Le sacrifié ▿ Will.

Son monde, peu avant ce qui avait été la première décision insupportable d'une longue liste de décisions insupportables de sa vie. Ces murmures qui l'avaient poussée à faire ce qu'elle n'avait pas forcément envie de faire. Cette créature étrange dans cette vieille maison étrange où le temps n'était plus rien d'autre qu'une boucle, un éternel recommencement. Un château merveilleux où les objets étaient en vie. Sa fille, l'être qu'elle aimait le plus au monde, en vie, mais dans une autre réalité. Une fille qu'elle avait eu l'impression de perdre pour la deuxième fois. En quelques mois, la vie de Clarke avait été une succession d'événements difficiles envoyés par cet endroit - parce que pour les événements difficiles, depuis toujours, elle n'avait pas besoin de cet endroit, mais ceux-là avaient été spécialement conçus pour elle, pour la faire souffrir, à son grand regret.

Alors, s'étonnait-elle en ouvrant les yeux dans un nouvel endroit inconnu ? Non. Il serait presque plus simple de parler de routine, en réalité. S'étonnait-elle en se rendant compte qu'elle était allongée dans une pièce presque entièrement vide, mais sans ouverture ? Non. S'étonnait-elle en croisant les yeux de ce visage connu ? Oui. Les aventures de cet endroit ne se déroulaient jamais seul. Il était toujours question d'apprendre à se faire confiance, de devoir se battre ou de faire alliance. Cependant, elle se retrouvait toujours avec des visages amis ou de parfaits inconnus, mais... Lui, qu'était-il ? L'inconnu qui connaissait ses pires crimes, l'inconnu qui la connaissait mieux que ceux qu'elle considérait comme des amis sur cette planète.

Dire qu'elle était mal à l'aise aurait été un euphémisme. Elle était... Elle ne savait pas ce qu'elle était, mais elle avait un mauvais pressentiment - pire que celui qu'elle aurait eu habituellement dans ce genre de situation et dans ce genre d'endroit. Mauvais pressentiment qui ne faisait que s’amplifier en remarquant les mots inscrits sur les murs, autour d'eux. L'un vivra, l'autre mourra. Mauvais pressentiment qui s'amplifiait encore davantage en remarquant, du coin de l'oeil, l'arme qu'il y avait entre eux. Son coeur battait plus vite, son cerveau fonctionnait à toute vitesse. Se jeter sur cette arme, c'était déclarer les hostilités directement. Cependant, si elle réussissait à la récupérer la première, elle n'hésiterait pas à tirer et elle s'en sortirait. Si, en revanche, elle était devancée... Elle était morte. Ne pas se jeter sur cette arme, c'était avant toute chose lui laisser une chance de le faire le premier. Un moment d’inattention, un moment de relâche et tout pouvait basculer. Ne pas se jeter sur l'arme, c'était aussi une façon de dire qu'elle était prête à discuter, à trouver une autre solution - le voudrait-il seulement ?

Le risque était grand et elle ne savait même pas si elle avait envie de le courir. Après tout, elle ne le connaissait pas. Elle avait tué tellement d'inconnus et d'innocents. Elle avait tué des gens qu'elle aimait. Il lui paraissait si simple de recommencer, là, maintenant, tout de suite, pour se protéger. « Will... » Avait-elle fini par souffler, alors que son regard était passé de l'arme à son compagnon de mésaventure avec prudence. Il y avait de la tension dans l'air, c'était évident, mais elle se refusait à se jeter sur cette arme immédiatement. Tuer ne devait pas être une solution de facilité. « J'espérais n'avoir jamais à vous revoir. » Autant être franche, d'autant qu'elle savait ce sentiment partagé. En réalité, leur première rencontre ne s'était pas mal passée. Ils s'étaient même entraidés et avaient réussi à survivre ensemble. Mais ils avaient été contraints de se dévoiler l'un à l'autre et de montrer leurs pires facettes... et ils étaient devenus, tout naturellement, une menace l'un pour l'autre. Une menace qui, dans des conditions comme celles-ci, pouvait s'avérer fatale.

Le sacrifié:

Le crâne en vrac et le cœur au bord des lèvres, les yeux de Will s’ouvre dans la presque pénombre et obligent Will à un sentiment désagréable car autrefois familier. Voilà longtemps qu’il n’avait plus fait de ces violentes crises de somnambulisme qui pouvaient le faire se réveiller dans des lieux et des circonstances aussi absurdes qu’inattendues… Les vielles et déplaisantes habitudes ont la vie dure, de toute évidence… Will ne serait pas capable d’expliquer d’une autre manière de se retrouver dans cet endroit inconnu, et ce sans même s’être rendu compte du fait qu’il s’était préalablement assoupi. Will se redresse et cherche à apprivoiser du mieux qu’il le peut cet endroit… Cette pièce sans issue… Aux murs, quelque chose est inscrit… mais il ne le comprend pas immédiatement, car son attention est ensuite directement tournée vers la silhouette allongée au sol face à lui.

Will a le réflexe de se rapprocher et de se pencher vers elle tout d’abord, mais en reconnaissant son visage, il se recule immédiatement. Cette femme, Will la connaît. Sa rencontre avec Clarke avait été si singulière, si dangereuse, que le profiler a souvent tendance à vouloir l’assimiler à quelque rêve brumeux qui n’aurait pas véritablement de teneur. L’inconsistance de ses si nombreuses hallucinations d’autrefois… Tout ce qu’il avait vécu avec cette femme pouvait-il seulement être réel. Et que dire des confidences qu’il avait été contraint de lui faire à l’époque ? Certes, ces dernières n’avaient finalement pas eu de répercussion, mais elles avaient malgré tout laissé une marque impérissable dans son esprit. Tous deux livrés à une nouvelle situation dangereuse et incongru, eux qui connaissaient de l’autre les crime les plus terribles et la nature la plus sombre.

Will ne dit rien, il attend qu’elle se réveille, ce qu’elle ne tarde pas à faire, l’air aussi égaré que lui. Qui aura donc cherché à les piéger encore ? Et pourquoi faut-il que la chose tombe toujours sur elle ? Il y avait sans doute matière à creuser le sujet, mais pour l’heure, Will se sent tout de même davantage préoccupé par cette situation et son incapacité à comprendre plus exactement ce que toute situation peut bien signifier de manière plus concrète. Will suit son regard quand Clarke se redresse et s’intéresse aux inscriptions au mur. L’un vivra, l’autre mourra. Ironique. C’est aussi en même temps qu’elle que le regard de Will se pose sur l’arme posée au sol. La tension est plus que palpable. Elle enveloppe l’air avec une puissante densité… L’un et l’autre se posent à l’évidence la même question… Faut-il se saisir de l’arme en premier ? Si la question est seulement de tuer l’autre sans attendre, alors pourquoi tergiverser ? L’affaire pourrait être réglée en quelques secondes seulement… Mais ça ne peut pas être si simple. Will veut tout d’abord comprendre ce qu’il fait ici, et qui les aura conduits en ces lieux. Et pour ce faire, il ne peut pas se permettre de tuer de sang froid celle qui est peut-être la plus susceptible de le renseigner.

« Le sentiment est partagé », répond posément Will quand Clarke observe qu’elle aurait souhaité ne jamais le revoir. Son honnêteté ne le blesse pas, il la préfère nettement à quelque autre formule maladroite. « Je suppose que vous vous apprêtez à me dire que vous n’avez pas la moindre idée de comment vous êtes arrivée ici ? »

Se retrouver dans de telles circonstances, et après ce qu'ils avaient déjà été contraints de vivre une première fois ensemble, ne les poussait pas à se réjouir de cette rencontre - et rien, en réalité, n'aurait pu les faire se réjouir de se revoir, à cause de ce qu'ils savaient l'un sur l'autre. Ils représentaient, l'un pour l'autre, une menace. Un danger. Un risque qu'aucun des deux n'avait envie de prendre. Ils avaient le pouvoir de détruire l'autre, de le faire tomber, de le ruiner. Ce n'était pas rien. C'était un pouvoir aussi puissant que dangereux, plus encore parce qu'ils le possédaient tous les deux. Si l'un tombait, l'autre suivait.

« Je suppose que vous n'êtes pas responsable de ma présence ici ? » Question purement rhétorique, puisque la réponse, elle la connaissait déjà. En effet, s'il ne lui avait rien dit, elle aurait pu expliquer qu'elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle faisait ici, mais il l'avait devancée. Alors, elle répondait à sa question par une autre question. Etait-il responsable, d'une façon ou d'une autre, de sa présence ici ? Clarke, au vu de la réaction de l'homme face à elle, était prête à parier que la réponse était non. Il était, tout comme elle, victime des machinations de cet endroit et de ses jeux cruels. Comme la première fois où ils s'étaient rencontrés.

