Mensonges et vérités ▿ Love

Merde. Juste merde. C'était tout ce que Clarke avait envie de hurler au monde. Si elle n'écoutait que son coeur, et tous ses sentiments terribles qui la tourmentaient depuis un an maintenant, elle s'enfermerait chez elle pour ne plus jamais en sortir. Après tout, ça servait à quoi, au juste ? De vivre - non, de survivre - dans ce monde où elle avait tout perdu ? Non, elle n'avait pas tout perdu. Elle avait Octavia. Et Bellamy. Une Octavia amnésique qui acceptait désormais son lien avec elle, mais qui restait incapable d'être totalement la Octavia d'autrefois. Et Bellamy. Pourquoi les choses étaient si compliquées ? Ils avaient commis les pires sacrifices l'un avec l'autre, pour leur peuple. Ils s'étaient protégés. Ils s'étaient trahis. Ils avaient survécu à tout et surmonté tellement d'épreuves pour qu'aujourd'hui ils se retrouvent si éloignés l'un de l'autre, sans qu'aucune véritable explication n'ait pu lui être donnée. Ne pas lui faire de mal. La peur qu'elle le déteste. Des conneries. Clarke avait besoin de savoir. De comprendre. On lui avait tout pris. Ses amis, sa famille, ses souvenirs, son monde... Tout. Et, pire que tout le reste, sa fille. Son bébé. Sa Madi. Ses souvenirs avec Madi. A chaque fois qu'elle pensait à son enfant, à chaque fois qu'elle tentait de se souvenir d'elle, il n'y avait rien qu'un immense vide qui la faisait souffrir plus que n'importe quoi d'autres et qui ne pouvait être égalé que par l'amour qu'elle lui portait.

Sa fille. Elle avait tellement espéré la revoir dans ce monde. C'était si stupide. Clarke était trop stupide. Pourquoi on lui ferait ce cadeau ? Elle ne le méritait pas, tout simplement. Sa vie n'avait été qu'une succession de mauvaises décisions et d'actes horribles. Elle méritait ses souffrances et sa solitude plus qu'aucun autre, certainement. Pourtant, elle avait cru à un cadeau du ciel. Oui, elle y avait vraiment cru lorsqu'elle avait vu cette petite tête brune, de dos, dans une des rues de la ville. Elle était épuisée, elle accumulait les heures à l'hôpital pour ne pas avoir à rentrer et elle cachait son mal-être depuis un an - un an à faire semblant que tout allait bien, un an à faire comme si la mort de son enfant ne l'affectait pas. Alors, en y regardant bien, de plus près, non, cette enfant ne ressemblait pas vraiment à Madi. Elle l'avait remarqué aussitôt que sa main avait forcé la jeune fille à se retourner - l'effrayant au passage. Clarke avait senti son coeur se briser une nouvelle fois - mais le pouvait-il encore, en réalité ? Il n'y avait déjà plus que des morceaux depuis si longtemps, désormais. Alors, elle s'était excusée, confuse, et elle était partie.

Il fallait qu'elle se rende à l'évidence, elle n'allait pas bien. Ignorer sa souffrance en travaillant ou en occupant chaque minute de sa journée, en sortant, en dessinant ou en faisant n'importe quoi, ça ne servait à rien du tout. Juste à retarder l'inévitable. Le moment où les choses devaient exploser. Clarke était rentrée, à bout de nerfs. Elle avait pleuré. Elle aurait préféré hurler, frapper, se défouler pour extérioriser toute la rage qu'il y avait en elle, mais elle n'avait pas cédé - préférant toujours être dans la retenue. Finalement, sans réfléchir, elle avait préféré attraper son portable pour demander à quelqu'un de passer. Et lorsqu'il s'agissait de sa fille, qui de mieux placer que Love ? Elles s'étaient rencontrées par hasard, mais un hasard qui avait terriblement bien fait les choses. Love se confiait sur son fils. Clarke se confiait sur sa fille. Bien sûr, elle aurait pu appeler Bellamy, il était son meilleur ami, après tout, ou même Octavia, mais elle avait l'impression qu'ils ne pouvaient pas la comprendre autant que Love semblait la comprendre - et elle ne la jugeait pas.

Clarke s'était éloignée de tout et tout le monde. Elle avait pris ses distances avec les gens qu'elle aimait ou qu'elle apprenait à aimer. Elle avait revu Love, de temps à autre, pas autant qu'elle aurait aimé. C'était trop dur. Trop dur de parler de Madi en la croyant morte. Trop dur alors qu'elle n'avait aucune chance de la retrouver. Elle espérait parfois que ce monde lui ramène, comme il avait ramené à la vie d'autres morts, mais elle refusait de trop y croire. La souffrance faisait moins mal que l'espoir. Pourtant, même si elle refusait de garder espoir, elle n'avait jamais dit à Love qu'on lui avait annoncé que Madi était morte, chez elle, dans son monde. D'une certaine façon, ne pas lui dire, c'était la garder en vie. C'était garder en vie celle qu'elle avait été lorsqu'elles s'étaient rencontrées. Alors, elle avait besoin de la voir. Peut-être pour lui dire la vérité. Ou peut-être pas. Pour partager leurs peines de mères. Pour l'entendre lui parler de son fils, de sa vie ici, de sa vie d'avant, de tous ces sujets qu'elle pouvait aborder avec elle, sans crainte, pour apprendre à la connaître et pour apprendre à se dévoiler, elle-même. Pour voir quelqu'un pour qui elle avait développé une confiance naturelle, sans la moindre raison, et avec qui elle se sentait capable de presque tout dire, alors qu'elles se connaissaient si peu.

Ce qu'elle était en train de faire ? Elle n'en avait pas la moindre idée. S'enfermer, s'éloigner, se couper du monde, c'était ça la chose à faire. Pas se lier, pas se confier, pas chercher du réconfort. A quoi bon continuer ? A quoi bon survivre à son propre enfant ? A quoi bon faire semblant quand tout allait mal ? Clarke avait toujours tout surmonté avec une force incroyable - pour toujours mieux s'effondrer lorsque la réalité la rattrapait, et cette fois-ci ne faisait pas exception, évidemment. Garder la tête haute, rester debout, faire taire ses sentiments et sa douleur, c'était une habitude pour elle parce qu'elle n'avait jamais vraiment eu le choix. Si elle s'était effondrée, si elle n'avait pas continué, qui aurait veillé sur les siens ? Qui aurait pu prendre les terribles décisions qu'elle avait dues prendre ? Aujourd'hui, les circonstances étaient trop différentes. Aujourd'hui, elle s'empêchait de s'effondrer, mais pourquoi ? Pour montrer au monde qu'elle était forte ? Un monde qui ne la connaissait pas et qui n'attendait rien d'elle. C'était stupide. Aujourd'hui, plus personne n'avait besoin d'elle pour survivre - et, le bon côté des choses, c'était qu'elle n'avait plus besoin de prendre des décisions qui tuaient autant qu'elles sauvaient - mais elle persistait à se montrer trop fière pour craquer. Jusqu'à aujourd'hui.

