La vie de Jodie prenait une tournure particulière depuis quelques semaines. Depuis des années, elle se sentait si seule, aujourd'hui, elle goûtait au plaisir de ne plus l'être. Lorsqu'elle avait choisi de mourir, en abandonnant Ryan, elle s'imaginait vivre en paix, auprès d'Aiden. Puis l'obscurité était arrivée. Et cette ville. Elle s'était réveillée dans cette foutue ville. Pas d'Aiden. Pas de Ryan. Plus d'entités. Plus de CIA. Rien. Juste elle. Juste une nouvelle vie ou un autre au-delà. Juste un sentiment de solitude terrible. Après des semaines difficiles, Jodie avait tenté de trouver un sens à cette nouvelle vie pour finalement s'enfermer dans une routine ennuyante. Ses rares amis avaient réussi à la faire tenir debout. Puis, elle était tombé sur eux. Sur lui. Elle voyait en cette famille, une chance d'avoir la sienne. Elle n'était pas leur soeur et ils n'avaient pas la moindre raison de l'accueillir dans leur famille. Pourtant, Five l'avait fait. Leurs problèmes avaient poussé l'homme à vouloir la protéger. Si le danger était réel, Jodie ne pouvait s'empêcher de se réjouir de ce qu'il lui offrait. Elle profitait de chaque seconde qui lui était donné parce qu'elle savait bien, qu'un jour, cette Vanya serait de retour. Ce jour-là, Jodie ne serait plus rien. Juste l'inconnue qui avait volé une place dans une famille qui n'était pas la sienne. Et, ce jour-là, alors, elle perdrait tout ce qu'elle avait gagné et retournerait à sa solitude de tous les jours. En attendant, elle profitait.

Pour la protéger, Five avait décidé que le mieux était de venir vivre avec elle quelque temps. Sans trop d'hésitation, la jeune femme avait accepté, bien trop heureuse d'avoir de la compagnie. Son appartement était minuscule, son salaire de serveuse ne lui permettant pas de se payer mieux, mais ça avait bien peu d'importance pour elle. Alors, il était venu. Il était là et Jodie aimait tout particulièrement ne plus être seule, goûtant à une vie presque normale après avoir toujours été à part - même s'il était là pour la protéger d'un homme qui pouvait la prendre pour sa fille et s'attaquer à elle, ce qui rendait la notion de normalité toute relative.

Rentrée en fin d'après-midi, après avoir travaillé, Jodie était seule à l'appartement. Five s'était absenté. La jeune femme appréhendait le jour où elle se retrouverait de nouveau seule entre ces murs. Il était facile de s'habituer aux bonnes choses, mais si difficile d'accepter leur perte, même si elle connaissait les risques et qu'elle les avait acceptés. Lorsqu'elle entendit le bruit de la porte et la voix de Five, Jodie sortit de sa chambre, où elle s'était allongée pour penser à tout ce qui se passait actuellement pour elle. « Tu aurais été le premier informé s'il s'était passé quelque chose, tu sais. » Affirma-t-elle doucement, tandis qu'il s'inquiétait de savoir si sa journée avait été bonne et s'il n'y avait aucun problème à signaler. « Et la tienne ? » Elle se laissa tomber sur le canapé, à ses côtés, tout en l'observant un instant. « Tu as faim ? » Demanda Jodie en voyant l'heure. Pour sa part, elle commençait à avoir faim, alors, avant même d'avoir sa réponse, elle se redressa. Les restes de la pizza de la veille au micro-ondes, Jodie sortit deux bières du frigo. Puis, debout dans la cuisine, elle se tourna vers Five, qui était de dos, installé dans le canapé. « T'as travaillé sur quoi aujourd'hui ? » Elle le voyait toujours en train de griffonner des choses ou de réfléchir à comment se protéger de son père. Il semblait toujours avoir l'esprit occupé par quelque chose et Jodie s'y intéressait parce qu'elle voulait s'intéresser à lui comme elle s’intéresserait à un membre de sa famille, parce qu'elle voulait vraiment qu'ils ressemblent à une famille, parce qu'elle ne voulait pas que tout tourne autour de risques potentiels qu'elle prenait en ressemblant à sa véritable soeur.

Comme une vraie famille, Jodie tentait de s'intéresser à la journée de Five. Pas seulement parce qu'il aurait pu être attaqué ou parce qu'il aurait pu être en danger, mais parce qu'elle avait envie de s'intéresser aux choses qui paraissaient avoir moins d'importance. Elle avait envie de vivre le plus normalement possible et ne pas seulement imaginer qu'il était juste là pour la protéger d'un potentiel danger. Au moment de lui répondre, à propos de sa journée donc, Five ne semblait pas convaincu. La jeune femme n'insista pas davantage, ne voulant pas l'ennuyer ou paraître insistante. Alors, à la place, elle lui demanda s'il avait faim. Pour sa part, elle commençait à ressentir la faim et peut-être pourraient-ils discuter autour des restes de la pizza de la veille pour rendre l'instant plus agréable et convivial ?

Debout, dans la cuisine, Jodie attendait que le plat se réchauffe. Histoire de faire la discussion et parce que ça l'intéressait réellement, elle demanda à Five ce qu'il avait fait de sa journée, plus précisément. Toujours installé dans le canapé, ce dernier s'était tourné vers elle pour lui faire face, avant de répondre. A son soupir et à l'air qu'il prit, Jodie avait compris, avant même qu'il n'en parle, que sa journée n'avait pas été aussi productive qu'il l'aurait aimé. Comme tout le monde ici, il se sentait perdu. Incapable de comprendre. Et ça le bouffait bien trop. Avant que la jeune femme ne puisse répondre quoi que ce soit, Five se téléporta à ses côtés et attrapa sa bière. Elle s'était plutôt rapidement habituée à le voir faire ça et elle souriait de ce qu'elle supposait être de la fainéantise.

L'homme avait repris la parole pour expliquer à quel point il était têtu et comme il ne savait pas abandonner. Jodie réfléchissait à chacune de ses paroles, sans rien répondre, même lorsqu'il se stoppa pour boire. Elle comprenait son envie de comprendre pour rentrer. Elle comprenait autant qu'elle détestait. Finalement, avant que Jodie n'ouvre la bouche, il en était arrivé à la conclusion que ce n'était pas si mal ici. Aussitôt, Jodie tourna son regard vers lui, presque heureuse d'entendre ses mots. Bien sûr, ici ce n'était pas chez lui. Ici, il y avait le danger qu'il courrait à cause de son père... Mais ici, elle l'avait pour elle et ça, égoïstement, elle n'avait pas envie de le perdre. « Et... Si tu pars... On se verra plus... » Souffla-t-elle, sans trop réfléchir, mais pleine d'hésitations. « Mais c'est normal... T'as envie de retourner chez toi, j'comprends. » Lança-t-elle dans un haussement d'épaules qui se voulait détendu. « Moi, y a rien qui m'attend si j'retourne là-bas. » Elle était morte, alors à moins de retourner dans l'au-delà et de retrouver son frère, rien ne l'attendait. Et si elle rêvait de retrouver Aiden, elle prenait goût à ce qu'était réellement la vie ici, depuis que Five en faisait partie. Puis, dans son monde, l'obscurité était en train de tout détruire avant son arrivée, même l'autre monde. L'obscurité avait même peut-être tout détruit, provoquant son arrivée ici. Elle n'en savait rien. En revanche, lui, avait peut-être une vie là-bas. Une vie qui n'attendait que son retour pour reprendre son cours. « C'est ce qui fait de toi quelqu'un de si spécial... Ta détermination, ton entêtement, ta façon de ne jamais abandonner... » Assura-t-elle avant de boire une gorgée de sa bière. Déterminé et têtu, des défauts autant que des qualités. Jodie aimait voir sa détermination à toute épreuve. Elle aimait voir son investissement. Et heureusement qu'il était comme ça ! Sans ça, jamais il ne serait venu vivre ici pour la protéger. Jamais, elle n'aurait pu goûter à ce genre de vie, à la sensation d'avoir, enfin, une famille. « Tu finiras par comprendre. Je te fais confiance pour ça. » Dit-elle finalement, lui tournant le dos pour récupérer le contenu du micro-onde - mais surtout pour qu'il ne puisse pas lire, dans ses yeux, qu'elle n'avait pas tellement envie qu'il comprenne et qu'il trouve une solution pour quitter cet endroit. Parce qu'elle n'avait pas le droit de lui faire ça. Elle n'avait pas le droit d'exiger sa présence. Il avait le droit de rentrer chez lui et de la laisser ici parce qu'elle n'était pas réellement sa famille.

