Il était une fois...
« It does really look black in the moonlight. »
De toutes les représentations de l'Enfer connues, des cercles de Dante à la remontée du Styx, rien de similaire à ce qu'il vit maintenant. Est-ce qu'il est vraiment mort, d'ailleurs ? Est-ce que rien de tout ceci n'a un jour été réel ? Tout avait semblé si vrai sur le moment... Le sang, noir au clair de lune, une lune inhabituelle, et ce sentiment grisant, étourdissant... magnifique. Puis le grand plongeon. Le vide. La mort, non ? Et pourtant tout indique qu'il est encore en vie. Une infirmière l'a réveillé dans une chambre aux forts relents d'hôpital. Son premier réflexe après avoir ouvert les yeux a été de
le chercher, mais tous ceux qu'il devait interroger avaient été unanimes. Ils ne connaissent pas de docteur Lecter.
L'aurait-il inventé ? Laissé émerger cette part de lui-même jusqu'à lui donner un nom et une personnalité ? Tout ce temps...
« Where does the difference between the past and the future come from?
- Mine? Before you and after you. »
Que peut-il, que doit-il retenir de sa vie ? Qu'est-ce qui a été vrai ? Qu'est-ce qui n'a jamais été que le fruit d'une imagination foisonnante et dérangée ? Il l'ignore... Ce qu'il sait, c'est que dans cette vie qu'il croit être la sienne, rien ne compte vraiment avant leur rencontre. Will n'a jamais été comme les autres, il a toujours pensé différemment... et c'est ce qui l'a en premier lieu isolé, plus ou moins volontairement, de tous ceux qui ont voulu l'approcher.
Quand lui est née sa passion morbide pour les serial killers ? Lui-même ne saurait pas vraiment le dire... Tout comme il a toujours redouté d'admettre les raisons pour lesquelles il lui a toujours été si simple de les comprendre, de les cerner... de se mettre dans leur peau. S'il a échoué aux tests psychologiques pour devenir Agent spécial pour le FBI, ce n'est pas sans raison. Ses capacités exceptionnelles ne peuvent dissimuler une mentalité instable et fragile. Sur la corde raide. Il s'est donc contenté pendant plusieurs années d'enseigner la criminologie au sein de l'Académie du FBI. Jusqu'au jour où Jack Crawford, chef de la division des sciences comportementales, a réclamé son aide. Seule condition à son affectation sur le terrain ? L'aval d'un psychanalyste. Tout sauf superflu.
Alors, il l'a rencontré. Hannibal Lecter. Est-ce qu'il a immédiatement su ? Sans doute pas... Mais une chose a en revanche immédiatement été certaine. Hannibal et Will se sont reconnus l'un dans l'autre... Ce qui est à mettre sur le compte de la manipulation que le psychanalyste a exercée sur lui pour le mener sur le chemin du crime, il ne saurait le dire. Hannibal n'a jamais fait que puiser en lui ce qu'il possédait déjà.
Garrett Jacob Hobbs, un tueur en série notoire, sera sa première victime. De la légitime défense... mais un sentiment grisant de pouvoir qui le hantera longtemps. Il a goûté au sang, et il a aimé ça sans pour autant accepter de se l'avouer. En parallèle, son affection mêlée de fascination pour Hannibal grandit, évolue, et le pousse à fermer les yeux sur ce qu'il y a de pire... et en même temps de plus attirant en lui. Accusé d'un crime qu'il n'est plus vraiment sûr de ne pas avoir commis, il est conduit en prison à la place d'Hannibal, condamné pour ses meurtres. Le psychiatre a tout manigancé pour le faire accuser à sa place.
« Killing must feel good to God too, he does it all the time . And are we not created in his image ? »
Finalement libéré des crimes dont il avait été accusé et à présent convaincu de la culpabilité de Lecter, un autre piège se referme progressivement sur Will. Plus violent et plus insidieux que tous les autres. Tandis que l'obstiné cannibale veut le façonner à son image, Will résiste difficilement, déterminé à le faire tomber... sans le vouloir entièrement.
Destructrice en diable, leur amitié qui n'en a que le nom le pousse dans ses retranchements les plus absolus. Alors qu'il ne fait plus de doute pour le FBI de la culpabilité de Lecter (grâce à la complicité de Will), Will décide de le prévenir, contre ses principes, en lutte contre lui-même, avec l'envie à peine avouable de s'enfuir à ses côtés. Ce qui n'arrivera pas. Hannibal lui laisse un ultime cadeau de départ en le poignardant, avant de prendre la fuite.
« See. This is all I ever wanted for you, Will. For both of us »
Il faudra plusieurs mois à Will pour se remettre de ses blessures. Il n'est alors motivé que par une seule ambition : la vengeance. Il a réussi, et Will veut à peine l'admettre. Il veut retrouver Hannibal. Et le tuer. Devenir l'assassin que le psychanalyste a toujours voulu qu'il soit. Qu'il estime qu'il a toujours été. Il n'y parviendra pas. Lecter sera envoyé en prison, dans une cellule à haute sécurité.
Will veut prendre un nouveau départ. Une vie sans lui. Et surtout se convaincre qu'il n'a pas besoin de lui. Une vie sans Hannibal Lecter. Ce semblait presque impossible. Pourtant. Il prend sa retraite du FBI. Il trouve une épouse, Molly, qui accepte ses démons et parvient même à les apaiser. Et il adopte son fils, Walter. Qu'est-il advenu d'eux ? Les a-t-il inventés eux aussi ? Sans honte, il les oublie. Ils ne comptent plus. Il n'en sait rien, il ne sait plus rien.
Puis Jack Crawford revient une nouvelle fois vers lui, dans l'espoir qu'il l'aide à débusquer un serial killer au motif angoissant, se faisant surnommer "The tooth fairy". Et pour ce faire... Il demande à son tour conseil à Hannibal. C'est ensemble, après l'évasion inattendue d'Hannibal, qu'ils font face au criminel dont ils ont de concert examiné la mentalité. C'est ensemble qu'ils le tuent.
Le crime est passionnel, passionné. Ce n'est pas un geste désespéré pour sa survie, c'est un baptême, un acte de foi. Les dernières défenses de Will sont abattues. Il est qui Hannibal à toujours voulu qu'il soit : un assassin.
Abandonné à ses bras, au sommet de cette falaise entourée de vide, il s'est senti lui-même, il s'est senti entier. Pour la toute première fois de son existence dissolue.
« You and I have begun to blur... »
Et voilà qu'on le réveille dans cette chambre médicalisée. On lui prête des crises de délires. Ses repères sont absents. Hannibal est absent. Il n'a pas d'explication. On lui dit qu'il se trouve dans une ville dont il n'a jamais entendu parler. On le pousse à remettre en question jusqu'à sa propre identité, ancienne, récente. L'a-t-il seulement connu ? A-t-il seulement vécu ne serait-ce qu'un centième de ce qu'il se remémore si vivement ? Ou bien est-il bel et bien mort, et cette ville-purgatoire est une farce de plus de l'existence ?
Il n'en sait rien. Pas de repères, aucune certitude. Assagi en apparence, on l'a laissé sortir, apprivoiser cet endroit dont il ne sait plus rien, dont il n'est pas sûr d'avoir un jour su quoi que ce soit. A
sa recherche.