Aujourd'hui, c'était la fois de trop. Le faux espoir de trop. Madi était morte. Cette idée, elle l'avait intégrée dès les premiers instants et, pourtant, une partie d'elle, son coeur ou sa tête, elle n'en savait rien, espérait le contraire. Elle avait atteint le point de non-retour. Son corps était épuisé par ses trop nombreuses heures de travail. Son esprit était épuisé par ses pensées qui la tourmentaient. Ses nerfs lâchaient. Il ne fallait pas - même si elle était toujours aussi incapable de dire pourquoi il ne le fallait pas. Alors, elle avait pleuré. Elle avait pleuré comme elle avait rarement pleuré. Elle avait tenté d'évacuer comme elle le pouvait. Suffisamment pour recommencer à nier la vérité et l'évidence. Pas assez pour se convaincre qu'être seule était la meilleure solution. Non, sur un coup de tête, elle avait demandé à Love de venir. Clarke ne savait même pas si elle pouvait la qualifier d'amie, mais c'était ce qui s'en approchait le plus - et surtout, elle était la seule à qui elle osait faire quelques confidences - en dehors de Bellamy et Octavia.

Trouver une mère qui avait perdu son enfant - même s'il n'était qu'égaré dans ce monde - c'était trouver quelqu'un qui la comprenait au plus profond de son coeur et pas seulement quelqu'un qui supposait la douleur. Elles se comprenaient. Véritablement. Naturellement. Bêtement, peut-être, Clarke avait envie de lui faire entièrement confiance. L'amitié était une chose sacrée pour la jeune femme. Combien de sacrifices avait-elle pu faire en ce nom ? Combien de fois avait-elle mis sa vie en danger pour ses amis ? Combien de fois avait-elle fait confiance trop vite, trop facilement, au point de se laisser avoir ? C'était peut-être une énième erreur, mais quelle importance si, pendant un temps au moins, elle pouvait avoir l'impression d'être comprise et d'être utile ? De toute façon, il n'était plus temps de réfléchir. Love était arrivée.

Sans perdre de temps, Clarke s'était dirigée vers la porte pour ouvrir et découvrir Love, souriante, qui se présentait avec un sac de courses. C'était ça, aussi, l'amitié pour elle - ou le début d'une amitié, peut-être. C'était sourire juste en voyant la personne, c'était se sentir un peu mieux juste en apercevant le sourire de cette personne. Elle avait connu trop longtemps la solitude - si son esprit avait oublié, son coeur s'en souvenait, lui - pour la désirer encore réellement. « Je suis contente que tu aies pu passer. » Souffla-t-elle, alors que Love affirmait qu'elle tombait bien parce qu'elle lui permettait d'échapper à l'ennui - et elle, elle lui permettait d'échapper à la solitude. « Je t'invite chez moi et tu prépares le dîner ? Ça me semble pas très juste pour toi. » Affirma Clarke, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres. « Laisse-moi au moins te débarrasser un instant. » Proposa-t-elle en tendant les bras pour attraper le sac, le temps que Love puisse entrer et se mettre plus à l'aise. « Tu peux me donner une tâche simple, histoire que je ne gâche pas tout, mais que je me sente utile quand même. » Découper quelque chose, mélanger des ingrédients, des tâches simples que l'on confierait à une enfant pour qu'elle se sente utile. « Mets-toi à l'aise, dis-moi ce que tu comptes nous préparer et ensuite, dis-moi comment tu vas ? » Demanda Clarke, tout en se dirigeant vers la cuisine, pour déposer le sac sur la table.

Il n'y avait pas eu à attendre longtemps pour que Clarke ressente un mieux-être en compagnie de Love. C'était étrange et inexplicable, mais sa présence lui faisait du bien et elle ne voulait pas s'en priver aujourd'hui, pas après s'être sentie tomber si bas et allait si mal. Love était là. Elles passeraient la soirée à discuter, à manger, à se confier et Clarke espérait se sentir mieux, après ça - comme la première fois où elles s'étaient rencontrées. « Et j'adore ta cuisine, je dois l'avouer. » Souffla-t-elle en attrapant le sac de Love pour la débarrasser. C'était un plaisir qu'elle découvrait depuis qu'elle était ici : la vraie bonne cuisine - et celle de Love était particulièrement bonne. Néanmoins, Clarke était gênée de savoir que son invitée allait cuisiner et qu'elle ne ferait rien. Alors, elle proposait son aide, même pour des tâches simples et accessibles au pire cuisinier du monde. « Alors, je vais pleurer pour toi. » Affirma-t-elle en l'accompagnant dans son rire, lorsque Love lui confia la difficile tâche de couper les oignons. « Tu peux me confier les tâches ingrates, je les accepte avec plaisir. » Ce n'était pas quelques oignons qui allaient lui faire peur - ni les larmes qui allaient avec, même si ce n'était jamais agréable d'avoir les yeux qui brûlaient - d'autant plus pour, en échange, goûter à la cuisine de Love.

Cuisine qui lui donnait déjà l'eau à la bouche simplement en entendant le plat qu'elle comptait préparer. « Ça me semble déjà délicieux. » Et elle avait hâte. La bonne nourriture permettait toujours d'oublier les maux, même l'espace d'un instant, non ? Puis, c'était un moment de partage agréable de pouvoir cuisiner puis manger tout en discutant. C'était ça la vie qu'elle devait mener dans ce nouveau monde, non ? Alors, elle devait s'y essayer et peut-être que son coeur finirait par guérir de lui-même, si elle cessait de se réfugier dans la solitude ?

Alors, Clarke lui avait demandé comment elle allait. Parce que c'était important pour elle de s'assurer que tout allait bien - ou pas trop mal, tout du moins - et de discuter de la vie de Love. Elle n'était pas juste là pour écouter, elle était là pour être entendue, également. Elles devaient s'aider et se soutenir l'une et l'autre. A la réponse de Love, Clarke avait relevé les yeux vers elle, en souriant. Elle était heureuse d'entendre que les choses tournaient bien pour elle. « Je suis heureuse pour toi. Tu le mérites. » Enfin, elle le supposait puisqu'elle ne savait pas tant de choses que ça sur elle, mais avec ce qu'elle savait de sa relation avec son ex-mari, oui, elle méritait amplement d'être heureuse.

