Il était une fois...
Au premier jour du mois d’octobre 1989 naquirent quarante-trois enfants, dans des circonstances tout à fait… improbables. En effet, les mères de ces quarante-trois gosses n’avaient pas conscience d’être enceintes – déni de grossesse ? Rien de tel, non, un phénomène inexplicable, à l’image de ce que sera bientôt la vie de l’un des charmants bambins issus de ces multiples immaculées conceptions, j’ai nommé Klaus Hargreeves. Pourquoi Hargreeves ? Serait-ce le nom de sa pauvre génitrice, qui n’avait absolument rien demandé à personne ? Non, mais celui, en revanche, de Sir Reginald Hargreeves, milliardaire, excentrique, mais surtout psychopathe devant l’éternel, qui fit l’acquisition de sept de ces super-bébés dans l’intention de former sa propre équipe de super-héros. Ah, car oui, sans doute est-il nécessaire de le préciser, ces enfants sont nés avec des capacités exceptionnelles, votre serviteur compris.
Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept… Tous joyeusement numérotés par le paternel, ils ne servaient qu’une fonction, celle de jouer les justiciers en culotte courte. Le petit Klaus, numéro quatre de son état, autrement appelé The Séance (et si vous trouvez que le nom n’est pas terrible, dites-vous que ce pauvre Benny s’est fait nommer The Horror, donc en soi, Klaus ne s’en sortait pas si mal) a pour sa part le don de voir et de communiquer avec les morts, de quoi vous bousiller n’importe quel gosse en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Et bousillé, on peut dire que Klaus l’est, en effet.
Il y avait sans doute un paquet de gamins pour rêver d’être à leur place : des super-pouvoirs et des missions pour sauver le monde, que demande le peuple ? Sauf que l’enfance des Hargreeves était tout sauf dorée. On passera sur le majordome qui était en fait un singe génétiquement modifié (RIP Pogo), ou sur leur mère de substitution, Grace, androïde hypersophistiquée, ça, à la limite… Mais il faut que vous compreniez que dans l’intention de faire des Hargreeves de vraies machines anti-apocalypse, ce brave Reggie n’a pas hésité à… bon, parlons franchement, à torturer ses gosses pour obtenir d’eux ce qu’il attendait. Klaus garde un souvenir tout à fait traumatisé de ces heures passées enfermé dans un mausolée, hanté par la foule de morts qui squattaient là, harcelé de fantômes.
Leurs dons à tous se développaient, à l’exception de celui de Vanya, numéro sept, qui semble-t-il était une mauvaise pioche pour le père Hargreeves, car prodige du violon n’était pas considéré comme un pouvoir acceptable en cas de fin du monde (et pourtant). Certains géraient carrément, avec leurs pouvoirs, à l’exemple de Five, capable de se téléporter dans le temps et dans l’espace. Il les avait tous épatés, Five. Puis un jour, à l’encontre de l’autorité de Reggie, il a poussé le bouchon trop loin. Five a disparu, et la fratrie a cru qu’ils ne le reverraient jamais. Est-ce que ça a changé quelque chose pour le patriarche ? Visiblement non, la vie a continué, et c’était presque comme si Five n’avait jamais existé. Pour lui, peut-être, pas pour eux.
Et les missions se poursuivirent, encore et encore… et un jour… Un jour, Ben, Numéro Six, mourut. Quand ses quatre frères et sœurs restants pleuraient la mort de Ben, pour Klaus, c’était différent, parce que Ben n’a jamais quitté Klaus. Ce dernier a convaincu son fantôme de ne pas « suivre la lumière ». A partir de là, Ben et Klaus sont devenus un duo inséparable, pour le meilleur et pour le pire. Souvent le pire, il faut le reconnaître. Pas d’autre choix pour Ben, que Klaus était le seul à être capable de voir, que de vivre à travers les yeux de son frère, qui se gardait bien d’apprendre aux autres qu’il était toujours là, bien présent.
