(terminé) Fair warning [Eve & Will]

Fair warning

feat. Will Graham

Les semaines passaient, les enquêtes s'accumulaient, les mystères persistaient. Mais, dans l'ensemble, Eve s'accoutumait bien à son nouvel emploi. Elle pouvait se plonger dans l'esprit des monstres de cette ville en toute tranquillité, elle pouvait jouer un rôle actif en interrogeant les témoins. Sa soif d'action et sa soif de contrôle en étaient ravis.

Son épanouissement au travail passait aussi par la relation qu'elle entretenait avec ses collègues. Dans l'ensemble, elle s'entendait avec tous ceux qu'elle croisait régulièrement. Pour les autres, les conversations restaient cordiales et distantes, mais c'était une solution qui lui convenait. Elle n'était pas très douée en amitié, de toute manière. Son esprit était trop obsédé par une certaine tueuse en série pour cela. Entretenir une amitié, ça demandait du temps, de l'attention. Si par le passé elle avait souffert d'avoir justement trop de temps à disposition, elle ne disposait plus de ces ces choses là à présent. Et c'était un soulagement.  

Finalement, le collègue avec qui elle s'entendait le mieux était Will Graham, celui avec qui elle passait le plus de temps. La similitude de leur poste leur imposait de converser régulièrement. La complémentarité de leur caractère respectif était parvenue, avec le temps, à faire que, pour sa part, Eve appréciait ce collègue taciturne. Lorsque l'on avait survécu au flegme glacial de Carolyn Martens, on pouvait survivre à tout.

Mais, si Eve avait commencé à véritablement apprécier Will il y avait de cela quelques semaines, l'égard qu'elle lui portait était plus prononcé depuis quelques jours. Depuis que Villanelle lui avait parlé de sa prochaine cible à abattre. Depuis qu'elle s'était aperçue que, s'ils s'entendaient si bien, c'était sans doute parce qu'ils avaient d'impressionnants points communs, parmi lesquels le secret qu'ils entretenaient soigneusement sur leur moitié respective. Et sur les crimes dont ils s'étaient eux-mêmes révélés coupables.

Ce jour-ci, après en avoir longuement discuté avec sa compagne, Eve avait pris une décision. Elle l'avertirait. Parce qu'elle était la mieux placée pour le comprendre. En arrivant au travail ce matin-là, elle vérifia donc qu'ils soient seuls dans la pièce avant de s'approcher et de l'aborder d'une voix calme, mais sérieuse.

- Will. J'ai quelque chose à te dire.

Elle vérifia une nouvelle fois qu'ils soient seuls et continua d'une voix plus basse, sur le ton de la confidence :

- C'est au sujet d'Hannibal. Il est préférable que nous en discutions à l'extérieur.

Fair Warning

feat. Eve

Will n'aurait peut-être pas envisagé cette possibilité dans les premiers temps de sa rencontre avec Eve, mais le fait est qu'il avait trouvé en elle davantage qu'une collègue dont il tolérerait la présence, il en venait à apprécier sa compagnie. Si différents leurs tempéraments pouvaient-ils être, ils se révélaient aussi complémentaires, et dans certaines circonstances, ils ne semblaient plus si différents en définitive. Leurs manières de réfléchir, leurs capacités d'analyse trouvaient des similarités qui n'étaient pas anodines, et qui n'avaient pas échappé à Will, ces traits qui en quelques rares occasions frôlaient, légèrement mais distinctement une fascination que d'aucuns qualifieraient de déplacés.

Pour la peine, il a appris à lui faire confiance dans des proportions dont peu d'autres avaient eu le privilège. Sans jamais s'épancher, car cela n'est définitivement pas dans sa nature, il a donné accès à Eve à des aspects de sa vie qu'il aurait tendance à fermer au plus grand nombre. Elle est par exemple l'une des rares à qui il ait jamais parlé d'Hannibal, même si cela a toujours été, cela va sans dire, en des termes suffisamment cryptiques pour ne rien laisser soupçonner de sa nature profonde, ou encore de la nature singulière de leur relation qui pouvait certes se résumer en quelques termes triviaux, mais qui ne correspondaient en rien à ce qu'était véritablement leur relation.

Quand Eve vient le trouver à son bureau, ce jour-là, et, d'un ton très sérieux, lui apprend qu'elle doit lui parler d'une affaire urgente, et qu'il est question d'Hannibal, Will se tend immédiatement. Il n'y a pas d'animosité dans la voix d'Eve, mais Will sait qu'elle est suffisamment brillante et maligne pour avoir peut-être vu ce que d'autres n'étaient pas parvenu à percevoir... Il hoche simplement la tête. Si elle sait quoi que ce soit, il sait ce qu'il lui restera à Eve. Mais il a de l'estime pour Eve... Il espère sincèrement, tandis qu'il se lève de sa chaise et enfile son manteau, qu'ils n'en arriveront pas à de telles extrémités. D'un geste de la tête, il invite Eve à la suivre à l'extérieur, et il attend qu'ils se soient suffisamment isolés, à l'abri des yeux et des regards indiscrets, pour écouter ce qu'elle peut bien avoir à lui dire.

"Je t'écoute", dit-il alors en daignant sonder son regard en dépit de son aversion profonde pour tout contact visuel ou presque.

Si elle sait. Eve Polastri devra mourir. Il ne veut pas qu'Eve Polastri meure. Mais si elle sait, pourquoi a-t-elle pris la décision de le consulter à l'abri des regards, en dépit du danger ? Pour le préserver ? Pour le prévenir ? Il sent quelque chose lui échappe... mais quoi, il serait incapable de le dire.

Fair warning

feat. Will Graham

Bras croisés pour se protéger du froid, Eve suivit Will tandis qu'ils s'éloignaient. Elle n'était pas pressée d'avoir cette conversation, aussi elle savoura ces instants de silence, aussi tendus soient-ils. Elle apprécia le calme de Will. A sa place, elle-même aurait déjà songé à l'éventualité de devoir l'éliminer. C'était sans doute une pensée qu'il avait en cet instant, mais il était rassurant de savoir qu'il était disposé à l'écouter avant de passer à l'acte.

Elle s'appuya contre un arbre et soutint son regard, conservant son attitude sérieuse, mais avenante. Avant d'en venir au vif du sujet, elle se fit la réflexion qu'un peu de contexte servirait mieux son propos.

- Mon travail, avant d'atterrir dans cette ville, consistait à traquer une organisation qui se faisait appeler les Douze. Ils avaient infiltré des gouvernements et des organisations du monde entier, et ils ont retenu l'attention du MI6 parce qu'ils commanditaient un nombre incalculable d'assassinats. Des gens influents. Chaque assassinat semait un peu plus le chaos dans la politique et la sécurité mondiales.

Elle marqua une pause. C'était l'instant de vérité. Il allait falloir qu'elle se dévoile un peu avant de pouvoir avertir convenablement Will. Mais si elle se trompait, elle risquait bien plus que sa carrière.

- Et parmi ces assassins, il y avait Villanelle. Ma fiancée.

Encore une fois, il y eut un instant de pause durant lequel elle resta attentive à ses réactions. Puis elle poursuivit, décidant de lui donner plus d'explications avant de le laisser s'exprimer.

- Depuis que j'ai retrouvé Villanelle, nous avons appris que les Douze étaient eux aussi en ville. Et qu'ils avaient recommencé à commanditer ces assassinats. Ils ont... obligé Villanelle à retravailler pour eux. Et récemment, on lui a donné une nouvelle cible. Hannibal.

Elle expira, et reprit d'une voix plus basse, comme si elle craignait que des oreilles indiscrètes se trouvent à proximité.

- Il est impliqué dans le meurtre de la mauvaise personne. Et je pense que toi aussi, tu es impliqué. L'homme que vous avez abattu - je ne connais pas les raisons, et arrivé à ce stade, peu importe - appartenait aux Douze.

Son regard était compatissant. C'était une situation complexe qui s'annonçait.

- Ordinairement, je me serais tue. Mais je crois que tu as compris que je suis bien placée pour savoir ce que ça fait, de vouloir protéger la personne qu'on aime. Alors si je t'en parle, c'est précisément pour ça : pour que toi et Hannibal puissiez vous protéger. Villanelle ne vous tuera pas, mais c'est possible qu'ils envoient quelqu'un d'autre à sa place.