Il était logique de voir Five vouloir rentrer chez lui. Jodie n'avait pas le droit d'être égoïste au point de vouloir qu'il reste ici, avec elle, éternellement. Cette situation n'allait pas durer, il fallait qu'elle le comprenne. Ils n'étaient pas chez eux. Un jour, cette lune rouge les renverrait peut-être dans leur véritable monde. Peut-être que quelque chose attendait Five. Rien n'attendait Jodie à part la mort, le vide, l'obscurité. Ici, elle goûtait au plaisir d'une famille et d'une autre vie, une vie à laquelle elle n'avait jamais eu le droit. Pourtant, même si Five était en grande partie responsable de cet état, elle ne pouvait pas lui interdire de renter chez lui. « Je suppose que... Si ça doit être comme ça... C'est pas une mauvaise chose, tu seras chez toi. » Ils ne se verraient plus et cela rendrait Jodie malheureuse, mais si c'était ce qui les attendait, alors elle devait l'accepter. De toute façon, elle ne pouvait rien faire contre, donc autant se faire à l'idée. Puis, en ayant en tête qu'il serait rentré chez lui, comme il le voulait, elle tentait de se rassurer. Si c'était une mauvaise chose pour elle, ça n'en était pas une pour lui.

Jodie restait silencieuse un instant, ayant remarqué, à son expression, que Five était en train de réfléchir. Au bout d'un certain temps, où Jodie était restée silencieuse et s'était contentée de boire silencieusement, Five se reconcentra sur elle. La jeune femme s'était donc remise à parler. Elle poursuivait ses explications et lui disait ce qu'elle pensait, comment elle le voyait, comment il était, à ses yeux. Le jeune homme était plutôt silencieux, l'observant simplement, dans un premier temps du moins. Dès qu'il avait repris la parole, il avait expliquait à Jodie qu'il faisait ça pour les gens qu'il aimait. Bien sûr, il aimait ses frères et soeurs, il faisait ça pour les renvoyer chez eux. C'était normal. Jodie n'avait pas à entrer dans l'équation, elle le savait. Malgré toutes les raisons qui le poussaient à faire ça, Five semblait perdu. Et Jodie n'aimait pas voir ce sourire sur son visage. Triste. Perdu. Non. Elle n'aimait pas le voir comme ça et elle se sentait responsable d'avoir lancé la conversation. « Tu seras toujours important pour eux, ici ou là-bas, avec ou sans combat à mener. T'es leur frère. T'auras toujours une raison de rester à leurs côtés. » Parce que c'était bien ça qui le perturbait, non ? C'était ça son inquiétude, ce qui se passerait après ? Il trouverait. Il s'habituerait. Il apprendrait à vivre d'une nouvelle façon. Sans problème à résoudre, sans apocalypse à éviter. Juste vivre.

Pouvait-il réellement dire qu'il se fixait un mauvais objectif ? Il voulait rentrer chez lui et amener sa famille avec lui. Rien de plus normal. Il lui fallait juste comprendre qu'il apprendrait à vivre, avec le temps. Ici ou là-bas, en réalité. Comme Jodie le faisait chaque jour. Ou comme elle tentait de le faire, plutôt, malgré les difficultés que cela représentait. Néanmoins, Jodie avait l'impression, tout de même, que Five était en train de réaliser que son objectif n'était pas celui sur lequel il devait se focaliser pour le moment - et Jodie devait avouer que cette idée lui plaisait drôlement parce qu'elle lui donnait du temps avec lui. Sa famille n'était pas encore au complet. Il devait donc en faire son objectif premier pour ne laisser personne derrière lui. Ça, elle pouvait le comprendre. Une fois qu'il serait tous ici, avec lui, alors, peut-être, qu'il devrait reprendre ses recherches pour quitter cet endroit. Pas avant.

Jodie ne parlait plus. Elle le laissait réfléchir et parler. Finalement, il se rapprocha d'elle pour en arriver à sa conclusion : et si, chez lui, il n'y avait plus rien ? Si l'apocalypse avait déjà tout emporté ? Gagné ? Étrangement, même si elle souhaitait garder cette nouvelle famille à ses côtés, elle souhaitait tellement qu'il puisse obtenir ce qu'il voulait et, donc, son monde, en parfait état. « C'est normal de vouloir comprendre. J'aimerais comprendre où je suis, ce que cet endroit veut... Parce que c'est effrayant de ne rien savoir. C'est effrayant de ne pas savoir si nous sommes ici pour toujours ou non. A quel point nous sommes en danger... Notre arrivée ne peut pas être un hasard, il doit y avoir une explication, une raison... » Donc, non, elle comprenait son désir de comprendre. Moins celui de partir, c'était vrai. Mais pourquoi étaient-ils là ? Pour combien de temps ? Cet endroit était dangereux, mais à quel point ? Comment avait-elle pu revenir à la vie ? Était-elle en vie, d'ailleurs ? « Et lorsque tu auras retrouvé tous les tiens, si tu veux rentrer chez toi, je... » Elle soupirait, légèrement, en posant les yeux sur sa bière plutôt que sur lui. « Je te soutiendrai et je t'aiderai autant que je le peux. » Parce qu'il méritait d'obtenir ce qu'il voulait et d'être heureux après tout ce qu'il avait déjà fait pour elle. « Mais, en attendant, je préfère ne pas penser au jour où tu ne seras plus là. » Avouait-elle, presque gênée de faire preuve de tant de sentiments, elle pour qui ce n'était pas du tout une habitude. Alors pour échapper à ce qu'elle venait de dire, Jodie attrapa le plat avec la pizza réchauffée dans une main, sa bière toujours dans l'autre et se dirigea à toute vitesse vers le canapé. « Allez, viens manger. » Ce n'était pas maintenant qu'ils allaient résoudre tous les problèmes ou comprendre le pourquoi ils étaient ici, alors autant manger et remettre cette discussion à plus tard.