Cependant, contrairement à la première fois, il y avait une différence de taille. En effet, lors de leur première rencontre, ils n'avaient pas compris tout de suite ce que l'on attendait d'eux. Ils avaient attendu, cherché, tenté des choses avant de comprendre qu'ils devaient se montrer honnête l'un envers l'autre pour obtenir le droit de partir. Aujourd'hui, les choses étaient plutôt claires. Il suffisait de lire les quelques mots inscrits sur les murs ou de regarder l'arme posée au sol, entre eux, pour comprendre ce que l'on attendait d'eux. « Mais la raison de notre présence ici me paraît plutôt claire pour une fois... » Et ce n'était franchement pas une bonne nouvelle. Il devait se douter qu'elle n'aurait aucune hésitation pour tirer tout comme elle supposait qu'il n'en aurait aucune. Tout était désormais question de savoir comment agir, comment réagir. Clarke restait sur ses gardes, prête à se jeter sur lui ou sur l'arme, prête à se battre s'il le fallait, prête à défendre sa vie, mais il était difficile de deviner ses intentions - enfin, survivre lui paraissait être une intention assez évidente, mais que comptait-il faire pour réussir ? Attendre ? Se précipiter sur l'arme à la première occasion ? L'endormir avec de belles paroles pour qu'elle baisse sa garde ? « Prêt à déterminer qui de nous deux mérite de vivre ? » Autant dire les choses plus clairement - ce qui n'arrangeait clairement pas la tension dans l'air, mais ce n'était que dire une évidence, après tout - et ne pas perdre de temps inutilement.   

« Je n’ai pas ce pouvoir », répond Will avec un léger sourire cynique quand Clarke suggère sans y croire qu’il serait responsable de sa présence en ces lieux. Non, elle sait pertinemment qu’il n’en est en rien responsable…

De même que Will ne la soupçonne pas non plus d’avoir quoi que ce soit avoir dans ces retrouvailles qu’ils se seraient tous les deux grandement épargnés. La politique de l’ignorance et du silence les avait davantage satisfaits que le moindre esprit de vengeance. Lors de leur première rencontre qui aurait dû, si la vie était bien faite, être la dernière, ils en avaient trop dit sur eux-mêmes. Ils représentaient un danger l’un pour l’autre, car ils connaissaient de l’autre la véritable nature… Mais tous deux avaient adopté la politique du silence… Will, parfois, avait d’ailleurs largement douté que Clarke soit seulement bien réel. Il aurait voulu se bercer de cette illusion encore un long moment. Mais la chose n’est à présent plus possible. Non, il n’est pas responsable de la présence de Clarke, et Will ne lui retourne pas la question… Il se doute qu’elle n’est pas responsable de la sienne. En dépit de l’aversion respective qu’ils peuvent éprouver l’un envers l’autre, tous deux ont beaucoup en commun, en réalité… Trop pour pouvoir complètement le nier à tout le moins.

Dans des instants tels que celui-ci, Will pourrait aisément céder à la tentation de penser que ses hypothèses premières à son arrivée sur cette île, quand il s’imaginait dans une sorte de purgatoire infini, ou bien prisonnier de sa propre psyché malade, n’étaient peut-être pas si absurde. Quand il cantonnait son petit univers personnel à Hannibal, à Abigail, l’enfer avait le goût du paradis. Ici, malheureusement, il se cantonne à ce qu’il doit être… à ce qu’il est nécessairement.

« Nous avons tous deux fait un bilan peu glorieux de nos faits d’arme passées… je me passerais de reprendre le cours de notre introspection », commente-t-il en baissant les yeux sur l’arme, qu’il refuse de ramasser encore pour le moment. Il sait que ce sera probablement inévitable… Mais il sait aussi qu’il serait ridicule et dommageable de sous-estimer son interlocutrice. « Faut-il vraiment que le plus méritant de nous soit celui qui survive ? Ou bien faut-il que nous faisions le bilan de nos contributions respectives à cette nouvelle société ? » commente-t-il tout en détournant son regard de Clarke pour balayer l’endroit du regard le plus attentif possible… Peut-être ont-ils trop négligé la possibilité d’avoir tous deux un ennemi commun… Peut-être devrait-il arrêter de rationnaliser ce qui ne sera jamais rationnel… Peu importe quels efforts il pourrait fournir pour se convaincre du contraire. « Que pensez-vous qu’il se passera quand l’un de nous deux sera mort ? »

A tour de rôle, leurs yeux se posaient sur cette arme, posée entre eux. Clarke imaginait que ses doutes étaient les mêmes que ceux de Will. Il y avait cette tentation, celle de ramasser cette arme, de tirer et de se débarrasser de cet instant comme on se débarrassait d'un mauvais rêve. Et il y avait la raison. Celle qui lui soufflait que prendre ce risque, c'était prendre le risque que la situation se retourne contre elle-même. Celle qui lui soufflait, également, qu'elle ne devait plus tuer ainsi, par facilité, pour se débarrasser de ses problèmes. La mort n'était pas la seule alternative, elle devait l'apprendre.

Si Clarke devait lui donner raison à propos d'une chose, elle pouvait bien le faire pour cela : elle n'avait aucune envie de reprendre leur discussion là où ils l'avaient laissée, des années plus tôt. Il savait déjà trop de choses sur elle et elle en savait trop sur lui. Et elle n'éprouvait aucune envie de continuer à confier ses crimes à cet inconnu. Pourtant, n'était-ce pas un passage obligatoire ? Ne fallait-il pas déterminer qui était le plus méritant des deux ? Méritant... Qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir dire dans leur cas, à tous les deux ? Comment étaient-ils censés le déterminer ? Devaient-ils alors juger lequel des deux était le moins cruel ? Le plus excusable ? C'était ridicule. « Puisqu'il n'y a qu'une arme et un choix à faire, je suppose qu'il nous faudra bien trouver un moyen de nous départager... » Il aurait été possible de le faire au plus chanceux, avec une sorte de duel, s'il y avait eu deux armes, mais ce n'était pas le cas. Et comme Clarke avait l'impression qu'on ne leur laissait pas le choix, ils devaient bien trouver un moyen de déterminer lequel des deux devaient mourir. Le plus méritant, celui qui s'était le plus repenti, qu'importe, finalement. C'était ça ou laisser le hasard choisir en se battant dans l'espoir de gagner.

Will observait la pièce avec attention. La tentation d'attraper cette arme pendant cet instant d'inattention était forte, mais elle n'en fit rien. Pas encore. Le faire, ne serait-ce pas donné raison à cet endroit ? Ne serait-ce pas la désigner comme celle qui devait mourir ? « L'autre rentrera tranquillement chez lui et pourra reprendre sa vie en oubliant ce qui s'est passé ici. » Une mort supplémentaire sur leur longue liste... Ils devraient réussir à s'en remettre, n'est-ce pas ? « Ou l'autre mourra à son tour. » Ajouta-t-elle dans un haussement d'épaules. Après tout, avec cet endroit, tout était possible et il fallait s'attendre à tout. Peut-être que lorsque l'un aura tué l'autre, il sera exécuté par cet endroit... Tout ça n'était peut-être qu'un petit jeu malsain visant à les forcer à choisir, à s'entretuer, pour rien, au final.

Trouver un moyen de se départager, oui… mais Will doute fortement qu’il en existe véritablement un. Suggérer une telle chose, c’est envisager que tous deux seraient capable, après avoir mesuré objectivement ces quelque chose qu’ils seraient susceptibles d’apporter au monde en restant en vie, d’accepter leur sort… Et Will en doute fortement. Ils ont tous les deux beaucoup à expier, et pourraient probablement admettre autant l’un comme l’autre ne pas véritablement mériter la vie qu’ils s’accaparent depuis de trop longues années déjà… mais ce constat prouve bien une chose, et c’est que tous les deux sont des survivants. Ils ne sont pas de ceux qui baissent les bras ou acceptent docilement leur sort, ils ne sont pas de ceux qui entendent raison sous couvert de moral… Ils sont de ceux qui seraient capable de se ronger les os avec leurs propres dents pour se libérer d’un éventuel piège où ils auraient été enfermés. Ils sont faits de ce bois-là… et cela les rend à la fois dangereux l’un pour l’autre, et dangereux pour eux-mêmes.

Non, Will ne croit pas dans le fait qu’ils parviendront à se départager. Est-ce que, véritablement, une fois avoir tué l’autre, ils pourront simplement fermer les yeux sur ce qui s’est passé et rentrer comme si de rien n’était… A bien y regarder, leur mort respective avait peu de chances de peser sur la conscience de l’autre… ils ont tous les deux déjà bien trop de sang sur les mains… Mais justement… Si l’issue doit être aussi simple… alors à quoi bon ce petit jeu sordide, pour commencer ? Will hoche la tête avec lenteur au moment d’entendre Clarke suggérer que l’autre mourra peut-être à son tour… L’hypothèse lui paraît très envisageable, en tout cas.

« Je sais qu’il est fort à parier que nous nous trouvons ici pour les mêmes raisons qui nous ont fait nous rencontrer… », commente-t-il doucement, et sans bouger… « L’effet du hasard et du destin, le caprice d’une entité qui nous agite comme des marionnettes. » Il marque une pause. « Ou bien avons-nous un ennemi commun. Vous avez des ennemis, Clarke ? »

Il suppose que oui… Le contraire le surprendrait… Et bien sûr, Will lui-même n’aurait pas assez de temps pour énumérer le nombre de ses propres ennemis… surtout dans un monde où vos anciennes victimes peuvent revenir à la vie.

« Plus que vous n’avez d’amis, n’est-ce pas ? »

Il y a de l’ironie dans la manière dont il pose cette question ? Peut-être en a-t-elle… Will suppose surtout que Clarke doit être une jeune femme très solitaire. Parce que les gens comme eux sont bien souvent très seuls… A moins de se trouver quelqu’un qui leur ressemble, ou quelqu’un qui ne leur ressemble pas le moins du monde, et qui finira invariablement par prendre la fuite au moment de comprendre qui ils sont.

