Face the torture [PV Sophie de Rean]

Sophie s'affairait à faire les quelques tâches qui l'attendaient chez elle. Ce n'était rien de plus qu'un peu de ménage, mais ce n'était jamais ce qu'elle préférait faire dans une journée, elle devait l'avouer, alors elle se dépêchait pour s'en débarrasser au plus vite et être tranquille. Les mains dans l'eau de la vaisselle, elle était en train de nettoyer les dernières assiettes d'une vaisselle qui s'accumulait depuis deux jours déjà, quand quelqu'un frappa à la porte - une délivrance, un sauvetage, à ses yeux.

Après s'être essuyée les mains, elle s'était précipitée vers la porte pour y découvrir Paul, son cousin. Sophie était toujours heureuse de retrouver son cousin, de le voir, de pouvoir passer un moment avec lui. Et le sourire qui se dessinait sur ses lèvres en était la preuve la plus évidente. Enfants, ils avaient été séparés et depuis ce jour, Sophie ne supportait plus l'idée de le perdre, de le savoir en danger - comme lorsqu'elle était arrivée dans cette ville sans savoir ce qu'il était devenu. Et elle avait toujours peur pour lui. C'était peut-être stupide, mais cette peur, ce besoin de le protéger, jamais elle n'avait été capable de la faire disparaître - peut-être qu'il y avait un manque d'envie et de volonté, ce qui ne devait pas aider.

A peine avait-elle ouvert la porte, qu'elle l'avait déjà pris dans ses bras, puis invité à entrer. « Comment vas-tu mon Paul ? » Souffla Sophie en souriant, heureuse de le voir, même si elle ne savait pas ce qui l'avait poussé à lui rendre visite aujourd'hui - mais, en même temps, il n'y avait pas forcément besoin de raison pour ça, il était ici comme chez lui. « Qu'est-ce qui t'amène ? » Demanda-t-elle tout de même par curiosité, même si elle s'attendait à l'habituel juste envie de te voir qu'ils s'échangeaient presqu'à chaque fois.

Tenir Paul dans ses bras était une des sensations qu'elle préférait dans ce monde. Il lui était si précieux et il lui avait déjà été enlevé par deux fois. Deux fois de trop. Deux fois qu'elle ne voulait jamais avoir à revivre. Comme toujours, elle était plus qu'heureuse de le voir. Elle aimait passer du temps avec lui, autant que lorsqu'elle était jeune, en réalité. Et pour sa plus grande joie, ce sentiment semblait réciproque. Il aimait être avec elle et passer du temps avec elle.

Par curiosité, elle se demandait ce qu'il venait faire là, même s'il n'était pas rare qu'ils se rendent visite juste comme ça, juste parce qu'ils avaient envie de se voir, sans véritable raison. Et il n'avait pas besoin de vraie raison, Sophie aimait le voir et c'était tout ce qui comptait. Pourtant, derrière cette visite, il semblait bel et bien y avoir une raison. En effet, son visage le criait. Ses sourcils froncés, son expression... Oui, il y avait une raison. Une raison qu'il trouvait stupide ou quelque chose du genre, Sophie le sentait.

Tout en souriant, il lui expliquait alors la situation. Il avait eu l'impression de... quelque chose, un phénomène étrange qui l'aurait transporté ailleurs. Quelle drôle de sensation ! Mais dans un monde comme celui-ci, il n'y avait pas de quoi s'étonner, tellement on pouvait s'attendre à absolument tout. Et après une petite pause, il avait repris pour dire qu'il s'était aussitôt inquiété pour elle. Cet aveu la fit sourire tendrement. Elle le comprenait, elle aussi, elle s'inquiétait toujours pour lui. « Je me serais inquiétée pour toi aussi si j'avais ressenti la même chose. » Disait-elle pour le rassurer, mais elle, elle n'avait rien ressenti, contrairement à lui. « Et comme tu peux le voir, je vais bien. » Continuait-elle de le rassurer « Je suis toujours là, entière, et rien n'a changé. » Assurait Sophie, sûre d'elle, loin d'imaginer ce qui venait en réalité de se passer. « Mais ça me fait plaisir de savoir que tu t'es précipitée pour me voir. » Parce que c'était la preuve d'à quel point il s'était inquiété pour elle.