Jodie n'aimait pas voir Five dans cet état. Elle n'aimait pas le savoir perturbé ou perdu. Il doutait et se posait beaucoup de questions à propos de cet endroit, de chez lui et de sa famille. Ils étaient nombreux à s'en poser. Certains s'étaient faits à l'idée de vivre définitivement ici. D'autres se battaient sans relâche pour retrouver leur monde d'origine. Jodie aurait aimé retourner chez elle, pour retrouver certains de ses proches, mais elle savait que plus aucune vie ne l'attendait là-bas. Elle y était morte. Alors, elle préférait essayer de comprendre ce qui s'était passé, où ils étaient et rester ici. Au moins, ici, elle était en vie. Enfin, ça y ressemblait du moins. Et surtout, ici, elle avait la possibilité de découvrir de nouvelles choses. Five lui offrait une partie de ces nouvelles choses. De la normalité - malgré tout ce qui se passait dans leur vie. Une famille. Jodie y prenait un certain goût. Ce n'était pas déplaisant de vivre avec quelqu'un, même dans un minuscule appartement. Ce n'était pas déplaisant de ne plus manger seule, d'avoir quelqu'un à qui parler et se confier, d'avoir quelqu'un pour vous protéger. Ce n'était pas déplaisant de se sentir protégée et appréciée. C'était reposant, même, quelque part. Reposant de savoir que quelqu'un vous attendait, que quelqu'un se faisait du soucis pour vous. Rassurant, aussi, de savoir que vous n'étiez plus seule. La solitude. Jodie y avait goûté à de trop nombreuses reprises. C'était un sentiment terrible, nécessaire parfois, insupportable la plupart du temps. Non, maintenant qu'elle avait Five dans sa vie, la solitude, elle n'avait plus envie d'y goûter et, pourtant, elle savait bien qu'il finirait par partir. Il n'était là que temporairement - et ce qu'elle pouvait prier pour que ce temporairement dure éternellement. « T'es un petit génie, Five. Personne ne comprend rien à cet endroit. Alors arrête un peu de t'en faire. » Parce que oui, être un génie ne semblait pas suffisant pour déchiffrer les mystères de cette île. Alors, il ne devait pas s'en faire - plus facile à dire qu'à faire, oui - parce que ça ne changeait rien à l'amour que sa famille lui portait ou à ses talents.

Mais il s'en faisait parce que Five semblait toujours s'en faire. Il semblait incapable de se poser, de s'arrêter. Incapable de dire stop et de se reposer. Au point où il devait comprendre pour essayer de rentrer. Rentrer. Bien sûr qu'il voulait rentrer chez lui. Jodie, alors, le perdrait. Mais elle ne pouvait pas lui interdire. Elle ne pouvait pas le retenir. Alors, elle devait faire comme si elle comprenait et acceptait l'idée. Pourtant, Jodie entrapercevait quelque chose qui lui plaisait. Un doute. Une envie de, peut-être, rester. Elle s'en réjouissait intérieurement et essayait de ne rien montrer. Avait-elle un espoir alors ? Pouvait-elle se le permettre ? Elle s'était déjà préparée à souffrir de son départ, peut-être était-ce mieux de garder ça en tête et d'éviter d'espérer inutilement ? A ses réflexions à propos de sa fatigue de voyager et de son frère, Klaus, qui ne voudrait sans doute pas partir, Jodie n'avait rien ajouté. L'amour. Elle avait tendance à trouver que c'était une belle connerie. Elle avait aimé pourtant. Une fois. Ryan. Et elle l'aimait encore, quelque part. Mais il lui avait fait tellement de mal. Il l'avait trahie. Puis, il avait essayé de se racheter. Et elle était morte, préférant son frère à celui qu'elle aimait. Alors, l'amour, ça valait vraiment le coup au fond ?

Alors elle ne répondait rien, se contentant de lui lancer un sourire tout en lui disant de manger. Que pouvait-elle dire d'autre ? Elle venait de lui dire qu'elle craignait le jour où il partirait. Il venait de lui partager ses doutes à propos de son envie de quitter cet endroit... Continuer à en discuter, c'était éveiller un espoir que Jodie se refusait à garder. Elle était prête à souffrir, mais pas à cause d'un espoir disparu. Non. Ça, c'était trop lui demander. Jodie avait attrapé son assiette et s'était dirigée vers le canapé pour s'installer. Five était venu s'installer à ses côtés et il s'était excusé. Les yeux de Jodie s'étaient relevés vers lui pour l'interroger silencieusement. Il s'excusait pour ? Lui avoir fait de la peine en évoquant son départ ? Mais, sans la regarder, il avait repris pour détailler le fond de sa pensée. La jeune femme le laissait parler. Elle n'intervenait pas. Ne l'interrompait pas. Elle aimait ce qu'elle entendait et elle ne pouvait s'empêcher de sourire, touchée. Lorsqu'elle entendit la voix de Five s'étrangler, elle avait baissé les yeux. Ils n'étaient pas spécialement doués pour dire ce genre de choses et ça se ressentait, mais il faisait un effort. Un effort qu'elle appréciait. Ses mots étaient accompagnés par ses gestes, il venait serrer sa main dans la sienne. Il ne mentait pas. Elle le sentait. Elle le savait. Elle ne pouvait pas expliquer pourquoi ou comment, mais elle le savait. Elle pouvait avoir confiance en lui.

Puis, un peu rapidement, il avait retiré sa main de la sienne pour se pencher et attraper son assiette. Jodie se sentait mal à l'aise et restait silencieuse. Les mots que Five avaient prononcé tournaient en boucle dans son esprit. Ses yeux contemplaient avec une admiration exagérée cette part de pizza qu'elle avait devant elle et qui, soudainement, prenait une importance toute particulière. En se concentrant sur ça, elle se donnait une bonne raison d'être si longue à formuler une réponse. Que devait-elle dire ou répondre ? Devait-elle répondre quelque chose, d'ailleurs ? Un silence gênant s'était installé. Elle non plus, elle n'avait pas envie qu'il parte. Elle aussi, elle avait envie qu'il reste près d'elle pour toujours. Sauf que Five devait faire sa vie. Il avait une famille. Il n'était là que pour un temps, pour la protéger. « T'es plus un étranger... pour moi non plus. » Avait-elle fini par souffler, bien trop longtemps après la fin de cette conversation. « Et, il n'y a rien qui pourrait me faire plus plaisir que savoir que tu aimerais rester là, avec moi. » Elle lui avait déjà dit, d'une certaine manière, mais elle le confirmait à nouveau. « Je... Enfin... Je tiens à toi. Je... » Pourquoi les choses n'étaient pas évidentes ? Pourquoi ne se devinaient-elles pas toutes seules ? Pourquoi fallait-il toujours formuler ces choses si difficiles à expliquer que des émotions ou des sentiments ? « Je me sens bien quand t'es là. Je me sentais seule avant et... Plus maintenant. Je suis heureuse depuis que tu es ici. » Admettait-elle, n'osant pas affronter son regard. « Comme je ne l'avais pas été depuis... une éternité. » C'était une façon maladroite de le remercier et de lui dire qu'il était important pour elle. Elle n'était plus seule. Elle avait l'impression d'avoir gagné une famille et quelqu'un sur qui compter. Jodie n'avait jamais réellement été seule. Aiden avait toujours été là, flottant quelque part autour d'elle. Puis, elle avait accepté de mourir pour le rejoindre et il avait finalement disparu quand elle s'était éveillée dans cette ville. Pour la première fois alors, elle avait goûté à la solitude. C'était pesant. La présence permanente d'Aiden lui avait causé bien des soucis et bien des moments gênants, mais ce n'était rien à côté de la solitude. Vivre seule. N'avoir personne à qui parler. N'avoir personne pour se protéger. Pour être soutenue. Depuis l'arrivée de Five dans son appartement, elle souriait. Elle plaisantait. Elle apprenait à vivre. Pas d'entités. Pas de pouvoir. Pas de CIA. Pas de poursuite. Juste une vie. Simple. Banale - enfin, presque. Mais pas désagréable.