« Si vous disparaissez, cette nuit… à qui manquerez-vous ? »

Les choses paraissaient plutôt simples, pour une fois. Il suffisait de faire un choix. Un simple choix. Un choix qui conduirait à la mort de l'un ou de l'autre, ou des deux, peut-être. Un choix impossible à faire. Un choix qui leur revenait. Ils devaient se départager, choisir eux-mêmes celui qui devait mourir et celui qui devait vivre. Il y avait fort à parier qu'aucun des deux n'accepterait son sort aussi facilement. Fallait-il, dans ce cas, accepter de mourir tous les deux ? Que cherchait cet endroit exactement ? Voulait-il les pousser à avouer tous leurs crimes, dans les moindres détails, jusqu'à décider qui était le plus monstrueux ? Voulait-il les pousser à s'entretuer ? Voulait-il les faire replonger dans leurs pires souvenirs ? Voulait-il les pousser à être ce qu'ils sont, des meurtriers ?

Y avait-il seulement une bonne réponse ? N'était-ce pas qu'un jeu ? De mauvais goût, certes, mais avec cette ville, fallait-il s'attendre à autre chose ? Ils étaient d'accord sur une chose : ils se retrouvaient ici pour les mêmes raisons qui avaient fait qu'ils s'étaient rencontrés. Ils se ressemblaient sur bien des points, ils étaient dangereux, pour des raisons différentes, mais ils l'étaient.

Ils n'étaient pas là volontairement, ils ne se seraient jamais revus volontairement, d'ailleurs. Will émettait alors ses hypothèses, celui d'un destin, d'une entité ou d'un ennemi commun. Sa question l'avait fait sourire. Après avoir décimé tout un peuple, tué des centaines de Natifs, tué des gens de son peuple... Des ennemis, elle devait en avoir quelques-uns. Des morts revenus d'entre les morts, prêts à se venger. Il y en avait un certain nombre, alors. Trop pour pouvoir les citer. Tout ce qu'elle pensait pouvoir affirmer était qu'elle ne s'en était pas fait de nouveau dans cette ville. Enfin, elle le supposait, tout du moins. « Autant que vous, je suppose. » Même si elle n'avait pas la moindre idée de qui s'amuserait à mettre ce genre de jeu en place. Ses ennemis étaient plutôt du genre à se battre avec une épée ou une arme à la main, face à face, mais après tout... Pourquoi pas ?

Des ennemis, elle en avait. Elle s'en était fait à force de se battre pour ses amis, pour leur survie, pour sa famille, pour sa propre survie. Elle avait tué pour vivre. Elle avait tué pour permettre à d'autres de survivre. Jamais elle n'avait tué par plaisir de tuer, mais... Oui, elle avait bien peu d'amis en comparaison de ses ennemis, parce que peu importaient les raisons qui l'avaient poussée à tuer, finalement. « Difficile de se faire plus d'amis que d'ennemis dans notre cas. » Parce qu'ils étaient dans le même cas, tous les deux. Difficile d'avoir un nombre aussi conséquent d'amis qu'elle n'avait d'ennemis. Si chaque personne tuée comptait comme un ennemi, les siens se chiffraient par centaines - sans oublier les familles des victimes, leurs amis... Alors, impossible, en effet, de pouvoir se faire tant d'amis. C'était une évidence.

Des amis à qui elle manquerait. Elle l'espérait. Il ne lui en restait pas beaucoup. Elle n'en avait revu que très peu depuis son arrivée ici. Mais elle manquerait à Octavia. Pauvre Octavia qui avait déjà tout perdu... Son frère avait préféré s'éloigner, l'abandonnant comme il avait abandonné Clarke, et Clarke, cette nuit, risquait aussi de l'abandonner... Peut-être vivrait-elle mieux sans elle ? Peut-être se reconstruirait-elle plus facilement ? Et ses autres amis... Ceux qu'elle s'était fait sur cette île, leur manquerait-elle réellement ? Sa famille était morte. Sa fille était morte. Une grande partie de ses amis était morte. Bellamy l'avait abandonnée. Pouvait-elle espérer sincèrement être une réelle perte pour quelqu'un, finalement ?

Pourtant, elle sentait que cette question avait toute son importance. La réponse pouvait faire peser la balance d'un côté ou de l'autre, à condition qu'une quelconque balance soit en train de peser le pour et le contre de la survie de l'un ou de l'autre. « Mes amis. » Elle sentait la pauvreté de cette réponse. Elle n'était plus la fille de ou la mère de, elle n'était pas l'épouse de ou la meilleure amie de. Tous ces liens, elles les avaient perdus. Elle s'était enfermée dans cette nouvelle vie. Elle s'était enfermée pour faire le deuil de son enfant, pour se consacrer entièrement à ses études de médecine et ne plus avoir à penser à tout ce qu'elle avait perdu, pour se noyer dans le travail et ne pas se noyer dans le chagrin. « J'ai perdu tout le monde. Il n'y a personne dans ce monde. Presque personne. » Parce qu'elle était injuste pour les quelques amis qu'elle avait. « Je suppose que ça fait un point pour vous ? Que vous manquerez à davantage de monde ? » Mais était-ce vraiment le plus important ? « Mais la vraie question ne serait pas plutôt de savoir si notre disparition ne leur serait pas plus bénéfique qu'autre chose ? » Ils seraient peut-être pleurés, mais ne serait-ce pas un bien pour un mal, finalement ?

En effet, dans leur cas, se faire des amis était une tâche presque impossible… Se faire des ennemis, en revanche, pouvait être d’une facilité enfantine… Quoique Will se targuait de n’avoir réellement ni amis, ni ennemis… Ses ennemis, du moins, ne faisaient jamais long feu et avaient rarement l’occasion de connaître le véritable visage de leur ennemi, justement… Pour ce qui est de se faire des amis, en revanche… c’est une chose qu’il n’avait jamais été capable de faire, c’était une chose qui n’avait jamais rien eu d’aisée pour lui… Ceux qu’il avait daigné considérer comme des amis, au cours de son existence, étaient ceux qui avaient forcé ce statut sans que lui-même l’ait recherché, à l’instar de Jack… Et bien sûr, il y a l’exception notable d’Hannibal… Mais en ce qui le concerne, employer le mot « ami » serait une évidente erreur de jugement… Tout comme tout terme cherchant à définir ne serait-ce qu’un peu leur relation se heurterait à la réalité d’un terme trop imprécis pour en mesurer toute la complexité.

Will peut le reconnaître… contre toute attente, il y a bien des personnes, ici, dans cette ville, à qui il manquerait cruellement s’il devait disparaître… Pas une multitude de personnes… Elles se limitent au fond au nombre de deux. Mais deux personnes, en ce qui le concerne, c’est déjà vraiment beaucoup… Pour quelqu’un comme lui.

Will esquisse un sourire, quand Clarke lui fait remarquer que leur disparition serait peut-être douloureuse pour ces personnes, mais aussi une bonne chose. Il ne peut pas lui donner tort… Combien de temps Will s’est-il efforcé de tenir Abigail à l’écart… de lui et surtout d’Hannibal ? Combien de fois s’est-il interrogé sur l’influence néfaste qu’il pourrait bien avoir sur elle ? Trop de fois… et en acceptant finalement sa pleine nature, il avait entraîné Abigail dans son sillage obscur… jusqu’au point de non-retour.

« J’ai une fille… », dit-il après un temps de silence, ne rebondissant volontairement pas sur ses derniers  propos. « Je ne peux pas prétendre être le meilleur des pères, mais je sais que je suis le seul à pouvoir la protéger. « Elle et mon… compagnon sont la raison pour laquelle je ne peux pas me sacrifier ni me condamner. » Il marque une pause. « Croyez-le ou non, et même si ce serait peut-être le plus judicieux, je n’envisage pas de vous tuer à moins que ce soit le dernier des recours… Pas plus que je n’ai l’intention de mourir. Je persiste à penser que ces deux options ne sont pas nécessairement les seules à notre disposition. »

Il était difficile de savoir si une perte touchait réellement quelqu'un. Suffisamment profondément pour l'affecter sur le long terme. Suffisamment pour faire de cette perte une véritable tragédie à ses yeux. Clarke avait perdu tellement d'être aimés dans sa vie. Elle avait presque l'impression d'avoir passé sa vie en deuil. Elle s'attachait et, les uns après les autres, les gens mouraient. Sacrifiés, tués, disparus. De ses propres mains, de ceux de ses ennemis, par accident. La mort était partout autour d'elle, depuis toujours. La Commande de la Mort. Si on l'appelait ainsi, c'était pour une raison, après tout. Et sa mort à elle, alors ? Serait-elle un sacrifice nécessaire au bien-être des siens ? Une peine immense impossible à surmonter pour eux ? Sa fille n'était plus là. Son meilleur ami non plus. Ses parents non plus. Une grande partie de ses amis d'autrefois n'était pas là. Qui lui restait-il réellement ? Octavia ? Et les rares amis qu'elle avait pu se faire dans cette ville et qui se comptaient sur les doigts d'une main ? Etait-ce suffisant pour prétendre avoir le droit de vivre au nom des siens ?

Clarke ne voulait pas mourir. Elle était une battante, elle était forte et elle avait toujours combattu pour sa vie, mais... Si un choix devait être fait, ne fallait-il pas accepter de pouvoir perdre comme dans n'importe quel jeu ? Fallait-il se montrer faux, au contraire, faire semblant d'accepter et tuer l'autre au meilleur moment, lorsqu'il s'y attendrait le moins, pour faire ce qu'elle savait faire de mieux : survivre ? Fallait-il avoir de l'honneur ?

