Je suis la commandante de la mort et je dis que nous nous retrouverons ▿ Madi

Madi. Madi. Madi était là. Juste là, devant elle. Elle n'avait qu'à tendre la main pour la toucher. Elle n'avait qu'à faire deux pas pour rompre la distance entre elles. Elle n'avait qu'à fermer les yeux et les rouvrir pour la faire disparaître. Elle n'était plus qu'un reflet. Une ombre. Elle n'était plus que le souvenir, presque inexistant, d'une enfant qu'elle avait aimée plus que sa propre vie dans une autre vie. Madi n'était plus là. Clarke avait beau espérer de toutes ses forces, Clarke avait beau croire l'apercevoir, Clarke avait beau se l'imaginer de temps à autre, ce n'était rien d'autre que son imagination, qu'une image. Une image après laquelle elle ne pouvait jamais s'empêcher de courir. Juste au cas où. Au cas où le destin lui offrait une autre chance. Une chance d'être meilleure. Une chance de se souvenir. Une chance d'être une mère dans un monde où il régnait autre chose que la guerre et la mort. Elle savait que Madi était morte et que tout ça n'était qu'un joli rêve, mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Elle ne pouvait pas faire autrement que se faire du mal en espérant et en imaginant. Pour ne pas totalement l'oublier, peut-être. Pour se punir de l'avoir oubliée, sûrement.

Alors, elle se punissait en s'imaginant une vie à laquelle elle n'aurait jamais droit. Une vie simple. Tranquille. Heureuse. Une mère et sa fille, unies et proches. Des amis sur qui compter. Cette petite ferme qui deviendrait leur havre de paix. Des rires. De la joie. Des soirées au coin du feu à se raconter des histoires. Une mère qui accompagne son enfant à l'école, une lueur de fierté dans les yeux face à sa réussite. Une mère qui offre à sa fille le meilleur. Plus de survie. Juste la vie. La vraie. Avec ses hauts et ses bras, ses difficultés et ses bonheurs. Toutes ces choses auxquelles elles n'avaient jamais eu droit parce qu'elles venaient d'un monde où le bonheur n'était pas permis.

Elle avait dû s'endormir. A vrai dire, Clarke ne se souvenait pas. Elle n'avait plus la moindre idée de ce qu'elle faisait avant d'arriver au milieu de cet endroit. Un parc, sans doute. Elle avait juste ouvert les yeux et elle l'avait vue. Sa petite fille. Sa petite fille qui ne semblait plus aussi petite que dans son souvenir. Elle dormait certainement. A chaque fois qu'elle s'endormait, le visage de Madi lui apparaissait. A chaque fois qu'elle se réveillait, aussi. A chaque fois qu'elle croisait une mère et sa fille, également. A chaque fois qu'elle était heureuse et toutes les fois où elle était malheureuse. Madi lui apparaissait toujours. Comme aujourd'hui. Alors, elle savait. Elle savait qu'elle disparaîtrait à l'instant où elle clignerait des yeux. Ainsi, parce qu'elle savait, elle profitait de cette vision. Elle imprimait les détails de ses traits, elle essayait de comprendre ce que ses yeux reflétaient. Elle n'essayait plus de la toucher. Dans chaque rêve, à chaque fois qu'elle avait approché une main, l'image s'était désintégrée dans un nuage de fumée.

N'en pouvant plus, à la limite de ce qu'elle était capable de faire, elle avait cligné des yeux. Ça n'avait pas été très long. Quelques secondes, mais... C'était une éternité aux yeux de la jeune femme. Une éternité qu'elle allait chérir jusqu'au prochain souvenir. La prochaine apparition.

Clarke avait rouvert les yeux. Madi n'avait pas disparu. C'était la première fois que Madi ne disparaissait pas - dans les rêves comme ceux-ci, pas dans tous. Alors, sans réfléchir cette fois-ci, elle avait fait ces fameux deux pas. Ceux qui la séparaient de son enfant. Si son cerveau lui offrait la chance de pouvoir profiter un peu plus de cette vision, elle ne pouvait plus perdre une seconde. Bien sûr, elle craignait de la voir disparaître, mais ce n'était rien. Elle avait besoin d'essayer. Besoin de la sentir dans ses bras. Besoin de la serrer contre elle. Même si Clarke ne se souvenait pas de Madi, elle se souvenait des émotions qui naissaient en elle à chaque fois que sa fille était là. Elle se souvenait de tout l'amour qu'elle avait pour elle. Elle se souvenait de la puissance de ce sentiment maternel qui aurait pu la pousser à détruire le monde pour la retrouver ou pour la protéger - ou à tuer son meilleur ami, mais ça, elle ne s'en souvenait pas.

Elle n'avait pas disparu. Cette apparition était plus résistante que les autres. Ses bras se serraient autour d'elle, lui offrant une sensation qu'elle avait l'impression de redécouvrir à chaque fois. Sauf que cette fois-ci, plus que toutes les autres, elle semblait réelle. Vraiment, réelle. « Madi. » Soufflait-elle simplement, en la serrant un peu plus fort, persuadée que cette image disparaîtrait très vite, la laissant seule avec ses regrets et ses douleurs et qu'il fallait donc profiter de chaque petite seconde.