Les mots de Jodie, plutôt que de lui faire du bien, semblaient le perturber. Elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait pas pourquoi il se levait si brutalement ou pourquoi son visage avait cette expression. Elle pensait n'avoir rien dit de mal, pourtant. Pour toute réponse à ses confidences, Jodie avait obtenu un j'ai pas le droit. Pas le droit de quoi ? Jodie n'osait pas lui poser la question. Elle le laissait se diriger vers la cuisine, tandis qu'elle posait, à son tour, son assiette et qu'elle se mettait debout, devant le canapé, n'osant pas vraiment s'approcher de lui de peur qu'il ne la rejette plus encore. Il était silencieux. Beaucoup trop pour Jodie qui ne comprenait plus rien et qui ne pouvait qu'attendre, silencieuse et angoissée par ce qu'elle ne comprenait pas.

Après un certain temps, il avait repris la parole. Les premiers mots de Five ressemblaient davantage à un poignard planté en plein coeur qu'à ce qu'ils étaient réellement. Aux yeux de Jodie, il était en train de lui reprocher de ne pas être Vanya. Aux yeux de Jodie, il avait tenté de retrouver sa soeur à travers elle et il remarquait comme elles étaient différentes alors il la rejetait, malgré tout ce qu'il venait de lui dire. Tout se mélangeait en elle. Alors qu'il poursuivait, Jodie ne comprenait plus rien. Elle avait l'impression que rien de ce qu'il pouvait dire n'allait ensemble. Elle avait l'impression que ses mots n'avaient pas le moindre sens - ou qu'elle refusait de les comprendre. Il la rejetait parce qu'elle n'était pas sa soeur et il lui disait comme il se sentait bien ici. Il lui disait qu'il préférait partir parce qu'il était heureux et qu'il n'en avait pas le droit. Peu à peu, les mots prenaient alors tout leur sens : il culpabilisait. Il culpabilisait d'être heureux avec une remplaçante plutôt qu'avec sa véritable soeur. Elle avait été stupide, une fois de plus.

Ils étaient si bien, là, tous les deux, dans cet appartement, mais il gâchait tout. « T'es qu'un putain d'enfoiré Five ! » Avait fini par souffler Jodie, tout en tentant de retenir ses larmes, trop blessée pour se dévoiler faible devant lui. « J'suis désolée de pas être elle. J'suis désolée de ne pas avoir pu te donner ce que tu cherchais en t'accrochant à moi. » S'il s'attendait à retrouver une version presque identique de sa soeur, il n'avait pas frappé à la bonne porte parce que Jodie n'avait pas la moindre intention de changer pour lui. « Tu culpabilises parce que t'es bien ici, avec moi, et t'as l'impression de la trahir, mais j'y suis pour rien, merde ! » Il n'avait pas besoin de lui dire tout ça, comme ça. Il aurait pu, simplement, lui dire qu'il préférait partir plutôt que de lui faire espérer autre chose avant de lui claquer qu'elle n'était pas celle qu'il voulait. « J'te retiens pas, j'veux surtout pas que tu fasses quelque chose que tu regretteras. Alors dégage. Dégage, j'veux plus jamais te voir. Parce que j'suis pas ta soeur et je ne serai jamais ta soeur. Tu trouveras pas ce que tu cherches ici. J'ai pas besoin de toi. J'ai jamais eu besoin de personne ! Alors dégage ! Sors de chez moi ! » Elle s'emportait si vite, mais il l'avait tellement blessée parce qu'elle avait interprété ses propos de la mauvaise façon. Elle s'était pourtant préparée à le voir partir dès qu'il aurait retrouvé sa véritable famille, mais, en réalité, c'était beaucoup trop tôt et beaucoup trop douloureux d'être ainsi rejetée par cet homme auquel elle s'était attachée au fil du temps. C'était beaucoup trop douloureux d'être comparée à une inconnue et de recevoir tant de reproches parce que vous n'étiez pas elle et que vous n'étiez pas suffisante.

Jodie perdait son calme. Elle se sentait dépassée par tout ce qui était en train de se passer. Alors qu'elle passait un début de soirée agréable, Five s'était braquée face à quelque chose qu'elle ne comprenait même pas. Elle ne comprenait rien à ce qui était en train de se passer, à pourquoi les choses avaient tant dégénéré. Il prenait de la distance, il lui disait qu'elle n'était pas Vanya... Et, forcément, elle avait l'impression d'y lire un reproche. Elle avait l'impression qu'il aurait aimé voir Vanya en Jodie, une sorte de remplaçante à sa soeur disparue. Comment aurait-elle pu voir ou comprendre autre chose, après tout ? Tout ce qu'elle voyait, c'était un homme agité, incapable de rester en place, lui reprocher ce qu'elle n'était pas et lui dire que les choses ne pouvaient pas continuer ainsi.

A sa réponse, Jodie se perdait davantage. Il lui parlait de Vanya, mais il lui demandait de ne pus en parler parce qu'elle n'avait rien à faire dans cette histoire. Il se foutait d'elle ? « Putain, mais c'est toi qui... » Agacée par tant d'incompréhension, la jeune femme n'avait pas terminé sa phrase. A quoi bon ? Il savait parfaitement qu'il avait été le premier à l'évoquer, lui dire n'apporterait rien à la conversation. A elle de déchiffrer, semblait-il, pourquoi il lui parlait de sa soeur sans que sa soeur n'ait de lien avec ce qui était en train de se passer. Autant dire qu'elle allait avoir besoin d'un peu d'aide - ou d'un miracle.

Ou, plutôt que de l'aide, elle avait besoin qu'il parte. Elle avait besoin d'être seule. Elle lui hurlait dessus pour qu'il quitte son appartement, lui assurant qu'elle n'avait nul besoin de lui dans sa vie et qu'il n'obtiendrait jamais d'elle ce qu'il désirait tant - à savoir, selon elle, d'être la parfaite réplique de sa soeur. Jodie était profondément blessée et touchée par ce qu'ils étaient en train de se dire. Elle avait su, dès le départ, que les choses se finiraient entre eux parce qu'elle n'était pas réellement sa famille. Néanmoins, elle ne s'était pas imaginée se prendre une pluie de reproches, elle ne s'était pas imaginée que tout arriverait si tôt et, finalement, elle n'était pas prête à supporter cette douleur. Elle ne voulait pas le perdre.

Plutôt que de répondre à sa demande et partir, Five restait là, debout devant elle. Il lui demandait de l'écouter. A quoi bon ? Pour en entendre davantage ? Elle n'était pas certaine d'en avoir envie. Elle avait envie qu'il sorte pour pouvoir s'effondrer et pleurer. Rien d'autre. Pourtant, elle n'ajoutait rien et elle le laissait s'expliquer, sans savoir pourquoi. Il tentait alors d'expliquer pourquoi il ne la considérait pas comme Vanya. Il la voyait comme Jodie, un être à part entière et bien diffèrent de sa soeur. Pourtant, il trouvait toujours un problème à toute cette histoire. Plus les explications avancées, depuis le début de cette conversation, plus Jodie était perdue et ne comprenait plus rien. Il tournait autour, sans jamais lui donner d'explications claires.

