Mauvaise porte ▿ Murphy.

Depuis son aménagement dans cette ferme isolée, la vie de Clarke était meilleure. Elle vivait avec Octavia et, toutes les deux, elles apprenaient à se reconstruire doucement, ensemble. Ce n'était pas toujours simple. Ce n'était pas toujours la vie idéale, mais elles s'adaptaient. Les choses avaient toujours été compliquées dans leur vie et elles s'étaient interdit d'être heureuse en arrivant ici. Aujourd'hui, elles se donnaient une chance. Elles se donnaient cette seconde chance qu'elles méritaient. Isolées, loin de la ville, elles se sentaient bien dans cet espace qu'elles rénovaient lorsqu'elles le pouvaient et où elles pouvaient goûter au calme et à la sérénité.

Aujourd'hui, Clarke était de repos. Ce repos lui faisait le plus grand bien. Depuis des mois, des années, elle s'épuisait au travail, en étant sur tous les fronts pour faire taire son chagrin et sa douleur. Elle s'était entièrement et pleinement plongée dans le travail pour ne plus voir la réalité en face, pour ne plus avoir à l'affronter. Seulement, son corps n'en pouvait plus. Elle était à bout physiquement, autant que mentalement. Alors, elle prenait conscience des limites qu'elle avait dépassées il y a longtemps et acceptait de se reposer pour la journée. Ainsi, aujourd'hui, il n'y avait ni travail, ni rénovation. Aujourd'hui, elle passait une journée à manger ce qu'elle aimait, à lire et à regarder la télé. Une vie à laquelle elle n'aurait jamais eu droit autrefois, en d'autres termes.

Sa journée tranquille se trouvait cependant dérangée puisque quelqu'un frappait à la porte. Étonnant, dans un endroit paumé comme celui-ci, personne ne frappait jamais à la porte. Etonnée, curieuse, Clarke s'était dirigée vers la porte et l'avait ouverte sans attendre. Son étonnement se transforma en surprise à l'instant où ses yeux se posèrent sur la personne qui se trouvait derrière. « Murphy ? » Etait-ce seulement possible qu'il soit ici ? Hasard ? Chance ? L'avait-il retrouvée ? Clarke n'en savait rien, tout ce qu'elle savait, pour l'instant, était qu'elle se trouvait incapable de bouger, trop surprise pour réagir autrement qu'en prononçant son prénom. Il fallait dire qu'elle ne s'attendait pas à ce qu'un de ses souvenirs vienne frapper à sa porte aujourd'hui.

Si Clarke était étonnée par la personne qui se trouvait derrière sa porte, la personne en question semblait tout aussi surprise de la voir ici. Il n'était donc pas venu ici parce qu'il savait qu'elle y vivait, il s'agissait d'un simple hasard - ou d'une manigance de cet endroit pour elle ne savait quelle étrange raison. Avec Murphy, les choses n'étaient jamais simples, mais elle était heureuse de le voir parce qu'elle savait que les choses s'étaient arrangées entre eux. Alors, oui, elle était heureuse, mais la surprise l'empêchait de réagir.

Il fut le premier à réagir. A parler. Il restait plutôt froid et distant, ce qui ne l'étonnait pas tellement en réalité, même si elle aurait préféré une autre réaction. « Tu supposes bien. » Se contenta-t-elle de répondre dans un premier temps. Sa question, qui n'en était pas vraiment une, lui confirmait bien qu'il ne s'attendait pas à la voir ici et qu'il ne s'agissait que d'une simple erreur, d'un heureux hasard.

En écoutant la suite, elle remarquait enfin les vêtements qu'il portait. Murphy était de la police ? Si on lui avait dit ça un jour, jamais elle n'aurait pu y croire - elle en aurait même ri, très certainement. Lui et l'ordre ne faisaient pas souvent bon ménage dans ses souvenirs. Comme quoi, un monde pouvait changer un homme. « Tu fais vraiment partie de la police ? » Elle avait imaginé des retrouvailles un peu différentes avec chacun des membres de son univers - grâce aux différentes sensations qu'elle avait gardé, sans les souvenirs qui allaient avec - mais certainement pas des retrouvailles de la sorte. « Tu rêves si tu crois que je vais t'appeler agent Murphy, en service ou non. » Dit-elle en l'attrapant pour le serrer dans ses bras. Il en serait peut-être surpris, mais elle était si heureuse de retrouver quelqu'un de son univers, que même Murphy avait le droit à un câlin, en service ou non, à la recherche des Johnson ou non - il s'était trompé, il était responsable, il devait assumer maintenant.