Fair Warning

feat. Eve

Will ne sait pas véritablement à quoi s’en tenir. Il le présume, certes – et il le présume un peu trop bien – mais il n’est pas tout à fait à même de déterminer à quel point Eve pourrait-être une menace ou non. Et quand elle lui parle de son travail, dans son ancienne vie, il est, dans un premier temps, encore plus perplexe. Elle lui parle des Douze, une organisation qui à lui ne lui dit rien, pas même après qu’elle lui ait parlé en détails de leurs activités. Il comprend mieux, cependant, au moment où elle évoque Villanelle. Sa fiancée.

Villanelle sa fiancée, certes. Mais aussi Villanelle la tueuse de sang-froid. Villanelle qu’Eve avait sans doute traqué avec le plus grand acharnement avant que d’en tomber amoureuse. Villanelle qu’elle a décidé, ici, d’accepter d’aimer sans restriction, sans conditions, au point même d’accepter de devenir sa femme. Villanelle qui en fin de compte n’est jamais rien d’autre que ce qu’Hannibal est pour lui. Mais le passé vous rattrape, comme il l’a fait pour eux, en leur rendant Abigail peut-être, mais en ramenant également son père, et Randall Tier, et Alana, et Margot… sans oublier cette Clarice qui doit bien s’intégrer quelque part dans ce schéma chaotique.

Villanelle travaille donc à nouveau pour les Douze, elle a donc de nouveau du sang sur les mains. A la différence près, peut-être, qu’elle peut se targuer d’y avoir été obligé. Ce qui n’est pas le cas d’Hannibal, ce qui n’est pas son cas non plus. Quant à Eve… elle est très certainement moins condamnable que lui, si ce n’est en pensée, du moins en acte.

C’est beaucoup d’informations à intégrer mais c’est la suite qui, bien évidemment, le concerne. Les Douze veulent s’en prendre à Hannibal. Parce qu’ils s’en sont tous les deux pris à la mauvaise personne. Et Eve a raison de soupçonner Will d’être tout à fait complice de ce meurtre. Will apprécie qu’elle ne cherche pas à en connaître les raisons, mais peut-être que si elle le devinait, elle se montrerait moins clémente. Quoi qu’il comprend bien que les protéger, en cet instant, c’est aussi protéger Villanelle à ses yeux.

Après avoir entendu l’ensemble de ces informations qui ne sont, il faut bien le dire, pas simples à digérer. Tandis qu’il observe Eve, qu’il a le sentiment de voir pour la toute première fois, il ne sait pas exactement comment la considérer : une ennemie qui en sait trop malgré tout ? Une alliée précieuse ? Ou un étrange alter-ego ?

« Je te remercie », finit-il par articuler après un moment, « de m’avoir prévenu. » Nouveau temps de silence. « Si Villanelle rompt son contrat, elle est aussi en danger, n’est-ce pas ? » Que ce risque soit pris dans le but de le protéger lui, qu’elle a dû réaliser ne pas vraiment connaître tout compte fait…ou pour Hannibal, qu’elle est loin de connaître, c’est une preuve d’amitié qu’il n’était pas tout à fait sûr de mérité. « Ce qui veut dire que nous avons un ennemi commun. »

Et que pour l’heure, associer leurs forces semble plus logique et plus naturel que de se faire inutilement face.

Fair warning

feat. Will Graham

Il n'était pas nécessaire de répondre au remerciement de Will. Ils avaient dépassé le stade des formalités et des banalités. Cette conversation en était la preuve la plus concrète. Et ils avaient suffisamment perdu de temps sans qu'elle ne s'éternise sur les sentiments qui l'avaient motivée à prévenir Will. Elle n'aimait s'épancher sur ses sentiments, et elle pressentait que c'était également un sujet qui mettait Will dans l'embarras.

Oui, la résistance de Villanelle était un risque. Mais c'était également une bonne manière d'endormir la méfiance des Douze, paradoxalement. Villanelle avait toujours été une personne indisciplinée, et était souvent passée outre les instructions pour n'en faire qu'à sa tête. Qu'elle démontre qu'elle possédait le même tempérament même après avoir voulu s'éloigner des Douze, c'était par la même occasion démontrer - faussement, en l'occurrence - qu'elle reprenait sa position d'antan. C'était pour sa capacité à diffuser le chaos que Villanelle avait autant de succès auprès de sa hiérarchie. C'était un avantage, aux yeux d'Eve, dont la stratégie était de s'approcher au plus près des têtes pensantes des Douze avant de frapper.

En revanche, Will avait parfaitement raison de souligner qu'ils avaient à présent un ennemi commun.

- En effet.

Son regard n'était ni désolé, ni honteux. Au contraire. Elle le fixait avec une détermination appuyée.

- Ce qui veut aussi dire que nous avons deux profileurs criminels au sein de l'équipe. Personne d'autre ne doit le savoir, Will.

Ni l'un ni l'autre n'avait d'intérêt à vendre la mèche. Eve avait dissimulé voire détruit des preuves ou des crimes pour couvrir Villanelle. Will en avait certainement fait de même pour lui-même et pour Hannibal. Si l'un était découvert, l'autre risquait tout autant de l'être. Alors, tout naturellement, Eve se fit la réflexion que la meilleure attitude à adopter et à encourager était l'entraide.

- Associons-nous.

Sa voix était à l'opposé de celle qu'elle employait au quotidien en dispensant plaisanteries d'usage et commentaires absurdes destinés, au fond, à endormir la méfiance de ses collègues. Sa voix était en cet instant ferme, éloquente concernant l'ambition d'Eve.

- Pour traquer les Douze, toute aide sera la bienvenue. Plus nous en apprendrons sur leurs membres, mieux nous pourrons y faire face. Ce sont des pros, mais ils sont moins puissants ici qu'ils ne l'étaient avant. Et nous avons un avantage sur eux. Ils ne savent pas que tu es au courant. Hannibal n'est qu'une cible parmi tant d'autres, pour eux. Ils attendront avant d'envoyer quelqu'un d'autre finir le travail.

Fair Warning

feat. Eve

« Je n’ai pas l’intention d’en parler à qui que ce soit », confirme Will, quand Eve observe que personne ne doit savoir.

En même temps, Eve n’avait sans doute pas besoin de cette confirmation, car en réalité, il est évident que si quiconque devait avoir vent de cette affaire, lui tout comme Hannibal encourrait de grands risques… Will ignore s’il aurait préféré que sa collègue demeure ignorante de sa nature et de ses actions, mais les circonstances font d’elle une alliée de choix, et réciproquement, il devient aussi la sienne et celle de Villanelle. Leurs faiblesses, en s’associant, pourraient bien devenir leurs atouts. Deux profilers expérimentés et doués qui s’associaient pour protéger leurs travers les plus obscurs. Autant dire qu’ils ne font pas spécialement honneur à la justice qu’ils sont supposés servir, en cet instant, mais Will n’en a cure… C’est la situation en elle-même qui le préoccupe, et la résolution éventuelle de cette situation.

« Très bien », fait-il quand Eve achève un discours certes utile mais dont il n’avait pas besoin pour être convaincu de la nécessité, en effet, de traquer les Douze.

Il pourrait prétendre faire les choses dans son coin avec Hannibal, mais ce ne serait sans doute ni intelligent, ni pertinent. Pour couvrir leurs arrières respectifs, ils ont besoin l’un de l’autre. Et en fin de compte, ce n’est sans doute pas si mal. Même s’il aurait voulu ne pas en arriver à ces extrémités, s’il faut que quelqu’un ait vent de ses activités, il préfère que ce soit Eve. Et si cela leur permet, respectivement, de se couvrir quand la situation l’exigera, le coup du sort ressemblera peut-être bien à une opportunité, ni plus ni moins.

« Je vais avoir besoin que tu me dises absolument tout ce que tu sais sur les Douze », ajoute-t-il alors.

Pour l’heure, les informations dont il dispose restent encore bien faibles, mais il se doute qu’Eve a eu le temps de rassembler un certain nombre d’informations au gré de ses déboires avec cette dangereuse organisation qui à présent voudrait attenter à leurs jours.