Love voyait juste. Si Clarke lui avait demandé de venir, il y avait bel et bien eu une raison précise. Elle aurait aimé que ce ne soit pas le cas, elle aurait aimé pouvoir la voir simplement parce qu'elle avait envie de voir une amie, mais ce n'était pas dans les habitudes de Clarke. Moins encore depuis qu'elle s'était coupée de tout. Heureusement pour elle, Love ne s'en formalisait pas et ne le prenait pas mal. Alors, Clarke avait baissé les yeux un instant avant de lui sourire, pour la remercier. « J'avais envie de te voir aussi, simplement... J'ai jamais pris le temps de te le demander. » Précisa-t-elle d'abord, puisque c'était vrai. Elle ne voulait pas que Love ne s'imagine être là que pour l'écouter pleurer ses problèmes. Elle appréciait sincèrement sa compagnie. « J'ai cru voir Madi, tout à l'heure. » Commença-t-elle, en sentant la peine l'envahir et sa gorge se serrer à cet événement trop récent encore. Love ignorait que Clarke croyait Madi morte, ce qui rendait ce moment plus douloureux encore. « Je me suis effondrée. » Ça, elle ne l'avouait jamais, habituellement. Clarke se montrait forte en permanence et prétendait être capable de tout affronter sans craquer. « Je me suis laissé submerger par tout ce que je ressentais et... J'y arrivais plus. J'ai cru que je ne pourrais jamais me calmer ou arrêter d'avoir si mal. » Elle avait eu l'impression de se briser, de tomber sans être capable de se relever. La sensation avait été terrible, mais elle avait fini par retrouver son calme, sans être capable de se l'expliquer elle-même.

Clarke aurait aimé être capable de passer une soirée tranquille, sans peine et sans pleurs. Ce genre de soirées qu'elle n'avait jamais pu passer autrefois : une amie, un bon repas, des histoires de coeur, un mauvais film pour rire, discuter du boulot ou des enfants ou de n'importe quoi d'autres. Oui, Clarke aurait aimé être capable de vivre ce genre de soirées. Elle aurait aimé y avoir le droit, sauf qu'elle ne le méritait pas. A quoi elle s'attendait, après avoir tué tout un peuple pour sauver le sien ? Après avoir poignardé son petit ami pour le sauver d'une mort plus terrible encore, par sa faute ? Pour avoir dirigé des jeunes, pour les avoir menés à la guerre et à la mort - encore que, là, elle n'avait pas eu le choix, il avait bien fallu que quelqu'un prenne les choses en main, non ? Et ça, ce n'était que la partie des souvenirs qui existaient encore chez Clarke. Le reste... Le reste était forcément pire. Le reste était pire. Bellamy lui avait appris certaines choses. Clarke qui les abandonnait tous. Clarke qui faisait n'importe quoi. Clarke qui perdait les gens qu'elle aimait. Non, elle ne méritait ni ce genre de soirées, ni rien d'autre, même. Alors retrouver sa fille ? Quelle idée stupide et insensée.

Clarke aurait préféré discuter des histoires d'amour de son amie. Ça, au moins, ça aurait été plus joyeux. Elle l'aurait questionnée à propos de cet homme, pour juger de s'il méritait d'avoir Love dans sa vie et elles auraient sans doute imaginé tout un futur pour eux. Un futur heureux, où Love aurait pu retrouver son fils, vivre avec cet homme et oublier son passé difficile pour avancer et être heureuse. Mais, à la place, Love lui avait demandé pourquoi elle l'avait invitée. Elle se doutait qu'il n'y avait pas que l'envie de la voir. Alors, elle lui avait dit. Elle avait cru voir Madi. Elle lui avait dit à quel point elle s'était effondrée, à quel point elle s'était sentie submergée, à quel point elle avait eu l'impression de tomber sans plus jamais pouvoir s'arrêter. La compassion qu'elle voyait sur le visage de Love lui faisait du bien. Sincèrement. Ses mots, également. Ses bras, qu'elle n'hésitait pas à accueillir pour s'y blottir, étaient d'un réconfort dont elle avait grand besoin à cet instant. C'était réconfortant et rassurant de savoir que l'on n'était pas seule, en réalité. Lorsqu'elle avait appris la mort de Madi, elle avait passé un temps considérable dans les bras d'Octavia, puis dans ceux de Bellamy, qui avaient essayé de la soulager de ses peines, en vain, mais qui avaient été là, à leur façon - mais y avait-il seulement une bonne façon d'être là pour une mère qui avait perdu sa fille ? Rien ne pouvait soulager sa peine, après tout.

Love était désolée pour elle. Pour la soulager, lui faire du bien, elle lui proposait de vider son sac. Après tout, c'était bien ça que des amies faisaient, non ? S'écouter, se confier jusqu'aux plus profonds sentiments afin de se soulager ? « Je travaille trop. Je suis épuisée. Je n'en peux plus de penser à elle à chaque instant alors je m'épuise pour faire taire ce que je ressens... » Commença-t-elle, sans la moindre hésitation, en baissant les yeux, évitant toujours de lui dire qu'elle croyait Madi morte - cette réalité était trop douloureuse. Le dire à Love, c'était rendre les choses trop réelles. « Alors, je suis tellement fatiguée que... Je rentrais et... J'sais pas, j'ai aperçu cette fille de dos... Les mêmes cheveux, la même démarche... Enfin, j'ai cru et... » La gorge serrée, elle luttait contre les larmes et elle tentait de lui faire le récit le plus clair possible - ce qui n'était pas le cas. « J'étais si heureuse. Tu n'imagines pas. J'ai senti mon coeur battre si fort, je me suis sentie vivante, j'ai eu l'impression de retrouver un nouveau souffle. J'aurais pu hurler au monde à quel point j'étais heureuse. Et j'ai vu son visage... » Et là, tout s'était brisé. Une fraction de seconde qui avait suffi à la faire imploser, à la détruire. « En un instant, j'ai cru que tout s'effondrait autour de moi. Je... Ce n'était pas elle. Merde, comment j'ai pu être aussi stupide ? Bien sûr que ce n’était pas elle, pourquoi j'aurais le droit de la revoir, hein ? » Love ne savait pas tout, mais elle en savait assez pour savoir que Clarke se reprochait bien des choses. « J'ai senti un poids si lourd dans ma poitrine, je crois que je n'avais jamais été plus... Malheureuse ? Déçue ? Je suis rentrée, j'ai pleuré. J'ai hurlé. Si je l'avais pu, je crois que j'aurais cassé tout ce qui me passait sous la main. J'étais tellement malheureuse, tellement en colère. J'étais pleine de rage. » Ce n'était même pas possible de décrire ce qu'elle avait ressenti précisément, les mots n'étaient pas suffisants. « C'est trop dur sans elle. Je souffre tellement. J'ai l'impression que ça finira par me tuer de ne pas la revoir. » Avait-elle ajouté, en osant relever les yeux vers Love.