Il avait une fille. Elle n'en avait plus. Une violente pointe de jalousie l'avait transpercée à cette annonce. Pourquoi ce monstre avait-il cette chance qu'elle, elle n'avait pas ? Pourquoi un monstre avait plus de chance qu'un autre monstre ? Pourquoi l'injustice était partout, tout le temps ? Une fille qu'il était le seul à pouvoir protéger, même s'il n'était pas le meilleur des pères. Sur ce point encore, ils se ressemblaient terriblement. Si Clarke était loin d'être la meilleure des mères, elle avait eu une fille à protéger également. Et elle avait échoué. Lui n'avait pas encore échoué.

Il avait une fille et un compagnon. Deux raisons. Deux points pour lui. Elle n'avait plus ni fille, ni compagnon. Madi, sa fille, son enfant, était morte. L'homme qu'elle avait aimé était mort. La femme qu'elle avait aimée était morte. Et ses souvenirs absents l'empêchaient de savoir si elle avait connu autre chose, quelque chose de plus heureux, mais tout ce qu'elle savait, c'était qu'ici, elle était seule. Alors deux points à zéro. Deux raisons d'être celle qui devait se sacrifier.

Ou de le sacrifier, de le condamner, sans lui laisser le choix, en restant le monstre qu'elle avait pu être par le passé. Arrêter de se poser des questions et juste agir, n'était-ce pas mieux, parfois ? Pourtant, il proposait une autre alternative. Il ne souhaitait pas la tuer... Pas dans un premier temps, en tout cas. Pas si ça ne relevait pas d'une absolue nécessité. Et il ne comptait pas mourir, non plus. Selon lui, d'autres solutions existaient. « Très bien, ne nous entretuons pas tout de suite. » Après tout, s'il existait réellement une autre solution, elle était preneuse. « Que devons-nous faire, selon vous ? Trouver une faille ? Une sortie ? » Misait-il sur une solution liée à la structure de cet endroit, à un détail qu'ils n'avaient pas encore remarqué et qui leur permettrait de prendre la fuite ? « Avouer quelque chose ? Comme la première fois ? » Ou misait-il sur ce qui les avait libérés la première fois ? L'aveu ?

Au fond, il sera probablement impossible de déterminer qui des deux mérite véritablement de vivre, qui des deux pourra mériter de sortir d’ici vivant, au prétexte de son entourage ou de sa dangerosité. S’ils se retrouvent constamment dans des situations équivalentes, tous les deux, c’est probablement que l’un et l’autre se ressemblent bien plus qu’ils ne veulent bien l’admettre. Ce n’est pas agréable à reconnaître, puisque les deux ne supporteront probablement jamais de se trouver la moindre connivence. Will sait seulement une chose, pour le moment, et c’est que sauter trop vite aux conclusions, et faire le choix de s’entretuer, ne les mènera absolument nulle part.

Alors oui, autant décider que c’est la solution de la dernière chance et chercher, avant cela, à creuser toutes les opportunités, si faibles en apparences puissent-elles être, qui se présenteront à eux… Ils n’ont pas encore tout exploré, tout observer de cet endroit, tout restreint soit-il… éluder toute solution annexe et décider de laisser reposer leur destin entre les mains d’une tierce personne, serait tout naturellement inacceptable.

« Oui, pour commencer, nous devrions fouiller cet endroit minutieusement, s’assurer que nous ne sommes passés à côté d’aucun détail. »

Trouver les indices qui échappaient à tous les autres faisait partie de ses attributions, de ce qui faisait de lui un profiler redoutable. Will avait une manière de réfléchir qui pouvait alarmer, car il parvenait un peu trop bien à adopter le point de vue de criminels sur lesquels il enquêtait, mais qui était du moins efficace. S’ils parvenir à déterminer quel pouvait être le dessein précis de leur séquestrateur, qu’il s’agisse d’un homme, d’une femme, ou d’une quelconque force supérieure, alors ils parviendront à des fins hors du commun.

« Les aveux ont fonctionné la dernière fois, mais je vois difficilement ce qu’il resterait d’autre à avouer », reconnaît-il. Quoique la tâche lui serait moins complexe à présent. Clarke sait quel genre d’homme il est, elle ne se leurre pas à son sujet, Will peut très bien s’exprimer et décider d’ignorer l’horreur que le récit des dernières atrocités pourra susciter chez son interlocutrice. Il ne lui doit rien… si ce n’est peut-être de devoir survivre avec elle. « Pour autant, je suis d’avis que la personne ou la chose qui nous a tous deux confrontés la dernière fois est peut-être à nouveau derrière cette réunion inattendue. » Il affiche un sourire légèrement cynique. « On lui aura probablement fait forte impression. »

Clarke n'avait pas envie de perdre de temps et n'avait pas envie de prendre le moindre risque en lui laissant l'occasion de prendre cette arme le premier pour tirer. Pourtant, elle ne voulait plus être cette femme, celle qui choisissait de tirer avant de trouver une autre solution. Elle avait toujours voulu faire au mieux, mais avait rarement réussi. C'était l'occasion de montrer qu'elle en était capable, de se le prouver à elle-même, de se prouver ce qu'elle était, qui elle était devenue.

Il fallait explorer les autres solutions possibles. Fouiller cet endroit, trouver une façon de sortir, s'assurer que tuer l'autre n'était pas l'unique possibilité... et si jamais il n'y en avait aucune autre, alors il faudrait agir en conséquence et prendre les décisions qui s'imposaient. En dernier recours.

Clarke n'avait pas l'esprit tranquille, elle craignait de se faire piéger si elle baissait trop sa garde, mais elle était prête à essayer de lui faire confiance. Un minimum. Il proposait donc de fouiller l'endroit dans les moindres détails avant toute chose, juste au cas où ils passeraient à côté de quelque chose. En effet, ils n'avaient pas fouillé et il n'était pas impossible qu'un quelconque indice se cache quelque part ou n'importe quoi leur permettant de comprendre ou de sortir. Ou, peut-être que fouiller ne conduirait à rien ? Peut-être qu'ils devaient terminer ce qu'ils avaient commencé la première fois en révélant d'autres de leurs petits secrets ? Quelque chose qu'ils avaient fait, quelque chose qui les rapprocherait un peu plus l'un et l'autre, quelque chose d'inavouable pour tous sauf pour eux puisqu'ils connaissaient déjà la nature l'un de l'autre. Il y avait peut-être un détail, un crime en particulier à avouer... Le pire de tous ? Le dernier en date ? Celui qui a fait d'eux ce qu'ils étaient aujourd'hui ? Ou devaient-ils expier tous leurs crimes ? Clarke en avait un certain nombre en réserve, malheureusement, et si Will savait ce qu'elle était, il ne connaissait presque rien des détails - même si elle jugeait lui avoir raconté le pire de tous ses crimes. Mais si elle pouvait ne pas passer par la case aveu, elle préférait. Alors, elle n'ajoutait rien pour l'instant et verrait en temps et en heure si c'était la chose à faire ou non.

« Je partage votre avis, mais s'il a attendu aussi longtemps avant de remettre ça, on peut supposer que les choses seront bien plus complexes que la première fois... » Pour qu'il se divertisse plus encore. Après tout, il avait eu bien longtemps pour se préparer. Il avait dû suffisamment s'amuser la première fois en les voyant se débattre contre ce qu'ils étaient et ce qu'ils avaient fait. « Fouillons, et nous verrons bien. » Mais pour commencer à fouiller, il fallait s'éloigner de cette arme, peut-être se tourner le dos, et ces idées ne la rendaient pas sereine. Elle ne bougerait alors que lorsque lui-même commencerait à bouger. Ce n'était qu'une maigre assurance, mais c'était toujours mieux que rien.

Suggérer de fouiller cet endroit, c’est probablement gagner du temps… et en perdre à la fois, car Will devine d’avance qu’ils ne trouveront absolument rien… malgré tout, baisser les bras avant même d’avoir tenté quoi que ce soit lui paraît tout bonnement inconcevable. Bien sûr, observer consciencieusement les yeux, c’est tourner le dos à Clarke et prendre le risque que cette dernière choisisse de le trahir… mais il pense avoir cerné son état d’esprit, qui n’est pas réellement différent du sien. Ils ne veulent s’en prendre l’un à l’autre qu’en ultime nécessité… Non parce qu’ils auraient réellement de l’estime l’un vis-à-vis de l’autre, mais parce que cette option paraît assez vaine… Par ailleurs, ils ont tous les deux terriblement besoin de comprendre. Et se contenter d’exécuter sans réfléchir ressemblerait fort à une trahison de leurs intuitions.

Ils doivent admettre, presque sans aucun doute, que cette situation dans laquelle ils se retrouvent a été orchestrée par la même personne qui les avait précipités dans une situation similaire la fois précédente… Mais Clarke marque un point essentiel au moment d’admettre que les choses ne pourront qu’être plus complexes cette fois… Will veut croire que l’on attend d’eux quelque chose de différent de la première fois… Et que ces attentes peuvent bien être autrement plus subtiles que ne le laisse soupçonner la situation telle qu’elle. C’est la torture, qui attise l’intérêt de leur interlocuteur. La torture de leur esprit, au-delà d’un meurtre froid et total.

« Fouillons », confirme-t-il.

Il sent le regard hésitant de Clarke. Le sien n’est pas bien différent. Se tourner le dos, c’est certainement commettre une erreur stratégique… Mais Will décide de prendre ce risque. Il veut croire être parvenu à analyser convenablement le comportement de Clarke (après tout, c’est son job), suffisamment pour accepter l’idée qu’elle ne lui plantera pas – presque littéralement – un couteau dans le dos.