« La conversation risque d’être longue », observe-t-il en jetant un regard autour d’eux. « Tu as faim ? »

Autant discuter dans un cadre un tant soit peu convenable plutôt qu’à l’extérieur du commissariat, dans le froid et trop près de leurs collègues. Ils vont avoir bien des choses à se dire, et sans doute devront-ils aussi daigner en dire davantage au sujet de leurs parcours respectifs, dont ils peuvent déjà déceler qu’ils se ressemblent plus que de raison.

Fair warning

feat. Will Graham

La confirmation de Will rassura Eve quant à sa décision de les préserver, lui et Hannibal, du courroux des Douze. L'intention des deux femmes de démanteler l'organisation et d'éliminer toute menace persistante ne pouvait pas être contrariée par les réticences de Will ou de son compagnon. Ce n'était pas un risque qu'elle pouvait prendre, pas après... Tout ce qu'il s'était déjà passé, toutes les conséquences effroyables qui avaient déjà eu lieu lorsqu'Eve avait accepté de prendre des risques.

Elle acquiesça lorsqu'il lui demanda si elle avait faim. En vérité, elle avait l'appétit coupé. Mais tout prétexte était bon pour échapper à la proximité du commissariat et pour rejoindre un lieu où ils pourraient discuter plus sereinement.

- Effectivement. Viens, je peux nous conduire au restau le plus proche, fit-elle en désignant sa voiture garée à quelques mètres de là.

Elle attendit à peine son accord, en vérité, avant de sortir les clés et de se diriger vers le véhicule. Ce n'était pas anodin. Elle savait que ses propres intentions n'étaient pas malveillantes, mais après avoir découvert tout cela au sujet de Will, elle ne pouvait pas garantir que celles de son collègue soient aussi dépourvues de malice.

Eve prit place derrière le volant et attendit que Will la rejoigne. Elle démarra alors, se remerciant mentalement pour avoir repéré les restaurants qui se trouvaient à proximité et qui leur épargnait à tous deux un trajet trop long et trop pénible car chargé d'un silence tendu.

Ce ne fut qu'une fois installés à une table au restaurant, et leurs plats et boissons commandés, qu'Eve poussa un soupir et accorda à son collègue son attention la plus totale.

- Tous les gouvernements influents semblaient être infiltrés par les Douze. Ils avaient des agents partout. Au MI5, au FBI, au KGB, dans les services secrets asiatiques... Bref, ils avaient réussi à recruter des taupes un peu partout. Ils étaient extrêmement puissants. Extrêmement efficaces. Si je n'avais pas rencontré Villanelle, si nous n'avions pas développé cette relation elle et moi... Je ne suis pas sûre que nous aurions découvert leur existence.

Elle s'interrompit le temps qu'un serveur dépose leur assiette respective devant eux. Elle attendit prudemment que le serveur se soit éloigné avant de poursuivre, d'une voix plus basse :

- Ici, on ne sait pas encore exactement à quel point ils ont réussi à retrouver leur puissance. On sait seulement qu'ils ont de la ressource. Ils ont trouvé mon adresse, m'ont passée à tabac en guise d'avertissement pour Villanelle. Il est fort probable qu'ils connaissent notre nouvelle adresse. On sait qu'une femme qui se fait appeler Hélène fait partie des têtes pensantes de l'organisation. Nous essayons de retrouver cette femme, mais jusque-là, nous manquons d'informations. Mais ça ne saurait tarder. Villanelle endort leur méfiance en leur obéissant, mais chaque cible nous donne une idée un peu plus précise de leurs intentions.

Fair Warning

feat. Eve

Will hoche la tête quand Eve lui suggère de les conduire au restaurant le plus proche. La vérité, c’est que l’appétit n’est pas forcément au rendez-vous, mais que s’éloigner sera une bonne chose, de même que l’est le fait de se retrouver seul à seul dans un cadre disons plus neutre, qui leur garantit de poursuivre leur conversation sans qu’ils soient parasités par de quelconques interventions extérieures, de même qu’il était clairement préférable qu’aucune oreille ne traîne durant cette conversation. Le trajet en voiture se passe dans le silence le plus total. Les questions de Will sont pourtant nombreuses, mais ce dernier préfère qu’ils soient installés pour en discuter plus longuement, et il est convaincu qu’il en est de même pour Eve, puisqu’elle non plus ne lâche pas le moindre mot avant qu’ils ne soient installés à une modeste table de restaurant, et une fois leurs commandes passées.

Alors, Eve se livre plus longuement sur ces fameux Douze. Une organisation suffisamment influente pour avoir infiltrer nombre de gouvernements et services secrets. Et bien sûr, c’est par l’intermédiaire de Villanelle qu’Eve a découvert le pot-aux-roses. Il hoche la tête, écoute sans interrompre, adresse à peine un regard au serveur quand il dépose leurs assiettes sous leurs nez, de même qu’il n’envisage pas de toucher au contenu de la sienne, absorbé par les explications de sa collègue quand cette dernière poursuit.

Bien sûr, ici, la donne a changé. Ils ont forcément été déstabilisés, comme eux tous, par les circonstances. Certes, le fait que toutes les grandes structures sociétales ne les aient pas attendus pour filer droit sans que cela s’explique complètement demeure alarmant, mais l’on peut partir du principe que les Douze sont moins vulnérables ici qu’ils ne l’étaient dans leur monde d’origine, même s’ils ont donc bénéficié de trois ans pour sans doute se développer et se structurer. Ce qui signifie qu’ils sont attaquables, certes, mais qu’ils gardent tout de même un certain avantage. Suffisamment pour avoir passé Eve à tabac, information dont Will prend connaissance à l’instant, non sans une certaine inquiétude.

« Je vois », répond-il du ton le plus posé possible une fois qu’Eve eut terminé. « Je suppose que celui ou celle qui sera choisie pour remplacer Villanelle nous en apprendra lui aussi davantage, pour peu que nous l’interceptions avant qu’il ne s’en prenne à Hannibal. » Ce qui lui semble parfaitement jouable à présent. Peut-être avaient-ils sous-estimé leur victime, qui qu’elle fut, mais l’ennemi les sous-estimerait sans doute tout autant. « Si je te donne des noms, tu seras peut-être capable de déterminer la disparition duquel d’entre eux aura éventuellement su attirer l’attention des Douze, c’est une autre piste », reprend-il du ton le plus neutre, comme s’il ne suggérait pas qu’il allait fournir à Eve la liste de leurs dernières victimes en date, à lui et Hannibal, ce qui laissait clairement suggérer qu’il y en avait eu bien plus d’une.

Fair warning

feat. Will Graham

Ce qui était appréciable, chez Will, était qu’il ne paniquait pas. Il avait suffisamment d’expérience pour réagir aux situations avec calme, voire froideur. Et c’était un changement qui contribuait à rassurer drastiquement Eve sur la décision prise de l’informer de la situation. Par le passé, lorsqu’Eve avait dû expliquer des situations similaires à d’autres collègues, ces derniers avaient – et c’était compréhensible – réagi avec angoisse ou inquiétude. Car ils étaient plus jeunes, trop innocents ou tout simplement trop raisonnables et détachés pour comprendre l’ampleur de l’investissement d’Eve dans ses enquêtes. Surtout lorsque celles-ci concernaient Villanelle. C’étaient les Douze qui retenaient à présent son attention, avec tout autant d’ampleur, même s’il ne s’agissait plus tant d’obsession que d’esprit de vengeance.

Et, même si elle avait voué une affection sincère à ses anciens collègues, Eve devait admettre que c’était un changement plus que bienvenu. Will allait même jusqu’à suggérer des pistes à explorer, ce qui retint tout particulièrement l’attention de la brune, qui l’observa de cet air presque froid qu’elle avait lorsqu’elle était plongée en pleine réflexion.

- Oui. Jusque-là, nous avons remarqué que chaque personne interrogée avait des informations que d’autres n’avaient pas. Il y a… Une certaine hiérarchie dans cette organisation. Il y a les tueurs à gages, bien sûr, mais chacun de ces tueurs est supervisé par quelqu’un d’autre. Eux-mêmes supervisés par d’autres, et ainsi de suite. Le plus simple serait de mettre la main sur l’un de ces membres aux rangs les plus élevés.

