[terminé] [UA Vampire] Villaneve - Vampire & Vampire Hunter

Des nuits et des nuits que dure ce manège. Villanelle est partagée. Entre le désir de le faire durer davantage, disperser des indices, induire de fausses pistes, lui laisser l’occasion d’effleurer la possibilité d’une rencontre, d’une victoire, avant de s’évaporer dans la nature, plus inaccessible que jamais. De ce petit jeu de chat et de la souris, elle ne se lasse pas tout à fait, mais elle ne peut s’empêcher, néanmoins, d’éprouver un sentiment de frustration qui ne saura être parfaitement oublié qu’au moment où Eve Polastri, la redoutable chasseuse de vampires, croisera pour de bon le regard de Villanelle, la buveuse de sang. Cette nuit, elle est décidée. Elle va cesser de s’imaginer leur rencontre, de l’observer à distance, de s’imaginer la saveur singulière de son sang.

Ce soir, elle passe à l’action. A ses risques et périls, car la réputation de la chasseuse la précède, et elle est plutôt reluisante. Il faudra être plus maline. Mais maline, Villanelle sait l’être, elle n’a du moins aucun doute à ce sujet. Trop imbue d’elle-même, à l’évidence, elle est absolument convaincue de mener la danse, et laisser un semblant de marge de manœuvre à Eve, ou plutôt l’illusion d’une marge de manœuvre, n’est jamais qu’une stratégie parmi tant d’autres, parmi toutes celles qu’elle a d’ores et déjà mises en place dans l’intention de se rapprocher de sa victime en devenir.

Ce n’est pas sans raison qu’elle a fait tant de victimes en un seul endroit. Imprudente, la vampire l’a toujours été. En trois siècles d’existence, elle ne s’est jamais embarrassée de prudence excessive, juste ce qu’il fallait pour ne pas souffrir d’un pieu en plein cœur. Elle aime laisser un souvenir marquant dans les endroits où elle passe, tout comme elle prend toujours un malin plaisir à… jouer avec sa nourriture. Mais en l’occurrence, la situation est tout de même différente. Son insistance à faire toutes ses victimes au sein du même établissement n’est pas un caprice de sa part. Elle a voulu attirer à coup sûr l’attention d’Eve, lui signifiait où elle se trouvait, lui faire comprendre, aussi, qu’elle était fin prête à la rencontrer. Leur petit jeu avait suffisamment duré. Elles ont bien mérité un petit tête-à-tête, toutes les deux.

Alors, attablée au comptoir, elle l’attend, elle sait qu’elle viendra. Quand elle fait enfin son entrée dans l’établissement, une lueur carnassière brille dans un regard qui la poursuit d’un bout à l’autre de la pièce, jusqu’à ce qu’elle décide de s’installer à une table esseulée. Armée de son propre verre, tentant de dissimuler son impatience derrière une attitude impassible, elle arrive à son niveau, pose ses mains sur le dossier de la chaise faisant face à celle où Eve, qu’elle n’a jamais vue d’aussi près, est attablée.

« Cette place est libre ? » demande-t-elle d’un ton doucereux.

Elle n’attend pas la réponse de la concernée pour prendre place sur la chaise en question, pas plus pour dévoiler ses cartes directement, à ses risques et périls, mais des risques qu’elle estime calculés.

« Ravie de te rencontrer enfin, Eve. »

Plaisir partagé. Sincèrement partagé, Villanelle le sait. Eve ne ment pas, ne prononce pas ces mots pour chercher à endormir sa confiance. Elles ont nourri l’une pour l’autre une fascination qui ont alimenté leurs attentes et rendu cet échange aussi nécessaire qu’exaltant. La conclusion de ce face-à-face n’en sera pas moins sordide, mais pour l’heure, elles peuvent bien faire durer le plaisir en question. Elles ont trop attendu, l’une comme l’autre, de se retrouver en présence l’une de l’autre, pour ne pas profiter de cet instant pleinement, à sa très juste valeur.

La gestuelle affichée par Eve en dit long sur son état d’esprit. Les mains jointes par-dessus la table, elle lui prouve qu’elle n’a pas l’intention de dégainer ses armes, qu’elle n’attaquera pas tout de suite. Villanelle devrait-elle profiter de la position d’Eve pour attaquer, la prendre par surprise ? Planter ses crocs au creux de son cou devant public pourrait lui causer le plus grand tort, mais ça ne l’inquiéterait pas en soi. Mais elle n’a pas l’intention de griller les étapes, et ça, Eve le sait, et c’est pour cette raison, bien sûr, qu’elle se montre à ce point confiante, à ce point sereine.

