions difficiles pour que les autres n'aient pas à le faire. Chez elle, qui ne l'avait pas fait ? Qui n'avait pas eu à prendre des décisions difficiles ? Bellamy, Octavia... Ils avaient tous commis des horreurs au nom de leur survie et de celle de leur peuple. Si elle n'avait pas pris la décision d'irradier le Mont Weather, tout son peuple serait mort. Alors évidemment, ça n'excusait pas l'horreur, mais ça l'expliquait. Pour autant, elle savait que tout ça l'aidait aussi à se rassurer parce qu'elle ne s'était jamais pardonnée toutes ces vies qu'elle avait prises, même si ça lui avait permis de sauver les siens. Elle restait une meurtrière, un danger pour les siens. Sans doute ne serait-elle jamais devenue cette fille si elle était restée sur l'Arche. Là-haut, elle n'aurait eu aucune raison de commettre toutes ces atrocités. Là-bas, elle aurait pu rester la femme qu'elle aurait aimé être.
« Je n'ai pas besoin qu'on me soulage la conscience. » ni d'être pardonnée aurait-elle voulu ajouter, mais dans son esprit ces mots résonnaient comme un souvenir étrange dont elle ne voulait pas se rappeler, alors elle les garda pour elle. Ce n'était pas le bon moment pour récupérer certains souvenirs. Elle avait d'autres choses à faire, elle devait se concentrer sur autre chose. « Je ne cherche pas à excuser quoi que ce soit. Ce que j'ai fait est horrible, monstrueux, mais c'était eux ou ma famille, mon peuple. Là-bas, c'était survivre ou mourir. J'ai choisi de me battre et de survivre. Je suis devenue la coupable pour ne pas être la victime. Mais ici, je ne suis plus cette femme, je n'ai aucune raison d'être cette femme. » Tuait-il toujours ? C'était ça, la véritable question. Ici personne n'avait rien contre elle, qu'en était-il de lui ? Quant à ses crimes, elle ne se justifiait pas, elle expliquait plus en détails les choses, son monde, ce qui l'avait poussé à prendre ces décisions. Jamais elle ne s'était levée un matin avec l'envie de tuer, ça ne lui procurait aucun plaisir. Pourtant, elle recommencerait sans doute si elle n'avait pas le choix. Alors que ces personnes aient existé ou non, ça ne changeait malheureusement rien pour elle. Elle les avait tués, même si c'était dans une autre vie, un autre monde.
« Je n'en sais rien. » lança-t-elle en haussant les épaules puisque rien ne semblait se passer. « Je me suis peut-être trompée. » peut-être n'était-ce pas la solution, ou peut-être devaient-ils tentés de retourner vers les voitures ? « On peut tenter de retourner aux voitures et tenter de quitter cette forêt, si vous voulez. » ajouta-t-elle dans un nouveau haussement d'épaules, fatiguée par cette situation.
Will ne fait aucun commentaire quant à la remarque de Clarke quand celle-ci affirme n’avoir aucun besoin que l’on soulage sa conscience. Il n’en est pas si convaincu, en réalité. Elle justifie chacun de ses actes, peut-être parce qu’ils méritent bel et bien de l’être, peut-être parce que les circonstances méritent qu’ils soient ainsi justifiés. Cela ne change cependant rien au fait qu’elle souhaite apporter une explication à la moindre horreur commise, et si chaque crime doit être justifiable, la manière de présenter les choses semble tout de même prouver que oui, elle a bien une conscience à soulager. Et la sienne, à Will, de conscience ?