Alors qu'elle s'apprêtait à lui répéter de partir, parce que la conversation tournait en rond, il reprit la parole. Sans la préparer à ce qu'il allait dire, il lâcha une information à laquelle elle ne s'attendait pas. Incapable de réagir ou de dire quoi que ce soit tout de suite, le temps pour elle d'imprimer et de comprendre les mots de Five, Jodie était restée là, debout, plantée devant lui. En silence, ils se regardaient l'un et l'autre. Alors qu'elle n'avait toujours rien dit, il s'excusa. Jodie n'avait pas la moindre idée du temps qui s'était écoulé depuis son annonce, mais elle se trouvait toujours aussi incapable d'agir ou de faire quoi que ce soit. Elle n'avait jamais rien soupçonné, mais tout à coup, les mots de Five prenaient tout leur sens. Elle comprenait ce qu'il lui disait depuis le début de cette conversation. « Non. » Avait-elle finalement lancé dans un souffle, sans trop savoir ce que ce mot signifiait dans cette situation précise.

Elle ne pouvait pas ne rien dire. Elle ne pouvait pas le laisser sans réponse et, pourtant, elle ne savait pas ce qu'elle pouvait répondre. Il lui avait ouvert son coeur et elle était incapable de savoir ce qui se passait en elle. Jodie n'avait aucune envie de le rejeter, mais elle ne pouvait s'empêcher de se rappeler qu'il la prenait pour sa soeur, au départ. C'était une situation difficile à gérer et à accepter. « Tu ne peux pas, c'est... » Avait-elle soufflé, en baissant le regard. Et pourtant, il avait bien dit qu'il la voyait comme Jodie et non plus comme Vanya. Cette phrase prenait désormais un autre sens et une toute autre importance. Mais est-ce que ça changeait vraiment quelque chose ?

Incapable de lui faire face plus longtemps, la jeune femme s'était assise dans le canapé, lui tournant ainsi le dos. « Je suis désolée de m'être emportée. » Comme s'il n'y avait que ça qui comptait, comme s'il n'y avait pas autre chose à dire ou à répondre. Et, en même temps, que pourrait-elle lui dire dans une telle situation ? Elle se passait une main sur le visage, ignorant ce qui allait se passer désormais qu'un tel aveu avait été fait. Les choses ne pourraient plus jamais être comme avant, c'était une certitude. « Je... Je ne sais pas quoi te dire, Five... » N'était sans doute pas la réponse qu'il attendait d'elle, mais elle ne savait pas quoi lui dire d'autres. Elle n'avait jamais envisagé ce genre de choses et elle se retrouvait totalement perdue face à ce genre de sentiments, face à ses propres sentiments. « Je n'avais jamais imaginé que tu pouvais... Enfin, tu comprends ? Je ne sais pas... Je sais pas... » Avait-elle ajouté aussitôt, maladroite et hésitante, complètement perdue.

Jodie n'avait jamais envisagé la possibilité que l'un ou l'autre ne développe ce type de sentiments. Il n'y avait donc rien de surprenant à la trouver incapable de répondre quoi que ce soit face à une annonce si brutale. S'il y avait bien une chose qu'elle ne pouvait pas lui reprocher, c'était son manque de franchise. La jeune femme ignorait depuis quand il s'était rendu compte de tout ça, mais il avait fini par lui dire après avoir tourné un peu autour du pot. Les réponses de Jodie n'étaient pas, alors, ce qu'elles auraient dû être. Des choses les séparaient, des choses importantes. Physiquement, il n'était qu'un jeune adulte. Physiquement, elle ressemblait beaucoup trop à sa soeur. Jodie lui disait alors qu'il ne pouvait pas, sans être capable de poursuivre sa phrase. Tout était en train de se mélanger en elle et elle ne voulait surtout pas lui faire de mal.

Incapable de contrôler les émotions qui la submergeaient et qui l'envahissaient, Jodie avait fini par se rasseoir et lui tourner le dos. Ce n'était peut-être pas le plus correct dans ce genre de situation, mais elle n'avait pas la tête à penser à ce genre de détails. Alors qu'il attendait certainement une réaction à ce qu'il venait de lui annoncer, elle n'avait rien trouvé de mieux à faire que s'excuser de s'être emportée. Après tout, avec les aveux en mains, elle comprenait désormais mieux le sens de ce qu'il lui avait dit juste avant. Elle avait été totalement à côté de la plaque en s'emportant, mais elle n'avait pas eu idée de ce qui se cachait derrière tout ça.

Désormais, elle savait. Elle savait et elle était incapable de réagir correctement. Maladroite et confuse, Jodie tentait de lui dire qu'elle ne savait pas quoi lui répondre parce qu'elle ne s'y attendait pas. Toute colère avait disparu. Il ne restait que ses doutes, ses questions et toutes ses émotions qui l'envahissaient et sur lesquelles elle n'était même pas capable de mettre les bons mots. Five gardait ses distances et le silence, durant un certain temps. Sans oser se retourner pour affronter son regard, lorsqu'il reprit la parole, Jodie avait redressé la tête pour lui montrer qu'il avait toute son attention. Il lui donnait alors des explications. Il n'attendait rien d'elle. Il voulait simplement lui partager ses sentiments et arrêter de se mentir. Il ne comprenait pas, lui non plus, ce qui était en train de lui arriver, ce qui compliquait évidemment tout davantage.

Jodie était toujours incapable de répondre. Jamais elle n'aurait pu se préparer à passer une telle soirée, elle qui avait eu hâte de voir Five rentrer pour passer le même genre de soirée que toutes les autres, devant la télé ou à discuter de tout et de rien, à rire et à parler de leur vie passée. A la place, ils en étaient là. Si elle voulait qu'il parte, il partirait. Il ne voulait pas que les choses deviennent compliquées, mais ne l'étaient-elles pas devenues dès l'instant où il lui avait avoué ce qu'il ressentait ? Lui-même avait conscience de la particularité de ses sentiments. Il en parlait comme quelque chose de dérangeant. Puis, il tentait même de les expliquer, de les justifier. Comme s'il était réellement possible de justifier des sentiments de cette nature, les sentiments naissaient sans la moindre logique, sans la moindre explication, ils étaient juste là. Selon lui, la situation et l'endroit pouvaient peut-être justifier tout ça. Il n'avait jamais été aussi proche de quelqu'un, mais avec elle, il réussissait à se projeter dans une vie qu'il n'avait jamais imaginé auparavant. Chaque information s'imprimait en elle et elle tentait de mettre de l'ordre dans ses idées, en vain. « Non. » Avait-elle soufflé alors après avoir poussé un soupir. « Non, ce n'est pas stupide. » Ajoutait-elle. Il partageait ses sentiments les plus profonds et Jodie ne trouvait pas ça stupide. Surprenant, oui. Étrange, oui. Stupide, non. « J'aimerais que tu restes, Five. » Souffla-t-elle en affrontant enfin son regard, se tournant légèrement pour lui faire face. « Mais... Je ne veux pas que les choses soient insupportables pour toi. » Vivre côte à côte sans savoir ce qu'ils étaient réellement, était-ce seulement possible, tant pour l'un que pour l'autre ? « Peut-être que... Peut-être que c'est parce qu'on vit tous les deux ici ? C'est minuscule, on passe tout notre temps libre ensemble dès qu'on est à l'appartement... Alors, tu te trompes peut-être. » Tentait-elle de justifier les sentiments de Five en les mettant sur le dos de la taille de l'appartement qui les forçait à être ensemble dès qu'ils étaient là. « Tu l'as compris depuis longtemps ? » Ne pouvait-elle s'empêcher de demander. Ça n'avait pas beaucoup d'importance en réalité, mais elle voulait savoir si c'était quelque chose dont il avait déjà conscience avant de venir vivre ici ou non. Puis, elle avait besoin de remettre de l'ordre dans ses idées, de comprendre, de mettre des mots sur les différentes situations, de savoir s'il y avait déjà eu des signes qu'elle n'avait pas remarqués.