Villanelle affiche un sourire confiant et amusé quand Eve se permet de lui faire remarquer qu’elle l’aura bien fait languir. C’est vrai, en effet, Villanelle s’est plu à se jouer de la patience d’Eve, ne serait-ce que pour jauger sa détermination. Se lasserait-elle finalement ? déciderait-elle de s’intéresser plutôt à d’autres proies ? Si cela avait été le cas, Villanelle l’aurait sans doute tuée sans égards, par pure déception, mais Eve a insisté, et par la même, elle a obtenu plus que sa curiosité : elle a gagné son respect.

« J’aime me faire désirer », répond-elle, toujours avec ce très charmant sourire aux lèvres, parfaitement détendue, comme si elle retrouvait une vieille amie. De l’extérieur, il était sans doute impossible d’imaginer le passif qui les liait toutes les deux, et qui les lie toujours : pour le plus grand bonheur de Villanelle.  « Je n’ai pas changé d’avis », reprend-elle doucement, le regard planté dans celui de son interlocutrice. « J’attendais juste le bon moment », reprend-elle posément. Indifférente à la clientèle bruyante de l’établissement, elle n’est dorénavant focalisée que sur Eve, sur Eve et absolument personne d’autre.

Elles ne pourront pas jouer à ce petit jeu trop longtemps. Tôt ou tard, il va bien falloir que l’une ou l’autre prenne la décision de passer… au feu de l’action. Mais elle n’est pas pressée. Elle considère cet échange comme des préliminaires, et tandis qu’elles conversent, son regard se détachent de ses yeux pour lorgner le creux de son cou. Oh, comme elle doit être savoureuse.

« Qu’est-ce qui va se passer, maintenant ? » demande-t-elle avec un sourire amusé, pour ne pas dire joueur, au coin des lèvres.

« Les autres, j’en fais mon affaire », répond Villanelle, balayant d’un revers de manche la remarque pourtant pertinente de son ennemie.

Bien sûr qu’elle devrait s’inquiéter de tous les autres chasseurs qui pourraient s’organiser pour la pourfendre. En attirant l’attention d’Eve, elle attirait aussi l’attention de ses confrères, mais évidemment trop confiante et sûre d’elle, elle veut être convaincue qu’elle sera capable de ne faire qu’une bouchée de ses éventuels agresseurs. Être sortie victorieuse de tous ses face-à-face avec tous ceux qui ont voulu mettre fin à son règne de terreur l’a rendu particulièrement orgueilleuse, plus encore qu’elle ne l’était déjà. Elle ne redoute pas l’échec, et plus elle se laisse dominer par ce sentiment de confiance, plus elle se rapproche du feu, prend plaisir à se brûler les ailes.

« Oh, vraiment ? » répond Villanelle sans cesser de contempler la gorge d’Eve, alors que cette dernière affirme qu’elle n’aura pas son sang.

La regarder, la contempler, éveille en elle des envies toujours plus nombreuses, elle peut s’imaginer le goût de ce liquide vitale contre ses lèvres, elle peut imaginer ses doigts parcourir ce corps sublime en même temps qu’elle s’abreuverait à même sa gorge offerte… en présence d’Eve, son imagination part dans toutes les directions…

Villanelle ne se laisse pas le moins intimider par les paroles de son interlocutrice, quand cette dernière donne de la suite des événements une définition en laquelle la vampire ne croit pas le moins du monde. Non, ce n’est pas ainsi que les choses se passeraient, et Villanelle veut croire qu’au fond d’elle, ce n’est pas non plus ainsi qu’elle veut que les choses se poursuivre… Une part d’elle, elle en est convaincue, meurt d’envie de satisfaire à ces délicieuses pulsions qui sauraient en définitive leur plaire à toutes les deux. Pourquoi nier à ce point ses envies et ses désirs quand Villanelle, plus que n’importe qui d’autre, sera capable de les accomplir, sera même ravie de les assouvir. Elle serait capable d’offrir à Eve une vie – une mort – qui dépasserait ses désirs les plus fous et les moins avouables.

« De quoi veux-tu parler, Eve ? »

En vérité, elles n’ont sans doute rien à apprendre l’une de l’autre, car à force de se chercher, de s’analyser, de lorgner l’une sur l’autre à distance, elles se connaissent d’ores et déjà par cœur. Elles savourent l’accalmie avant l’inévitable tempête… Et au fond, elles pourraient bien ne rien se dire. Villanelle se contenterait tout à fait de juste la regarder, de la fixer intensément, et de savourer le silence et sa présence, elle pourrait seulement s’imprégner de son parfum, attentive au sang qui pulsait dans ses veines.. Et elle serait bien.

Le sourire de Villanelle se fait mutin tandis qu’Eve relève sa chevelure, lui laissant une vue imparable sur cette gorge dans laquelle elle rêve plus que jamais de planter les crocs. Pure provocation, sans doute, mais ça fonctionne très bien, d’autant que Villanelle ne peut s’empêcher de l’interpréter comme une sorte d’invitation, à laquelle elle brûle de répondre favorablement.