La proposition de liste de Will la laissa songeuse. Les aveux qu’il lui faisait en lui faisant une telle proposition n’étaient pas à prendre à la légère, et ne pouvaient pas être dénués de conséquences non plus. Consciente qu’elle était en train d’obtenir plus de réponses au sujet de Will qu’elle n’avait espéré en obtenir un jour, elle hocha doucement la tête avant de reprendre avec le plus de neutralité possible :

- Oui. Oui, c’est une piste à creuser. Ce sera même plus simple de savoir quels types de profils les font réagir.

Fair Warning

feat. Eve

Will prend note mentalement de chaque information que lui communique Eve. Dans son esprit, il les compartimente, estime leur importance, tente de rattacher des wagons qui pour l’heure paraissent totalement dissociés et autant que dissociables. Il a bien conscience que chaque élément, dans ces circonstances, a son importance et doit être considéré avec la plus grande attention, avec le plus grand sérieux : c’est important, c’est nécessaire. C’est la vie d’Hannibal qui est en jeu, la sienne, et leur anonymat, par la même occasion. Pour bien des raisons, Will ne peut que se sentir personnellement impliqué dans cette affaire.

Il note donc que l’organisation opère selon un système hiérarchique très particulier. Et c’est plutôt malin. Chacun peut connaître l’identité de qui se trouve strictement au-dessus de lui (et encore) mais pas davantage. Personne, sans doute, n’est plus informé au sein des Douze que les têtes pensantes de l’organisation, et les têtes pensantes de l’organisation ont su se rendre quasiment inaccessibles.

« Mais pour mettre la main sur l’une des plus hautes têtes de l’organisation, il faut partir au plus bas pour remonter progressivement leur piste, c’est bien ça ? » Il n’attend pas de confirmation de la part de son interlocutrice, il réfléchit à voix haute, ni plus ni moins, en quête de réponses aux questions épineuses qui se multiplient dans son esprit à mesure qu’il prend totalement conscience de la situation. « Ils sont malins… »

En même temps, ça semble particulièrement logique… Ils ne donneraient pas autant de fil à retordre à Eve dans le cas contraire, et Will, à force de travail à ses côtés, n’a que pu constater combien sa collègues étaient brillante. Leurs manières de penser quelque part différentes se rejoignent pourtant sur des points essentiels. Et nécessairement, il estime son opinion, ses vues sur la situation.

« Pour le moment, combien de meurtres orchestrés par les Douze as-tu été capable de dénombrer ? Qui étaient ces personnes ? » demande-t-il, en quête d’informations, d’un dénominateur commun, de quelque chose qui l’aiderait bel et bien à mieux comprendre de quoi il retourne plus précisément.

Pour le moment, se focaliser sur ces questionnements très concrets l’empêchent de s’interroger sur d’autres choses, qu’il faudra sans doute qu’ils abordent, pourtant, tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre. Parce qu’il ne peuvent pas faire le constat d’expériences et de natures si similaires sans que cela impacte, d’une manière ou d’une autre, la perception qu’ils ont l’un de l’autre. Et surtout, l’histoire d’Eve rend Will plus curieux que jamais, et il se doute que cette curiosité doit être totalement partagée.

Fair warning

feat. Will Graham

Oui, les Douze étaient malins, et c'était bien ça le problème. Tous les services secrets de son monde avaient été victimes, de près ou de loin, de leurs machinations. Et même les forces conjuguées du MI6 et du KGB n'avaient su les démanteler.

- C'est exactement ça. Et même lorsque l'on en fait partie, les hiérarchies établies ne sont pas si claires que ça. Quand Villanelle a voulu monter en grade en espérant changer de fonction, ils ont simplement accepté de lui donner le titre demandé et de lui promettre de meilleurs logements et plus d'argent. Une sorte de promotion avec les avantages matériels et financiers, mais au fond, ils lui demandaient la même chose : tuer les cibles qu'on lui désignait.

Ce qui, nécessairement, avait contrarié sa fiancée. Mais ça, elle n'avait pas besoin de le partager avec Will. Elle se concentra donc sur la conversation et surtout, sur les questions qu'il continuait de lui poser. C'était stimulant, cette possibilité d'échange verbal au sujet des Douze. Son esprit, pendant qu'elle réfléchissait aux pistes et réponses qu'elle pouvait lui apporter, trouvait de nouveaux indices et de nouvelles hypothèses. Et, à présent que Will était dans la confidence, elle espérait, au fond, pouvoir également bénéficier de son expérience et de ses remarques pertinentes.

- C'est bien ça qui pose problème : il n'y a aucune stratégie apparente si ce n'est la volonté de semer le chaos. Un véritable chaos politique, même. Toutes les cibles sont plus ou moins placées à des postes de pouvoir, mais les domaines varient, les affiliations varient... Tiens, pour te donner une idée.

Elle sortit de son sac à dos un dossier où elle avait rassemblé toutes les informations qu'elle avait au sujet des Douze, et qui concernaient aussi bien les anciennes cibles et enquêtes, celles de son monde, que les nouvelles. Elle lui tendit le dossier et le laissa constater par lui-même ce qui n'était rien d'autre que le contenu de l'esprit d'Eve au sujet de cette affaire mis sur papier. Toutes ses suppositions, toutes ses déductions, tous les éléments qu'elle avait déjà rassemblés et mis en lien les uns avec les autres. Et toutes les victimes qu'elle avait constatées jusque-là.

Fair Warning

feat. Eve

Un système qui se paie le luxe d’être terriblement bien organisé et, dans le même temps, dont l’organisation est si floue que même ses membres qui se considéreraient parmi les plus hauts placés ne sauraient en définir la logique intrinsèque ? C’est remarquable, et à l’évidence, ça ne les arrange pas, car si couper directement les têtes (y en a-t-il vraiment douze ?) de cette hydre gigantesque serait particulièrement tentant, il serait en effet très possible qu’il lui en pousse d’autres dans la seconde.

Malgré tout, comme toute organisation humaine, et justement parce qu’elle empêche la communication entre la plupart de ses membres, elle a nécessairement ses failles. Ce qui fait sa force pourrait également faire sa faiblesse. Eve lui confie tous les indices à sa disposition, et Will les écoute attentivement, attentif à ceux qui pourraient faire une différence et leur permettre de progresser dans la bonne direction… Un œil extérieur sur ce groupe pourrait s’avérer bénéfique, en l’occurrence. Villanelle avait donc voulu changer de fonction, et cette promotion avait techniquement été acceptée, sans pour autant que les fonctions de Villanelle évoluent le moins du monde. Si Villanelle était bel et bien cette tueuse aguerrie et implacable, il était normal que les Douze n’aient pas voulu se séparer de leur poulain pour lui confier un autre rôle. Si leurs titres n’étaient confiés qu’à eux et un petit nombre, personne ne vous voyait vraiment évoluer sur l’organigramme, en fin de compte… C’est un constat… troublant.

Quant à ce que peut être le dessein de cette organisation, il parvient à être aussi flou que tout le reste. Semer le chaos, seulement ? Cela semble… peu viable, comme objectif. Mais le fait de s’attaquer à des personnalités politiques, à des personnes de pouvoir, peut donner un semblant de sens au reste : peut-être cherchent-ils à déblayer le terrain pour pouvoir ensuite s’imposer et placer des têtes pensantes partout où cela leur paraîtrait essentiel ?

Will examine avec attention le dossier où Eve a catalogué toutes les informations qu’elle avait été capables de cataloguer au sujet des Douze. Certaines sont à prendre avec des pincettes, bien sûr, car elles se réfèrent à son monde (leur monde ?) d’origine, d’autres concernent les actions concrètes des Douze dans ce nouveau monde. Chaque élément, chaque déduction, témoignait d’un travail de fond remarquable.