Alors, le premier, il commet l’acte symbolique de tourner le dos à Clarke, comme une marque de confiance, avant de se mettre plus sérieusement à détailler les lieux. La moindre aspérité du mur, le moindre détail au sol qui lui paraîtrait suspect. La tâche sera probablement vaine… Mais ils ne peuvent rien de mieux.

Deviner les intentions cachées d'une entité mystérieuse relevait de l'impossible. Ils n'étaient qu'un jeu, un divertissement, pour cette dernière. Elle se délectait de leur incompréhension, de leur combat contre l'invisible, de leur recherche de réponse. Pour la satisfaire, devaient-ils reprendre leurs confessions là où ils s'étaient arrêtés la première fois ? Devaient-ils réellement s'entretuer ? Devaient-ils faire tout autre chose ? Ils n'avaient aucune réponse à ces multiples questions, et aucune chance d'en avoir.

Pour l'heure, ils avaient décidé de fouiller l'endroit. Juste au cas où. Peut-être qu'on mettait leur esprit à l'épreuve ? Peut-être cherchait-on à voir comment ils fonctionnaient, réfléchissaient, dans ce genre de situation ? Ou peut-être qu'elle s'imaginait tout ça et que l'on attendait rien de plus que de voir l'un ou l'autre prendre la décision de tirer pour sortir. Après tout, fallait-il vraiment attribuer un but, une conscience, à la chose qui dirigeait tout cela ? Etaient-ils des tests ou des jouets dont les vies ne valaient absolument rien ?

Fouiller, c'était se tourner le dos. Se tourner le dos, c'était prendre le risque de voir l'autre trahir sa parole, attraper cette arme et tirer. Clarke n'arrivait pas à faire ce premier pas. Elle n'y arrivait pas parce qu'elle s'était bien trop souvent fait trahir pour croire que ça ne pouvait pas recommencer. La femme qu'elle aimait l'avait trahie, abandonnée à son sort, condamnant son peuple à une mort certaine - et ce n'était pas la seule, loin de là - alors comment faire confiance à un parfait inconnu ? Par nature, par réflexe, elle ne pouvait faire autrement que ne pas faire confiance et se méfier. Pourtant, il allait bien falloir le faire. L'un des deux allait devoir faire le premier pas pour espérer obtenir une solution.

Will l'avait fait. Il lui avait tourné le dos. Elle se doutait bien qu'il n'avait pas une confiance absolue en elle, mais il faisait le pari de la croire, au moins le temps de fouiller cet endroit. Alors, à son tour, elle avait tourné le dos à cette arme. A tout moment, Will pouvait se retourner, l'attraper et tirer. Il pouvait très bien détourner son attention et baisser sa garde pour qu'elle cesse de se méfier... Mais Clarke avait conscience qu'il n'était plus temps de se questionner, parce que des questions, elle en aurait encore et toujours. Mais, surtout, elle n'aurait jamais aucune réponse.

Alors, elle s'était éloignée et elle avait commencé à fouiller. Elle observait, chaque coin et chaque recoin. Chaque détail au sol, au mur, au plafond. Elle observait tout. Tout ce qu'il était possible d'observer dans un endroit vide comme celui-ci. Elle cherchait la moindre trace d'ouverture dans ces murs, mais toutes ces recherches paraissaient inutiles. De temps à autre, elle jetait un coup d'oeil à cet homme, pour s'assurer qu'il ne se rapprochait pas trop dangereusement de l'arme. Il ne le faisait pas. Comme elle, il semblait chercher. Pour rien.

« Il n'y a rien du tout, » avait fini par soupirer Clarke en se laissant tomber le long du mur pour s'y appuyer et s'y asseoir. Elle ignorait depuis combien de temps elle était en train de fouiller, mais à ses yeux, c'était déjà beaucoup trop longtemps - peut-être manquait-elle de patience ? Alors, que faire ? Continuer désespérément jusqu'à l'épuisement ? Attendre et prier pour un miracle ? Si lui continuait, peut-être trouverait-il quelque chose, après tout ?

Will avait pris un risque, mais un risque qu’il estimait payant… La suite devait lui donner raison. Clarke aurait pu décider de tenter sa chance, se saisir de l’arme et lui tirer dans le dos avant même qu’il n’ait le temps de se retourner, mais elle ne l’avait pas fait… sans doute en venait-elle à la même conclusion que lui… rien ne leur garantissait qu’une fois l’autre mort, ils seraient véritablement libres, que ce soit l’un ou l’autre… Et quitte à devoir batailler pour regagner sa liberté dans tous les cas, autant partir en quête du moindre indice, quand bien même la tâche pouvait paraître particulièrement vaine, pour ne pas dire impossible et complètement illusoire.

Malheureusement, de longues minutes d’exploration attentive, à tâtons, doit bientôt les confronter à la réalité de leur situation. C’était plus ou moins couru d’avance, mais il fallait le tenter malgré tout. Oui, ce n’était rien d’autre qu’un coup d’épée dans l’eau… mais il fallait tenter le coup malgré tout… ils auraient regretté de ne pas au moins essayer. A présent, ils sont, au moins, entièrement fixés.. . Ce n’est pas de cette manière qu’ils s’en sortiront, il faudra qu’ils s’y prennent autrement. Autrement comment ? Il n’en sait rien. Il a été confronté à de nombreuses situations qui dépassaient son entendement, mais cette situation les dépasse toutes.

C’est Clarke qui, la première, déclare forfait… Mais à dire vrai, cela faisait un moment déjà que Will cherchait dans le vide sans réel espoir de trouver le moindre indice consistant. Débusquer les indices faisait pourtant partie de ses attributions, c’était, normalement, ce qu’il faisait de plus efficacement et de mieux, ce pour quoi il était reconnu dans son domaine. Il était capable, à partir d’un rien, de dénouer des mystères complexes et de décortiquer les psychés les plus complexes et les plus malsaines.

« Bon. » Il soupire, s’adosse au mur le plus proche et se masse les tempes dans l’espoir de faire passer le mal de crâne qu’il sent doucement poindre à mesure que le mystère qui entoure leur situation s’épaissit. Difficile de ne pas céder au défaitisme en de telles circonstances. Will décide de s’asseoir à même le sol, son regard oscillant de l’arme à Clarke, de Clarke à l’arme… « Sans boisson ni nourriture et dans une obscurité quasi-totale, nos chances de survive sont réduites à une poignée de jours… » Il marque une pause. « Je ne vous tuerai pas. Je n’y vois pas d’intérêt. »

Clarke était du genre déterminée. Du genre qui n'abandonnait pas facilement. Du genre qui allait au bout des choses. Cependant, elle était capable de reconnaître quand elle perdait son temps, quand les choses étaient perdues d'avance. Et là, elle avait clairement l'impression de le perdre. Il n'y avait rien. Il fallait sans doute faire autre chose, mais quoi ? Discuter ? Evoquer quelque chose en particulier ? Faire un choix ? Attendre ? Se battre ? Prendre des décisions ? Trouver ce qu'ils n'avaient pas trouvé ? Des solutions, des hypothèses, il y en avait des tas... Des réponses, en revanche, ils n'en avaient presque aucune.

Ils avaient donc fini par abandonner, par accepter qu'il n'y avait rien. Alors elle s'était laissée tomber, dos contre le mur, et il avait fini par faire de même. Son regard se posait sur l'arme puis sur elle et elle se tendait à cette vision, craignait de deviner à quoi il pensait. Ils étaient à peu près à la même distance, si elle se redressait immédiatement, par surprise, elle pouvait l'attraper avant lui. Elle était rapide, elle avait une chance. Alors qu'elle réfléchissait au meilleur moyen de procéder, elle fut interrompue par Will, qui avait repris la parole. Ce qu'il disait était censé. Il avait parfaitement raison. S'ils décidaient de ne pas s'entretuer, s'il n'y avait rien à faire, alors ils seraient morts tous les deux d'ici quelques jours. Alors, est-ce que ça valait vraiment le coup de s'entretuer ?

La perspective n'était pas réjouissante, mais elle était réelle. Ils ne tiendraient pas éternellement. Si cette idée était déprimante, sa conclusion, en revanche, l'avait fait sourire. Ça, c'était ce qu'il disait maintenant... Qu'en serait-il dans quelques jours, le lendemain, le surlendemain, lorsqu'il n'en pourrait plus ? Lorsqu'il voudrait abréger son supplice ? « Vous le verrez, lorsque vous serez en train de mourir de faim et de soif. Cette arme deviendra une amie pour vous. Soit pour me tuer, dans l'espoir d'être libéré, soit pour mettre fin à vos souffrances. » Il ne voyait pas l'intérêt de la tuer pour l'instant, parce que pour l'instant, une partie de lui espérait sans doute encore une libération possible, un miracle, mais elle était certaine que ça viendrait. « Si leur but était de nous tuer, ils auraient pu trouver autre chose. » De moins longs - mais ça aurait été moins amusant pour eux, supposait-elle - avec plus d'actions.