S'il y avait bien une chose à laquelle Clarke ne s'était pas attendue, c'était celle-ci : Murphy policier. Murphy n'avait jamais été un grand adepte de l'ordre et du respect des lois... Soit les gens changeaient avec le temps, soit il avait quelque chose derrière la tête. Après tout, Murphy était connu pour agir dans son propre intérêt et uniquement pour cela, non ? Mais Clarke n'avait pas envie de s'embêter avec tout ça. Pas aujourd'hui. Elle était bien trop heureuse de retrouver cet homme qu'elle avait pourtant détesté, durant une période, dans son univers. Aujourd'hui, même s'il n'était pas le premier sur la liste de ceux qu'elle avait eu envie de retrouver, elle restait heureuse de le revoir.

Alors, elle l'avait pris dans ses bras. Elle l'avait serré contre elle, tout en plaisantant sur la façon dont il fallait l'appeler, en service ou non. Il faudrait la payer cher pour qu'elle accepte de l'appeler agent Murphy, ça oui. A son tour, Murphy se détendit, Clarke le sentait. Un sourire avait alors étiré les lèvres de la jeune femme en l'entendant parler et elle avait ajouté, aussitôt : « Entre. » Disait-elle en se poussant légèrement, heureuse que son ami se soit trompé de porte - même si elle pensait plutôt à un coup de cette maudite ville qu'au hasard. « Installe-toi. Tu veux vraiment du café ou tu préfères une bière ? » Il était en service, soit, mais elle le connaissait et elle savait que les règles, ce n'était pas son truc - il n'avait tout de même pas pu changer à ce point, si ? « John Murphy, policier... Si on nous avait dit ça sur l'Arche, on ne l'aurait pas cru. » C'était un délinquant, comme elle, comme tous les jeunes qui avaient été envoyés sur Terre. Et, une fois sur Terre, il avait été une sale ordure à bien des moments, Clarke devait l'admettre, pourtant... Pourquoi pas ? Il avait bien le droit de s'être rangé après tout ce temps ! Après tout, ils n'étaient plus sur l'Arche, ils n'étaient plus ces jeunes perdus.

Tout en allant chercher les deux bières - parce qu'il préférait bel et bien une bière à un café - Clarke continuait de s'étonner du nouveau rôle de son ami. Elle aurait pu l'imaginer être bien des choses, mais certainement pas faire partie de la police. L'ordre et lui, ça avait toujours fait deux. Cette idée continuait alors de la faire sourire, autant qu'elle l'étonnait.

Tout en revenant avec ses deux bières dans le salon, la jeune femme écoutait la réponse de Murphy. Elle lui en tendit une et s'installa, à son tour, dans un fauteuil face au canapé, afin de faire face à son ami. « Je suis étudiante en médecine. Je suis la voie toute tracée qui m'attendait sur l'Arche. » Répondit-elle, en souriant, alors qu'il lui avait posé la question. S'il n'y avait pas eu ces histoires d'oxygène, si elle n'avait pas été prisonnière, elle aurait été médecin, comme sa mère avant elle. Comme elle l'avait été, sur Terre, de façon totalement improvisé pour venir en aide à ses amis.