« Les circonstances les ont forcés à évoluer », remarque-t-il tout en continuant à feuilleter le dossier. « Leur organisation était ingénieuse, certes, mais dans ce nouveau monde, les Douze n’ont sans doute pas pu compter sur les mêmes acteurs ni même sur la même logistique… Ils ont sans doute révisé leurs objectifs également si l’ont tient compte d’à quels point les jeux politiques et d’influence sont opaques, sur cette île. Ils sont puissants, mais ils sont fragiles… » Il lève les yeux vers Eve. « Comment les Douze sont-il entrés en contact avec Villanelle pour la première fois, ici ? »

Fair warning

feat. Will Graham

Eve laissa Will feuilleter le dossier qu'elle venait de lui confier. Elle en profita pour prendre une gorgée de sa boisson. La fraîcheur du liquide lui offrit un bref répit et lui permit de se concentrer sur les analyses de Will et, finalement, sur ses questions. Eve reposa son verre et s'humecta les lèvres avant de répondre sur le ton de l'exposé :

- Leur méthode de communication favorite, ce sont les cartes postales. Des cartes postales codées, qui indiquent des cibles, des lieux... Ici, nous n'avons toutes les deux fait face qu'à des hommes de main, des hommes visiblement choisis pour leur capacité à user de leurs poings et exécuter les ordres. La première fois, elle a refusé de retravailler pour eux. Mais ensuite, ils ont jugé bon de me menacer physiquement et... Pour le moment, c'est un chantage qui fonctionne bien. On connaît le nom de la boss directe de Villanelle. Elle s'appelle Hélène. Mais pour le moment, elle est restée dans l'ombre.

Elle passa outre le fait que Villanelle n'avait, dans un premier temps, pas partagé l'information et avait recommencé à tuer sans la prévenir. Depuis, ces cachotteries avaient été réglées, et elles n'en étaient que plus déterminées à éliminer les Douze une bonne fois pour toutes.

- Leur force, autrefois, résidait en ce qu'ils étaient partout, et opéraient internationalement. Ici, ils sont contraints de rester sur l'île, ils ont donc nécessairement moins d'alliés, moins d'agents... Moins de pouvoir. Je pense même qu'il manque certains haut gradés, c'est inévitable. Mais ils sont comme... Comme une hydre. On aura beau tuer les membres, encore et encore, il y en aura d'autres pour les remplacer. A moins qu'on ne trouve la tête pensante.

Eve n'était plus rebutée par l'idée d'avoir à tuer, encore et encore, pour parvenir à ses fins et obtenir la liberté. Surtout pour permettre à Villanelle d'obtenir cette même liberté. Elle était déterminée, prête à déployer tous les moyens nécessaires, y compris la torture, pour cela. Mais elle savait que des alliés, d'autant plus de la trempe de Will, seraient un avantage colossal.

Fair Warning

feat. Eve

Will relève le regard, intrigué, quand Eve lui apprend que les cartes postales sont le moyen de communication favori des Douze. Ce n’est définitivement pas la réponse à laquelle il s’attendait, mais il laisse à sa collègue le soin de développer ses explications. Ces cartes postales sont donc codées, permettant à leurs destinataires de savoir l’identité de leurs cibles et où les trouver. Quelque part, c’est ingénieux, Will doit bien le reconnaître : un ordre de mission qui semblerait presque innocent, et que l’on pourrait même exposer au regard de tous, sans que quiconque ne se doute du message que ces cartes postales pouvaient bien renfermer.

Will écoute Eve tout aussi attentivement quand elle lui apprend de quel manière Villanelle a été abordée. Elle avait refusé, alors ils l’avaient menacé, elle. Will s’autorise un regard plus appuyé en direction de son interlocutrice, comme si il pouvait être capable de déceler des séquelles visibles des éventuels supplices physiques qu’on lui aurait fait subir, mais s’il en demeure des marques, et comme c’était à prévoir, elle ne sont évidemment pas visibles. Il envisage de demander davantage de précisions, mais il se retient, et à la place, l’écoute parler de cette femme, qui est la boss directe de Villanelle. Hélène, juste Hélène. Ce qui n’est sans doute pas son vrai nom (tout comme Villanelle, d’ailleurs, n’est probablement pas le vrai nom de la fiancée d’Eve).

Il hoche la tête quand aux dernières remarques d’Eve, quand elle observe que leur champ d’action est forcément limité à l’île dans son entier (ce qui, cela dit, puisqu’il semble impossible d’en délimiter les contours ni d’en déterminer la taille, reste beaucoup trop). Ils sont limités, et sans doute affaiblis, ils ont perdu l’influence qu’ils avaient autrefois, et c’est ce qui jouera en leur faveur.

« Alors il nous faudra couper chacune de ces têtes jusqu’à atteindre celle qui nous intéresse », fait-il posément, et à ce stade de leur conversation, Eve ne peut ignorer que s’il file la métaphore, cela ne change rien à la nature radicale de son propos. Dès l’instant où la vie d’Hannibal (et de fait la sienne) a été mise en jeu, il a évidemment été hors de question de se positionner en qualité d’observateur éclairé. Il a la ferme intention d’intervenir. Et à quatre, ils seront définitivement plus efficaces pour enfin arracher cette satanée tête une bonne fois pour toutes. « Est-ce qu’on est certain qu’absolument personne n’est sur leur trace, qu’aucune enquête officielle n’est ouverte à leur sujet ? » demande-t-il en guise de précaution.

Au vu des circonstances, il est plus que préférable qu’ils ne se trouvent pas en situation de devoir détourner l’attention constamment de leurs collègues. Il leur faut toute la latence possible afin d’agir conformément à leurs méthodes qui, à l’évidence, ne sont pas celles qu’ils devraient privilégier.

Fair warning

feat. Will Graham

Eve était rassurée d'obtenir la confirmation qu'elle attendait. Will saisissait l'ampleur de cette affaire, et semblait déterminé à se  débarrasser de cette organisation tout autant qu'elle et Villanelle. Eve voulait les démanteler à la fois par vengeance et pour que sa fiancée obtienne enfin sa liberté. Will voulait intervenir parce qu'il était directement visé, lui ainsi qu'Hannibal. Ils avaient tous les quatre le plus grand intérêt à s'associer, bénéficiant ainsi de l'effet de surprise et de l'expérience. C'était une alliance si naturelle que c'en devenait presque dommage qu'ils n'y aient pas songé auparavant. Mais avant ce jour-ci, Eve ne savait presque rien de la noirceur de Will, tout comme lui ne pouvait soupçonner sa propre noirceur.

- Exactement, approuva Eve avec un sourire sincère lorsqu'il fila la métaphore.

Elle n'aurait sans doute pas dû se fier aussi facilement à lui. Mais par le passé, Eve avait pu constater que ce n'était pas tant le travail d'équipe qui était dangereux que le fait de se fier à une femme qui semblait détenir toutes les informations et tous les contacts possibles et imaginables. Elle avait très vite appris à se méfier de Carolyn. Mais ses autres collègues, eux, avaient eu leur utilité.

- C'est sûr et certain. Ils sont malins, les meurtres sont d'apparence sans rapport les uns avec les autres. Si je ne connaissais pas leur existence grâce à mon ancien travail, je n'aurais jamais pu deviner qu'il s'agissait d'eux. Le doute continuait même de subsister avant qu'ils n'interviennent directement pour recruter Villanelle une nouvelle fois.

Elle n'était pas surprise par cette insistance. Ce semblait être leur idéologie. Lorsque l'on faisait partie des Douze, on en faisait partie à jamais. Et, plus pragmatiquement, Villanelle était douée. Très douée. Selon Eve, elle était même brillante à sa manière, non seulement intelligente et précise mais également capable d'une improvisation telle qu'elle pouvait déconcerter n'importe quel adversaire, elle en était convaincue. C'était un allié précieux pour les Douze, qui étaient nécessairement démunis sur cette île. Une bonne tueuse à gages, ça ne se refusait pas.

Fair Warning

feat. Eve

Il n’y a rien de forcément très réjouissant à la perspective de s’attaquer à une organisation criminelle aux embranchements complexes en tuant chacun de ses membres un à un, mais à mesure qu’il évoque cette perspective avec son interlocutrice, il aurait tendance à se sentir presque exalté autant par le but qu’il pourrait servir que par le prétexte qu’il se donne à laisser sa cruauté s’exprimer au nom d’une cause qui – pour une fois – serait presque noble. Un prétexte, certes, mais quelque part réconfortant. Comme est réconfortante la complicité de plus en plus grande qu’il se découvre avec Eve. Pouvoir s’exprimer en toute transparence sans redouter ce qu’il pourrait dévoiler de lui-même, abaisser ne serait-ce qu’un peu les barrières qu’il s’est tant appliqué à dresser entre lui et les autres, force lui est de reconnaître que ça lui fait du bien.