« Tu devrais les laisser détacher », dit-elle quand même sans cesser de la contempler.

Si elle aime le spectacle de cette peau accessible, elle reconnaît tout de même trouver Eve plus séduisante avec les cheveux complètement détachés… Elle n’en est pas moins séduisante dans tous les cas. Sa présence a un effet magnétique, sur elle, et elle ne cherche même pas à s’en défendre. Il y a de l’intérêt dans son sourire, de la gourmandise dans son regard. Et la réponse qu’Eve donne à sa question ne fait qu’accentuer encore ses impressions.

« Moi aussi je pense à toi… beaucoup », observe-t-elle en acceptant finalement de la regarder dans les yeux, surtout parce que l’intensité de son regard la laisse tout sauf indifférente. Ses questions sont nombreuses, très nombreuses.

Qui était-elle avant d’être transformée ? Elle balaie cette question d’un revers de la main, elle n’a pas l’intention de l’apprendre à son interlocutrice. Comme elle-même a tiré un trait sur son passé. Elle ne veut pas revenir à cette époque. Avoir été transformée a été sa chance, sa bénédiction. C’est ainsi qu’elle le voit, ainsi qu’elle le ressent, et de tout son être. Pour ses autres questions, elle prendra un malin plaisir à y répondre, mais petit à petit. Comme un bon dîner, elle veut voir cet échange durer le plus longtemps possible. Elle savoure en attendant à sa juste valeur ces questions qui ne laissent que davantage comprendre l’intérêt plus que manifeste qu’Eve lui apporte. Et Villanelle adore ça, elle adore terriblement ça.

« On ne demande pas son âge à une dame », répond-elle d’un ton joueur, pour répondre pourtant presqu’aussitôt. « Trois cent vingt et un ans », lui apprend-elle en s’appuyant davantage contre le dossier de sa chaise. « Tu sais déjà quelles victimes je préfère, tu les connais presque toutes », s’amuse Villanelle. Enfin, ce n’est pas entièrement vrai, bien sûr, seulement à partir du moment où elle s’est intéressée à son cas, mais c’est déjà beaucoup. « Et si tu te poses la question, oui, j’ai couché avec toutes », reprend-elle. « Et si tu veux connaître le goût du sang, il y a un moyen simple. » Elle se redresse pour se pencher vers Eve. « Tu pourrais même goûter le mien. »

Le regard qu’Eve lui adresse au moment d’apprendre son âge est surpris, mais Villanelle pense deviner qu’il est aussi impressionné, et c’est une pensée qui lui plaît beaucoup, à dire vrai. Elle veut qu’Eve continue de la trouver remarquable, impressionnante, intrigante… c’est aussi pour cette raison qu’elle ne veut lui dévoiler des informations sur qui elle est qu’avec la plus grande parcimonie… outre le fait qu’Eve pourrait ensuite faire le choix de se servir de certaines de ces informations contre elle.

Villanelle aurait pu mentir au sujet de son âge, en l’occurrence, ce n’est pas le cas. Et oui, elle veut bien croire que son âge impressionne, et c’est en partie le but de la manœuvre. En tant d’années d’existence, elle a été le témoin de nombreux événements humains et historiques, et tout ce temps, surtout, elle est restée insaisissables, de nombreux chasseurs à l’instar d’Eve – mais loin d’être aussi intéressants qu’elle en revanche – ont voulu mettre la main sur elle, aucun n’y est finalement parvenu. Aucun n’y parviendra jamais.

L’exaspération de son interlocutrice au moment de lui apprendre qu’elle a couché avec toutes ses victimes n’échappe pas le moins du monde à Villanelle. Serait-ce un fond de jalousie, qu’elle entend dans sa voix ? Peut-être bien que non, en réalité, mais la jeune femme aime à l’interpréter comme tel malgré tout, comme elle a pour habitude de s’arranger avec la réalité pour que cette dernière corresponde davantage à ses attentes, en somme.

Elle se contente de hausser les épaules d’un air indifférent pour ne pas admettre que son interlocutrice marque un point quand elle suggère qu’elle a dû se lasser de sa manière de traiter les femmes passées sous ses crocs et donc dans sa couche. Elle dirait que ça dépend, elle y prend parfois un certain plaisir, sans cesse renouvelé. Ce serait mentir en revanche que d’affirmer que c’est toujours le cas. Non, ça ne l’est pas le moins du monde, en vérité, et la lassitude est une émotion infiniment déplaisante qu’il lui faut supporter constamment, envers et contre tout.