Will avait, dans quelques circonstances qui lui semblaient à présent lointaines, considéré la mort comme un moyen d’extrême nécessité, et qui ne devait être conçu que comme tel. C’était avant, avant d’embrasser sa propre monstruosité, avant de comprendre, avant d’apprivoiser sa propre monstruosité. Depuis, il lui était arrivé, certes, de tuer par nécessité, pour se protéger ou dans l’intention de protéger sa famille, mais le sang qui tachait ses mains n’avait rien d’innocent ou de méritait. La mort avait gagné une valeur poétique, symbolique, dans son esprit malade. C’est ce qui rendrait, au fond, la mort de Clarke si insatisfaisante s’il devait décider de la tuer… ça ne ressemble en rien à ce qu’il vaut…

Mais que se passera-t-il quand ils n’auront pas le choix, en effet ? Il y a une chose, dans la manière dont Clarke évoque la possibilité qu’ils se laissent tourmenter par la faim et la soif, jusqu’à finalement choisir de considérer cette arme comme leur meilleure alliée, qui interpelle immédiatement le profiler. Elle n’en parle pas seulement avec le sens logique qui encouragerait Will à en venir aux exactes mêmes conclusions. Non, il y a quelque chose de différent dans le ton qu’elle emploie. Ce dernier transpire quelque chose de très familier… Will n’a fait qu’effleurer l’histoire de Clarke, au cours de leur première rencontre, qui avait été tout aussi étrange que celle-ci. Il savait qu’elle avait enduré des épreuves innommables. Et celle de la privation s’impose immédiatement.

« Vous l’avez déjà vécu », commente-t-il en la dévisageant…

Pour lui, ce n’est pas réellement une question, ce serait plus une observation, qu’il laisse ainsi en suspens dans l’air sans rebondir davantage sur la question avant de cogner doucement l’arrière de sa tête contre le mur. Clarke a absolument raison : s’ils avaient voulu les tuer, s’y prendre d’une autre manière aurait été probablement plus ludique ou spectaculaire.

« J’ignore si notre mort les intéresse tant. Notre torture, en revanche… »

Et dans leur cas, la torture est avant tout psychologique. Comme la première fois. Une sorte de rappel sadique et perpétuel de leurs crimes respectifs. Serait-ce pour autant que, en sortant d’ici, Will changerait quoi que ce soit à qui il est exactement ? Il faut être honnête, il y a probablement bien peu de chances. Les épreuves ne le détourneront pas de qui il est… Elles pourraient, en revanche, le conforter dans ce qu’il est, bel et bien.

Les souvenirs de Clarke n'étaient pas aussi clairs qu'elle l'aurait aimé. Il lui était difficile de se souvenir de tout, de comprendre certaines impressions ou certaines sensations qu'elle ressentait parfois. Cette fois-ci, le souvenir existait. Très peu clairement jusqu'à présent, mais les images lui revenaient brutalement alors qu'elle cherchait quoi répondre aux mots de Will. Les détails, les sensations, les sentiments... Tout revenait. L'espoir qu'elle avait eu, le combat qu'elle avait mené pour sauver les siens de ce bunker et pour continuer à vivre seule sur cette planète. Elle avait échoué. La faim et la soif, la solitude et les échecs, tout avait fini par la convaincre qu'elle devait en finir. Un miracle l'en avait empêchée. Heureusement. Ou malheureusement pour ceux qui avaient vécu avec elle ensuite, pour ceux à qui elle avait fait du mal. Alors, elle ne voulait pas vivre tout cela à nouveau. Elle refusait de se sentir mourir une nouvelle fois, de sentir la faim et la soif, d'avoir l'impression de perdre la tête, de perdre tout espoir peu à peu... C'était suffisamment horrible à vivre une fois pour avoir envie de réitérer l'expérience - et qui sait d'ailleurs si elle ne l'avait vécu qu'une fois ? Sa mémoire défaillante ne pouvait rien lui assurer, en réalité.

« J'ai vécu le second Praimfaya. » Ce qui ne devait rien lui dire du tout, elle reprenait donc pour préciser : « Une apocalypse nucléaire qui a détruit la Terre. Une fois encore. » A cause des centrales nucléaires défaillantes. Après une première apocalypse nucléaire qui avait poussé l'humanité à se réfugier dans l'Arche, dans l'espace. Une apocalypse avec des choix douloureux parce que tout le monde ne pouvait pas survivre. « J'ai survécu. Mes amis se sont réfugiés dans un bunker et dans l'espace. Je devais aller dans l'espace avec eux, mais j'ai dû rester sur Terre. » Parce qu'il y avait eu un problème, que quelqu'un devait activer quelque chose et qu'elle n'avait pas eu le temps de retourner dans le vaisseau à temps... Au moins, elle avait sauvé les siens. Et elle était prête à mourir après ça, prête à accepter la mort. Mais elle avait survécu grâce à son sang noir. Ce sang qu'elle s'était injectée peu de temps avant et qui la protégeait des radiations. Elle avait été gravement blessée, mais elle avait fini par se rétablir... Si elle se souvenait de tous ces détails, elle lui épargnerait. « J'étais seule sur une Terre où il ne restait rien. J'ai voulu rejoindre ceux qui étaient dans le bunker, mais la tour qui était au-dessus s'est effondrée et je n'ai jamais réussi à les rejoindre. » Impossible d'ouvrir, impossible de leur montrer qu'elle était là... Ils étaient coincés sous terre et elle était coincée sur terre. « Seule sur une planète dévastée, sans rien pour se nourrir ou boire... L'idée d'en finir devient tentante. » Elle ignorait pourquoi elle lui racontait tout ça, mais il était déjà au courant de ses pires côtés, alors elle pouvait bien partager ce souvenir avec lui. Ce souvenir qui lui prouverait qu'elle était sûre de ce qu'elle disait. Qui lui prouverait que cette arme allait devenir leur meilleure amie très rapidement, quand la faim et la soif ne seront plus supportables. « Ils sont très forts dans ce cas, ils me torturent en ravivant mes pires souvenirs. » Et ce n'était pas compliqué en même temps... Clarke avait suffisamment vécu de choses horribles ou avait suffisamment été horrible pour qu'on la torture avec ses souvenirs, aussi maigres soient-ils. A croire qu'ils étaient vraiment au courant de tout, qu'importe qui ils étaient.

Will fronce les sourcils quand, en guise d’introduction à ses explications, elle prononce un nom qu’il n’avait jamais entendu jusqu’alors : le second Praimfaya ? Il ne l’interroge pas pour autant, il attend qu’elle réponde d’elle-même aux questions qu’elle se pose mentalement. Et en effet, elle ne tarde pas à le faire. Il s’agirait donc d’une apocalypse destructrice… Une seconde apocalypse… L’humanité capable de détruire son monde pas une seule fois mais deux… Voilà qui ne paraît pas surprenant aux yeux du profiler, qui a bien assez contemplé les dérives de l’humanité pour ne pas s’en étonner. Elle a donc survécu à une apocalypse, rien que ça. Un refuge dans un bunker sur une Terre dévastée… un vrai scénario de film d’horreur… mais la vie de Will elle-même n’en est-il pas un également, après tout ? Oui, elle en est tout à fait un.

Les justifications de Clarke sont appréciés, elles sont surtout de nature à complètement expliquer, voire excuser tous les comportements les plus limites qui ont pu être les siens… Will ne pourrait pas en dire autant… Mais l’intégrité et la probité sont souvent mises à l’épreuve par l’horreur des situations auxquelles on se trouve confrontés. Dans le cas de Clarke, elle avait manifestement fait son choix… Tombée dans une situation loin de celle qu’ils vivent, mais qui ne pouvait que, par certains aspects, la raviver… Et n’est-ce pas là en partie ce que cherchent ceux qui les séquestrent ? Raviver de vieux souvenirs, leurs pires souvenirs… C’est une torture compréhensible pour Clarke, et s’en serait probablement une pour Will aussi, s’il acceptait de révéler quoi que ce soit à son propre sujet.

« Comment est-ce que vous avez survécu ? » l’interroge-t-il alors, mettant de côté les réflexions de Clarke sur combien tous ces événements ont de l’importance à ses yeux.

Mais la curiosité l’emporte malgré tout, et qu’ont-ils de mieux à faire, autant l’un que l’autre, que de se parler ? Oui, ils pourraient envisager, pour de bon, de s’entretuer, mais cette seconde possibilité paraît bien moins alléchante à Will, qui préfère se focaliser sur cette discussion. En dépit de leurs animosités respectives, Clarke parvient doucement à gagner autant l’intérêt que le respect de Will, et cela le rend d’autant plus intéressé par son histoire et par ce qu’elle pourra avoir à lui apprendre. Si tant est qu’elle daigne se prêter à l’exercice, ce qui n’est pas tout à fait certain, bien évidemment.

Il y avait de fortes chances pour qu'elle ne ressorte jamais de cet endroit. De fortes chances pour qu'elle soit en train de vivre ses derniers instants. De fortes chances pour qu'il soit la dernière personne avec qui elle discute. Alors, elle pouvait bien lui confier certains des pires moments de sa vie. Ceux où, pour une fois, elle n'était pas la coupable, mais la victime. Il était déjà au courant de certains de ses pires côtés, alors... ça ne lui coûtait pas grand-chose de lui raconter certains événements de sa vie précédente. Les événements dont elle se souvenait, en tout cas. Ceux qui avaient un sens aujourd'hui, dans cette situation.