Son prénom n'était qu'un souffle. Elle osait à peine y croire. Elle pouvait la toucher, la sentir, et elle ne disparaissait pas. Qu'avait-elle fait pour mériter un tel cadeau ? Qu'avait-elle fait pour que ce rêve soit si beau ? Avait-ce seulement de l'importance ? L'important, n'était-ce pas que sa fille était là pour quelques secondes ou quelques minutes ? Si. Elle avait fait ces deux pas qui la séparaient d'elle pour la prendre dans ses bras, la serrer contre elle. Et elle n'avait pas disparu. Mieux encore, Madi avait répondu à cette étreinte. Elle sentait ses bras se serrer autour d'elle, comme autrefois. Clarke avait remarqué le mouvement de Madi qui s'était jetée tout contre elle. Elle avait senti la même hâte que celle qu'elle avait en elle. Elle avait senti l'amour les envahir toutes les deux et les entourer comme si plus rien n'existait à l'extérieur. Alors, le reste n'avait décidément plus la moindre espèce d'importance.

Clarke était si heureuse. Submergée par des émotions qu'elle avait oubliées depuis longtemps. Submergée par des souvenirs, des sensations. Submergée au point où elle en pleurait. Submergée au point où elle aurait pu s'effondrer s'il n'y avait pas eu les bras de Madi autour de son cou et sa tête posée sur son épaule. Quel souvenir délicieux ! Quelle image fabuleuse ! Elle aimerait que ce rêve ne prenne jamais fin, qu'il ne se termine jamais ! Elle aimerait qu'on lui permette d'y vivre pour toujours, même si ce n'était que dans cette étreinte agréable. Elle donnerait tout pour ça. Tous ses autres souvenirs, toutes ses bonnes actions pour racheter ses fautes et elle recommencerait à commettre les mêmes erreurs, encore et encore, si, en échange, on lui permettait de rester là.

Les mots de Madi, Clarke ne les comprenait pas. Enfin, elle comprenait leur sens, mais elle ne comprenait pas pourquoi Madi les prononçait - elle n'avait plus souvenir des premiers mots que son enfant avait eu pour elle. Non, elle ne comprenait pas le sens profond de ces deux mots, ni le pourquoi Madi les prononçait, mais elle s'en moquait. Elle s'en moquait parce qu'elle ne voulait pas comprendre, parce qu'elle ne voulait pas donner d'importance à ces détails qui pouvaient tout briser d'un coup. Elle ne voulait accorder de l'importance qu'à deux choses : sa fille et ses sensations retrouvées. Le reste n'était que des ajouts étranges de son propre cerveau, des détails qu'elle ne comprenait pas et qu'elle n'avait pas envie de comprendre.

Clarke aurait pu rester ainsi éternellement. Elle n'éprouvait aucune lassitude, aucune hâte à voir cette étreinte se terminer. Non, elle aurait pu rester ainsi pour l'éternité. Cinq longues années sans pouvoir serrer sa fille dans ses bras... Il fallait bien qu'elle rattrape tout ce temps perdu. Il fallait bien qu'elle profite des quelques minutes qu'on lui offrait dans ce rêve si réaliste - parce qu'elle refusait toujours de croire qu'il s'agissait de la réalité. D'une autre réalité, mais de la réalité tout de même.

C'était Madi qui avait mis fin à ce contact. Clarke avait aussitôt cru qu'elle disparaîtrait, mais ça n'avait pas été le cas. C’était étrange que ce rêve puisse durer si longtemps, mais elle n'allait pas s'en plaindre - et elle n'avait pas envie d'affronter la réalité, de se poser trop de questions. Alors, Clarke l'avait observée, les yeux pleins de larmes. Elle remarquait les petits détails de son visage, ceux qui prouvaient qu'elle avait vieilli et qu'elle n'était plus la petite fille de son souvenir. Elle remarquait aussi ceux qu'elle connaissait par coeur, ceux qu'elle avait tant dessinés, encore et encore. Puis, elle avait remarqué les larmes. Celles qui coulaient le long de ses joues. D'une main lente, d'un geste tendre, Clarke avait posé le bout de ses doigts sur les joues de Madi pour essuyer ses larmes. Elle craignait à chaque instant de la voir s'évaporer dans un nuage de fumée, mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Une mère ne pouvait pas laisser sa fille pleurer. « Ne pleure pas... » Souffla-t-elle tendrement, d'une voix rassurante. « J'ignore pourquoi tu es désolée, mais ne pleure pas. » Pourquoi son imagination s'excusait-elle ? De l'avoir abandonnée, peut-être ? Ou de tout autre chose ? Encore une fois, ça n'avait pas la moindre importance aux yeux de la jeune femme qui ne voulait que profiter de la présence de l'être qui comptait le plus au monde pour elle. « Tu sembles si réelle... » Ses doigts avaient bien l'impression de ressentir la chaleur de sa peau, son corps avait réellement eu l'impression de sentir celui de Madi, ses larmes semblaient réelles, ses mots, sa voix... Tout semblait trop réel. C'était presque plus dur ainsi, mais c'était aussi un moment qu'elle gravait dans sa mémoire et qu'elle bénissait plus qu'aucun autre.