Clarke était plutôt forte. Elle ne montrait rien. Elle avançait et elle faisait ce qu'il y avait à faire. Les émotions étaient une faiblesse. Enfin, si on les laissait prendre le dessus et nous submerger. Elles pouvaient être une force, également. Mais, dans la situation de Clarke, comment aurait-elle pu transformer sa douleur en force ? Non, elle en avait été incapable. Elle avait été capable de jouer la comédie, d'avancer et de sourire, de faire comme si elle n'était pas complètement détruite, brisée par la perte de son enfant. A l'intérieur, il n'y avait plus rien. Plus rien à part ce chagrin immense, cette envie de hurler, de ressentir autre chose que cette détresse et ce manque. Alors, pour faire taire tout ça, elle se tuait au travail. Elle s'épuisait un peu plus chaque jour. Plus elle était épuisée, moins elle pouvait se concentrer sur ses pensées et moins elle pensait à Madi. Enfin, elle pensait toujours à Madi, en permanence, mais son souvenir pesait moins. Un peu.

Clarke n'était pas non plus du genre à confier ses chagrins et ses faiblesses. Pourtant, avec Love, elle avait trouvé une oreille attentive. Elle la connaissait si peu et, pourtant, elle lui confiait ses plus grandes douleurs, celles qui la détruisaient de l'intérieur. A bout de nerfs, elle lui racontait ce qu'elle avait vécu. Elle lui expliquait la joie immense qui avait envahi tout son être à l'idée d'avoir retrouvé son enfant et l'impression d'être écrasée par le poids de quelque chose de terrible en remarquant son erreur. Il n'y avait même pas de mots pour décrire ce qu'elle avait ressenti. Elle avait eu l'impression de sentir son coeur se briser, littéralement. Jamais, de toute sa vie, elle n'avait eu aussi mal qu'aujourd'hui. Et elle se sentait stupide d'avoir espéré. Pourquoi lui rendrait-on sa fille alors qu'elle ne le méritait pas ?

Pourtant, Love essayait de la rassurer. Non, elle n'était pas stupide. Ah ouais, alors qu'était-elle ? Sa fille était morte, mais ça, Love l'ignorait, alors pourquoi elle la retrouverait ? Parce que Bellamy, lui, était de retour alors qu'il l'était, mort, aussi ? Non. Bellamy était, comme elle, ici, parce qu'ici était une prison qu'ils méritaient tous les deux. Madi était certainement ailleurs, en paix. Loin de Clarke et du danger qu'elle représentait. Pourtant, la jeune femme avait envie de croire aux mots réconfortants de Love. Ses mots, sa main réconfortante et rassurante dans son dos... C'était simple, finalement, de se convaincre de quelque chose le temps de quelques instants. Juste quelques instants de répit avant de se détester de nouveau. Quelques secondes avant de se souvenir que son enfant était mort et qu'elle ne le reverrait jamais, quoi qu'elle fasse.

C'était si simple de croire qu'il n'y avait ni karma, ni rien. Juste des événements qui se produisaient parce qu'ils devaient se produire. Clarke n'avait jamais trop réfléchi à tout ça. Elle avait commis de nombreuses horreurs et elle avait perdu beaucoup, en retour. N'était-ce pas le karma ? Elle avait sauvé beaucoup de vies, aussi, mais combien en avait-elle prise ? Difficile, dans un cas comme le sien, de savoir si le karma était responsable de quoi que ce soit ou si, simplement, elle détruisait tout ce qui l'entourait parce qu'elle était incapable de faire autrement. « J'suis prête à faire n'importe quoi, cet endroit peut me faire faire n'importe quoi, je le ferai si j'peux la retrouver. » Love avait raison, ce monde était merdique. Mais il avait le mérite de pouvoir leur offrir une vie plus tranquille - tout était relatif, néanmoins - que son monde d'avant. L'apocalypse, les fins du monde, les guerres... Ici, elle aurait pu élever Madi dans la paix. Alors, même si elle restait persuadée de ne pas le mériter, elle donnerait n'importe quoi à ce monde qui semblait décider de tout pour eux.  

« Forte ? T'as l'impression que c'est ce que je suis ? » Elle posait la question sérieusement alors qu'elle ne la connaissait pas vraiment. Bellamy, Octavia et d'autres de ses amis lui avaient dit tellement de fois, mais il y avait une différence entre être forte et prétendre l'être. En ce moment, elle avait plutôt l'impression de prétendre simplement, de faire semblant. Mais elle jouait la comédie depuis des mois et, merde, c'était compliqué à force. « Je crois qu'au point où j'en suis, tout ce qui pourrait me permettre de me décharger de mes émotions serait le bienvenu. Pourquoi ? » Clarke avait clairement eu envie de détruire son appartement un peu plus tôt, mais elle avait réussi à garder le contrôle d'elle-même, mais si Love avait une idée derrière la tête, elle l'écouterait avec plaisir. Tout ce qui pouvait servir à se défouler était bon à prendre dans ce genre de moment, de toute façon.

Peut-être, ouais, peut-être qu'elle était forte. Peut-être qu'elle l'avait été, en tout cas. Peut-être. Elle savait qu'elle n'était pas que faiblesse, elle avait affronté trop de choses, pris trop de décisions difficiles pour croire ça, mais à cet instant, elle ne se sentait pas forte. Elle avait l'impression que, durant toutes ces années, elle n'avait fait que semblant d'être forte. Elle avait l'impression qu'elle avait simplement su faire semblant. Jouer un jeu. Elle avait toujours fini par craquer, par exploser. Mais on craquait, même lorsqu’on était fort, n'est-ce pas ? C’était normal. Il fallait souffler, se décharger au bout d'un moment. Etre fort, ce n'était pas arrêter de ressentir. « Peut-être. » Se contenta alors de répondre la jeune femme, consciente que oui, peut-être, cette force existait quelque part et qu'il lui suffisait simplement de la retrouver. « Et toi, t'es là pour me le rappeler ? » Souffla-t-elle, en souriant, pleine de reconnaissance. « Merci. » Que dire d'autres à une femme qui la soutenait autant alors qu'elle la connaissait si peu, en réalité ? Elle ne regrettait pas de l'avoir rencontrée et elle ne regrettait certainement pas de s'être tournée vers elle ce soir.