Ils ont affaire à des adversaires à l’évidence très malin, mais ce n’est pas quelque chose qui inquiète réellement Will. Certes, il faudra qu’ils se montrent, par conséquent, prudents, et leurs vies pourraient bien être sur la corde raide. Mais la perspective de ce challenge pour le moins complexe a quelque chose d’exaltant, et plus encore quand il constate avec quelle fébrilité et quelle détermination Eve en parle. C’est quelque chose qui lui tient à cœur, c’est évident, et quand bien même leurs vies à tous n’était pas sur la sellette, cela n’empêcherait pas Will de vouloir l’aider.

« Tu es sans doute la seule à pouvoir deviner leurs crimes et leurs intentions, tu es sans doute parmi leurs adversaires les plus dangereux, à ce stade », remarque Will posément. « Pourtant, ils se sont contenté de t’intimider, et uniquement dans l’intention de recruter Villanelle. » Il marque une pause. « Je ne doute pas que Villanelle soit une tueuse d’exception. »

Et il peut parler ainsi de la future femme d’Eve sans sourciller, sans suggérer qu’en temps que représentants de l’ordre, ils devraient tous deux trouver cela logiquement problématique. Mais bien sûr, ils n’en sont clairement plus là… et Will ne verrait pas d’intérêt à ne serait-ce que le prétendre, à ce stade.

« Mais ce n’est peut-être pas pour cette raison qu’ils tiennent à ce point à la recruter. Ils sont peut-être davantage intéressés par l’emprise qu’ils peuvent avoir sur elle – et par extension, sur toi – que par la manière dont ils pourraient mettre ses talents à profit », suggère-t-il.

A ce stade, il se contente de réfléchir à voix haute. Il ne connaît pas suffisamment les Douze pour pouvoir prétendre avoir des hypothèses arrêtées sur la situation, mais quelques esquisses d’interprétation se profilent néanmoins petit à petit. Lentement, mais sûrement.

Fair warning

feat. Will Graham

Les pensées d'Eve se succédaient à un rythme anarchique, passant d'une hypothèse à une autre, accumulant les différentes interprétations qu'elle pouvait donner à cette situation. Mais alors que Will lui confiait ses propres hypothèses, elle parvint à se concentrer sur lui et leur conversation. Et elle ne le regretta pas, car les remarques de son collègue étaient particulièrement intéressantes.

Elle avait tant été obnubilée par cette mystérieuse Hélène et par son insistance à l'égard de Villanelle qu'elle en avait repoussé ce qui la concernait, elle. Et la concernant, les remarques de Will étaient très pertinentes. Il aurait été plus simple, pour les Douze, de l'éliminer. Même d'éliminer Villanelle, étant donné sa résistance première. Les Douze n'étaient pas connus pour la loyauté qu'ils accordaient à leurs agents, en tout cas si elle se fiait aux multiples tentatives de meurtres subies par Konstantin. Et si l'amorce d'obsession d'Hélène pour Villanelle n'était sans doute pas étrangère au fait qu'elles soient toutes deux vivantes, elle ne faisait que confirmer l'hypothèse de Will. Les Douze entendaient développer leur emprise sur elles deux. Dans quel but exactement ? Là était tout le mystère. L'hypothèse selon laquelle ils espéraient la recruter elle aussi était tentante, mais Eve la rejeta bien vite. Ils avaient des agents sanguinaires, surentraînés, doués. Et ce même s'ils étaient sans doute moins nombreux dans cette ville qu'ils ne l'étaient autrefois, ce qui expliquerait leur insistance pour recruter Villanelle. A leurs yeux, elle était au mieux une adversaire, comme le suggérait Will.

- C'est possible, confirma-t-elle soudain avec une ébauche de sourire.

Mais son sourire s'estompa à mesure qu'elle réfléchissait à l'hypothèse de Will et s'en servait pour développer ses propres pensées.

- Une assurance que nous n'agissions pas directement contre eux, donc. Oui, ça leur ressemblerait bien. Mais il aurait été plus prudent, pour eux, de nous éliminer. Purement et simplement. Nous sommes les deux seules à les connaître, nos connaissances sont un grand risque pour eux. D'autant plus qu'ils sont très attachés à leur anonymat. Or après tant d'efforts pour nous garder en vie... On peut dire que ça commence à ressembler à quelque chose de très personnel. Une vengeance plus vicieuse peut-être ? Nous forcer à coopérer pour nous tourmenter un peu, puis nous abattre ?

Fair Warning

feat. Eve

Will ne peut être certain de ce qu’il suggère. Il n’a jamais vu les Douze en action, et il doit encore intégrer toutes les informations qu’Eve lui a communiquées en même temps qu’ils se seront confiés leurs secrets respectifs. Il est loin d’avoir une vision globale de la situation. Mais Will sait posséder une très bonne intuition, et s’il ne peut être tout à fait certain du fait que ses suggestions sont les bonnes, il estime en revanche qu’elles doivent être prises en considération. Il lui manque encore de nombreuses informations, mais il a tout de même un avantage non négligeable sur Eve ou encore Villanelle. Il est extérieur à cette situation. Il peut donc la considérer avec une relative objectivité. Relative tout de même, oui, car la vie d’Hannibal est en jeu, et cela biaise naturellement son jugement, il ne peut en être autrement.

Eve admet que son hypothèse est bien possible. Tandis qu’elle rebondit sur ses propos, Will constate, une fois n’est pas coutume, cette dynamique qui s’est rapidement instaurée entre eux, la façon dont les réflexions de l’un alimentent celles de l’autre, faisant d’eux un duo des plus redoutables quand ils travaillent ensemble. Et pour cause, leurs manières de penser sont en fin de compte très similaires. Ce qui justifie probablement que leurs histoires se révèlent l’être également.

Will hoche la tête. Oui, c’est ce qu’il a à l’esprit, en effet. Il ne peut bien sûr pas être certain de voir juste, mais il pense néanmoins sur la bonne voie, et il en est d’autant plus convaincu quand Eve lui confirme que ce genre de pratique ressemblerait bien à ce qu’elle savait des Douze. Sauf que, les éliminer purement et simplement aurait été plus prudent. Très probablement, oui… Dans ce cas, sa conclusion serait la même que la sienne : quelqu’un, au sein de cette organisation, peut-être même à la tête de cette dernière, cherche à se venger…

« S’il est vraiment question de cela, s’ils sont prêts à prendre le risque de vous garder en vie, en tout cas temporairement, c’est qu’ils ont une sérieuse dent contre vous… De ce que tu m’as appris jusqu’ici, je comprends qu’ils ne vous tiennent pas en grande estime, j’ai du mal à comprendre en revanche ce qui pourrait les pousser à mener une telle vendetta à votre encontre, quitte à se compromettre », observe-t-il, songeur, se demandant s’il n’y aurait pas des information qu’Eve aurait encore omises.

A moins qu’Eve elle-même n’en sache pas davantage ? Qui sait si Villanelle ne lui a pas dissimulé des informations essentielles à la compréhension de cette situation dans sa globalité.

Fair warning

feat. Will Graham

Leurs pensées commençaient à s'aligner sur la même hypothèse : Eve et Villanelle n'étaient gardées en vie que pour participer, à leur insu, à un jeu des plus malsains où elles se retrouvaient sous l'emprise d'une tierce personne le temps de... De quoi, exactement ? Et qui pourrait leur en vouloir au point de prendre le temps d'exercer une torture psychologique sur elles ? Le nom d'Hélène avait été cité par les hommes qui s'en étaient pris à elle, mais Eve n'avait jamais rencontré cette femme... A moins qu'elle ne s'en souvienne pas.

Troublée par cette hypothèse, Eve garda précieusement l'idée dans un recoin de son esprit avant de se focaliser de nouveau sur ce que disait Will. Ils étaient deux à ne pas comprendre, et elle supposa que pour tout comme elle, c'était un constat qui devait être frustrant pour son collègue. Pour elle, c'était même un constat qui commençaient à devenir anxiogène.