Sa Madi était morte. Octavia lui avait annoncé un jour, alors qu'elle était tranquillement chez elle, profitant innocemment de ses derniers instants avant la fin de son monde. Depuis ce jour, tous ses espoirs s'étaient envolés, son coeur était brisé, détruit, et elle survivait plus qu'elle ne vivait - mais ça, c'était une habitude, n'est-ce pas ? De Madi, elle n'avait presque rien gardé. Un visage, un sourire, un regard. En revanche, cette image n'avait jamais de voix. Sauf aujourd'hui. Aujourd'hui, elle avait une voix. Une voix que Clarke était certaine de reconnaître. Ce n'était pas une voix qu'elle s'était inventée ou imaginée, c'était sa voix. Sa véritable voix. Des sons merveilleux qui lui parvenaient, qui éveillaient en elle des souvenirs, des mots, des phrases... Oui, elle se souvenait enfin du son de sa voix.

Cette Madi semblait si réelle. Pas seulement parce qu'en plus de l'apparence, elle avait une voix, mais aussi parce que son corps dégageait la chaleur d'un corps. Son visage prenait des expressions dont elle avait l'impression de se souvenir. Ses bras se serraient autour d'elle avec force, comme le ferait une fille avec sa mère. Ses larmes semblaient vouloir dire tellement de choses, semblaient être la preuve que cette image possédait des sentiments et des émotions. Oui, cette Madi était réelle. Et c'était perturbant à voir, difficile à comprendre, impossible à accepter. Perturbant, mais merveilleux. On donnait à une mère l'occasion de revoir sa fille. On donnait à une mère l'occasion d'avoir une dernière chance avec son enfant chéri. Peut-être pour quelques heures seulement, ou quelques minutes, mais peu importe, puisque c'était déjà une chance inespérée. Alors, Clarke bénirait chaque seconde parce que chaque seconde devenait un moment précieux et unique. Peut-être le dernier de tous les moments que Clarke passerait avec Madi, alors il ne fallait en louper aucun.

Madi semblait si réelle. Peut-être parce qu'elle l'était ? Clarke n'était peut-être pas en train de rêver ? Clarke était peut-être soumise à une nouvelle épreuve de cet endroit qui lui offrirait le pire et le meilleur des cadeaux en même temps ? Cette Ville était cruelle, après tout. Alors quoi de plus cruel qu'offrir sa fille décédée à une mère éplorée et détruite ? Quoi de plus cruel que de lui offrir quelques instants de bonheur avant de tout lui reprendre, en regardant son coeur se détruire plus encore qu'il ne l'était déjà ? Une mère qui n'avait plus de fille. Une fille qui n'avait plus de mère. C'était ce que Clarke comprenait des mots de Madi. Qu'elle était réelle. Cette Madi n'était pas juste le reflet de son imagination fatiguée. « Alors, tu es réelle... » Souffla-t-elle simplement, après un instant d'hésitation, en caressant ses cheveux de sa main libre. Peu à peu, elle comprenait. Elle ignorait comment Madi avait pu déduire tout cela aussi facilement, mais elle ne s'en étonnait même pas, en réalité. Madi était futée, intelligente. Si quelqu'un devait comprendre ce genre de choses, c'était bien elle. « Et tu vas disparaître à nouveau... » Il fallait dire les choses à voix haute pour les comprendre et les accepter, même si ces choses étaient terriblement douloureuses.

Si Madi était dans le monde de Clarke, ou Clarke dans celui de Madi, peu importe, cette dernière finirait par disparaître à nouveau. Ce n'était pas un rêve, mais c'était plus cruel encore qu'un rêve. Désormais, elle savait que quoi qu'elle fasse, son enfant lui serait retirée une seconde fois. Jamais, elle n'arriverait à la garder près d'elle. Clarke était prête à tout, à tous les combats, à tous les sacrifices pour la garder à ses côtés, mais elle savait qu'elle ne pouvait rien contre l'entité qui contrôlait cet endroit. Une entité bien trop forte, bien plus puissante qu'elle, impossible à vaincre.

Alors, il ne lui restait qu'une chose à faire : profiter. Elle devait profiter de chaque instant parce qu'elle ignorait combien de temps elles avaient devant elles. Ensuite, lorsqu'elle se retrouverait chez elle, seule, dans ce monde qui n'avait aucun sens parce que Madi n'y était pas, elle pleurerait. Elle pleurerait la seconde mort de sa fille. Elle pleurerait son abandon. Elle pleurerait sa solitude et son coeur en miettes. Mais elle pleurerait en chérissant avec amour les souvenirs qu'elle avait pu obtenir de cette courte rencontre.

« Je n'existe pas, dans ton monde ? » La question était sans doute un peu trop brutale, mais Clarke n'avait pas de temps à perdre. Elle avait tellement de choses à lui dire, à lui demander, qu'il fallait faire vite. Chaque seconde comptait. Et elle voulait comprendre l'ironie de la situation. Dans un monde, la mère sans la fille, dans l'autre, la fille sans la mère. Madi n'avait pas besoin de donner sa réponse pour que Clarke le comprenne, il avait suffi de voir la réaction de l'enfant en voyant Clarke apparaître devant elle. Elle la retrouvait après une longue absence, c'était une évidence. Clarke ne faisait pas partie de sa vie. Etait-elle morte ? N'était-elle jamais arrivée ? L'avait-elle abandonnée ? Seule Madi pouvait répondre à ces questions.

Elle était réelle. Madi était réelle. Elle n'était pas seulement le reflet de son imagination, de ce qu'elle désirait le plus au monde. Elle supposait qu'un rêve créé de toute pièce lui confirmerait la même chose pour la rassurer, pour lui faire plaisir ou pour lui faire du bien, mais quelque chose au fond d'elle savait qu'elle n'était pas en train de rêver. Ça ne s'expliquait pas, ça se ressentait seulement. Cette vision n'en était pas une. Ce rêve n'en était pas un.