Après la mort de Ben, tout a changé. La fratrie s’est divisée, chacun a fait sa vie. Et la vie de Klaus a été à son image. Chaotique. Vous savez quel est le meilleur remède quand on est harcelé par les fantômes ? Eh bien je vous donne en mille, y en a pas. Mais la drogue aide. L’alcool aussi. Sous emprise, il a le spiritisme en berne. Véritable junkie, Klaus a fait de son fantôme de frère le spectateur impuissant de sa vie dissolue : entre prises d’acide, cures de désintox, overdoses et autres choix de vie pour le moins douteux, c’était presque miraculeux que Klaus ait vécu assez longtemps pour assister à l’enterrement de Reginald. Et on n’aura jamais connu de funérailles plus heureuses que celle-ci.
Le paternel avait clamsé, eh ouais, comme ça. Et ainsi, après… des années de silence, de ressentiments, de non-dits, la fratrie Hagreeves était de nouveau réunie. Toute. La fratrie. Hargreeves. Car oui, c’est le moment que Five a choisi pour faire son grand retour. Eux avaient tous pris un coup de vieux, depuis le temps, pas Five, il avait toujours l’air d’un ado en pleine puberté. Sauf qu’en vérité, Five se révèle être le plus vieux de tous. Venu d’un futur apocalyptique, il a vécu cinquante-sept ans dans son corps d’ado, à supporter les conséquences de l’Apocalypse et à planifier son retour, avec pour seule compagnie, un putain de mannequin – pas le genre qui défile sur les podiums, hein ! le genre vitrines de magasins, plutôt (faudra qu’ils aient une conversation à ce sujet, d’ailleurs). Bref ! Five a donc débarqué de nulle part, le tout pour leur apprendre que la fin du monde aurait lieu dans sept jours. Joie. Il peut s’en passer, des choses, durant ce laps de temps. On peut se faire kidnapper et torturer, par exemple. Pas la meilleure des expériences pour Klaus, au passage. Bon, il s’en est tiré, et en a profité pour embarquer avec lui une mallette que ses kidnappeurs avaient (mal) planquée – on sait jamais. Klaus, en l’ouvrant, espère un petit pactole. A la place, il se fait littéralement happer dans le passé.
Et le voilà en 1968, comme ça, sans explication, en pleine guerre du Vietnam. Et malgré lui, Klaus se retrouve embarqué en pleine bataille. Le souvenir le plus traumatisant de sa vie, ce pan de l’histoire qu’il n’aurait jamais dû vivre, s’accompagne de sa rencontre la plus belle et la plus marquante. Dave. Croyez-le ou non, c’est bien là, en pleine guerre du Vietnam, qu’il a vécu les plus beaux moments de son existence. Parce que Dave était là, et Dave était sublime, et Klaus en est tombé profondément amoureux. Et Dave est mort au combat, sous ses yeux, dans ses bras. Pour lui, dix longs mois se sont écoulés, dix mois au cours desquels il a vécu sa plus belle et tragique histoire d’amour, mais quand Klaus retourne dans son époque, personne n’a remarqué son absence, l’apocalypse est toujours imminente, et la fratrie part totalement en vrille.
A son retour, il prend la décision la plus « brillante » de son existence, opération sevrage. S’il est sobre, il pourra invoquer le fantôme de Dave et le revoir, pas vrai ? C’est ce qu’il espère, et n’en déplaise à sa fratrie, qui continue de ne pas le prendre au sérieux, mais en lieu et place de l’ectoplasme tant espéré, c’est le paternel qui lui apparaît, à grands renforts de sermons sur son potentiel gâché, avec supplément révélation quant au fait qu’il a planifié sa propre mort pour forcer la team Umbrella à se réunir de nouveau. Et le pire, c’est que le vieux Reggie n’avait pas tort, oui Klaus était loin d’avoir déployé tout son potentiel. Pour ça, il a fallu que Ben réussisse le tour de force d’en foutre une à son frère, chose techniquement impossible de la part d’un mort, non ? (On pardonnera à Ben, ça devait le démanger depuis un bon bout de temps, et il y a de quoi.)
Bon, et sinon, il était question de fin du monde à un moment donné, non ? Oui, on y vient, à l’apocalypse numéro un. Et, à la surprise générale, l’instigateur de cette apocalypse n’est autre que Vanya, la douce, tranquille *sans pouvoirs* Vanya qui se révèle être une bombe à retardement. Vanya est en réalité la plus puissante de la team Umbrella. Vanya n’est pas malveillante, non, mais ses pouvoirs, en revanche, dépassent l’entendement. Les Hargreeves ont fait tout leur possible pour empêcher ni plus ni moins que la destruction de la Lune, mais rien à faire. Ou si, une seule solution. Five, grâce à ses pouvoirs, téléporte la joyeuse fratrie dans le passé.