Five aurait certainement préféré que Jodie partage davantage ce qu'elle ressentait elle-même ou qu'elle lui dise plus clairement ce qu'elle ressentait par rapport à ses aveux, néanmoins, elle n'en était pas capable. Il était plus que difficile pour elle de mettre de l'ordre dans ses idées et de comprendre le lot d'émotions qui l'avait envahie dès l'instant où Five avait prononcé ces quelques mots. Elle trouvait ça étrange, parce qu'à ses yeux, elle s'était toujours imaginée que Five voyait une sorte de sous-version de sa soeur. Pourtant, il venait bel et bien de lui affirmer que ce n'était pas le cas : elle était Jodie, qu'importe ses ressemblances avec Vanya. Il la voyait elle, il voyait ce qu'elle était et qui elle était et il ne voyait pas que ce qu'elle représentait, il ne voyait pas que son physique. Jodie, quant à elle, ne s'était jamais posée la question de ses sentiments envers Five. Jusqu'à présent, tout lui avait semblé extrêmement naturel et logique, mais qu'en était-il réellement ? C'était impossible à déterminer, pas maintenant, pas avec tout ce qui était en train de l'envahir. Tout ce dont elle était certaine, c'était qu'elle ne voulait pas le voir partir. Jodie tenait sincèrement à Five. Elle s'était attachée à lui et le voir partir était une épreuve bien trop difficile. Pourtant, s'il fallait penser au mal qu'il se faisait peut-être en restant ici, Jodie était prête à sacrifier ses propres sentiments et son propre bien-être, évidemment. Alors oui, elle voulait qu'il reste, mais pas au détriment de son bien-être à lui. « On ne contrôle pas ses sentiments, Five. » Tenta-t-elle de le rassurer avec ces quelques mots. Certains sentiments devaient l'être, mais l'amour ne se contrôlait pas. Ils trouvaient cela étrange, tous les deux, parce qu'elle ressemblait à sa soeur, mais elle ne l'était pas. Alors, il jugeait qu'il ne devrait pas ressentir tout ça - et peut-être avait-il raison, Jodie n'en savait rien - mais il ressentait ça pour ce que Jodie représentait et était à l'intérieur, pas pour ce qu'elle représentait à l'extérieur. C'était une situation difficile pour laquelle la jeune femme ignorait comment ils s'en sortiraient mais elle voulait croire qu'ils allaient réussir.

Afin de continuer leur conversation, Five était revenue près de Jodie, s'installant face à elle, sur le fauteuil. Jodie, pour le rassurer - et sans doute pour se rassurer un peu, également - tentait de trouver des explications à ses sentiments et elle jouait donc la carte de la proximité dans un endroit si étroit. Peut-être que ça avait pu jouer, non ? Elle ne savait peut-être pas ce qu'elle pensait de tout ça, mais elle savait une chose : elle ne voulait pas qu'il se sente mal alors elle tentait de tout justifier. Malgré tout, même si elle ne voulait pas rendre la situation plus désagréable qu'elle ne l'était, la jeune femme avait besoin de réponses à certaines questions, elle aussi. Des questions qui allaient, peut-être, le mettre davantage mal à l'aise face à cette situation. Jodie savait qu'il ne pourrait pas lui dire avec exactitude à quel moment étaient nés ses sentiments parce que c'était impossible. Les choses s'étaient sans doute faites petit à petit et il avait certainement mis du temps à remarquer tout ça. En revanche, elle voulait savoir à quel moment, il avait compris et intégré l'idée qu'il l'aimait d'un amour différent de celui qu'il aurait pour une soeur ou une amie. Mais il ne semblait pas capable de lui dire, il n'en savait rien. Tout ce qu'il pouvait lui dire, c'était qu'il avait mis un certain temps à s'en rendre compte et qu'il s'excusait, encore et encore, de la mettre dans l'embarras. Et malgré toute la difficulté que cela pouvait représenter à ses yeux, toute la douleur potentielle, il lui assurait que ça ne changeait rien à sa promesse et qu'elle pouvait compter sur lui, quoi qu'il arrive. « Je te libère de ta promesse... » Souffla-t-elle en baissant les yeux, tant il était difficile d'imaginer cette réalité sans lui, désormais. « Si c'est mieux pour toi, tu n'es plus obligé de la tenir. » Parce qu'elle l'aimait et elle refusait de le voir souffrir à ses côtés si finalement les choses ne devaient pas changer entre eux d'une façon ou d'une autre. « Peut-être qu'on devrait laisser la nuit passer et en discuter demain ? » Proposait-elle, sentant le malaise dans la pièce parce qu'ils ne savaient pas bien quoi se dire. « J'ai besoin d'un peu de temps pour penser à tout ça et je suppose que toi aussi. » Aux réactions de Jodie ou à ce qu'elle avait dit, à est-ce qu'il se sentait capable de rester ou non... Des questions, il devaient en avoir autant qu'elle et ils allaient passer des jours compliqués, sans le moindre doute, donc peut-être devaient-ils avoir cette conversation à tête reposée.

C'était ce que Jodie aimait chez Five : il tenait ses promesses - en tout cas, il avait toujours tenu celles qu'il lui avait faites. Néanmoins, les circonstances étaient particulières et exceptionnelles. Jodie ne voulait pas le voir souffrir en restant à ses côtés si la meilleure chose à faire pour lui était de s'éloigner. Alors, elle le libérait de sa promesse. Elle voulait qu'il reste près d'elle, mais il n'en avait plus aucune obligation. A n'importe quel moment, il avait le droit de prendre la fuite sans avoir à se retourner parce qu'il avait rompu une promesse. Il n'y en avait plus. Il était libre de prendre ses décisions, désormais. Pourtant, Five ne semblait pas l'entendre de cette oreille. Non, il ne voulait pas renoncer à cette promesse ou à la protection qu'il offrait à Jodie. Oui, elle savait qu'il ne laissait jamais personne derrière lui, mais elle lui donnait la permission et elle l'encourageait même à le faire si c'était le mieux. Pourtant, elle n'arrivait pas à le contredire. Son regard, planté dans le sien, lui rappelait toute la détermination qui l'animait et son envie qu'il soit là, à ses côtés. « Je ne t'en voudrai pas si tu changes d'avis. » Réussissait-elle, malgré tout, à prononcer. Il ne l'abandonnerait pas, il se protégerait, simplement. Ce serait douloureux pour Jodie, mais elle préférait ça à le voir souffrir à ses côtés chaque jour, c'était certain. Puis la situation deviendrait insupportable alors. « Tu sais que je peux me défendre toute seule. » reprécisait-elle comme si cette information pouvait suffire à le faire changer d'avis.