Il a longtemps été torturé, tiraillé entre deux parts de lui-même qui semblaient incompatibles, en lutte avec une nature qu’il n’était pas en mesure d’accepter, ou même de tolérer. Il a dû contempler l’abysse, longtemps, avant de croiser son regard en retour, et à ce moment-là, il s’est senti habité d’une étrange sérénité, qui lui a soudainement conféré le sentiment que chaque chose était à sa juste place, où elle aurait toujours dû être. Lui, a bien plus qu’elle une conscience à soulager au regard des horreurs commises. Pourtant il les appréhende dorénavant avec un recul qui parfois le surprend lui-même. Ce n’est pas qu’il a perdu la conscience de l’horreur. Il en a seulement admis la nécessité, pour lui du moins.
Alors même que Clarke affirme qu’elle n’a pas besoin que l’on soulage sa confiance, elle continue néanmoins de se justifier, au regard des circonstances. Il l’écoute et ne dit rien, ne pose aucun jugement de valeur sur la situation qu’explicite Clarke. Il la croit sans mal quand elle affirme s’être adaptée aux circonstances, et le potentiel d’adaptation de chacun est une qualité qu’il faut reconnaître et louer selon lui. Affaire d’instinct de survie.
Quand elle ajoute qu’ici, elle n’est plus celle qu’elle avait été, il la croit sans mal. Ici, elle s’adapte à de nouvelles circonstances, à une situation neuve, qui donc la pousse à également adopter une autre attitude, un autre tempérament. Il sait quelle question tacite elle se pose. Une question pour le moins légitime. Ici, elle n’est plus la même personne. Mais qu’en est-il de lui ? Lui non plus n’est plus la même personne, mais dans son cas, ce n’est pas une chose à observer comme positive. Au moment de les précipiter, lui et Hannibal, du haut de cette falaise, après avoir tuer le Grand Dragon Rouge, il mettait fin dans le même temps à une monstruosité qu’il n’aurait plus été capable d’ignorer, de conjurer, de juguler. Il a vu la vraie beauté, la perfection dans sa plus pure incarnation. Et ça aurait dû s’arrêter là. Il n’aurait pas dû y survivre. Hannibal non plus.
Seulement, il a survécu, ils ont survécu. Au moment de leurs retrouvailles, le monstre ne pouvait plus retourner en cage. Il en a trop vu, trop su de lui-même. Il pouvait prétendre ne pas être un tueur dans son autre vie. Il en est définitivement un ici. Certes, il choisit ses victimes avec parcimonie, il ne touche pas aux « innocents ». Cela ne le rend pas innocent pour autant. A sa question silencieuse, il ne répond pas. Peut-être devrait-il aller au bout de ses aveux, mais il ne le fera pas. Pas seulement pour lui, mais pour Hannibal. C’est peut-être pourtant cet ultime aveu qui manque, en cet instant, pour les libérer. Malgré tout, il se tait. Il sent que Clarke est exténuée, c’est son cas aussi. Il ne demande qu’une chose, et c’est de rentrer chez lui. Et de ne plus jamais croiser, s’il le peut, la route de cette jeune femme qui en sait dorénavant beaucoup, beaucoup trop sur lui.
Il hoche la tête, dépité à la seule idée que ce passage par des aveux à ce point à charge pour rien. Ils n’ont définitivement rien de mieux à faire de toute façon que d’essayer. Will constate néanmoins un changement dans leur situation. C’est le silence. Absolu, presque serein. Aucune trace d’une quelconque créature menaçante, rien sinon le son de leur voix. Sans rien dire, parce qu’il ne voit pas l’intérêt de s’épancher davantage, il se met donc en marche. Il leur faut plusieurs minutes de marche pour entrevoir ce qui semble être la route. Et en effet… Ils ont bien réussi à quitter les bois. Will lève les yeux vers le ciel. Il ne pleut plus.