Sans entrer dans les détails ennuyants, Clarke avait raconté à Will comment elle avait survécu à une apocalypse nucléaire et comment elle avait envisagé le suicide pour échapper à la solitude, à la faim et à la soif, dans un monde dévasté. Parce qu'ils n'avaient certainement rien de mieux à faire que discuter, Will montrait de l'intérêt pour le souvenir qu'elle venait de lui raconter en la questionnant. Sans jamais baisser les yeux pour le regarder, elle fixait le plafond de leur prison, elle lui répondait : « A l'apocalypse ou à ma propre envie d'en finir ? » Un sourire se dessinait sur ses lèvres tant ses souvenirs lui paraissaient lointains. Impossibles. Comme s'ils s'étaient tous déroulés dans une autre vie. Une vie qu'elle subissait encore aujourd'hui alors qu'il n'en restait presque rien. « J'ai survécu à l'apocalypse grâce à mon sang. Il a une... particularité. » Dans son autre vie, elle ne lui aurait pas dit aussi facilement. Pas selon qui il aurait été, quand elle aurait dû faire cette confidence. Aujourd'hui, même si son sang n'avait pas la même couleur que le sien, elle restait une fille comme les autres et elle ne risquait pas grand-chose. Personne ne chercherait à voler son corps pour y implanter un autre esprit grâce à une puce mémoire. « J'ai le sang noir, je suis protégée contre les radiations. » Elle allait lui épargner la manière dont elle était devenue une Natblida, il en avait assez pour comprendre la situation et avoir une réponse à sa question. « Et j'ai survécu après l'apocalypse en trouvant une zone épargnée par celle-ci. J'y ai trouvé un vieux village et de quoi vivre. » Et bien plus que ça puisqu'elle avait trouvé sa fille, Madi. Une Natblida également, qui avait survécu au Praimfaya et qui se retrouvait seule dans un village désormais vide.

Survivre à l’apocalypse est une chose qui s’explique étrangement probablement plus facilement que le fait de survivre à sa propre envie d’en finir, qu’en cette extrémité paraît être la seule encore acceptable… et il le sait. Si quelqu’un est capable de comprendre cet appel du vide, c’est bien Will. Après tout, lui-même y avait succombé au sens le plus strict au moment de se laisser choir de cette falaise, chute dans laquelle il avait également précipité Hannibal, et qui aurait dû être son dernier souvenir… Tout ne se passe pas toujours ainsi qu’on l’avait planifié, somme toute. Alors oui, la réponse à ces deux questions l’intéresse, et Clarke le comprend visiblement.

« Les deux, je suppose », commente-t-il avant d’attendre sa réponse, qui ne tarde pas à arriver.

Elle lui dit avoir succombé à l’apocalypse grâce à son sang. Will fronce les sourcils. Il ne s’était pas attendu à une réponse à ce point singulière et spécifique. Il se demande si elle est totalement littérale ou non, pour commencer, est-ce qu’elle parle de sa naissance ou bien de qualités biologiques qui la distingueraient tout naturellement ? Elle obtient la réponse à sa question quand elle ajoute que son sang aurait une particularité, un sang noir qui la protégerait des radiations.

« Vous avez évolué… », observe-t-il fasciné par cette observation.

Will songe qu’Hannibal trouverait probablement un intérêt tout particulier à Clarke et à cette conversation, pas seulement parce qu’il y a en elle une obscurité manifeste, et qui ne peut être niée, mais aussi parce qu’elle incarne justement toutes les théories que son compagnon n’avait jamais cessé de répéter… La nécessité pour l’humain d’évoluer pour devenir autre prise au pied de la lettre…. Clarke serait-elle l’incarnation même de ces théories darwiniennes que d’aucuns voulaient remettre en question ? Toujours est-il qu’un élan de fascination morbide voudrait l’inviter à faire couler ce sang noir juste pour en observer la couleur et l’épaisseur. Mais à nouveau, bien sûr, il n’intervient pas.

« Vous êtes une vraie survivante », remarque-t-il après un instant de réflexion. « Vous survivrez certainement à cette situation-ci comme vous avez survécu aux précédentes. » Il marque une pause. « Vous n’avez pas répondu à ma deuxième question… concernant votre envie d’en finir. »

Mais Will a déjà sa réponse, en vérité. Car puisque tout ce qu’elle affirme abonde dans le sens d’une force de caractère absolument hors du commun, il semble très logique qu’elle ait survécu à ses envies suicidaires par la force exceptionnelle de sa volonté et de son tempérament, qui lui interdisait catégoriquement de mourir.

Survivre. Elle l'avait fait tellement plus que deux fois. Toute sa vie avait été une histoire de survie. Dans l'espace où l'air manquait à son arrivée sur une terre potentiellement mortelle. De ces guerres qu'elle avait dû mener à ces terribles décisions qu'elle avait dû prendre. Combien de fois avait-elle affronté la mort ? Combien de fois avait-elle frôlé la mort ? Trop, certainement pour les compter et les raconter.

Alors, elle allait se contenter de lui raconter ces deux fois. Deux fois où elle avait failli mourir, mais où elle avait miraculeusement survécu. La première fois, elle lui expliquait donc avoir survécu grâce à une particularité de son sang : son sang noir. « Mon peuple est naturellement plus résistant aux radiations parce que nous sommes nés dans l'espace. » Lui expliqua-t-elle alors qu'il semblait fasciné par l'idée que les humains avaient pu évoluer. Contrairement aux hommes des Montagnes qui mouraient dès qu'ils posaient le pied à terre, incapables de supporter les taux de radiation de la planète - sauf en volant la moelle de ceux qui venaient de l'espace - les habitants de l'Arche étaient plus résistants, mais pas suffisamment pour survivre à une apocalypse nucléaire. « Le sang noir est une particularité des descendants de ceux qui ont survécu sur Terre après la première apocalypse. » A cause d'un sérum créé, dans un premier temps, mais... encore une fois, elle rentrait suffisamment dans les détails, elle n'allait pas en faire davantage. « Je ne suis pas née avec le sang noir, je me le suis injecté. » Grâce à un sérum, elle était devenue une Nightblood, elle n'était pas née ainsi. Alors, elle n'avait pas vraiment évolué.

Elle était une survivante, elle ne dirait pas le contraire. Elle avait toujours survécu à tout et surtout au pire. Pourtant, elle n'était pas aussi sûre que lui lorsqu'il affirmait qu'elle survivrait aujourd'hui encore. A moins de... A moins de se lever, d'attraper cette arme et de le tuer maintenant qu'il semblait avoir baissé sa garde. Si elle le tuait et que la chose qui contrôlait cet endroit ne mentait pas, elle rentrerait chez elle. Personne ne saurait jamais ce qu'elle avait fait et elle continuerait sa petite vie, tranquillement - avec un poids sur la conscience. Sauf qu'elle ne le pouvait pas. Elle ne le voulait pas. Pas encore. Alors, elle chassait cette mauvaise pensée pour répondre quelque chose. « On ne peut pas toujours survivre à tout. » Même les survivants finissaient par y passer. Peut-être serait-ce aujourd'hui pour elle ?

Par curiosité ou pour faire passer le temps, il avait insisté sur les raisons qui l'avaient poussée à ne pas en finir. « J'étais vraiment prête à en finir. J'avais mon arme dans les mains, j'étais prête à tirer... » Elle se revoyait agenouillée dans le sable, son arme contre sa tempe, prête à tirer. « Et j'ai vu un oiseau. » Ce qui, dit comme ça, pouvait paraître étrange. « Si un oiseau avait survécu au Praimfaya et vivait encore après plusieurs semaines, il y avait forcément une zone épargnée quelque part. Alors, j'ai retrouvé l'espoir et l'envie de me battre. Je me suis levée et j'ai trouvé cette zone épargnée. Je suis en vie grâce à un oiseau. » Elle avait retrouvé l'envie de se battre à nouveau. Un signe, un symbole d'espoir, l'avait empêché d'en finir. « Je suppose que ce n'était pas le moment pour moi. » Pas le moment de mourir. Pas le moment de trouver la paix.

Will n’aura probablement jamais assez de conversations avec Clarke (même si celle-ci pourrait bien se prolonger s’ils ne trouvent aucune sorte de moyen pour rentrer chez elle) pour parvenir à la comprendre et appréhender sa personne. Plus il en apprend à son sujet, plus il se sent intrigué par cette jeune femme qui évoque l’apocalypse qu’elle a affronté, sa nature qui serait différente, ses expériences qui sont au fond difficiles à appréhender pour quelqu’un dont la vie certes n’avait jamais été bien normale, mais qui n’avait jamais été confronté à la moindre situation assimilable à de la science-fiction avant que de se retrouver ici, dans ce monde. Elle qui est née dans l’espace et qui aurait ainsi subi une mutation génétique naturelle, caractérisée par un sang noir de jais.

C’est donc certes une évolution… mais singulière, et propre à toute une communauté. Seulement… seulement, dans le cas de Clarke, il y a une subtilité à ajouter, et qui immédiatement la rend d’autant plus intrigante et intéressante aux yeux du profiler… Car quand il supposait que ce sang noir était une caractéristique de naissance, pour elle, il découvre à présent que non – c’est quelque chose qu’elle s’est injecté. Pour garantir sa survie, sans doute… Elle n’a pas seulement évolué, donc… elle a forcé son évolution. Loin de trouver la chose horrifiante, Will la trouve d’autant plus fascinante. Une preuve de plus de ce qu’il devinait déjà : pour survivre, Clarke serait probablement prête à tout… même si elle affirme à présent qu’il n’est pas toujours possible de survivre à tout.

« Je n’en suis pas si sûr », observe-t-il d’un ton sans timbre. Il pourrait être du même avis, pourtant. Après tout, c’est pure logique que de reconnaître que tout le monde meurt un jour (et certains meurent de sa main). Mais quand on a survécu à la mort elle-même, les frontières entre vie, mort et survie deviennent particulièrement poreuses – au plus haut point, même.