Eve et Villanelle avaient des ennemis dans leur ancienne vie, c'était inévitable. Mais chacune avait les siens, pour des raisons bien spécifiques, principalement liées à leur travail respectif. Les seuls personnes qu'elles connaissaient toutes les deux et qui puissent leur en vouloir, pour une raison ou pour une autre, étaient Konstantin et... Dasha, mais cette dernière était supposément morte. Eve savait néanmoins que cette ville avait la curieuse aptitude à faire revivre des morts, donc l'hypothèse n'était pas à écarter totalement, même si elle n'était pas totalement convaincante, pour Eve. Tout en poussant un soupir, elle la confia à Will :

- L'une de leurs agentes est morte à cause de nous mais... Elle n'était pas suffisamment importante pour eux, ça ne peut pas être ça. A moins qu'ils cherchent à nous faire payer le désir d'émancipation de Villanelle et l'obstination du MI6 à les démanteler.

Ou que Konstantin soit fâché au point de vouloir attenter aux jours de Villanelle, et aux siens également, même si Eve serait particulièrement surprise d'apprendre une telle chose. Konstantin lui avait toujours paru être trop centré sur soi et sa survie pour se placer en une telle situation de danger.

Fair Warning

feat. Eve

L’intuition de Will, toute imparable soit-elle, se heurte à toutes ces inconnues qui ne lui sont pas révélées et qu’il n’est manifestement pas en mesure de déceler. Quand une situation semble floue à beaucoup, le profiler sait, sans grande difficulté, combler les vides. Cette fois, il n’en est rien. Il passe, à l’évidence, à côté d’un élément important, et s’il peut apprécier certaines de ses hypothèses, elles demeurent trop imparfaites, source de réelle frustration pour Will, à plus forte raison qu’il ne s’agit pas d’une affaire classique qu’il lui faudrait résoudre (si tant est qu’il en ait jamais traité la moindre), mais d’une affaire bien plus épineuse qui concerne très directement Eve et sa compagne, oui, mais qui le touche aussi très directement, puisque cela touche Hannibal. D’une façon ou d’une autre, il faut qu’ils parviennent à faire la lumière sur ces événements pour l’heure opaques, et c’est loin d’être gagné. Will ne sait dégager que quelques idées à peine assez consistantes pour être effleurées. Non, ce n’est définitivement pas assez…

Pour confronter Eve à des éléments auxquels elle n’aurait pas songé, il faudrait qu’il soit en mesure de cerner un nouvel angle sous lequel aborder la question, et pour l’heure, c’est loin, très loin d’être le cas… Par ailleurs, il sait Eve bien assez brillante pour avoir songé par avance à tout ce qu’il pourrait être en mesure de lui-même concevoir, ce qui restreint très naturellement leurs possibilités. Will devine qu’Eve aura naturellement, intuitivement écarté quelques hypothèses qui lui auront peut-être semblé trop fragiles… Et peut-être qu’il devrait y revenir afin de lui offrir d’y poser une autre sorte de regard, mais le fait est qu’il a suffisamment confiance dans l’intuition de sa collègue pour ne pas remettre en question ses hypothèses – fait remarquable pour lui qui sans prétention, juste avec certitude, a tendance à revenir sur le travail d’autrui en le considérant par essence biaisé ou imparfait.

Eve reprend en lui apprenant qu’elles ont été responsable de la mort d’une de leurs agentes. Soit. Faut-il pour autant que cela suffise à expliquer un tel acharnement ? Non, aux yeux de Will, quelque chose ne colle pas. Certes, l’on aurait sans doute cherché à faire payer l’insubordination de Villanelle, ou les actions du MI6, mais sa collègue l’a dit elle-même, il y a quelque chose de… beaucoup trop personnel à tout ceci, presque comme si les Douze étaient une sorte de prétexte à justifier les actions menées contre elles.

« Se pourrait-il que ce personnes pensent s’en prendre à… d’autres versions de vous ? » suggère-t-il, bien conscient de comment doit sonner son hypothèse. « Je sais, ça paraît insensé… mais on a déj suggéré qu’il existait une dimension similaire à la mienne, à celle d’Hannibal, où d’autres versions de nous coexisteraient. »

Et c’est peut-être le moment où Eve regrettera de s’être tournée vers lui.

Fair warning

feat. Will Graham

Si Eve s'ouvrait si facilement et acceptait de donner autant de détails sur sa vie privée à Will, c'était bien la certitude qu'elle plaçait en lui toute la confiance qu'elle n'avait pas su placer en d'autres, dans son ancienne vie. Ni à Carolyn, ni à Kenny, et surtout pas à Niko. Même Bill n'avait pas survécu suffisamment de temps pour qu'elle se résigne à lui confier les détails de ce qui l'animait dans sa poursuite de la tueuse à gages qu'était son actuelle fiancée.

Et ce fut précisément grâce à l'estime qu'elle avait pour Will qu'elle accepta de passer outre ses doutes et sa surprise et de s'attarder très sérieusement sur la suggestion de son collègue.

- D'autres versions de nous ? répéta-t-elle dans un réflexe machinal afin de se donner le temps d'appréhender cette possibilité.

En soi, c'était possible. Elle croyait Will lorsqu'il lui affirmait qu'il pensait que d'autres versions de lui-même ou de Hannibal existaient. Pourtant, et elle n'aurait su l'expliquer, c'était une hypothèse qui, bien que probable, ne la satisfaisait pas tout à fait. Elle avait l'intuition que quelque chose continuait de lui échapper... Et c'était une impression désagréable au possible.

- C'est possible, concéda-t-elle tout de même. Cela dit, si d'autres versions de nous existent, je suis bien contente de ne pas les connaître.

Elle tenta d'imaginer une autre version de Villanelle et... S'aperçut que c'était là un effort d'imagination qui surpassait ses capacités. Il était impensable, pour elle, d'imaginer que sa fiancée soit une autre... Et d'accepter que la moindre part d'elle soit altérée. Mais c'était là une considération qui s'écartait de l'urgence première, à savoir les Douze.

Pendant qu'elle continuait de réfléchir à toutes les possibilités, elle recherchait avidement un détail qu'elle aurait omis mais qui serait capital. Mais plus elle s'acharnait, plus la réponse semblait lui échapper, la narguer de par la confusion qui s'emparait de son esprit. De toute évidence, il leur manquait des éléments de réponse.

Agacée de ne pouvoir établir une hypothèse satisfaisante, Eve s'accorda le temps de prendre une gorgée de sa b boisson avant de suggérer :

- Il faut que nous puissions en discuter tous les quatre.

Fair Warning

feat. Eve

Souscrire à des théories qu’il lui aurait semblé particulièrement aberrant de cautionner autrefois fait dorénavant partie de son quotidien, et Will n’a pu que constater avec quelle facilité l’on se familiarisait avec l’impensable au point d’admettre les théories les plus fantasques quand on avait toujours voulu fonder autrefois son analyse sur des preuves (certes, des preuves qu’il semblait capable de trouver avec une facilité déconcertante, mais passons). Il avait accepté le caractère impensable et fantastique de son existence en même temps qu’il en avait admis l’horreur – sans aucun retour en arrière possible. Alors oui, même s’il ignore si Eve saurait être aussi ouverte que lui à cette possibilité, il envisage bel et bien que d’autres versions d’eux puissent exister ou influencer les actions de certains les concernant, il l’a observé pour sa part… Serait-il si improbable qu’Eve l’observe également de son côté, après tout ?

Il se sent presque soulagé de l’entendre admettre que la possibilité qu’il souligne ne lui paraît pas à jeter et mérite réflexion, il n’avait pas particulièrement eu l’intention ou l’envie de s’en justifier. Elle note tout de même que si d’autres versions d’eux devaient exister, elle se satisfait très bien de ne pas les connaître.

« Moi aussi », reconnaît Will, ce qui ne l’empêche pas de se poser des multitudes de questions concernant ce Will Graham que Clarice Starling (si elle ne se contente pas de les mener en bateau) aurait connu.

Quel genre d’homme était-il ? Avait-il su lutter contre des démons qu’ils avaient eu en commun ou n’avaient-ils jamais eu les mêmes, au fond ? Ces questions ne trouveraient peut-être même pas leurs réponses s’il devait rencontrer cet autre Will et si les deux devaient être bien trop occupés à se jauger et s’analyser mutuellement pour céder le moindre pouce de terrain à l’autre.