Elle était réelle et elle allait l'abandonner une nouvelle fois. C'était un sentiment injuste, une accusation terrible, mais les mots n'étaient pas prononcés pour être cruels ou pour lui faire du mal. Ils étaient prononcés parce qu'ils reflétaient ce que Clarke ressentait au plus profond d'elle-même. Cette impression d'être abandonnée par l'être qu'elle aimait le plus au monde. Cette impression de devoir constamment lui dire au revoir. Cette impression d'être condamnée à vivre sans elle. Est-ce que ça prendrait fin à jour ? Aurait-elle le droit à une fin heureuse, un jour ou l'autre ?

Et si Madi finit par abandonner Clarke, Clarke finira par abandonner Madi. Elles se retrouveraient de nouveau seules. Chacune dans leur monde, sans la présence rassurante et réconfortante de l'autre. Dans cette réalité, Clarke n'existait pas. Ou plus, pour être exacte. Elle posait la question à Madi, mais la question n'avait pas besoin d'attendre de réponse. Il suffisait d'observer les traits de ce visage si familier, les émotions et les réactions... Madi vivait sans Clarke. Et cette idée lui brisait le coeur. Une enfant ne devait pas vivre sans sa mère. N'était-elle jamais arrivée dans ce monde ? L'avait-elle abandonnée ? Etait-elle morte ? Elle n'en savait rien et tout ce qu'elle retenait, c'était qu'elle l'avait abandonnée... Qu'une version d'elle l'avait abandonnée, plutôt. Madi, cette Madi, devait vivre seule... Comme le monde était injuste. Retirer une enfant à sa mère. Retirer sa mère à une enfant. Ce monde avait un humour particulier, mais surtout cruel. Il aurait pu les réunir, mais il les avait privées l'une de l'autre.

Et sa cruauté ne faisait que s'accentuer à mesure où Madi donnait ses explications. Une mère qui avait existé. Une mère qui avait été aimée. Une mère qui avait fini par disparaître. Une mère qui était morte sous les yeux de son enfant. Ces mots brisaient Clarke plus qu'elle ne l'était déjà. Elle ne supportait pas de voir Madi dans cet état, seule et malheureuse. Que ce ne soit pas sa Madi n'y changeait rien. Toutes les Madi de tous les univers méritaient d'être heureuse, de connaître le bonheur... Toutes, sans exception. Et les larmes... Les larmes étaient certainement le plus difficile à voir pour Clarke qui ne désirait qu'une chose, la serrer contre elle encore et encore, essuyer ses larmes encore et encore. Mais en avait-elle le droit ? Elle n'était pas véritablement sa mère après tout... Et ne serait-ce pas cruel de lui offrir ces quelques instants de tendresse avant de disparaître pour toujours ? Ou peut-être que ce serait tout le contraire ? Peut-être était-ce lui offrir quelques instants de bonheur qu'elle croyait perdus à jamais ?

« Je suis désolée... Je suis tellement désolée. » Elle s'excusait alors qu'elle n'était pas son autre elle. Elle n'était pas celle qui avait abandonné Madi. Pourtant, elle n'était pas capable de faire autre chose que s'excuser parce qu'une partie d'elle se sentait coupable et aurait aimé être cette autre Clarke pour ne pas commettre les mêmes erreurs. « Mais dis-moi que tu n'es pas seule... Bellamy ? Octavia ? » Ou n'importe qui, quelle importance, du moment où elle ne devait pas grandir seule ?  

S'excuser et craindre la réponse à la question qui avait suivi. Une mère qui l'avait abandonnée en mourant dans un monde. Une mère qui l'avait abandonnée en l'oubliant dans l'autre. N'était-ce pas cruel pour elle de l'entendre ? De le savoir ? « Tu as toujours été ici... » Souffla-t-elle en désignant son coeur. « Je t'ai toujours aimée plus que n'importe qui. Tu as toujours été la personne la plus importante pour moi. » Et ça, ce n'était que la stricte vérité. Son monde avait été capable de lui prendre, de lui retirer, de lui effacer ses souvenirs, mais jamais il n'avait été capable d'effacer l'amour parce qu'il était bien trop fort, bien trop ancré en elle. Madi faisait partie d'elle, à tel point qu'effacer son amour pour elle aurait été impossible. Il aurait fallu l'effacer elle-même. « Mais tu n'es pas avec moi dans cet autre monde. Je t'ai cherchée pendant des années. J'aurais pu retourner chaque pierre de cet endroit pour te retrouver, j'aurais pu chercher à chaque seconde, mais... Tu n'es pas là, Madi. » Et pour l'épargner, elle ne lui dirait pas que dans ce monde, elle était morte - enfin, elle le pensait tout du moins. Elle refusait de lui dire ça. Elle refusait de dire à sa fille qu'elle était morte et qu'elle n'avait rien pu faire pour l'aider.      

« Et je dois te dire quelque chose... » Ce n'était pas facile à dire, même si ce n'était pas véritablement sa Madi. « Je n'ai plus aucun souvenir de ce que nous avons pu vivre toutes les deux. Cette ville m'a tout pris, tous mes souvenirs de toi. » Et elle le regrettait chaque jour. « Mais je n'ai jamais oublié à quel point je t'aimais, ni à quel point je voulais te retrouver. » Parce que, encore une fois, Madi faisait partie d'elle et il était impossible de lui retirer cet amour.