Clarke lui confesse avoir vraiment voulu en finir, avait été à deux doigts de tirer… quand un signe l’avait retenu… Parce qu’un signe providentiel l’avait encouragé à se battre encore. Il esquisse un léger sourire quand elle suggère qu’elle serait encore en vie grâce à un oiseau. Oui, mais ce n’est qu’un résumé qui ne lui fait pas totalement honneur.

« Vous n’étiez pas si prête que cela, tout compte fait », remarque-t-il simplement. « Un simple oiseau n’aurait pas retenu votre geste, sinon. » il marque une pause. « Choisir sa mort, c’est garder le contrôle sur sa vie et son narratif jusqu’à la dernière seconde. » Il marque une pause. « Je ne crois pas qu’il y ait réellement de moment. Ni pour vous, ni pour moi. »

Survivre à tout. Tout le temps. Dans n'importe quelle circonstance. Clarke était une battante. Elle était prête à beaucoup - et même au pire - pour survivre et faire survivre ceux qu'elle aimait plus que tout au monde. Il y avait bien peu de choses capables de l'arrêter. Elle regrettait souvent ce qu'elle avait été obligée de faire pour survivre, mais elle ne regrettait jamais de l'avoir fait, malgré tout. Cependant, et malgré tout ce qu'elle était prête à faire, elle se rendait à l'évidence : on ne pouvait pas survivre à tout. Il fallait bien accepter que la mort vous prenez tôt ou tard. Ce serait peut-être pour aujourd'hui. Pour demain. Pour dans des années. Elle n'en savait rien, mais elle se disait parfois qu'elle était désormais prête à l'accepter. Il n'y avait plus grand-chose qui l'attachait à ce monde. Il lui restait des amis. Octavia, par exemple. Avec qui elle essayait de se reconstruire. Mais les autres ? Bellamy ne voulait plus lui adresser la parole. Madi était morte. Sa mère était morte. Ses autres amis étaient toujours introuvables. Le moment était peut-être venu. Il était peut-être temps d'accepter son destin. Will semblait prétendre le contraire pourtant, comme s'il était plus persuadée qu'elle encore qu'elle survivrait à ces événements comme elle avait survécu aux autres.

Elle avait survécu à son envoi sur Terre, à l'apocalypse, à la guerre, à son envie d'en finir... Elle avait survécu à tant de choses... N'était-ce vraiment qu'une épreuve supplémentaire sur sa longue liste ? Un signe, comme cet oiseau qu'elle avait aperçu alors qu'elle s'apprêtait à tirer pour s'ôter la vie, apparaîtrait-il une fois encore ? « Peut-être. Peut-être que j'étais plus désespérée que prête. Peut-être que je n'avais besoin que d'un signe pour le comprendre. » Et un signe avait suffi à lui faire oublier ce désespoir qui la détruisait de l'intérieur. Un signe avait suffi à la faire revenir à la raison. Alors, peut-être avait-il raison ? Peut-être n'était-elle pas réellement prête à en finir ? Le suicide n'avait été qu'une option envisageable dans sa situation, mais cet oiseau avait tout changé et lui avait prouvé qu'elle n'avait pas envie d'en finir avec la vie. « Vous savez de quoi vous parlez, vous aussi, n'est-ce pas ? » Elle en avait l'impression à sa façon d'évoquer la vie, la mort, le contrôle. Peut-être faisait-elle fausse route, mais... elle avait l'impression de le comprendre plus qu'elle ne l'aurait aimé - il était difficile d'accepter de comprendre autant quelqu'un qu'elle considérait comme un monstre. « Parce que nous sommes ceux qui donnons la mort, qui choisissons quand les gens doivent mourir, il n'y aura jamais de bon moment pour nous ? » Etait-ce parce qu'ils donnaient la mort qu'il n'y avait pas de bons moments pour eux, pour mourir ? Etait-ce parce qu'ils voulaient tout contrôler, jusqu'à avoir un pouvoir de vie ou de mort sur les gens, qu'ils pensaient devoir contrôler jusqu'à leur propre mort ? Il n'y avait pas de bon moment parce qu'ils choisiraient le bon moment, celui où ils abandonneraient définitivement la lutte ? S'ils en étaient capables. S'ils étaient capables de renoncer, d'abandonner et d'accepter que leur heure était arrivée. S'ils arrêtaient de se battre et de tuer pour survivre.

Le désespoir a diverses manières de se manifester, et l’humain a bien des manières d’y réagir. Celui de Clarke avait eu beau être profond, sans doute viscéral, elle n’était pas parvenue pour autant à s’exécuter quand un simple geste avait suffi à faire vaciller ses convictions. La mort est peut-être une issue lâche plus que courageuse, selon les circonstances. Quand il avait choisi de faire le grand saut, en entraînant Hannibal avec lui, Will ne saurait dire s’il avait fait là preuve de lâcheté ou, bien au contraire, de farouche détermination, d’une bravoure inestimable. Le résultat, dans tous les cas, aurait été le même. Il s’était soldé par l’échec global de son initiative, mais surtout par sa survie. On n’échappe pas si facilement à ses jours. La vie vous recrache aisément, pour peu qu’elle l’ait décidé.

« J’ai ma petite expérience en la matière », confirme Will d’un ton faussement détaché quand Clarke suggère, à juste titre, que lui-même saurait de quoi il parle.

Au regard de son opinion des plus tranchées sur la question, difficile d’envisager autre chose. Mais dans son cas, le suicide était aussi un meurtre… Ce qu’il cherchait à tuer n’était pas tant lui-même qu’une conception de lui-même avec laquelle il n’était pas encore parvenu à faire corps… mais ce n’était qu’une question de temps.

L’hypothèse de Clarke, toute particulière puisse-t-elle sembler, ne paraît pas foncièrement absurde à Will, bien au contraire. Quand on choisit de donner la mort, peut-être n’a-t-on plus véritablement le droit de disposer de la sienne propre. Peut-être parce que l’ordre profond des choses exige plutôt qu’ils meurent de la main de quelqu’un d’autre. De n’importe qui d’autre… Peut-être même de la main de la personne qui se retrouve en face d’eux.

« Je me demande… si nous sortons tous les deux d’ici vivants… si de nouvelles circonstances nous placerons l’un face à l’autre. Comme un cycle infini jusqu’à sa résolution par la mort de l’un de nous. »

Et plus ils en apprennent l’un sur l’autre, plus ils deviennent dangereux l’un pour l’autre, plus leurs conflits moraux se font d’une violence certaine. Pourtant, et même dans ses conditions, il n’a pas spécialement envie de mettre de tels plans à exécution. A dire vrai, cette nouvelle conversation avec Clarke le convaincrait plutôt de ne surtout pas atteindre à ses jours et, bien au contraire, de la garder en vie le plus longtemps possible… A condition bien sûr qu’elle fasse de même de son côté.

L'un et l'autre semblaient proches de la mort. De bien des manières, ils l'avaient côtoyée à de nombreuses reprises. Soit en la donnant, soit en la risquant. La mort jouait un rôle dans leur vie. La mort avait une place essentielle dans cette dernière. N'était-elle pas la commandante de la mort, après tout ? La commandante de la mort qui n'avait pas été capable de se la donner lorsque le moment était venu ? Il était plus facile de tuer que de se tuer, certainement. Plus facile de sacrifier la vie des autres que de renoncer à la sienne. Will devait le savoir mieux que personne. Il n'avait rien partagé à ce sujet, et ne semblait pas prêt à le faire prochainement d'après sa réponse évasive, mais elle en était persuadée. Il semblait bien trop savoir de quoi il parlait pour qu'elle puisse se persuader du contraire.

Et s'ils ne pouvaient pas, de toute façon, et malgré toute la bonne volonté du monde, se donner la mort eux-mêmes ? S'ils étaient condamnés à vivre avec leurs erreurs ? S'ils étaient condamnés à vivre, tout simplement ? Ils contrôlaient déjà la mort des autres, pourquoi leur laisserait-on le droit de contrôler la leur en plus de tout ? En commettant tous ces crimes, n'avaient-ils pas vendu leur âme au diable - ou à tout autre chose qui les empêcherait désormais d'être maître d'eux-mêmes ? Cette façon qu'avait cet endroit de les mettre l'un en face de l'autre, était-ce parce qu'ils étaient les seuls capables de s'arrêter ? Deux meurtriers. Fallait-il qu'ils finissent par s'entretuer ? Par décider de celui qui resterait en vie ? « Quelque chose me dit que nous n'avons pas fini de nous croiser. » Et elle n'aimait pas cette idée. Will en savait bien trop sur elle. Trop pour qu'elle puisse se sentir en sécurité. Elle avait su fermer les yeux une première fois, il lui semblait difficile de faire de même à chaque fois. « Je suppose qu'un jour ou l'autre, il faudra se rendre à l'évidence. Il y a un monstre de trop dans cette ville. » Ils étaient même bien plus que deux, mais entre ces deux-là, un semblait être en trop. D'après cette ville, tout du moins. « Mais je suis Wanheda, la commandante de la mort... Alors je suis désolée de vous apprendre que vous n'avez aucune chance. » Elle ne le menaçait pas sérieusement. Il y avait pourtant toutes les raisons d'être sérieux, de ne pas plaisanter de ce sujet, mais... s'ils étaient destinés à s'entretuer un jour ou l'autre, ce n'était a priori pas pour aujourd'hui - sauf s'ils n'avaient pas le choix - alors ils pouvaient bien en rire, non ? Rire de ce destin qui se moquait d'eux.