Sophie connaissait Paul par coeur. Elle savait qu'il s'inquiétait facilement pour les gens qu'il aimait et elle savait comme il l'aimait. Sophie, de son côté, aimait prendre le temps qu'il fallait pour le rassurer. Ils avaient toujours fonctionné ainsi. Elle n'était pas la fille la plus raisonnable qui soit - et c'était peu dire - mais elle savait apaiser le coeur de son cousin, la plupart du temps. « Tu ne t'inquiètes pas pour rien, mais tu peux te rassurer désormais. Je n'ai rien remarqué et je vais très bien, comme tu peux le voir. » Il y avait parfois des impressions, des sensations, que l'on ne pouvait pas expliquer. Paul avait ressenti quelque chose, un mauvais pressentiment qui n'avait pas lieu d'être. Il était difficile de passer à autre chose, mais Sophie tenait à le rassurer, encore et encore s'il le fallait, elle allait très bien.

Alors qu'elle tentait tant bien que mal de le rassurer et de le convaincre qu'il n'y avait aucune raison de s'inquiéter, Paul évoqua Fichini. Un frisson avait aussitôt parcouru Sophie. Un frisson de colère, de cette haine profonde qu'elle ressentait pour cette femme après ce qu'elle avait osé faire à son cousin. Aussitôt, Sophie posa une main rassurante sur l'épaule de son cousin et prit son air le plus tendre pour se montrer plus réconfortante encore. « Personne ne nous fera de mal. » Ils n'étaient pas invincibles et n'étaient que de pauvres humains au milieu de créatures étranges et puissantes, mais Sophie voulait croire qu'ils s'en sortiraient toujours. « Quant à la Fichini, tu n'as aucune inquiétude à avoir, elle ne te fera plus jamais aucun mal. Nous sommes tous là pour te protéger aujourd'hui. Et nous te protégerons de tous les autres dangers. » Que ce soit d'elle ou de n'importe qui d'autres, ils le protégeront. Il n'avait aucune inquiétude à avoir, aucune crainte. Le passé resterait le passé.  

Malgré ce qu'elle prétendait, il n'y avait aucune chance pour que Sophie change au point de devenir trop sage. Elle ne savait déjà pas être sage, alors comment pouvait-elle miraculeusement trop le devenir ? C'était une jeune femme pleine de vie. Sérieuse lorsqu'il le fallait, mais taquine et amusante lorsqu'elle le pouvait. Si elle aimait prétendre être une adulte responsable, ce n'était que des mots, pas la vérité. « Il n'y a aucun risque, ne t'en fais pas. » Avait-elle finalement soufflé avec un clin d'oeil complice à son cousin. Il n'avait pas trop de soucis à se faire, il pouvait se rassurer.

Sophie ne comprenait pas les propos de Paul. Elle ne comprenait pas pourquoi il prétendait que Fichini ne le reconnaîtrait pas. Comment pourrait-elle ne pas reconnaître un enfant qu'elle avait élevé - si on pouvait appeler ça élever un enfant, tout du moins ? Ça n'avait pas le moindre sens et Sophie n'arrivait pas à comprendre le sens caché des mots de Paul... Ou la logique à tout ce qui était en train de se passer.

Naturellement, Sophie tentait de comprendre, mais... elle ne comprenait pas. Paul non plus, apparemment. Il essayait, mais il en arrivait à la conclusion qu'il se passait finalement bel et bien quelque chose. Ils étaient tous les deux perturbés par les propos de l'autre. Des propos qui n'avaient pas grand sens pour eux puisqu'ils étaient contraires à leurs souvenirs.