« Je pense que tu as raison, c’est le mieux à faire. » Ils ne progresseront pas tant qu’ils n’en discuteront pas tous les quatre, c’est assez certain, et quand bien même Will n’est pas tout à fait confiant à l’idée d’une telle réunion, il en admet sans mal la nécessité. « Je vais en parler à Hannibal, le connaissant, il souhaitera certainement vous inviter à dîner en bonne et due forme », remarque-t-il simplement, comme si cela devait clore l’affaire et décider de ce que serait le déroulement de la suite. « Je te tiendrai au courant. »

Pour le moment, ils peuvent avancer toutes les informations qu’ils voudront, ils ne feront naturellement que stagner et ils ne font jamais que parler dans le vide. Il est grand tems de donner corps à leurs hypothèses en confrontant leurs réflexions les unes aux autres.

Fair warning

feat. Will Graham

Eve hocha la tête, appréciant qu'ils en soient venus à la même conclusion. Ils devaient discuter de tout cela tous les quatre s'ils voulaient véritablement faire progresser l'affaire.

- Parfait. Mieux vaut que nous en parlions dans un endroit sans oreilles indiscrètes.

Même si l'avantage d'un restaurant comme celui-ci, c'était qu'il était tellement bondé que les conversations fusaient et qu'il était presqu'impossible de se concentrer sur les conversations des voisins à moins que l'on tende ouvertement l'oreille. Ce qu'ils auraient aussitôt remarqué, si jamais l'un des individus qui les entouraient s'était amusé à le faire.

- Par contre, je dois t'avertir... Villanelle, elle est... Enfin... Disons qu'elle n'a pas la langue dans sa poche.

Un sourire attendri étirait déjà le coin de ses lèvres en mentionnant ce trait de caractère. La franchise exacerbée et parfois franchement grossière de sa fiancée l'avait agacée du temps où elle rejetait violemment les sentiments qu'elle avait pour elle... Mais maintenant qu'elles étaient ouvertement amoureuses, Eve admettait enfin que cela faisait partie de ces multitudes de petites choses qui rendaient la jeune femme si attirante et si exceptionnelle à ses yeux. Même si elle savait que ce qu'elle appréciait, elle, risquait fortement de moins bien passer chez d'autres.

Mais Will était prévenu, et elle comptait sur lui pour prévenir Hannibal également. Et à présent que cette information était délivrée...

- Avant que nous sortions... J'ai une autre demande. Autrement plus délicate.

Elle attendit d'avoir son attention avant de reprendre, doucement, presque timidement :

- Je crois que c'est évident, maintenant... Tu es la seule personne de cette ville que je peux considérer comme... Comme un ami. Et vu que tu sais déjà trop de choses... J'aimerais que tu sois témoin à mon mariage.

Sans s'attarder sur la réaction de Will, elle prit son verre et en prit quelques gorgées, leur laissant à tous deux un temps pour se remettre de la manière dont elle avait amené le sujet. Mais c'était maintenant ou jamais, non ?

- Je te promets que je me vexerai pas si t'es pas d'accord, ajouta-t-elle enfin sur le ton de l'humour.

Fair Warning

feat. Eve

L’affaire est donc entendue, ils reprendront le cours de cette conversation dès lors qu’ils se retrouveront tous les quatre autour d’une même table. Même si Will prend les devants à ce sujet, il est convaincu qu’Hannibal n’y verra pas d’inconvénient. Bien au contraire, même, il laissera probablement parler sa curiosité naturelle, et ne demandera qu’à rencontrer cette collègue qui par bien des aspects lui ressemble, et sa fiancée… qui par bien des aspects, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne ressemble pas à Hannibal. Will prend bonne note de ce qu’elle lui apprend. Villanelle n’aurait pas la langue dans sa poche, selon elle. Will pourrait simplement la rassurer et prétendre que ce n’est rien, mais c’est en vérité une information qu’il conserve précieusement, car elle n’est pas anodine. Mieux vaut qu’Hannibal soit averti en amont, à vrai dire.

« Je suppose qu’en retour, je dois également t’avertir au sujet d’Hannibal. Il est… très à cheval sur la politesse. » Et ironiquement, les impolitesses de Will – nombreuses – faisaient partie de ces rares entorses à ses propres préceptes qu’il était à même de tolérer. « Et peu indulgent avec ce qui selon lui heurte son bon goût. »

Tout comme précédemment Eve avait évoqué Villanelle non sans une certaine tendresse, il en est une similaire pour traverser sa voix au moment d’évoquer le cas d’Hannibal. Comme ils se laissent attendrir par leurs fiancés psychotiques… Quoi qu’il en soit, oui, il pense que ses avertissements ne seront pas de trop, quand bien même Will pense pouvoir sans difficulté offrir à Eve et Villanelle la garantie de ne pas faire l’objet des résolutions meurtrières du cannibale.

Will s’attend à ce que la conversation s’achève ici, mais Eve le retient, lui apprenant au passage avoir une autre demande, selon ses dires autrement plus délicate, à lui formuler. Will, curieux, attend d’en entendre plus, mais parmi la multitude des hypothèses qu’il daigne avancer, aucune ne le prépare à la requête de son amie. Une requête hésitante, presque timide. Elle lui confie ne considérer personne en dehors de lui comme un véritable ami, la réciproque est vraie. Eve est la première qu’il ne considère pas comme une ennemie et qui sache pourtant tout – ou presque – de son histoire tumultueuse (exception faite d’Abigail, mais elle est encore un cas particulier). Elle veut qu’il soit le témoin à son mariage. Cette attention le touche plus qu’il ne l’avait imaginé.

« Tu n’auras pas besoin de te vexer », répond Will avec sincérité. Il n’a même pas d’hésitation au moment de lui répondre quand, au fond, cela tombe sous le sens. Un témoin doit bien tout comprendre et approuver de votre idylle, non ? Quel meilleur témoin que Will, dans ce cas ? Et quel meilleur témoin qu’Eve à son propre mariage tout compte fait. « J’en serais honoré. Sincèrement », reprend-il. « A charge de revanche quand viendra mon tour. »

Fair warning

feat. Will Graham

L'avertissement de Will l'intrigua. Pour sûr, il y aurait de l'animation à cette fameuse soirée. Si Will et Eve s'entendaient aussi bien, c'était en grande partie parce qu'ils possédaient des caractères similaires. Mais il semblerait que leur partenaire respectif soient aussi différents l'un de l'autre que le feu et la glace.

- Je vois. Je dois dire que ça promet d'être... Intéressant.

C'était évident que Villanelle finirait, d'une manière ou d'une autre, par heurter le "bon goût" d'Hannibal. Ils pourraient éventuellement s'accorder sur leur style vestimentaire, puisqu'elle avait compris que cet homme-là aimait également se vêtir luxueusement. Mais en ce qui concernait la politesse... Disons que chez Villanelle, elle n'allait que dans un sens. Et pas le plus appréciable.

Mais puisqu'Eve venait de demander à Will d'être son témoin, il faudrait bien que les deux êtres qui partageaient leur vie s'entendent au moins suffisamment pour se tolérer le jour du mariage. Et même... Des deux mariages, si elle se fiait à ce qu'elle pensait avoir entendu. Etait-ce bien possible ? Eve ne s'était pas attendue à ce que quelqu'un l'apprécie suffisamment - en dehors de Villanelle - pour lui demander une telle chose. Elle reconnaissait très aisément qu'elle n'était pas dotée du caractère le plus facile ou le plus agréable, elle aussi.

Elle était déjà particulièrement émue qu'il ait accepté, aussi rapidement, sa demande. Elle était toute disposée à lui laisser un temps de réflexion. Mais finalement, la situation s'inversait et il lui retournait la demande.

- Ce serait avec plaisir, répondit-elle doucement.

La fin de cette conversation continuait de la persuader que Will était le choix parfait en tant que témoin à son mariage. Et qu'elle avait bien fait, également, de lui accorder suffisamment de confiance pour se confier à lui.

- Cette fois on ferait vraiment mieux d'y aller, avant qu'on nous demande de faire des heures supp'.