Plus précisément en 1960. En plein Dallas. Arrivé dans cette époque, Klaus réalise qu’il est seul, ses frères et sœurs ne sont pas avec lui. Enfin… Si, il lui reste Ben, son fidèle Ben, encore et toujours à ses côtés (pas qu’il ait spécialement le choix, mais s’il l’avait, évidemment qu’il resterait avec lui, pas vrai ?). Que faire, alors, perdus dans un autre temps ? On s’adapte. Et quand Klaus s’adapte, il ne fait pas les choses à moitié. Grand gourou de secte, voilà ce qu’il devient… Le prophète de toute une communauté qui le porte aux nues comme un nouveau messie. Et pendant trois ans, croyez-le ou non, Klaus est plus sobre que jamais. Et il y a une bonne raison à cela. Nous sommes en 1960. Huit ans avant sa rencontre avec Dave. Évidemment, Klaus ne peut résister à l’envie de le revoir. Pas son fantôme, mais un Dave en chair et en os, son Dave, encore vivant, et à qui il peut peut-être entendre raison, qu’il pourra peut-être convaincre de ne surtout, surtout pas s’engager dans cette fichue guerre qui ne lui apportera absolument rien. Et c’est ce qu’il a fait – contre l’insistance de Ben –, il est allé trouver Dave dans la quincaillerie où il travaillait. Et ça a été comme la première fois, ce sentiment fort, immédiat, impérieux. Mais ça ne servira à rien. Dave se rendra au Vietnam. Klaus sera incapable de lui sauver la vie. Au revoir sobriété. Faire le deuil de l’amour de sa vie pour la deuxième fois mérite bien d’envoyer balader toutes ses belles résolutions, qui de toute manière ne lui ont servi à rien.
Pendant trois ans, il a cru être arrivé seul dans ce lieu et cette époque, mais il comprend finalement qu’il n’en est rien, le reste de la fratrie a juste rejoint les temps et les lieux au compte-gouttes, en différé. Et chacun ou presque a refait sa vie dans ce contexte, jusqu’aux inévitables retrouvailles. Jusqu’à une nouvelle promesse de fin du monde. Parce que la première n’avait apparemment pas suffi. Si tu ne vas pas à l’apocalypse, l’apocalypse ira à toi, apparemment. Fini la rigolade, donc, et Klaus abandonne allègrement les membres de sa secte.
Apprendre la première fois que Vanya était à l’origine de la fin du monde a été un choc pour les Hargreeves. Un peu moins la deuxième, puisque oui, c’est bien elle, une fois de plus, qui est supposée provoquer ce nouveau cataclysme. La situation semble désespérée quand le carnage commence, tous cherchent à l’approcher, mais c’est finalement Ben qui y parvient, et traverse le champ d’énergie créé par Vanya pour sauver la situation. Vanya et le monde semblent sauvés. Pas Ben. Ben, lui, disparaît pour de bon. Cette présence constante, son camarade de… toujours, pour ainsi dire, n’est plus. Klaus a perdu Ben pour de bon. Quelques péripéties les attendent encore au tournant, mais au bout du compte, la Umbrella Academy semble avoir triomphé. Five ramène tout le monde au bercail, et…
Et… quoi ? Où est-ce qu’il est ? Cet endroit, Klaus ne le reconnaît pas. Il n’a pas la moindre idée de ce qu’il fiche là, ni d’où sont ses frères et sœurs. Il suppose qu’ils sont là, et s’ils recommencent comme à Dallas, ils pourront bien mettre dix plombes à se retrouver. Alors Klaus… erre… Il squatte au hasard des rencontres qu’il fait, il consomme, beaucoup. Pas de signe de Ben, évidemment, mais plus de trace non plus de ses pouvoirs. Ça le soulage en partie, mais pas totalement. Il est paumé. Encore plus que d’habitude, ce qui n’est pas peu dire.