Dans un premier temps, Sophie n'avait rien ajouté. Elle savait que Paul continuerait et lui donnerait les détails dont elle avait besoin pour comprendre le fond de sa pensée. Il avait donc repris pour expliquer qu'ils n'avaient pas les mêmes souvenirs et qu'il ignorait pourquoi. Jusque-là, Sophie comprenait les explications, mais ne comprenait pas pourquoi exactement il pensait cela. Sans qu'elle n'ait besoin de lui poser la question, il avait poursuivi : dans ses souvenirs à lui, il n'avait jamais rencontré Fichini et c'était Sophie qui l'avait eue pour belle-mère... A ces informations, elle était restée muette un instant. Leur histoire avait été comme... inversée. Elle avait eu Fichini comme belle-mère... Sa mère adoptive avait été madame de Fleurville ? Comment était-ce possible ? Ça ne correspondait pas du tout à ses propres souvenirs. Alors, peut-être que Paul disait vrai ? Peut-être qu'il s'était véritablement passé quelque chose ? « Tu plaisantes ? » Elle posait la question, mais elle savait très bien que ce n'était pas le cas. Il suffisait de voir son regard pour savoir qu'il était sérieux. « Après le naufrage... Tu as été recueilli par madame Fichini, c'était ta belle-mère et c'est toi qui as été adopté par madame de Fleurville... Moi... Je suis restée avec le capitaine et il m'a adoptée... » Tentait-elle d'expliquer sa version de l'histoire pour réveiller les souvenirs de son cousin.

Sophie ne comprenait pas ce qui était en train de se passer. Tout ce qu'elle savait, c'était que ses souvenirs et ceux de Paul n'étaient plus les mêmes. Dans les souvenirs de Sophie, elle avait été adoptée par le capitaine, après être restée avec lui chez les indiens, après le naufrage, tandis que Paul avait été adopté par Madame Fichini puis Madame de Fleurville lorsque la première était morte. Cette femme horrible, Sophie ne l'avait jamais rencontré malheureusement - et heureusement pour elle parce que Sophie lui aurait fait regretter son comportement avec son cousin. Paul avait des souvenirs contraires. Comme si leur rôle avait été inversé. C'était étrange. Perturbant. Et... impossible. Comment les souvenirs de son cousin avait pu être modifiés ? A moins que ce ne soit les siens ? Comment savoir, après tout ? Cette ville était capable de tellement de choses.

Paul trouvait tout cela impossible lui aussi et Sophie n'avait envie que d'une chose : discuter avec lui, essayer de comprendre. Cependant, ils furent interrompus par la sonnerie de la porte. Sophie en était presque agacée et aurait presque pu crier à la personne de dégager pour revenir plus tard, que ce n'était pas le moment, mais elle ne l'avait pas fait. Quelque chose l'en avait empêchée. « Juste une seconde, » souffla-t-elle à Paul pour qu'il ne bouge pas et l'attende ici. Elle se dirigeait vers la porte pour prévenir la personne derrière qu'elle n'avait pas le temps, mais en l'ouvrant, sa surprise fut immense... Paul se trouvait derrière. Elle restait là, à le fixer bêtement, avant de tourner la tête vers le salon, qu'elle ne pouvait pas voir d'ici, mais où Paul était censé être. C'était une plaisanterie ? « Qu'est-ce que... » Si elle n'avait pas été plus solide, elle aurait pu faire un malaise et si ça n'avait pas été Paul, elle aurait pu attraper le parapluie à sa gauche pour frapper cet imposteur devant elle... A moins que l'imposteur n'était celui qui se trouvait dans le salon. Elle commençait à ne plus savoir quoi faire. « Pas un mot ! » Souffla-t-elle à la personne devant elle, avant de crier : « Paul ? » pour que celui-ci la rejoigne... Ou pas. Peut-être qu'elle allait se rendre compte qu'elle venait de rêver toute la conversation et l'arrivée de Paul... Que Paul n'était pas encore là et qu'il n'y avait pas cette histoire étrange de vies inversées ? Que Paul n'avait pas eu cette sensation étrange qui l'avait conduit à lui rendre visite ? C'était possible, n'est-ce pas ? Ça devait bien l'être parce que Sophie avait besoin d'une explication et si l'autre Paul débarquait et qu'elle se retrouvait avec deux Paul, elle ignorait encore comment elle se l'expliquerait - et elle craignait de se retrouver dans une situation horrible dans laquelle la ville lui demanderait de choisir lequel était le vrai ou ce genre de bêtises.