De longue date, Aelita sait qu'il est bien souvent préférable de ne pas se mêler des affaires des autres. On n'a pas tort d'affirmer que la curiosité est un vilain défaut, et c'est effectivement le cas. Plus d'une fois, elle s'est retrouvée dans des situations impossibles parce qu'elle n'aura pas été capable de mettre ses questionnements en sourdine, et cette fois ne fera pas exception. Pour sa défense, cela dit, il est difficile de ne pas être curieux, ici. Cet endroit, pas seulement l'orphelinat mais l'île tout entière a la fâcheuse tendance à cultiver les interrogations et à négliger les réponses, et quand on a rien de mieux à faire, quand on est isolé de tous ses proches, il devient essentiel, presque impérieux de s'occuper avec les moyens du bord.

Quand elle n'est pas en cours où le nez rivé à son écran d'ordinateur, donc, Aelita observe et épie. Elle s'intéresse. A tous les pensionnaires de l'orphelinat, oui, mais à l'un des derniers arrivants plus encore. Parce que l'adolescent ne ressemble absolument pas aux autres de ses camarades. Des enfants terribles, il y en a, ici, il ne faut pas croire, mais lui bat tous les records, et en un temps record. Deux semaines qu'il est là et les pires rumeurs courent à son sujet, il aurait notamment cassé le bras d'un de ses camarades. Est-ce qu'Aelita y croit, à celle-là ? Pas franchement, elle sait qu'à l'orphelinat, tout le monde s'ennuie et que répandre des rumeurs est l'une des activités les plus acceptables à disposition. Par contre, elle veut bien croire que son nouveau "camarade" ne soit pas commode... Elle a eu l'occasion d'entendre à distance le charmant répertoire d'insultes qu'il sert constamment à qui veut bien les entendre. Elle pense que ce type est un infréquentable. Et donc ne pas l'approcher semble être une bonne option. Oui. Mais. Aelita est curieuse, a-t-on dit, et elle a comme l'impression qu'il se passe quelque chose, avec ce dénommé Five (déjà, il s'appelle Five, c'est vraiment un nom, ça ?). Elle a envie de comprendre quoi.

Alors oui, bon, d'accord, il se peut qu'elle l'ait suivi quand elle l'avait vu se diriger discrètement jusqu'aux cuisines au beau milieu de la nuit. Qu'est-ce qu'elle espère exactement ? Elle n'en sait rien, elle se dit qu'elle va juste observer discrètement ce qu'il mijote puis retourner dans son lit. Mais pour ça, il aurait fallu qu'elle sache se montrer plus discrète. La filature, c'est vraiment pas son truc. L'adolescente est grillée en deux-deux.

"Je te signale que je suis plus âgée que toi", réplique Aelita en croisant les bras, bien loin de se douter à quel point elle a tort, pour le coup. "Toi, qu'est-ce que tu fais ? T'essaies de t'en aller, c'est ça ? Et t'espères aller où ?"

Elle peut comprendre que cet endroit ne soit pas le plus épanouissant du monde, Aelita sait s'en accommoder parce qu'elle était dans tous les cas orpheline bien avant d'atterrir ici, mais elle sait que d'autres se sentent coincés, ici, parce qu'ils voudraient rejoindre leurs famille. Sauf que se barrer comme ça au beau milieu de la nuit va lui apporter des ennuis et c'est à peu près tout. Pas que ça la regarde, certes mais...
Oh, elle a bien le droit de se mêler de ce qui la regarde pas, après tout.