Après avoir répondu à sa question, elle revenait à ce qu'il avait dit à propos de son travail et du pourquoi il avait fait ce choix. « Je dois te dire que j'ai quelques problèmes avec ma mémoire. Tout est intact jusqu'au... Mont Weather. » Pas l'événement le plus joyeux de sa vie. « Ensuite, j'ai parfois des flashs, des souvenirs, mais tout est plus flou... Incomplet. Mais je me souviens de ce que je ressentais pour chacun de vous, à la fin. Cette ville a réussi à me voler mes souvenirs, pas ce que je ressentais. » Ainsi, il était prévenu qu'elle ne comprendrait pas forcément tout, mais qu'elle ne lui en voulait plus parce qu'elle avait conservé les sentiments qu'elle avait envers ses amis, bien après les événements du Mont Weather. Les sentiments sans les souvenirs. « Et ça fonctionne ? Tu as le sentiment d'avoir racheté tes fautes ? » Après tout, peut-être avait-il obtenu la rédemption grâce à ses choix, dans cette nouvelle ville ?

Murphy n'était pas son meilleur ami, mais il avait compté pour elle, il avait eu de l'importance dans sa vie. Pas de la meilleure des façons dans un premier temps, mais les choses s'étaient arrangées ensuite. Elle ne s'en souvenait pas vraiment, mais elle le savait. Et parce qu'elle savait que ses pertes de mémoire pouvaient vite rendre la conversation difficile, après être revenue avec les bières, Clarke lui expliqua. Elle lui parla du Mont Weather, là où ses souvenirs s'arrêtaient. Puis elle avait évoqué les flashs qui lui revenaient parfois ainsi que les sensations et les sentiments qui continuaient d'exister en elle, malgré l'absence de souvenirs. Ce n'était pas toujours facile à expliquer, mais elle faisait au mieux.

Préférant discuter d'autres choses que de ses problèmes de mémoire qui lui posaient bien des soucis, elle parlait de lui. Être flic, est-ce que ça lui donnait le sentiment d'avoir racheté ses fautes ? Elle buvait une gorgée de sa bière tout en écoutant sa réponse. « Je suis fière de toi, Murphy. » Répondit-elle avec sincérité alors qu'il expliquait que cette ville lui offrait une seconde chance et lui permettait de bien faire les choses pour une fois. Qu'il ait fait le bon choix, qu'il ne soit pas retombé dans ses travers, qu'il essaie vraiment avec cette seconde chance... Elle en était fière, oui.

Alors que Clarke buvait une nouvelle gorgée de sa bière, elle entendit ce prénom. Madi. A ces mots, son cerveau se stoppa. Elle refusait d'entendre les mots qui suivaient et elle ne les entendait pas réellement. Une partie d'elle-même les entendait, mais ne les écoutait pas. Les refusait. Elle n'oubliait pas Madi, mais elle n'était pas prête à en parler avec Murphy. Elle faisait son deuil. Il était difficile, douloureux, mais elle apprenait à vivre sans sa fille. Surtout depuis qu'elle vivait ici. C'était ça, le but de cette ferme. « Je ne veux pas parler de Madi. » Répondit-elle beaucoup plus froidement qu'elle ne l'avait voulu, tout en se tendant. Sa fille était un sujet douloureux. Un sujet douloureux qu'elle réservait à certains seulement. Là, elle voulait parler de sujets joyeux. Rien d'autre. Elle voulait être heureuse, juste quelques minutes. « Alors, raconte-moi un peu ta vie ici. » Souffla-t-elle, en tentant de se détendre et faire comme s'il ne venait pas de se passer quelque chose.

Clarke était fière de voir ce que Murphy était devenu. Il n'était pas un ange, il n'avait certainement pas changé du tout au tout, mais... Il n'était plus tout à fait lui-même. Il s'était assagi, avait essayé de se racheter. Ce n'était déjà pas si mal. Ils partaient tous de si loin... Aujourd'hui, ce monde était une seconde chance. Une chance de mieux faire les choses... De changer. Et Murphy avait su saisir cette chance. De ça, elle était terriblement fière de lui.

En revanche, sa fierté s'était transformée rapidement en froideur lorsqu'il évoqua Madi. Clarke était dans une période difficile de son deuil et elle ne voulait pas parler de son enfant disparu. Elle ne le voulait pas au point où son esprit l'avait même empêché de comprendre ce que Murphy venait de dire. Elle refusait de l'entendre parce qu'elle refusait d'être déçue, blessée, une nouvelle fois. De croire en ce qui n'existait pas.