Non, cette Clarke n'était pas responsable, mais elle se sentait coupable du comportement de l'autre Clarke. De celle qui avait préféré mourir, abandonnant sa fille au passage. La mort n'était pas une option lorsque l'on avait quelqu'un qui comptait sur nous. Il fallait survivre, se battre. Notre vie passait au second plan, notre priorité changeait. Alors, Clarke n'aurait rien pu faire pour éviter cela, mais elle s'en voulait quand même. Elle en voulait à son sosie d'un autre univers. Imaginer Madi grandir seule ici... C'était terrible. Elle était si jeune. Trop pour vivre la perte et le deuil, encore et encore. Elle méritait d'être heureuse. Elle devait l'être. Heureuse et entourée.

Heureusement, le contact rassurant de Madi, cette main dans ses cheveux, lui avait fait oublier un instant cette culpabilité. Elle pouvait le voir. Elle pouvait voir que, malgré l'absence, Madi était devenue une jeune femme dont Clarke pouvait être fière. Elle était forte - mais Madi avait toujours été forte.

Clarke espérait qu'elle n'avait pas grandi seule. Elle espérait apprendre que Madi n'avait pas été seule, qu'elle avait retrouvé les leurs. Bellamy. Octavia. Abby. N'importe qui, mais quelqu'un pour l'aider à grandir et à ne pas être seule. Quelqu'un pour l'aider à surmonter les épreuves. Malheureusement, Madi lui apprenait que ce n'était pas le cas. Elle était la première et, à cette idée, son coeur se brisait. Madi avait trop souvent été séparée de ceux qu'elle aimait et elle ne méritait pas que l'histoire se répète encore et encore. Non, Madi méritait d'être heureuse. Plus que n'importe qui.

Le mais lui faisait peur, mais elle l'avait presque oublié face à la première annonce. Ce mais ne présageait rien de bon, mais Clarke n'imaginait pas ce que c'était, exactement. Lorsque Madi avait repris la parole, elle s'attendait au pire. Et l'annonce était tombée. Elle avait été adoptée. Clarke était partagée entre deux émotions totalement et radicalement différentes. Elle était infiniment heureuse à l'idée que Madi ait pu trouver un équilibre, être heureuse, ne pas grandir seule... En tant que mère, elle était heureuse de voir que son enfant n'avait pas été seul. Et, en même temps, elle ressentait un sentiment horrible, un sentiment dont elle avait presque honte, mais un sentiment si violent qu'elle n'arrivait pas à le contrôler. Il y avait une part de jalousie, d'envie, d'injustice. Pourquoi une autre personne avait eu la chance d'élever sa fille quand elle, elle en avait été privée ? C'était tellement injuste. Et cruel. « Tu es heureuse ? » Se contenta-t-elle de demander, la gorge nouée. Elle ne pouvait pas détruire son bonheur à cause de sa jalousie. Elle n'était pas sa Clarke et elle n'était pas sa Madi. Si l'une pouvait, au moins, être heureuse... C'était une bonne chose et Clarke ne devait pas tout détruire.

Clarke, à son tour, lui avait expliqué l'absence de sa Madi. Une enfant morte dans leur monde, qui n'était pas réapparue dans ce nouveau monde. Clarke avait perdu espoir il y a bien longtemps, même si elle se surprenait parfois à espérer. Madi lui manquait tellement. Et cette Madi qui lui donnait de l'espoir. « C'est trop dur... Trop difficile de continuer à espérer, de souffrir en se rendant compte que cette fille croisée au coin d'une rue n'est pas toi. » Alors, avait-elle vraiment envie de garder espoir ? « Je ne l'ai pas vu... morte, mais... Non, c'est trop difficile. » Elle avait tellement pleuré sans jamais être capable de faire son deuil. Elle avait tellement espéré, en refusant d'admettre la réalité. Se permettre de croire à nouveau, c'était rouvrir une plaie qui n'était pas encore fermée, c'était s'ouvrir à la souffrance, s'offrir à elle. « Tu es devenue si sage. » N'avait-elle pu s'empêcher d'ajouter en souriant, un regard plein d'admiration face à la jeune femme qu'était devenue sa fille. Une fille qui la conseillait, qui lui donnait de l'espoir, qui parlait avec sagesse. Sa Madi aurait-elle été la même si elle avait vécu dans son monde ?

Et ce n'était pas tout. Clarke avait d'autres aveux à lui faire. A propos de cette mémoire défaillante. Ce n'était pas facile à annoncer, même si ce n'était pas sa fille, pourtant, elle s'était lancée. Cet aveu faisait rire Madi. Clarke comprenait. Ce n'était pas un rire joyeux, évidemment. Même, elle semblait trouver une logique derrière cet aveu. Lequel, en revanche, échappait à Clarke. « Mieux ? De t'avoir oubliée ? » Comment pouvait-elle dire une telle chose ? Non ! Clarke aurait préféré souffrir mille fois plutôt que de perdre les souvenirs de son enfant. « Qu'importe ce qui a pu se passer, j'aurais préféré me souvenir de toi. J'aurais préféré avoir des souvenirs heureux auxquels me raccrocher. » Parce qu'il y avait forcément eu des souvenirs heureux, non ? Leur vie n'avait pas pu être que peine, mort, guerre, deuil, haine, horreur... Non, elle refusait de croire une telle chose. Elles avaient été heureuses, ensemble.