Décidée à soulager Clarke, Love lui demandait si elle avait de la vaisselle à laquelle elle ne tenait pas afin de se libérer en la cassant. Clarke ne put s'empêcher de laisser un sourire prendre place sur ses lèvres. Pourquoi n'y avait-elle pas pensé elle-même ? Autrefois, Clarke avait utilisé des moyens plus radicaux ou violents, mais aujourd'hui elle ne pouvait se venger sur quelqu'un ou se jeter corps et âme dans une guerre pour oublier, pour se concentrer sur autre chose, pour faire taire ses émotions. Il fallait s'adapter à la situation. « Je ne tiens à rien du tout. » Assura-t-elle en se dirigeant vers un placard où se trouvaient des assiettes. « On en garde deux, histoire de pouvoir manger quand même... » L'idée même de tout détruire avait déjà un certain pouvoir sur elle, comme si elle suffisait à la soulager - ou simplement à la faire sourire pour dissiper un peu de tout le négatif qu'il y avait en elle. « Et on détruit le reste. » Et elle déposait la vaisselle qu'elle pouvait détruire sur le plan de travail, vidant ses placards du peu de vaisselle qu'elle possédait. « Je casse, je crie ? Je crie, je casse ? » Demanda-t-elle très sérieusement une première assiette à la main, cherchant des conseils sur le meilleur moyen de procéder. Hurler ce qui n'allait pas ou juste crier à s'en vider les poumons ? Crier puis casser ? Casser puis crier ? Quitte à le faire, autant bien le faire. « Je crois qu'il y a suffisamment de vaisselle pour que tu te libères si tu en as besoin toi aussi. » Ses voisins la maudiraient d'ici quelques minutes, mais si elles pouvaient hurler et se soulager à la manière de Love, elles n'allaient pas s'en priver - l'étape qui consisterait à tout ramasser serait bien moins réconfortante, elle, en revanche.

Elles déprimeraient n'importe qui dans cet état et avec de telles réflexions. Elles devaient paraître bien tristes, vu de l'extérieur. Rongées par des sentiments terribles, perdues et détruites par la perte de leur enfant, détachées de tout, mais pourtant incapables de se protéger en refusant d'aimer. « Plus facile à dire qu'à faire... » Souffla Clarke lorsque Love affirma qu'il ne fallait tenir à rien et à personne. Il était vrai qu'ainsi on ne souffrait plus, mais la vie valait-elle le coup sans aimer ? Sans être aimé ? Sans accorder de l'importance à des événements ou des objets ? Pouvait-on être heureux ainsi ? Peut-être. Certainement, même, que certains le pouvaient. Clarke s'en sentait incapable pour sa part. Elle aimait trop. Avec trop de passion. Avec trop de détermination. Elle aimait trop. Trop dangereusement. Trop fort. Pour ceux qu'elle aimait, elle était prête à tout et aux pires choses, surtout. Pour ceux qu'elle aimait, elle détruirait le monde et tuerait n'importe qui. Si elle acceptait de se détacher de ses sentiments, comme Lexa le lui avait un jour conseillé, peut-être serait-elle une meilleure personne ? Capable de prendre des décisions justes ? D'arrêter de faire du mal ? D'arrêter de souffrir et de faire souffrir ? Pourtant, elle ne le pouvait pas. « Tu pourrais toi ? Vivre seule, sans attache ? » S'interrogeait-elle sincèrement, pour en apprendre davantage sur Love et la comprendre.

La vaisselle sortie, Clarke avait simplement conservé de quoi pouvoir manger toutes les deux, avant de s'interroger sur la meilleure façon de procéder pour se libérer au mieux. Aux mots de son amie, Clarke se contenta de hocher la tête, tout en tenant sa première assiette dans les mains. Love avait commencé. Clarke avait suivi. Elle avait crié de toutes ses forces en explosant aussi violemment que possible l'assiette sur le sol - ses voisins la maudissaient sans doute comme jamais. Elle avait l'impression que sa rage devenait contrôlable, qu'elle devenait une chose dont elle pouvait se libérer. Elle avait l'impression qu'en hurlant, il y avait un peu de toute sa douleur qui partait avec. Elle avait l'impression qu'en explosant cette assiette, elle détruisait un peu de cette douleur qui la rongeait de l'intérieur. C'était si libérateur qu'elle avait recommencé sans attendre, sans un mot. Il n'y avait plus qu'elle et sa douleur. Elle et sa rage. C'était une sorte de règlement de compte avec elle-même. Un moment où elle oubliait tout pour se concentrer sur tout ce qui n'allait pas. « Pourquoi elle m'a abandonnée ? » Ce n'était plus juste un cri, c’était un reproche. Un reproche adressé à sa fille. Elle ne lui en voulait pas, pourtant, mais elle se sentait abandonnée. Et elle souffrait de cet abandon. Elle s'en voulait. Elle se sentait responsable de ne pas avoir su la protéger comme une mère devait le faire. « Pourquoi elle m'a laissée ? » Poursuivait-elle, toujours en criant, les larmes lui montant aux yeux face à toute cette rage qu'elle libérait. « J'avais besoin d'elle... » Et elle est morte, mais ces derniers mots restèrent coincés dans le fond de sa gorge, toujours incapable de les prononcer devant Love.

Il serait tellement plus facile de pouvoir vivre sans amour et sans attache. Vivre pour soi, égoïstement, sans jamais chercher l'affection ou les émotions que les autres étaient capables de nous procurer. Vivre sans être malheureux d'avoir aimé ou d'avoir perdu. La vie perdrait en saveur, certainement, mais elle gagnerait en sérénité. A trop aimer, à aimer plus qu'on ne s'aimait soi-même, à tout donner pour quelqu'un, on finissait toujours par souffrir, par se détruire petit à petit. Alors oui, Clarke devrait ne plus jamais s'attacher à qui que ce soit et se tourner vers elle-même. Elle devrait, mais elle ne le pouvait pas. Elle se sentait incapable de ne pas aimer aussi fort, de ne pas ressentir toutes ces choses qui changeaient votre vie, quand bien même actuellement elle souffrait tellement qu'elle aurait tout donné pour ne plus rien ressentir, ne serait-ce qu'un instant. Elle interrogeait Love, qu'elle n'imaginait pas plus capable de ne s'attacher à rien ni personne. Comme elle s'y attendait, malgré ses conseils, elle n'en était pas capable non plus. Elle avait essayé, en vain. « Je m'en doutais. » Souffla simplement Clarke, pour toute réponse. A certains moments difficiles de nos vies, on essayait tous, on essayait de se convaincre qu'aimer ne servait à rien et qu'on souffrirait forcément si on ouvrait à nouveau notre coeur et on retombait toujours dedans, finalement. C'était une leçon difficile, voire impossible, à apprendre.

Alors pour se libérer de toutes les peines que l'amour était capable de causer, elles détruisaient la vaisselle de Clarke en l'explosant au sol. L'effet libérateur était immédiat. Sa souffrance pouvait enfin s'exprimer librement, sortir et exploser. Les cris laissaient peu à peu place à des reproches qu'elle ne soupçonnait même pas avoir. Elle était en colère contre Madi et contre elle-même. Elle se sentait abandonnée par l'être qu'elle aimait le plus sur cette Terre et toutes les autres. Elle avait perdu sa raison de vivre, la personne pour qui elle aurait été capable de tout détruire, la personne à qui elle aurait pu tout donner. Son enfant l'avait abandonné. Et il n'y avait pas pire sentiment à ses yeux.