Afin de se calmer et de changer de sujet, Clarke avait enchaîné directement sur ce qu'était devenu Murphy dans ce monde en lui demandant de lui parler de sa vie ici. En quelques mots, il lui expliquait donc qu'il n'avait pas une vie passionnante, qu'il menait une vie classique dans un monde comme celui-ci. « Le grand Murphy qui se pose tranquillement devant un livre ou un écran... » Elle souriait, sans moquerie, mais elle était amusée de cette constatation. « T'as rencontré du monde ? » Comme il parlait d'amis, elle s'interrogeait à propos de ses relations, histoire de faire la conversation. « Y a des gens capables de te supporter ? » Plaisantait-elle tout en buvant un peu de sa bière.

Clarke trouvait la situation amusante. A vrai dire, il y avait bien des choses qu'elle ne s'était jamais imaginée possible dans leur monde qui se produisaient ici... Des choses qu'elle pensait impossible pour Murphy et pourtant... Comme quoi, les gens pouvaient changer en fonction de leur environnement ou de ce qu'ils désiraient vraiment. Il y avait peut-être encore de l'espoir pour chacun, à condition de le vouloir vraiment et d'essayer.

Amusée par la situation, Clarke souriait et le taquinait. Elle oubliait ainsi tout ce qui n'allait pas et tout ce qu'elle regrettait terriblement, tout ce qui la rendait malheureuse. Elle préférait se voiler la face et faire semblant, comme toujours. Clarke avait toujours fonctionné ainsi. Puis, elle était sincèrement heureuse de retrouver Murphy, ce qui l'aidait à agir ainsi.

Puisqu'il semblait voir du monde, Clarke s'intéressait à ceux capables de supporter un type comme lui. Sans méchanceté, une fois encore. Il lui répondait donc, après qu'elle avait posé une question, qu'il avait rencontré quelques personnes, notamment un certain Peeta, qui venait d'un monde semblable au leur sur certains points - les mauvais évidemment. « Faut absolument que je rencontre ce Peeta capable de te supporter. » Continuait-elle de le taquiner, avant d'ajouter : « C'est sûr que partager ce genre de passé, ce genre de monde, ça créait des liens. » Parce qu'il s'agissait de monde horrible où chacun avait dû agir pour sa survie et la survie des siens, un monde où il fallait se battre pour rester en vie... Ce n'était tout de même pas rien. « Ça me gêne ? Pourquoi ça me gênerait Murphy ? » Répondait-elle en souriant, après avoir bu un peu de sa bière. « Je suis désolée pour toi, mais j'suis pas jalouse... » C'était si simple de plaisanter pour oublier ce qui n'allait pas et c'était simple de plaisanter dans un monde comme celui-ci.

C'était agréable de discuter avec ses amis de tout et de rien. De discuter dans un monde qui ne ressemblait pas à celui d'où ils venaient. De discuter sans craindre ce qui pouvait se passer, sans craindre la fin du monde ou la guerre. Ils étaient ainsi plus détendus. Plus libres de rire, de plaisanter, de raconter tout et n'importe quoi. Ils n'avaient pas peur et ça changeait tout.

Ils évoquaient donc leur vie ici et plus particulièrement celle de Murphy qui semblait s'être drôlement assagi. C'était étrange à voir, mais Clarke devait avouer ressentir une certaine fierté. Elle était fière de voir son ami ainsi, en train de se repentir de ses erreurs, en train d'essayer de se racheter. Elle était heureuse également de voir qu'il avait été capable de se faire autre chose que des ennemis. Des gens semblaient pouvoir le supporter dans ce monde et elle en était heureuse pour lui. Heureuse, mais pas jalouse. Elle n'était pas jalouse, pas le moins du monde, en revanche, alors sa petite réflexion l'avait beaucoup amusée. « Boulanger ? Tu me donnes encore plus hâte de le rencontrer. » Répondit Clarke en souriant. « Tu n'auras qu'à nous organiser une rencontre un jour ou l'autre, je serai ravie de le rencontrer. » Elle avait hâte de découvrir les amis que ses amis avaient pu se faire dans ce nouveau monde. Vraiment.