Madi se questionnait. Ses questions étaient légitimes. Clarke l'avait reconnue sans se souvenir d'elle. Mais si Clarke ne se souvenait pas de leur vie, elle avait précieusement conservé le souvenir de sa fille en mémoire. Son visage et ses traits n'avaient aucun secret pour elle, comme en témoignaient ses nombreux carnets de dessins. Et même si elle avait vieilli, une mère reconnaissait toujours sa fille, peu importe les années qui avaient pu passer. « Je ne t'ai peut-être pas portée, mais tu es ma fille, tu fais partie de moi. Cette ville a peut-être réussi à me prendre mes souvenirs, mais elle ne pouvait pas effacer ton image. » Elle n'imaginait pas les choses autrement. Madi faisait partie d'elle, elle était gravée au plus profond d'elle-même, jamais personne n'aurait pu lui enlever ça.

Aux yeux de Clarke, une seule chose importait : que Madi soit heureuse. Elle n'avait pas eu la chance de retrouver sa Madi pour la rendre heureuse, alors elle espérait de tout son coeur que celle-ci puisse l'être, un jour ou l'autre. Elle le méritait plus que n'importe qui. Chaque Madi de chaque univers, aux yeux de Clarke, méritait d'être heureuse.

Madi lui apprenait alors qu'elle n'était pas heureuse. Pas encore. Mais qu'elle le deviendrait. Clarke, sa Clarke n'était morte qu'il y a peu. A peine deux mois. Deux mois pour se remettre de la perte d'une mère, c'était très peu. Evidemment. Trop peu pour se donner le droit d'être heureuse, pour l'accepter, pour passer à autre chose, pour transformer le chagrin en souvenir. Comme c'était cruel, même pour cette ville, d'imposer la vision d'une mère perdue si peu de temps auparavant. Clarke imaginait la douleur, la peine, que cette Madi devait ressentir. Et elle aurait tellement aimé lui prendre cette peine, l'en débarrasser, la sauver, lui offrir le bonheur... Elle aurait tellement aimé, mais elle ne le pouvait pas.

Même si cette Madi n'était pas la sienne, il était étrange de mettre un prénom sur celle qui l'élevait désormais. Clarke ne la détestait pas, elle la jalousait. Elle était jalouse qu'une autre femme ait cette chance alors qu'elle, on l'en avait privé. Mais elle ne la détestait pas parce qu'elle était la seule chance pour Madi d'être heureuse désormais. Sa seule chance d'avoir une famille. « Je te souhaite d'être heureuse, Madi. J'espère qu'elle saura te rendre heureuse. Tu le mérites. » Elle soufflait ces mots pour être rassurante, mais aussi parce qu'elle les pensait sincèrement. Madi devait arrêter de culpabiliser, devait faire son deuil, devait accepter le bonheur quand il se présentait à sa porte. Sa vie précédente était terminée, elle devait s'ouvrir à cette nouvelle vie.

A son tour, Clarke faisait part de sa vie dans cet autre monde. De l'absence de sa fille chérie. De sa perte. D'un deuil impossible à faire, pour sa part. Elle lui expliquait qu'il lui était impossible de garder espoir parce que l'espoir faisait souffrir. Terriblement. Croire, c'était souffrir. Espérer, c'était souffrir. Accepter, c'était souffrir, mais sans croire et espérer. C'était plus simple ainsi. Plus facile à supporter, plus facile à endurer. Ainsi, elle réussissait à avancer. Ou à tenir debout, tout du moins.

Le contact de Madi, qui l'avait serrée contre elle à ces aveux, l'avait terriblement touché. Elle ne pouvait s'empêcher de pleurer à nouveau. En silence. Elle profitait de ce contact qui lui avait tant manqué et qui disparaîtrait, une fois encore, dans quelques minutes ou dans quelques heures. Comme il était difficile d'y renoncer, une fois encore, d'accepter de le perdre, une fois encore. Mais, au moins, cette fois-ci, elle pourrait garder un vrai souvenir de son enfant.

A son tour, Madi rassurait Clarke comme Clarke l'avait rassurée. Elle lui donnait le droit d'être heureuse, le droit de faire son deuil et... Elle lui pardonnait. Plus que tous les autres, ces mots avaient eu un véritable impact chez elle. Un impact impossible à mesurer, à décrire. Alors ses larmes redoublèrent et ses bras se serrèrent plus encore autour de sa fille. De cette fille qui ressemblait tant à la sienne. Ce maman finissait alors de briser un coeur déjà en miettes, mais il apportait également quelque chose d'autre. Un bonheur pur. Un bien-être temporaire, mais puissant. Violent. Un mot qu'elle n'oublierait jamais. « Ma fille chérie. » Soufflait-elle, tout contre elle. « Je t'aime tellement. » A tel point que jamais elle ne pourrait faire son deuil, mais elle voulait bien lui faire croire pour soulager la conscience de cette Madi, pour la convaincre que cette Clarke resterait bien en vie, dans cette autre réalité.