Complètement perdue et ailleurs, Clarke n'avait même pas remarqué que Love s'était approchée. Elle était sortie de son état second à l'instant où elle avait senti ses bras l'entourer. Ce contact rassurant lui faisait du bien. Elle ne se sentait plus seule l'espace d'un instant. Ses mots lui faisaient du bien, également. D'une certaine façon, ils lui permettaient de déculpabiliser. Elle avait le droit d'être en colère. Elle avait le droit de souffrir. Alors, pour une fois, oubliant ses réserves, elle se laissait aller et elle laissait le chagrin l'envahir entièrement. « J'ai toujours tout fait pour elle, pour la protéger. » Elle ne se souvenait pas des détails, parce que sa mémoire lui faisait défaut, mais elle savait qu'elle avait été capable du pire pour elle - jusqu'à tuer son meilleur ami, mais ça, elle ne s'en souvenait plus. « Pourquoi elle est partie, Love ? » Il n'y avait bien sûr aucune réponse à ça et pourtant, Clarke avait tellement besoin de réponses. « Peut-être que... » Elle soupirait, fallait-il vraiment émettre des hypothèses à propos de quelque chose qu'aucune des deux n'avait réellement décidé ? « J'étais peut-être pas une bonne mère. J'ai pas su la protéger. » C'était ce qu'elle en avait déduit, lorsqu'Octavia était venue lui annoncer que Madi était morte, d'après ses souvenirs tout du moins.

C'était pour ça que Clarke ne pouvait pas renoncer à ses sentiments et à ses attaches. C'était parce que sentir les bras d'une amie autour d'elle, pour la réconforter, lui faisait tellement de bien qu'elle se sentait incapable de renoncer à ce qui faisait d'elle ce qu'elle était. Ressentir des choses, c'était se condamner à souffrir quelque part, mais c'était aussi s'autoriser des émotions si belles, si pures. Dans les bras de cette femme qu'elle avait rencontrée par hasard, au détour d'un feu de camp organisé pour Halloween, à une fête à laquelle elle ne devait même pas se rendre, Clarke se sentait mieux. Elle n'allait pas bien, mais elle se sentait soutenue et comprise.

Dans ses bras, Clarke s'autorisait à tout relâcher. Elle s'autorisait à pleurer et à craquer. Dans ses bras, elle s'autorisait à dire ce qu'elle avait sur le coeur depuis bien trop longtemps. Pourquoi Madi l'avait-elle abandonnée ? Pourquoi l'avait-elle laissée toute seule dans ce monde ? Madi était tout pour elle. Elle était sa fille et sa raison de vivre. Comment avait-elle pu l'abandonner pour toujours ? Clarke avait-elle été une si mauvaise mère pour mériter un tel sort ? Sans doute, sinon pourquoi aurait-elle quitté celle qui était prête à tout, même à l'impensable, pour elle ? Même s'il n'y en avait pas, Clarke avait besoin de trouver une explication plus ou moins rationnelle pour justifier la disparition de son enfant.

Les mots franchissaient les lèvres de Clarke sans qu'elle ne contrôle rien. Love tentait de la rassurer. Non. Non, elle n'était pas une mauvaise mère. Qu'en savait-elle ? Etait-ce vrai ? Pouvait-on juger de la mère qu'elle avait été à l'état dans lequel elle se mettait actuellement ? Peut-être. Peut-être que Love avait raison. Peut-être qu'elle n'avait rien contrôlé parce qu'elle ne pouvait rien contrôler. Peut-être qu'elle ne pouvait rien justifier, rien expliquer, parce que c'était simplement comme ça. C'était simplement injuste. C'était simplement incontrôlable. Peut-être. C'était si facile de se raccrocher à cette idée, celle qu'elle avait été une bonne mère, une bonne mère à qui des événements incontrôlables avaient pris son enfant. Oui, c'était si facile et si réconfortant de s'en persuader. Mais était-ce seulement vrai ?

« Elle me manque. » Souffla-t-elle, en enchaînant sans répondre, complétement incapable de se reprendre pour le moment. Ses sentiments et son malheur prenaient le dessus sur tout le reste. Elle extériorisait comme elle aurait dû le faire il y a bien longtemps, déjà. « Je l'aime tellement. Je n'avais jamais imaginé qu'il était possible d'aimer quelqu'un à ce point. » Elle l'aimait de toute son âme. Ce n'était pas sa fille par le sang, mais elle l'avait adoptée et aimée dès le premier regard. Elle était sa mère. Elle l'aimait comme une mère aimait son enfant. Elle l'aimait au-delà de sa propre vie, de son propre bonheur. Elle l'aimait à un point qu'elle ne pouvait décrire. C'était ça, son amour pour elle était indescriptible. « Je me sens tellement vide sans elle. » Un vide impossible à combler, mais qu'elle tentait désespéramment de remplir par des heures de travail et une fatigue qu'elle avait poussée à l'extrême dans le seul but d'oublier. C'était si dur d'avancer en se sentant si vide et si seule.

« J'aimerais... » Ses sanglots l'empêchaient de continuer. C'était si difficile. Elle restait alors silencieuse un certain temps, avant de reprendre. « La revoir, juste une fois. J'aimerais lui dire à quel point je l'aime... » Et à quel point elle était désolée de ne pas avoir été une mère parfaite - mais elle ne le répétait pas, pas après ce que Love lui avait déjà dit. « J'aimerais me souvenir de son rire. J'aimerais pouvoir me souvenir d'elle. » Parce qu'il n'y avait rien. Ou pas grand-chose. Un visage dont elle connaissait chaque trait par coeur. Quelques vagues souvenirs. Mais surtout un amour si profond et si puissant qu'il avait été capable de tout transcender et de perdurer malgré l'absence de souvenir. Cet endroit avait pu lui prendre les souvenirs, mais pas l'amour. Il était bien trop fort, bien trop puissant, bien trop ancré en elle pour pouvoir disparaître comme ça. « Tu crois qu'on va y arriver ? » Arriveraient-elles un jour à vivre sans leur enfant, si jamais il ne devait pas leur être rendu ? Pourraient-elles faire ce deuil inimaginable ? Ça lui semblait tellement impossible à cet instant, dans un tel moment de faiblesse.

Il n'y avait pire sentiment sur Terre que celui d'avoir perdu son enfant. Clarke avait tout fait pour faire son deuil, pour accepter cette disparition et pour continuer à vivre presque normalement. Elle avait vraiment essayé, elle s'était donnée les moyens, mais de la mauvaise façon. Plutôt qu'accepter sa peine et son malheur, plutôt que pleurer autant que nécessaire, plutôt qu'accepter sa souffrance et en parler, elle avait tout refoulé. Elle avait tout refoulé parce que c'était plus simple ainsi. Faire semblant, jouer un jeu, sourire. C'était plus simple qu'être faible, que pleurer, que montrer ses souffrances. Faire face, en toute circonstance, être forte et se plonger corps et âme dans le travail pour ne plus avoir le temps de penser ou d'avoir mal. Ça avait été une erreur terrible parce qu'elle n'avait fait qu'emmagasiner encore et encore tout ce qui n'allait pas jusqu'à ce jour où elle avait eu besoin d'exploser.