Il était difficile de reprendre le cours de la soirée comme s'il ne s'était rien passé. Impossible, même. Jodie était perturbée pour ce qu'elle avait entendu et ses émotions étaient nombreuses et incontrôlables. Alors, pour leur laisser le temps à tous les deux de réfléchir à cette situation, Jodie avait proposé de laisser la nuit passer et d'en rediscuter le lendemain. Ils avaient clairement besoin de temps. Si Five confirmait ce détail, il semblait vouloir proposer une autre alternative à aller dormir. Il s'en voulait de lui avoir gâché sa soirée - comment pouvait-il s'en vouloir alors qu'il n'avait fait qu'exprimer un sentiment qu'il ne contrôlait plus ? Face à sa proposition, Jodie s'était montrée hésitante un instant. Si elle ne lui en voulait pas parce qu'il n'avait rien gâcher du tout - compliqué, oui, mais il n'y pouvait rien - elle n'était pas certaine qu'ils soient très à l'aise, tous les deux, installés l'un à côté de l'autre pour regarder un film, comme s'il ne s'était rien passé du tout. Mais avant tout, elle devait lui assurer qu'il n'avait rien gâché du tout. « Eh, Five, t'as pas gâché ma soirée, d'accord ? » Lui souffla-t-elle doucement, en lui souriant. « Y a pas de bons moments pour annoncer... ce genre de choses. Et... Tu avais besoin d'en parler, je comprends ça et j't'en veux pas. » Jodie essayait de le rassurer, oui, mais elle pensait sincèrement tout ce qu'elle disait. Y aurait-il pu avoir meilleur moment ? Elle en doutait sincèrement. Qu'importe le moment, le résultat aurait été le même. Jodie aurait toujours cette même impression de ne pas savoir comment réagir, cette impression de malaise, cette impression d'irréel. « J'ai un truc à faire, je reviens dans deux minutes et j'te laisse préparer quelque chose, d'accord ? » Elle ne pouvait pas lui refuser cette soirée parce qu'elle craignait qu'il ne s'imagine qu'elle lui en voulait et elle n'avait pas envie de le laisser seul avec cette idée en tête. Alors, plutôt que d'aller se coucher, elle allait simplement s'enfermer deux minutes dans sa chambre, le temps pour elle de souffler et d'essayer de faire diminuer la pression des aveux de Five - et d'essayer de les accepter, de réaliser réellement ce qui venait de se passer.

Jodie était touchée par l'entêtement de Five à la protéger, mais elle était capable de se défendre toute seule. Elle ne voulait surtout pas qu'il aille mal parce qu'il se forçait à être en sa présence, si c'était quelque chose de trop douloureux pour lui. Pourtant, il insistait parce qu'il se sentait responsable. « Tu n'es pas responsable. » Ni d'elle, ni de ce qui pouvait arriver. Elle le lui affirmait clairement, comme elle l'avait déjà fait par le passé, en présence de Klaus. Il était hors de question qu'il se sente coupable de quoi que ce soit s'il devait arriver malheur. Jodie était la seule responsable de sa survie et de ce qui lui arrivait. Pas Five. Pour le reste, elle ne répondait rien parce qu'elle jugeait que cette conversation resterait stérile et ne mènerait à rien. Elle le connaissait, il resterait sur ses positions et elle, sur les siennes, donc autant économiser de l'énergie - d'autant que, de l'énergie, elle allait en avoir besoin pour réfléchir à tout ce qui était en train de lui tomber dessus.

Jodie se sentait perdue face à ces révélations. Et elle imaginait sans mal ce que Five devait vivre et le combat qui devait se mener à l'intérieur de lui. Naturellement, alors, elle voulait lui venir en aide et le rassurer parce qu'ils avaient toujours fonctionné ainsi, dès les premiers instants. Puis, Jodie ne voulait pas voir la réalité en face. Elle voulait croire que tout pourrait être comme avant et qu'il n'y avait pas de raison pour que ça change, qu'il avait dit ces choses parce qu'il en avait eu besoin, tout simplement. « Je ne ménage pas les gens en fonction de leur âge, tu sais ? Simplement, s'ils le méritent. » tentait-elle de répondre pour plaisanter. Elle connaissait l'histoire compliquée de Five, elle savait qu'il n'avait pas réellement l'âge qu'il faisait physiquement. Elle le ménageait parce qu'elle tenait à lui, parce qu'elle l'aimait. Simplement. Et il le savait parfaitement.

Sur une note plus sérieuse, la jeune femme avait proposé qu'ils aillent se coucher et qu'ils discutent de tout ça le lendemain, après une nuit de réflexion. Five, quant à lui, tentait de rattraper le coup en proposant de regarder un film, si elle le voulait. Refusant de lui faire croire que tout avait changé après ses aveux, la jeune femme avait accepté. Comme elle le lui signalait, elle avait simplement besoin de quelques minutes pour faire quelque chose. « Non, je reviens. » Répondit-elle alors qu'il affirmait, une fois encore, qu'il comprendrait si elle préférait aller se coucher. Il était hors de question de le décevoir ou de lui donner l'impression qu'il avait tout gâché.

Jodie était alors retournée dans sa chambre quelques minutes, simplement le temps pour elle de s'installer sur son lit et de souffler, de réaliser - ou d'essayer - ce qui venait d'être dit. Maintenant que Five ne pouvait plus la voir, elle pouvait appréhender l'ampleur de ce qui venait de se passer et de ce qui les attendait. Jodie réalisait alors à quel point la situation allait être compliquée, tant pour elle que pour lui. Elle allait avoir besoin de temps pour mettre des mots sur ses propres sentiments et pour ne plus penser à ce qu'il avait dit à chaque fois qu'elle serait en sa compagnie. Ça n'allait pas être simple, mais elle se battrait pour que la situation ne dégénère pas au point où ils devraient se séparer. Enfin, elle ne pouvait pas résoudre tous les problèmes en quelques minutes, alors elle devait y retourner.

Après avoir soufflé une dernière fois, elle était revenue dans le salon et s'était installée sur le canapé, tentant de faire comme si la soirée était la même que toutes les autres, sans trop prendre ses distances. Jodie posa alors les yeux sur les bières. Ils buvaient sans doute un peu trop - d'autant qu'il avait déjà dû boire avant de rentrer comme cela semblait être son habitude - mais elle ne disait rien. « Alors, tu as trouvé ce qu'on pouvait regarder ? » Souffla-t-elle, en tentant d'avoir une attitude décontractée et le même ton que d'habitude, incapable d'en dire davantage pourtant pour détendre l'atmosphère.

L’ambiance était particulière. Ils préféraient se voiler la face, tous les deux, et faire comme s’il était possible de vivre normalement après une telle annonce. En réalité, Jodie avait conscience de la difficulté de la chose, mais elle préférait croire que c’était possible, qu’elle n’était pas obligée de le perdre, qu’ils pouvaient vivre comme s’il n’avait jamais rien dit. Ils trouveraient une solution. Il fallait qu’ils trouvent une solution. Ils réussiraient parce qu’il n’y avait pas d’autres alternatives possibles aux yeux de la jeune femme. Mais, en attendant, ils devaient jouer le jeu et faire semblant pour ne pas tout détruire entre eux.