Madi était devenue si sage. Clarke n'avait pas gardé de souvenirs de leur vie, mais elle savait qu'elle l'était devenue, qu'elle n'avait pas toujours été ainsi. Tout cela ne s'expliquait pas. Tout n'était que sensation et impression. Des sensations et des impressions auxquelles la mère se raccrochait chaque jour en regardant les portraits de son enfant. « Tu auras peut-être le temps de me raconter. » Pourquoi ça n'avait pas toujours été le cas... Elles n'auraient pas le temps de discuter de tout, mais peut-être que Madi pourrait lui donner quelques souvenirs. De vrais souvenirs auxquels se rattacher. De vrais souvenirs auxquels penser.

Madi n'était pas un dommage collatéral. Madi lui avait été retirée volontairement pour la faire souffrir, pour la punir. Ça devenait si évident, maintenant. « Tu n'es pas un dommage collatéral. Je suis punie pour tout ce que j'ai fait, je suis punie pour le monstre que j'ai été et quoi de mieux que de m'enlever ce que j'ai de plus précieux au monde ? » Elle. Madi. « Je t'assure que... Non, je sais que j'aurais préféré me souvenir de tout pour ne pas avoir à t'oublier. J'en suis certaine, comme jamais je n'ai été certaine de quoi que ce soit avant. Madi... » Elle devait lui faire comprendre son importance, elle devait lui rappeler à quel point elle l'aimait. « Madi, je t'aime et aucune mère ne veut oublier son enfant. Je sais que j'aurais été prête à tout pour toi. Je sais que j'aurais été prête à l'impensable pour toi. Alors, tu crois vraiment que j'aurais pu préférer t'oublier ? » Ça n'aurait eu aucun sens, n'est-ce pas ? Pas dans l'esprit de Clarke. « Pour te retrouver, pour retrouver la mémoire, j'aurais pu retourner chaque pierre de cette ville, j'aurais pu détruire cette planète... J'aurais pu faire n'importe quoi. Vraiment. » N'avait-elle pas tué son meilleur ami pour elle, même si elle ne s'en souvenait pas ? Et ce n'était peut-être pas une bonne chose pour Madi que Clarke soit prête à absolument tout, peut-être que ce n'était pas ce qu'elle avait envie d'entendre, mais c'était la réalité.

Madi faisait preuve d'un grand calme, elle semblait presque détachée à certains instants, mais Clarke restait persuadée qu'elle était bien plus touchée qu'elle ne le laissait penser. « Je suis médecin. Enfin presque. » Comme elle l'aurait été sur l'Arche si tout s'était déroulé comme prévu. « Je me suis installée avec Octavia, dans une vieille ferme. On avait besoin de ça pour se reconstruire. » Et c'était à peu près tout. Sa vie, ce n'était que ça. Ça et de la peine. Des pleurs. De la douleur. Des souvenirs. « Et toi, raconte-moi ta vie dans ce monde. » Parce qu'elle avait vécu des choses difficiles, mais elle voulait croire qu'il y avait eu également de bons moments et parce qu'elle préférait parler de Madi plutôt que d'elle.

Elle, elle n'était pas vraiment sa fille. Elle, elle n'était pas vraiment sa mère. Pourtant, elles avaient besoin l'une de l'autre. Pour se pardonner, pour se réparer, pour s'autoriser à passer à autre chose. Elles étaient chacune le pansement dont l'autre avait besoin. Elles étaient leur dernière chance de se dire adieu. Elles étaient leur dernière chance de se dire tout ce qu'elles avaient à se dire. Sa fille chérie. Sa fille chérie qui n'était pas vraiment la sienne, mais quelle importance ? Elle avait le visage de Madi. Elle avait les expressions de Madi. Elle avait les souvenirs de Madi. Elle n'était pas sa Madi, mais elle était Madi. Elle n'était pas sa fille chérie, mais elle était la fille chérie d'une autre version d'elle-même. Quelle importance ? Clarke aimait cette enfant, qu'importe qu'elle soit celle de son monde ou celle d'un autre univers. Elle l'aimait parce qu'elle était Madi et Clarke était persuadée de pouvoir aimer toutes les Madi de tous les univers existants. Et, l'espace d'un instant, Clarke se persuadait même qu'il s'agissait bel et bien de sa fille. Elle gravait cette voix en elle et les mots qu'elle prononçait. Elle gravait son je t'aime comme s'il s'agissait des mots les plus précieux de tout l'univers. Non, pas comme si, ils étaient les mots les plus doux, les plus importants, les plus puissants, les plus précieux de tout l'univers. De tous les univers.

Clarke aurait aimé que cette étreinte ne finisse jamais. Elle aurait aimé n'avoir jamais à quitter les bras de son enfant, mais il le fallait. Il fallait parler, aussi. Parler des choses douloureuses. Parler de cette punition qui avait fait que Clarke avait oublié sa fille. Elle l'avait mérité. Certainement. Pour Madi, elle avait tué. Pour Madi, elle détruirait le monde encore et encore. Pour Madi... Pour sa famille, pour ceux qu'elle aimait, Clarke était toxique. Clarke était un danger. Clarke se transformait en une menace. Elle était punie pour le monstre qu'elle était devenue face aux événements. Elle ne l'avait pas choisi, elle ne l'avait pas aimée cette Clarke, mais elle l'avait fait et elle recommencerait sans la moindre hésitation. Une fois encore, Madi tentait de la rassurer. Elle lui promettait qu'elle n'était pas un monstre parce que les monstres n'agissaient pas. Les pires monstres, au contraire, n'étaient-ils pas ceux qui agissaient trop ? Qui ne connaissaient aucune limite à leurs actions ? Qui s'acharnaient jusqu'à obtenir très précisément ce pour quoi ils se battaient ? Quelque part, la cause de Clarke avait été noble - protéger les siens du mal - mais les solutions employées... Elle n'avait jamais appris à se débrouiller autrement que par la violence. Malheureusement.