Et c'était ce qu'elle était en train de faire. Exploser. Laisser sa peine et ses souffrances faire surface, les laisser s'exprimer. Craquer. Pleurer. Hurler. Ça faisait un bien fou. Sur l'instant, elle se sentait délivrée d'un tel poids. Un poids qu'elle portait seule depuis bien trop longtemps. Elle avait besoin de quelqu'un pour la comprendre, pour discuter, pour être entendue et écoutée. Elle avait besoin de parler, de se confier et de ressentir de l'attention. Elle avait trouvé Love, avec qui elle partageait la même souffrance, et c'était sans doute l'un des plus beaux cadeaux que cet endroit aurait pu lui faire pour l'aider à supporter son malheur - malheur dont, ironiquement, cet endroit était en grande partie responsable.

Jamais, avant Madi, Clarke n'avait imaginé être capable d'aimer autant. Mais il y avait un mauvais côté à ressentir tant d'amour pour quelqu'un : on souffrait d'autant plus et d'autant plus fort quand il nous quittait. La souffrance était telle qu'elle semblait insurmontable. Jamais Clarke n'avait eu aussi mal. Jamais elle n'avait eu autant l'impression de sentir son coeur se déchirer dans sa poitrine. Elle était démunie et perdue. A ses yeux, depuis des mois, la seule solution pour aller mieux serait de la revoir. Juste une fois. Quelques minutes. Juste avoir la chance de lui demander pardon, d'entendre son rire et de la serrer dans ses bras. Juste avoir la chance de sentir son parfum une dernière fois et d'entendre sa voix. Que ne donnerait-elle pas pour en avoir la chance ? Que ne ferait-elle pas pour qu'on lui rende son enfant ? Clarke avait toujours été prête à tout, et surtout au pire, pour les gens qu'elle aimait, mais pour Madi, elle n'osait même pas imaginer jusqu'où elle pourrait aller.

Et pourtant, malgré tout ce qu'elle était prête à faire, elle ne revenait pas. Madi était partie. Sans doute pour toujours. Il fallait l'accepter, désormais. Comment ? Pouvait-elle réussir à vivre sans elle ? A avancer ? A essayer ? Peut-être, avec l'aide de Love. Elles se comprenaient, après tout. Love était une présence précieuse et rassurante, une présence dont elle avait terriblement besoin en ces moments difficiles. Parce qu'elle restait là, malgré les pleurs, malgré le chagrin, malgré la situation compliquée, Love restait là, fidèle au poste. Elle l'entourait de ses bras et lui donnait des mots rassurants. Elle lui permettait d'exploser et de partager ses souffrances. Elle l'écoutait, sans jugement et sans impatience. « C'est déjà beaucoup. » Répéta-t-elle dans un souffle, pour confirmer les propos de son amie. A deux, elles réussiraient. Il fallait y croire, tout du moins, pour éviter de sombrer plus encore. « Merci, Love. » Parce que peu serait capable d'une telle écoute et d'un tel soutien. « Tu parais toujours tellement forte face à tout ce qui t'arrive... » Ou alors, était-elle capable de plus de force et de retenu que Clarke ? Capable de gérer ses émotions et de gérer, bien mieux qu'elle ? Parce que Clarke, parfois, avait l'impression que Love avait une solution miracle pour supporter la souffrance et elle l'enviait terriblement - ou alors, elle jouait aussi bien le jeu, elle était capable de se contenir et de faire semblant, jusqu'au jour où c'en était trop.

Clarke ne craquait pas, normalement. Clarke était forte, normalement. Clarke pouvait tout affronter, même le pire, et garder la tête haute pour continuer, normalement. Clarke pouvait être froide et gérer des situations impossibles, en faisant taire ses sentiments, normalement. En tout cas, beaucoup avaient pensé ça de Clarke, dans son monde, autrefois. Combien avaient déjà pensé qu'elle était prête à sacrifier n'importe qui ou n'importe quoi, pourvu qu'elle puisse faire ce qu'elle avait décidé de faire ? Alors oui, Clarke craquait rarement parce qu'elle se retenait et se convainquait elle-même qu'elle allait bien. Mais dans ce monde, les choses étaient différentes. Elles étaient différentes parce qu'elle avait perdu l'être qui comptait le plus à ses yeux, mais aussi parce qu'elle était désespérément seule, loin de ses amis et de sa famille. Elles étaient différentes parce qu'elle était loin de chez elle, avec des souvenirs en moins, et sans but, sans cause pour laquelle se battre et tout donner. Alors ici, après un temps interminable à se retenir, Clarke avait craqué.

Heureusement pour elle, Love était là. Elle était un soutien certain et précieux. Clarke était heureuse de l'avoir et elle admirait la force qu'elle dégageait. Malgré les épreuves terribles de la vie, Love semblait forte et prête à vivre n'importe quelle situation avec cette force. Et pourtant, cette dernière assurait que non, elle n'était pas aussi forte que ça. Peut-être faisait-elle, tout simplement, aussi bien semblant que Clarke ? C'était un jeu dangereux, mais auquel beaucoup avait appris à jouer face aux difficiles épreuves de la vie. « J'ai fait ça aussi. Je le fais encore, la plupart du temps. » Souffla-t-elle dans un soupir. Elles se ressemblaient tellement que ce n'était pas difficile de se comprendre. Clarke rendait les coups, Clarke essayait de ne pas se laisser submerger par la douleur, mais ce n'était pas toujours facile, surtout sur le long terme quand c'était juste trop. « mais je vois ce que tu veux dire. » Elle le supposait tout du moins. « La vie n'a pas été tendre avec toi. » Elle ne savait pas tout, elle ne savait même pas grand-chose, très certainement, mais Love lui avait raconté certaines choses et ça suffisait pour le déduire. « Tu regrettes ta vie d'avant, parfois ? » Demanda-t-elle finalement, sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce que dans cette vie d'avant, aussi horrible et difficile soit-elle - d'autant plus pour Love, qui était morte - il y avait leur enfant, leurs amis alors qu'ici, elles avaient tant perdu - et gagné en même temps.