Après avoir pris le temps de souffler un instant, Jodie était sortie de sa chambre pour retourner s’installer sur le canapé, tentant de ne pas prendre de distances exagérées avec Five. Elle avait l’impression qu’il analyserait le moindre de ses mouvements, de ses comportements ou de ses mots. Histoire de ne pas rester silencieuse, la jeune femme lui avait demandé s’il avait trouvé quelque chose à regarder. Prolongeant cet instant plutôt gênant, il lui annonça qu’il n’avait rien trouvé. Dommage, elle aurait aimé démarrer le film immédiatement pour ne plus avoir à réfléchir à quoi dire. Sentant certainement la nécessité de ne pas laisser de blancs s’installer, Five continuait en précisant qu’il aimait davantage les films en noir et blanc, qu’il ignorait si elle aimait et qu’il était perdu face à la montagne de choix qui s’offrait à lui, avec toutes ces plateformes qui n’existaient pas chez lui. En d’autres circonstances, Jodie aurait certainement répondu qu’elle n’avait pas tant de choix, elle non plus, quand bien même elle venait d’une époque très proche de celle-ci et ils en auraient discuté pendant un temps incroyablement long. Sauf qu’aujoud’hui, les circonstances étaient particulières et qu’elle ne savait pas quoi répondre. « Il y a trop de choix, finalement. » Tenta-t-elle d’ajouter dans un sourire, maladroite et consciente de l’inintérêt de ses propos.

Pour ne rien ajouter, parce qu’elle ne savait pas quoi ajouter, la jeune femme avait suivi le mouvement et avait porté sa bière à ses lèvres, afin d’en boire une longue gorgée. Alors qu’elle traînait inutilement, elle fut soulagée de le voir reprendre la parole en premier. Cette fois-ci, il lui proposait un film. Plutôt que de répondre immédiatement, pour mettre fin à ce moment gênant, elle était restée silencieuse. Elle l’observait pendant qu’il l’observait, dans le plus grand des silences, lui offrant simplement un sourire comme il lui en offrait un. Puis, se rendant compte qu’elle n’avait pas répondu et que la réponse se faisait exagérément attendre, elle avait lancé, tout en détournant les yeux vers la télé : « Tu sais, je ne suis pas très compliquée alors mets ce que tu veux, ça me conviendra. » Un film en noir et blanc, le fil qu’il venait de proposer… ça n’avait finalement pas la moindre importance pour elle. Elle, tout ce qu’elle voulait, c’était passer la soirée avec lui et oublier le malaise naissant qu’il y avait entre eux – même s’il était difficile à faire disparaître puisqu’à chaque instant elle ne pouvait s’empêcher de se demander à quoi il pensait et puisqu’elle était devenue subitement silencieuse, plus qu’à l’accoutumée, ce qui créait des blancs insupportables.

Jodie n'avait jamais été très à l'aise avec les gens, mais elle avait trouvé en Five quelqu'un avec qui elle devenait elle-même, sans retenue. Pourtant, quelques mots venaient de, peut-être, tout changer. Même s'ils le souhaitaient véritablement, il était impossible d'oublier des aveux de ce genre et de passer à autre chose en un claquement de doigts. La seule chose qu'ils avaient réussi à faire en un claquement de doigts, c'était changé l'ambiance qui régnait dans cette pièce. Désormais, tout semblait plus lourd. Même s'ils le voulaient, ils ne pouvaient pas continuer ainsi, sans en discuter ou penser à ce que serait leur relation à l'avenir. Quoi qu'ils veuillent, leur relation venait de changer à jamais, mais Jodie ne pouvait pas en vouloir à Five qui n'avait fait que se soulager le coeur et l'esprit.

Ils essayaient pourtant, et de toutes leurs forces. Ils parlaient. Ils échangeaient quelques mots malheureux et maladroits pour faire comme si. Sauf que ça ne prenait pas. Finalement, Jodie aurait sans doute mieux fait d'aller se coucher comme elle l'avait dit. Ils avaient eu tort de s'infliger ce moment, même s'ils avaient voulu le faire pour de bonnes raisons. Ils étaient là, tous les deux, assis sur ce canapé, à observer un écran dont ils se fichaient complètement. Ils s'infligeaient juste le malaise d'être côte à côte dans une situation gênante. Alors, ils observaient silencieusement l'écran, ce qui ne leur ressemblait pas, tout en buvant leur bière. Five avait rompu le silence le premier, lui disant simplement qu'il revenait. Jodie avait simplement hoché la tête, un sourire forcé sur les lèvres. Alors qu'il se dirigeait vers la salle de bain, Jodie avait posé sa bière sur la table basse pour se passer les mains sur le visage. Qu'était-il en train de se passer ? Tout ça finirait par une catastrophe, c'était tout ce qu'ils auraient gagné à ne pas être clairs l'un envers l'autre depuis le début.

Lorsque Five était ressorti de la salle de bain, Jodie avait repris sa position initiale. Elle lui avait jeté un coup d'oeil lorsqu'il avait montré son portable, prétextant que Klaus avait des problèmes et qu'il devait y aller. « Oh, oui, bien sûr. » Avait-elle soufflé, sans se douter qu'il s'agissait d'une excuse - pour elle, ce n'était que quelque chose qui arrivait au mauvais, ou au bon, d'ailleurs, moment. Alors qu'elle s'apprêtait à se lever, Jodie avait vu Five se stopper, la main au-dessus de la porte et il avait repris la parole pour lui avouer qu'il venait de mentir. Jodie avait hésité un long moment avant de se décider à lui répondre. Il prenait clairement la fuite, mais pouvait-elle lui reprocher ? Il souffrait de cette situation, plus qu'elle, sans le moindre doute, et elle se sentait mal à l'aise, qu'étaient-ils censés faire ? Jodie ne voulait pas abandonner, mais une voix, au fond d'elle, lui soufflait que c'était peut-être la meilleure chose à faire pour le moment : s'éloigner et se donner du temps. Pourtant, s'éloigner, c'était prendre le risque de ne jamais revenir l'un vers l'autre. « Tu devrais rester ici. T'as bu, Five. T'as pas les idées claires, c'est pas une bonne idée. » Et pas qu'un peu, alors elle n'était pas certaine que le laisser sortir comme ça était une bonne idée, puis c'était aussi une excellente raison pour lui demander de rester. « Tu m'imposes rien du tout. Je... Ouais, c'est une situation compliquée... » avait-elle soufflé en baissant la tête et en se passant une main sur le visage. « mais ce sera toujours comme ça maintenant, tu ne crois pas ? Si ce soir tu ressens le besoin de sortir, t'en ressentiras le besoin tous les jours, non ? » S'inquiétait-elle de le voir finalement s'éloigner. Jodie avait poussé un long soupir, comprenant qu'il n'y aurait aucune solution à cette situation. Pas avant qu'elle ne soit claire avec elle-même sur ses propres sentiments, pas avant qu'ils n'aient pu discuter sérieusement, pas avant que Five ne puisse être dans la même pièce qu'elle sans souffrir. « Five... » Avait-elle ajouté avant de se stopper, pour reprendre, simplement : « Fais ce que tu veux. » Finalement, elle se résignait. Inutile d'essayer de le retenir ou de lui dire de partir, cette décision n'appartenait qu'à lui. « Et rentre quand tu veux, c'est chez toi ici. » Autant que chez elle, dans son esprit. Après tout, il vivait là depuis un certain temps déjà alors il était aussi chez lui, d'une certaine façon.