Aller voir ailleurs si elle s'y trouve ? Excellente idée, effectivement, et elle aurait tout intérêt à l'écouter et à obéir. Qu'est-ce qu'elle en a à faire, après tout, de ce qu'il pourra bien décider de faire ? ça le regarde. Ce n'est pas comme si elle avait des raisons de s'inquiéter pour lui, elle ne le connaît même pas. Oui, mais même si elle ne le connaît pas, ça ne l'empêche pas de s'inquiéter, comme elle le ferait de n'importe qui, peu importe son nom et son degré d'amabilité. Et donc, il a beau l'envoyer sur les roses, elle n'est pas encore décidé à lâcher l'affaire. Elle n'ira pas jusqu'à dire qu'elle se plaît terriblement à l'orphelinat non plus, mais en attendant, ils s'y trouvent relativement à l'abri, et ce n'est pas rien, pas rien du tout même, au regard de ce qui peut éventuellement vous attendre quand vous mettez un pied dehors.

Et elle ne pensait pas tant aux agresseurs et pédophiles notoires qui pourraient les attendre à chaque coin de rue, mais à ces dangers bien plus inexplicables, de ceux auxquels elle a elle-même été confrontée récemment, alors qu'elle n'avait rien demandé à personne et s'était subitement retrouvé aux prises avec des créatures surnaturelles. Sans l'intervention de Chris Redfield ce jour-là, elle ne sait vraiment pas ce qu'il lui serait arrivé. Peut-être que Five fanfaronne, mais c'est bien beau de "présumément" tordre le bras d'un de ses camarades, c'est autre chose que d'affronter des dangers dont on n'est même pas capable d'identifier la nature. Et oui, elle se pense plus apte à en juger que lui. Elle aussi est plus âgée qu'elle en a l'air... Même si une fois de plus, de ce point de vue-là et sans qu'elle soit à même de le réaliser, Five la bat à plate-couture.

Alors elle laisse les insultes de son camarade revêche glisser sur elle et le regarde faire sans bouger d'un iota. Pas de bol pour lui, elle n'a pas la moindre intention de lui lâcher la grappe. Elle le regarde s'efforcer de crocheter la serrure, et le résultat n'est pas spécialement concluant pour le moment. Elle doit reconnaître qu'elle en retire une certaine satisfaction. Non, ça ne se fait pas de se réjouir du malheur des autres, mais là, pour le coup, Five l'a quand même sacrément cherché, qu'il n'aille pas prétendre le contraire. Et elle, de son côté, est plutôt ravie qu'il récolte la monnaie de sa pièce. Le petit génie n'est pas si vif que ça en toute circonstance, on dirait. Et bien sûr, c'est à elle qu'il va reprocher son échec. Ben voyons.

"Tu n'aurais pas pu passer par là de toute manière. Ils ont fait installer une alarme à toutes les issues, elle s'enclenche après une heure du matin. Enfin, ça, à la limite... Je sais comment désactiver le système d'alarme. Mais il faudrait encore que tu sois capable de crocheter une serrure, petit génie." Elle marque une pause. "Je peux t'aider si tu me dis où t'as l'intention d'aller."

Aelita adresse à Five un hochement de tête qui pourrait clairement se traduire par "Mais oui bien sûr" quand ce dernier, blessé dans sa fierté sans doute, prétend avoir pertinemment su ce qu'elle venait de lui dire. Elle n'y croit pas une seule seconde, ceci dit, son effronterie et sa manière de tout de même vouloir avoir raison l'amusent plus qu'elles ne l'agacent. Elle préfère ça que de l'entendre déployer tous les trésors d'insanités à sa disposition pour venir l'insulter.

Elle garde sa curiosité sous clé - pour cette fois - quand Five affirme qu'en temps normal, il lui suffirait de... quoi ? Mystère et boule de gomme. Clairement, Aelita a envie de poser la question. Mais non, elle ne le fera pas. Ca va, elle est loin de comprendre qui est Five Hargreeves mais elle pense tout de même commencer à cerner le personnage, en tout cas en partie, et il l'enverra bouler une fois de plus si elle doit ne serait-ce que suggérer d'obtenir un semblant d'explication quant à ce qu'il a voulu dire par là. De toute façon, il enchaîne rapidement et ne lui laisse pas forcément l'occasion de dire quoi que ce soit.