Son fils. Evidemment, il était le premier - et le seul, semblait-il - de tous ses regrets de son monde d'avant. Clarke ne pouvait que la comprendre. Elle la comprenait même tellement. Clarke nourrissait de nombreux regrets, mais sa fille était certainement le plus important de tous. Elle aurait pu consentir à n'importe quel sacrifice pour la revoir, pour la récupérer. Madi, alors même qu'elle ne s'en souvenait pas, était tout son monde. Ses autres regrets avaient-ils de l'importance à côté de ça ? Love avait conscience que ce nouveau monde, cette vie, était une chance dont elle avait eu besoin. Repartir à zéro. Tout recommencer. C'était une chance extraordinaire. Une chance que Clarke aurait aimé saisir. Sa vie, autrefois, avait été tout aussi chaotique que celle de Love. Différemment, mais tout autant. Clarke avait dû prendre des décisions terribles, accepter des sacrifices épouvantables, perdre ceux qu'elle aimait... A tel point que son esprit avait supprimé plusieurs années de sa vie, lui épargnant certains des pires événements de sa courte vie et certaines des pires décisions qu'elle avait pu prendre. « Difficile d'imaginer qu'un beau jour on se réveillerait dans une ville inconnue au milieu d'inconnus, sans la moindre idée de comment ou pourquoi. » Souffla Clarke dans un sourire à la réflexion de Love. Ce monde... Comment auraient-elles pu l'imaginer ? Le penser ? Le rêver ? « Ce monde, ça peut être une chance de démarrer une nouvelle vie, c'est vrai... » C'était une certitude, mais Clarke n'y arrivait pas. Elle voyait des gens le faire partout autour d'elle et elle, elle restait coincée dans cette autre vie. Autre vie qui lui paraissait désormais si lointaine.

Quand Love lui avait retourné la question, Clarke avait d'abord haussé les épaules avant de rejoindre l'une des chaises qui se trouvait autour de la table, dans la cuisine, histoire d'être plus à l'aise pour discuter - au milieu des débris, le visage marqué par les larmes, mais plus à l'aise tout de même. « Madi. Evidemment. » Son plus gros regret. « Tu vois, c'est étrange parce que ma vie était tout aussi catastrophique. J'veux dire, je viens d'un monde où la Terre avait été presque entièrement détruite, où j'ai dû me battre à chaque instant pour survivre, où la guerre faisait partie de mon quotidien, où j'ai dû faire des choses... affreuses et... » terrifiantes. Des choses qu'elle se savait pourtant capable de refaire demain, s'il le fallait, pour sauver les gens qu'elle aimait. « J'ai oublié toute une partie de ma vie, j'ai oublié tellement de choses, jusqu'à ma propre fille. » Aucun souvenir des événements, du son de sa voix ou de son parfum. Juste un souvenir puissant et impossible à faire disparaître de l'amour qu'elle lui portait. Et la peine immense de ne pas avoir pu la sauver. « Pourtant, je regrette cette autre vie parfois. Je devrais être heureuse ici... Je peux devenir celle que je veux et je suis en sécurité, mais... J'ai l'impression d'avoir perdu tout ce qui comptait pour moi, d'avoir perdu ma famille et mes amis, d'avoir perdu mon but dans la vie. » Ici, elle avançait sans savoir où elle allait, ni pourquoi elle se battait chaque jour. Avant, elle avait des buts, des objectifs. Avant, elle protégeait les siens et elle sauvait ce qui restait de l'humanité - en sacrifiant une autre partie et en devenant parfois un monstre - mais sa vie avait un sens. Un sens qu'elle ne retrouvait pas ici, seule et perdue. Un sens qu'elle détestait pourtant bien souvent, mais qui lui donnait une raison de vivre. Elle était soulagée de ne plus avoir à tuer pour ne pas être tuée, mais sa vie d'avant, ce n'était pas que ça et c'était tout le reste qui lui manquait.

Clarke avait de très nombreux regrets. Le premier d'entre tous était évidemment sa fille. Elle lui manquait terriblement. C'était ce genre de douleur qu'on ne savait pas vraiment définir, de celle qui vous dévorait de l'intérieur, qui vous détruisait petit à petit. Ça faisait si mal. Tellement. Comment l'expliquer ? Comment poser des mots sur une telle souffrance ? C'était impossible. Alors, oui, Madi était définitivement son plus grand regret. Si ce monde était une nouvelle chance, Clarke ne la méritait pas. Si quelqu'un, en revanche, méritait bel et bien une autre chance, c'était sa fille. Elle méritait ce monde, elle méritait de grandir en sécurité, dans un monde sans guerre pour survivre à chaque seconde et sans danger. Elle le méritait, oui, mais elle n'était pas là. La vie était injuste.

Néanmoins, Madi n'était pas son seul regret. Ce monde lui offrait une seconde chance. Peut-être. Mais elle était incapable d'en profiter parce qu'elle n'avait plus de but, d'objectif. Elle avançait sans savoir où elle allait. Elle errait plus qu'elle ne vivait. Elle voyait son existence passer, sa vie défiler, mais elle avait l'impression de n'être qu'une spectatrice étrangère à sa propre vie. Comme toujours, Love réussissait à trouver les mots justes. Ceux qui étaient capables de soulager. Ceux qui permettaient d'aller mieux. Ceux qui permettaient de voir la vie d'une autre façon. Un peu moins sombre, un peu moins triste, peut-être. Et ses gestes, pleins de compassion, étaient rassurants. Ils permettaient de lui faire comprendre qu'elle n'était pas seule. Ça non, elle ne l'était pas. Clarke n'était pas seule. Elle avait cette extraordinaire chance de pouvoir compter sur quelqu'un, comme autrefois elle avait pu compter sur Bellamy en toutes circonstances.

Se trouver un autre but. Comment ? Quoi ? Clarke n'imaginait pas fonder une autre famille. Madi, Bellamy, Octavia... Eux, ils étaient sa famille et le resteraient toujours. Fonder une autre famille, dans son esprit, ce serait les remplacer, les effacer et, ça, elle ne voulait pas. Des amis... Elle essayait. Elle faisait de son mieux, même, et Love en était une preuve. Elle essayait de se lier, d'accepter cette vie. Accepter qu'il était temps de passer à autre chose... C'était difficile, mais ça en valait peut-être vraiment la peine. Jamais elle ne pourrait se résoudre à croire que ce en quoi elle avait toujours cru ne valait pas tous les sacrifices, mais peut-être était-elle capable de trouver une nouvelle raison de vivre ? Une nouvelle raison d'être prête à tout ? Oui, elle avait envie d'y croire. Elle avait envie de croire qu'elle trouverait ces raisons de se battre, de se lever chaque matin, de sourire, d'être en vie et d'être heureuse. Peut-être pas demain. Peut-être pas dans une semaine ou dans un mois. Mais un jour. Un jour, elle y arriverait. Parce qu'elle ne supporterait pas de souffrir ainsi éternellement. « T'as trouvé toi ? Ces nouvelles raisons de te battre ? D'être heureuse ? » Après tout, si c'était le cas, Love deviendrait la preuve vivante que ce qu'elle disait était possible. Elle deviendrait l'espoir, celui qu'une autre vie était possible après la première.