A sa question suivante, Clarke haussa d'abord les épaules, avant de finir sa bière. Boire était plus simple que parler parfois. « Parfois. » répondit-elle hésitante. « Puis je me rappelle des choses monstrueuses que j'ai faites parce que j'en ai de vagues souvenirs, parce que certaines choses ont fini par me revenir ou parce que quelqu'un me l'a dit et je sais pourquoi mon esprit a préféré tout effacer. » Se confiait-elle. « C'est certainement mieux d'avoir oublié... Histoire d'avoir une vie aussi normale que possible. » Même si sa vie n'était pas normale, en réalité, mais c'était une chose qu'elle cachait. Par habitude.

Murphy et Clarke échangeaient des propos sur leur nouvelle vie dans ce nouveau monde. Ils évoquaient les nouveaux amis de Murphy, sa nouvelle vie pour se racheter une conscience. Il y avait quelque chose de rassurant à voir qu'ils avaient su s'adapter du mieux possible à ce nouveau monde. Ils avaient créé des liens, ils se retrouvaient petit à petit. Peut-être qu'ils seraient même au complet un jour ? Mêlant ainsi ancienne et nouvelle vie ? Rien ne ferait plus plaisir à Clarke, en réalité.

Curieux, il se questionnait à propos des souvenirs disparus de Clarke. Il n'était pas facile de répondre à sa question. Elle savait qu'il lui manquait des choses, sans savoir quoi. En revanche, elle savait qu'une bonne partie correspondait à des souvenirs négatifs... Autant dire qu'elle jugeait parfois que c'était alors certainement mieux ainsi, d'avoir oublié et de ne pas se souvenir de toutes les pires choses qu'elle avait pu faire. Autrement... Aurait-elle été capable de le supporter et de vivre avec tout ça ? Alors, en fonction des périodes, ses souvenirs lui manquaient plus ou moins. Comme pour bien des choses, ça dépendait d'autres choses.

Oublier, d'une certaine façon, lui avait permis de goûter à une vie normale. Aussi normale que possible dans un monde comme celui-ci - ce qui n'était pas tout à fait normale. Murphy la comprenait parce qu'il vivait la chose de l'autre côté : il avait conservé tous ses souvenirs. « C'est difficile de vivre avec tous ses souvenirs ? » Ça l'était de vivre sans tous ses souvenirs. Même si ça l'aidait parfois, comme elle lui disait. « Ouais, normale... C'est peut-être beaucoup dire... avec tout ce qui se passe dans ce monde. Disons que ça me permet de ne pas me détester plus que je ne me déteste actuellement, que ça me permet de ne pas ressasser toutes les horreurs que j'ai pu faire... » Puisqu'elle n'avait plus que certaines des horreurs qu'elle avait faites. « Mais j'suis contente si t'arrives à vivre une vie à peu près normale de ton côté. » Autant que possible, une fois encore.

Clarke avait la chance - ou le malheur - de vivre avec une partie de ses souvenirs effacée. Murphy avait tout conservé pour sa part et elle se demandait si c'était quelque chose qui était difficile à gérer ou non. Vivre avec l'ensemble de ses erreurs passées, ses douleurs, ses horreurs... Pouvait-on vraiment vivre ainsi ? Pouvait-on tout supporter loin des siens et des raisons qui nous avaient poussés à agir ainsi ? Murphy semblait y arriver. C'était difficile, il le confirmait, mais il confirmait également que ça lui permettait de savoir quelles erreurs il ne fallait plus faire. « Ouais, je comprends. » Répondit-elle, pensive. Elle ne pouvait pas s'empêcher d'imaginer sa vie si elle s'était souvenue de tout... L'aurait-elle supporté ? Aurait-elle pu vivre avec ses fautes dans un monde où elles ne pouvaient plus les justifier aussi facilement ?

Une vie normale... Qu'est-ce que ça voulait dire ? Dans leur cas, surtout ? Rien. Certainement. Disons qu'ils essayaient de mener une vie qu'ils n'avaient jamais pu mener, tout en gardant leurs traumatismes et leurs peurs. Ce n'était pas vraiment vivre normalement, mais ils faisaient du mieux qu'ils le pouvaient. « Difficile d'avoir une vie normale quand on vient d'où on vient... Ça laisse forcément quelques traces. » Ajouta-t-elle alors qu'il confirmait que vie normale, c'était beaucoup dire. « mais merci. » Finissait-elle de dire lorsqu'il lui souhaitait bon courage. Et du courage, elle lui en souhaitait à lui aussi.  