"Donc t'as un frère qui peut t'accueillir chez lui ? C'est vrai ce mensonge ? Comment tu t'es retrouvé ici, dans ce cas ?" commence Aelita qui ne répond pas d'office à la question de son interlocuteur, quitte à susciter son agacement - tant pis.

Elle pousse un léger soupir, même s'ils ne sont pas en prison, l'orphelinat reste bien sécurisé tout de même - forcément, en les accueillant ici, on s'engage aussi à prendre soin d'eux, et prendre soin d'eux, c'est aussi leur éviter qu'ils fassent des conneries plus grosses qu'eux. Five n'a pas tort, ils peuvent être captés à tout moment, mais l'adolescente ne s'inquiète pas outre mesure. Dans le pire des cas, elle improvisera une excuse sur le moment. Si elle n'a pas spécialement d'intérêt à fuir cet endroit, puisqu'elle n'aurait absolument nulle part où aller, dans tous les cas, il a pu lui arriver de prendre la poudre d'escampette une fois ou deux. Aelita n'est pas exactement ce qu'on pourrait qualifier de petite fille modèle, loin s'en faut.

"La sortie, près du bureau du concierge, j'ai désactivé le système d'alarme il y a deux semaines à peu près et je crois pas qu'ils s'en soient rendu compte encore." Elle l'observe un instant. "T'as vraiment quelque part où aller ou tu te contentes de te la raconter et tu vas finir à la rue ?"

Elle ne le connaît pas, donc dans le fond, elle devrait s'en moquer, mais elle ne s'en moque pas, non. S'il doit arriver quoi que ce soit à Five après sa fugue, elle ne pourra que s'en tenir pour responsable. Elle compte d'ailleurs ajouter un autre argument dans l'espoir de le convaincre de bien réfléchir à sa décision, mais elle se fige au moment d'entendre l'écho de bruits de pas. Et qui se rapprochent dangereusement.

Contente de sa réponse ? Non, pas franchement. S'il a un frère toxico incapable de se gérer tout seul qui l'attend quelque part, c'est pas son rôle à lui de prendre soin de lui, faut que le frère en question soit envoyé en cure de désintoxication, quelque chose du genre. Et Five, de son côté, sera clairement plus en sécurité ici, à l'orphelinat. Aelita peut comprendre l'inquiétude de son camarade pour son frère, elle peut envisager que cela pousse ce dernier à vouloir s'échapper d'autant plus, mais en ce qui la concerne, ça l'encourage pas spécialement à lui prêter main forme, ce serait se rendre complice d'une situation qui a beaucoup trop de chances de dégénérer. et pas qu'un peu, qui plus est. Elle n'aurait pas dû lui donner la réponse qu'il voulait, mais c'est trop tard maintenant pour revenir sur les informations qu'elle lui a données.

Elle laisse les insultes glisser sur elle sans y réagir. Elle ne sait pas si c'est sa manière de réagir à la pression ou s'il est constamment à ce point désagréable, mais elle préfère ne pas trop s'attarder là-dessus, c'est pas le moment de se prendre le bec, de toute façon, ils sont déjà beaucoup trop repérables et clairement pas assez discret. Alors Aelita prend sur elle. C'est pas son genre de se laisser marcher sur les pieds, pourtant, mais quelque part, elle devine que la colère de ce garçon n'est pas tant que ça orientée contre elle, au final. Quand il lui dit qu'il a connu bien pire, elle est d'accord de le croire. C'est pas pour autant que cette excuse lui semble valable. C'est pas parce qu'on a connu pire qu'on doit forcément se précipiter vers les emmerdes à chaque fois que l'occasion s'y prête, pas vrai.

"Eh, calme ta joie, te supporter cinq minutes est déjà au-delà de ce que je me sens capable de tolérer, crois-moi, j'ai aucune intention de te suivre - et au passage, je suis toujours plus âgée que toi." Elle croise les bras. "Retrouver ton frère junky, c'est pas exactement ce que j'appellerais un plan génial, mais je vais prétendre que tu sais ce que tu fais..." Même s'il lui semble évident que non, Five Hargreeves ne sait absolument pas ce qu'il fait. "J'ai pas l'intention de fuir d'ici, j'ai nulle part où aller de toute façon. J'aime juste l'idée... d'avoir une issue, juste au cas où", ajoute-t-elle avec un léger haussement d'épaules.