« Je suppose que c’est votre voiture », observe-t-il en découvrant un véhicule à l’arrêt, qui n’est pas le sien. « Et que nos chemins se séparent ici. » Il marque une pause. « Croyez-le ou non, j’ai apprécié faire votre connaissance, Clarke. J’espère tout de même que nous n’aurons plus l’occasion de nous revoir. »
Clarke avait fait des choses horribles, jamais elle n'irait prétendre le contraire. En revanche, si elles ne pouvaient pas être excusées, elle supposait que certains de ses actes pouvaient être, au moins, expliqués. Son monde et celui-ci étaient bien différents. Bien souvent, il n'y avait que deux solutions qui s'offraient à elle : survivre ou mourir. Lorsqu'elle avait tué tous ses innocents, c'était eux ou son peuple. Aurait-elle dû laisser son peuple - sa propre mère - mourir pour ne pas avoir à prendre la décision de devenir un monstre ? Elle l'était devenue par nécessité, parce qu'elle n'avait pas eu d'autres choix. Bien sûr, elle aurait aimé pouvoir faire autrement. Elle aurait aimé trouver des solutions qui n'incluaient pas de tuer, mais elle n'avait pas pu. Ce qui était monstrueux et intolérable ici, était un acte de survie dans son monde. Alors non, elle ne voulait pas qu'on lui soulage la conscience. Peut-être en avait-elle besoin, mais elle préférait prétexter le contraire. Tous ses choix et ses actes étaient difficiles à accepter, mais s'il le fallait, elle recommencerait sans la moindre hésitation.
Aujourd'hui elle pouvait être une femme différente. Elle n'avait plus besoin de faire ces choix pour survivre. Pourtant, si l'occasion se présentait à nouveau, s'il fallait de nouveau faire ce genre de choix... Elle n'hésiterait pas une fois encore. Lui, ses motivations semblaient différentes. Il était peu bavard, ce qu'elle comprenait, mais aujourd'hui était-il toujours ce même homme ? Cette ville lui avait-elle donné une nouvelle chance ? Peut-être. Ou peut-être continuait-il d'être un monstre parce que c'était dans sa nature profonde.
Ces révélations avaient sans doute été l'une des pires choses que Clarke avait dû faire dans ce monde. Avouer ses crimes à un inconnu, accepter son jugement, son regard, ce n'était pas simple. Pourtant, ils n'avaient pas eu le choix. Ou alors, venaient-ils de faire tout ça pour rien ? Il ne se passait rien ! Ils décidèrent donc de se remettre en route dans le plus grand des silences, espérant que rien de nouveau ne leur tombe sur la tête. Tout semblait plus calme désormais, comme s'ils étaient sortis de ce mauvais cauchemars. En quelques minutes, sans nouvelle difficulté, ils étaient même parvenus à retrouver leurs voitures. Leurs aveux avaient donc fonctionné. La ville n'attendait donc que ça ! Elle voulait leur prouver qu'ils étaient les prisonniers de cet endroit et qu'elle pouvait les garder dans une situation dangereuse jusqu'à obtenir ce qu'elle voulait. Cette seule idée fit frissonner Clarke.
« C'est ma voiture, oui. » répondit la blonde, sortant de ses pensées lorsque l'homme reprit la parole. Elle n'avait jamais été aussi heureuse de retrouver sa voiture. Ses mots la firent presque sourire parce qu'après leurs révélations, il était évident que ni l'un ni l'autre n'avaient envie de se revoir. Ils représentaient désormais un danger l'un pour l'autre. Les dangers, il était préférable de les éviter et de les fuir comme la peste. « Je l'espère tout autant que vous, soyez-en sûr ! » Lança-t-elle avant de retourner se mettre au chaud dans sa voiture qui, comme par miracle redémarrait sans le moindre problème. Elle jeta un dernier coup d'oeil à l'homme qui partait rejoindre sa propre voiture. Elle aurait pu attendre, s'assurer qu'il retrouvait bien sa voiture avant de partir, mais elle ne le fit pas. Il était temps pour elle de retrouver son chemin, de se mettre au chaud et de prier pour que tout ce qu'elle venait d'apprendre et dévoiler n'ait jamais le moindre impact dans cette vie. Ce qu'elle croyait difficilement, mais qu'elle était capable d'espérer.