Les bières terminées, Murphy proposait d'en boire une autre sans attendre, pour trinquer. Clarke ne put que sourire à cette proposition avant d'ajouter : « Finis pas complètement ivre chez moi Murphy ou tu finis sous la douche jusqu'à ce que tu retrouves tes idées, j'te préviens. » D'autant qu'il était en service et qu'elle ne voulait pas de problème. Pourtant, sans discuter davantage, elle s'était levée pour attraper deux nouvelles bières et revenir vers lui. « Allez, à nos vies normales. » Souffla-t-elle en approchant sa bière de celle de Murphy. « Ou à ce que ça peut bien vouloir dire dans notre cas. » Ajouta-t-elle en souriant.

Vivre normalement. C'était donc ça ? Boire une bière avec un vieil ami, tranquillement installé sur son canapé ? Plaisanter à propos de finir ivre alors qu'il était en service et se souvenir du bon vieux temps où rien n'était comme aujourd'hui ? Peut-être... Peut-être que c'était tout ce qu'ils pouvaient espérer d'une vie normale après la vie qu'ils avaient vécu autrefois ? Peut-être... Et ce n'était déjà pas si mal.

« J'te fais confiance pour être raisonnable. » Ce qui n'était pas tout à fait vrai, connaissant Murphy, mais elle lui laissait le bénéfice du doute. Il avait peut-être vraiment appris à se montrer raisonnable en certaines circonstances, surtout lorsqu'il s'agissait de garder son travail en ne finissant pas ivre en plein milieu du service. Un premier pas vers l'adulte responsable qu'il devait être.

Deux nouvelles bières en main, ils avaient trinqué à ces vies normales dont ils n'avaient de cesse de parler depuis quelques instants, comme pour imprimer le fait que c'était ce qu'ils devaient avoir désormais. Pas comme une vérité, mais comme un souhait. Clarke avait bu une longue gorgée tout en écoutant les paroles de Murphy. Un sourire s'était dessiné au coin de ses lèvres avant de répondre : « Je suis contente, moi aussi. Même si j'pensais pas dire ça un jour. » Vraiment pas, concernant Murphy. Les premiers souvenirs qu'elle avait eus de lui étaient... particulièrement à charge contre lui. « On n'a pas vraiment le choix. On ne s'est jamais laissé aller, on ne va pas commencer aujourd'hui. » Il fallait toujours survivre, qu'importe les raisons... Il fallait surmonter les épreuves. Elle ignorait pourquoi, mais il fallait le faire. « Si tu pouvais retourner chez nous, dans le passé, avec tes souvenirs, tu changerais ce que tu as fait ? » Avait-elle demandé comme ça, sans réfléchir, après une nouvelle gorgée de sa bière, sans trop savoir pourquoi.

Il fallait avancer et survivre. Comme ils l'avaient toujours fait. Même dans un monde inconnu. Même dans un monde où ils étaient seuls. Même dans un monde loin de chez eux, ils devaient avancer et survivre. Ils étaient des survivants, des combattants. Ils n'abandonnaient jamais. Ils donnaient tout ce qu'ils avaient en eux pour réussir. C'était leur façon de fonctionner. Même lorsqu'ils n'en pouvaient plus, même lorsqu'ils étaient à bout, même lorsqu'ils étaient épuisés. Ce monde n'avait pas changé ce point chez eux. Bien au contraire. Plus que jamais, ils avaient dû s'adapter et ils l'avaient fait. Plus ou moins bien. Plus ou moins facilement.