Clarke aurait été prête à tout pour se souvenir de sa fille. Elle aurait tout donné pour cela. L'absence, l'oubli, tout en ayant conscience de cet oubli, était un sentiment terrible. Un sentiment qu'elle ne supportait plus. Un sentiment qui la détruisait un peu plus chaque jour. Madi supposait justement que le problème se trouvait là, dans ce qu'elles étaient prêtes à faire l'une pour l'autre. Et Clarke en avait conscience, mais elle n'en rougissait pas. Elle en avait conscience et, aussi terrible que cela puisse paraître, elle l'assumait. « Dans ce nouveau monde, si tu avais été à mes côtés, nous aurions pu apprendre ensemble. Nous aurions pu... » Apprendre à gérer les crises autrement ? Il n'y avait plus de guerres, plus de monde à protéger... Elles n'auraient pu eu à prendre les décisions d'autrefois et risquer la vie d'inconnus. « Les circonstances nous ont poussées à devenir ce que nous étions. Pour survivre. Pour protéger ceux que nous aimions. Je ne pouvais pas vous regarder mourir sans rien faire... » Ni Madi, ni tous les siens lorsqu'elle avait tiré ce levier, par exemple. « Je ne me pardonne pas mes décisions, mais je ne pouvais pas vous laisser mourir. » Autrement dit, aujourd'hui, elle agirait toujours très exactement de la même façon et elle représenterait toujours une menace - sans savoir jusqu'où elle était allée pour protéger son enfant - si les circonstances étaient encore les mêmes parce qu'elle ne pouvait pas rester à ne rien faire et regarder les siens mourir. « Mais ce nouveau monde est si différent... Nous aurions dû avoir une chance d'être heureuses. » Parce qu'elle n'aurait plus été une menace pour personne si personne ne menaçait la vie de ceux qu'elle aimait, mais le monstre qu'elle avait été était punie, elle ne se retirerait pas cette idée de la tête.

Les discussions s'enchaînaient. Elles manqueraient vite de temps, il ne fallait pas en perdre. Alors, elles évoquaient des souvenirs moins douloureux, de la vie de tous les jours - ce qui leur permettrait d'avoir des souvenirs, de penser l'une à l'autre. Clarke lui expliquait donc qu'elle était presque médecin. Madi lui affirma que ça avait été la même chose pour sa Clarke. Un sourire avait pris place sur ses lèvres. Elle aurait presque pu prendre la place de cette Clarke et tout aurait pu être parfait. « Moi aussi. » Médecin à l'hôpital était très différent de tout ce qu'elle avait connu, entre toutes les lois et les limites qu'on lui imposait, mais elle s'y était faite.

Puis elle évoqua Octavia et leur installation, leur projet avec cette ferme à rénover. Elle voulait rassurer cette Madi, lui montrer qu'elle s'en sortirait toujours malgré la douleur de l'avoir perdue. « Oui, heureusement qu'elle est là. » Elle lui passerait tous les moments difficiles du début, mais aujourd'hui elle était heureuse de l'avoir dans sa vie. « J'ai retrouvé Bellamy, mais les choses sont compliquées. » Elle éviterait de dire à quel point, de lui raconter qu'il était même complétement sorti de sa vie - puisqu'elle en ignorait elle-même les raisons. Non, elle préférait se concentrer sur cette ferme que sur ses problèmes relationnels. « J'aurais aimé que tu puisses la voir. Et j'espère bien que nos amis la verront. » Elle espérait de tout coeur pouvoir réunir les siens dans cet endroit et en faire leur refuge. C'était l'objectif de ce projet.

A son tour, Madi évoquait sa vie dans ce monde. Les aspects les plus simples, ceux qui permettraient à Clarke de rêver de la vie de sa fille plus facilement, de l'imaginer dans ce monde. Clarke l'imaginait toujours à l'école, heureuse. Elle l'imaginait rentrer se plaindre de sa journée, de ce prof qui donnait trop de devoirs et de ce prof qu'elle aimait tellement parce qu'il était passionnant. Elle s'imaginait lui préparer un repas et rire parce qu'il était complétement raté. Elle l'imaginait désormais en train de jouer du piano. Clarke l'écouterait en dessinant, installée dans le canapé. Puis il y aurait le chien, Chocapic. Il monterait sur le canapé, dérangeant Clarke dans son dessin, alors qu'elle le lui aurait interdit un millier de fois, mais finalement elle le garderait près d'elle pour le couvrir de caresses tout en posant un regard doux sur sa fille. Oui, ce rêve était merveilleux. Inaccessible, mais merveilleux et Clarke tenait à le garder pour toujours. « Tu es une bonne élève ? » Demanda-t-elle pour faire la conversation et parce qu'elle s'intéressait à cette enfant comme à la sienne. « Tu aimes ça, le piano ? Tu as suffisamment de patience ? » Demanda-t-elle, un sourire amusé en coin. « J'aimerais beaucoup rencontrer Chocapic, je suis sûre qu'on serait amis lui et moi, même s'il est intenable. » Si Madi l'aimait, elle ne pouvait que l'aimer, elle aussi.