Ce qui est vrai. Contrairement à Five, elle ne trouve pas infernale la vie à l'orphelinat, mais bien sûr, comme... sans doute tout le monde ici, elle voudrait une autre sorte de vie, qui lui reste à l'évidence inaccessible. Et c'est toujours plaisant de se dire que, le cas échéant, il y a la possibilité d'un plan B.

"Attends...", suggère-t-elle quand Five semble décidé à arpenter le couloir. "Je crois que j'ai entendu du bruit."

A l'évidence, pour qu'Aelita finisse par comprendre Five, il faudrait qu'il lui raconte son histoire par le menu. Quelque part, ce ne serait pas plus mal, elle le traiterait différemment si elle avait conscience de qui il était vraiment, et de son âge réel. Elle sait bien que les apparences sont trompeuses, en plus, elle-même a vécu plus longtemps sous l'apparence d'un avatar que sous son vrai jour. Et pour ce qui est de connaître la solitude, même si ce n'est pas dans des proportions comparables à celles vécues par Five, elle serait aussi capable de se mettre à sa place, d'être un peu plus tolérante à ses sautes d'humeur, un peu moins agacée par la manière dont il la traite.

Seulement voilà, elle n'a pas vraiment l'opportunité de s'attarder trop longuement sur la vie de son "camarade", et une part d'elle se dit que, dans le fond, plus tard il sera parti, mieux ce sera. Au moins, elle n'aura plus à accuser son mépris et son agressivité. Aelita peut faire preuve de trésors de patience, mais cette patience commence à singulièrement s'émousser, pour le coup, et elle en viendrait presque à décider qu'elle se fiche complètement de ce qui arrivera à Five quand il se retrouvera seul dans la nature. Presque, mais pas complètement. Elle a un coeur, c'est comme ça, elle n'aime pas franchement l'idée de se rendre complice de son "évasion" si au bout du compte.

Elle n'aurait eu le temps de rien répliquer pas plus que de poser la moindre question dans tous les cas. Les bruits dans le couloir, elle ne les a pas rêvés. Un surveillant fait le guet et s'assure que les têtes brûlées comme eux ne fasse pas le mur, voilà qui devrait leur compliquer la tâche. Aelita réfléchit à toute vitesse à une façon ou l'autre de contourner le problème. Elle devrait pourtant se servir de ce prétexte pour encourager Five à baisser les bras, mais outre le fait qu'elle devine d'avance que ça ne servirait absolument à rien.

"L'assommer, mais..." Aelita reste interdite. Apparemment, la violence (encore qu'assommer quelqu'un n'a absolument rien de violent aux yeux de Five, mais ça Aelita n'a définitivement pas idée de jusqu'où celui qu'elle s'obstine à prendre pour un adolescent est capable d'aller). Elle pousse un soupir. "Je vais attirer son attention, faire diversion et lui tenir la jambe, toi profites-en pour filer aussi vite que tu le peux. Si tu traces jusqu'à la sortie que je t'ai indiquée, ça devrait le faire. Enfin je suppose." Elle prend une inspiration. "J'y vais."

Il n"attend pas qu'elle le lui confirme mais peu importe, l'adolescente se précipite dans le couloir et court aussi bruyamment qu'elle le peut pour attirer l'attention du surveillant qui ne met pas longtemps à se mettre à sa poursuite en lui hurlant après. Il ne met pas quelques secondes à la rattraper par le poignet, qu'il serre un peu trop fort. Pas le temps de regarder ce que Five fait de son côté. Elle espère juste qu'elle ne fait pas ça pour rien, parce qu'elle risque franchement de le sentir passer.