Toutes ces réflexions avaient amené Clarke à poser une question à laquelle elle n'avait même pas pris le temps de réfléchir. Elle voulait juste poser la question. Changerait-il quelque chose s'il avait la possibilité de retourner chez eux un jour ou l'autre, avec leurs souvenirs ? C'était une question difficile tant qu'on n'était pas en train de vivre l'événement, mais... Clarke ne pouvait s'empêcher de se demander. Après tout, leurs choix les avaient façonnés et faits tels qu'ils étaient, alors s'ils changeaient quelque chose, ne changeraient-ils pas ce qu'ils étaient profondément ? Etait-ce vraiment possible de faire mieux sans se changer ? Sans tout changer ? Sans changer les rencontres et les sentiments ? Peut-être pas... Certainement pas... Alors, est-ce que ça valait vraiment le coup de changer des choses pour perdre ?

Murphy assurait qu'il changerait certaines petites choses. Des détails. Pas les événements les plus importants de sa vie. « Tu imagines... Si nous changions simplement ce petit événement, ce petit moment de notre vie où nous sommes devenus des délinquants sur l'Arche... Toute notre vie aurait été différente. » Souffla-t-elle pensive. Comme quoi un événement, aussi court soit-il, pouvait tout changer dans une vie. Pas de descente sur Terre. Pas de combat pour sa survie. Peut-être même la mort sur l'Arche ou en s'écrasant sur Terre. Rien n'aurait été pareil. Clarke n'aurait jamais rencontré Bellamy, Murphy, Lexa et tous les autres. Elle n'aurait jamais tué pour sa vie et celle des autres. Elle n'aurait jamais eu à diriger un groupe de jeunes. A faire la guerre. « Je crois que je ne changerais rien, » souffla-t-elle en haussant les épaules. Pourtant, elle aimerait changer des choses. Sauver la vie de son père, de son meilleur ami... Oui, elle aurait aimé changer tout ça, mais changer tout ça, n'était-ce pas prendre le risque de voir tout le reste changer ? « Ça doit faire de moi un monstre quand on sait ce que j'ai fait... » Ne pas vouloir changer ses horreurs... Mais les changer, la plupart du temps, c'était sacrifier son peuple... Pour les souvenirs qu'elle conservait, en tout cas. Et jamais elle ne pourrait le sacrifier.

C'était étrange de se rendre compte qu'un seul minuscule événement avait pu faire basculer leur vie entièrement. C'était une action, un choix, un moment qui les avait fait devenir des délinquants sur l'Arche. Puis c'était le choix des adultes dirigeants de les avoir envoyé sur Terre. Sans ces événements, ces quelques secondes décisives, leur vie aurait été totalement différente. Ils auraient continué à vivre sur l'Arche, seraient peut-être mort à cause de l'oxygène ou en arrivant sur Terre, s'écrasant en même temps que d'autres stations. Rien n'aurait été pareil.

Et pour cette raison, elle ne changerait rien. Pas même des détails. Ou presque. Changer des détails serait changer sa vie. Changer ses rencontres. Ses peines. Ses erreurs. Mais tout ce qui avait pu se passer avait fait d'elle la femme qu'elle était aujourd'hui. Elle avait commis des choses affreuses, elle le savait, mais si elle changeait ces choses-là alors elle perdrait sa famille, ses amis... Si elle n'avait pas tiré le levier au Mont Weather, ils seraient tous morts. Si elle n'avait pas tué, d'autres seraient morts... Alors, non, elle pouvait avoir l'air d'un monstre pour tout le monde, mais elle ne changerait rien. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Murphy tentait de la rassurer en disant que si elle l'était aux yeux du monde actuel, ce n'était pas le cas à ses yeux. Si un jour elle aurait pensé qu'il la rassurerait... Comme quoi, tout pouvait arriver. « Les gens nous considèrent comme des monstres parce qu'on a tué... Ils ne comprennent pas qu'on l'a fait pour survivre. Entre tuer ou être tué, il fallait prendre une décision... Nous étions des survivants... Nous nous sommes protégés et nous avons protégé ceux que nous aimions. » Elle donnait son point de vue. Un point de vue qu'elle avait déjà pu confronter aux réactions de certaines personnes dans ce monde qui ne comprenaient pas les différences entre tuer par plaisir ou tuer par nécessité parce que la vie n'était parfois qu'une question de survie et qu'on ne pouvait pas toujours laisser les autres gagner pour garder son humanité.