« Qu’est-ce qui est ridicule, Eve ? L’idée que je boive ton sang ou le fait que tu en meurs d’envie. » Elle lui adresse un regard appuyé. « Tu n’en a pas assez de cette vie ? Tu n’aurais pas envie… de pouvoir enfin voir les choses à ma manière, goûter à la saveur de l’éternité, des vies qui s’éteignent pour prolonger la tienne ? » Elle laisse passer un temps de silence. « Tu n’as qu’un mot à dire. »

Et c’est la stricte vérité : un mot, un seul, et Villanelle consentira à faire d’elle celle qu’elle est convaincue qu’Eve désire déjà devenir, même si elle ne l’accepte pas entièrement, même si elle ne l’assume pas tout à fait, se protégeant derrière des excuses à peine recevables.

Eve laisse ses questions sans réponse et, ce faisant, donne à Villanelle l’opportunité de combler les vides comme bon lui semble. Si elle ne répond pas, c’est qu’elle sait bien, au fond, qu’au-delà de tout ce qu’elle pourra bien affirmer, et en dépit de l’énergie qu’elle déploiera à vouloir s’en convaincre, qu’elle n’est pas de taille à lutter contre la fascination et l’envie qu’elle lui inspire. C’est plus fort qu’elle, ancré en elle, voilà tout. Ou du moins, Villanelle en est si convaincue qu’elle ne sait que transposer cette conviction sur cette femme fascinante qu’elle ne sait s’empêcher de dévorer des yeux, avec toujours plus d’envie. Et plus elle protestera en prétendant ne rien vouloir de ce qu’elle lui propose, plus Villanelle sera convaincue de tout l’inverse.

Elle n’aurait eu qu’un mot à dire, c’était vrai. Villanelle avait très, très envie d’avoir l’ascendant sur Eve, c’est un fait, mais elle n’estime pas devoir lui mentir pour cela, et elle préfère l’imaginer transformée qu’éteinte. Elle et elle seule mériterait de recevoir le don d’une vie éternelle qu’elle n’a jamais jusque-là offert à qui que ce soit d’autre, estimant bien vite que l’attention de ceux qui un temps savaient vaguement la fasciner n’était qu’un soufflet destiné à très vite retomber. Eve est différente, et elle porte cette différence sur elle parce qu’elle a justement pleinement conscience d’être différente.

« Ce n’est pas ce que tu es venue faire », répond Villanelle en adressant à son interlocutrice son attitude la plus décontractée et la plus amusée. « Si tu étais vraiment venue ici pour me tuer, je serais déjà morte », elle répond avec un aplomb total.

Le fait est qu’elle ne peut pas l’affirmer avec tant de certitude, bien au contraire. Il est bien plus probable qu’elle ne fasse pas quelque chose de bien différent de ce à quoi elle s’amuse elle-même. Jouer avec sa cible avant de faire se refermer le piège sur elle. Une part d’elle a forcément la conviction de pouvoir la tuer, c’est certain, mais Villanelle veut penser que cette autre part, cette part qu’elle voudrait taire mais se fait sans doute encore plus bruyante quand elles se retrouvent face à face, ne veut rien de telle et ne demande, au contraire, qu’à voir la situation prendre une tournure complètement différente.

« Comment est-ce que tu comptes t’y prendre ? pour me tuer ? » demande-t-elle alors en ne cessant de s’adresser à elle avec très exactement la même intensité, qu’elle ne force pas, même si elle le pourrait, dans le but de troubler et d’intimider son interlocutrice. C’est au fond quelque chose de très naturel chez elle, elle ne sait pas si elle serait capable de regarder Eve d’une autre manière que celle-ci. Sans doute que non, en vérité.

Villanelle hausse les épaules, sourire aux lèvres quand Eve lui fait remarquer, à juste titre, qu’il ne serait pas très intelligent de sa part que de lui dire de quelle manière elle avait l’intention de l’achever. Ce n’est pas faux, en effet, et la vampire est loin de considérer Eve comme une personne manquant d’intelligence, bien au contraire – elle aurait plutôt tendance à penser qu’Eve est bien trop intelligente pour son propre bien (mais le fait est qu’elle aurait tendance à la placer sur un piédestal). Non, ce ne serait pas malin de sa part de lui répondre. Techniquement. Mais il n’est pas forcément très malin non plus de sa part de se taper gentiment la causette avec elle, ici et maintenant. Ce peut être une stratégie, bien sûr, et même une stratégie efficace, mais c’est aussi lui donner des occasions de gagner du terrain sur elle.

Et même si ce ne serait peut-être pas très malin, elle accepte tout de même de lui accorder un semblant de réponse, penchée dans sa direction. Et si elle devrait peut-être s’inquiéter de cette réponse qui témoigne tout de même d’une évidente volonté de lui nuire, d’un plan auquel elle a sans doute longuement réfléchi, elle se sent plus exaltée par ces propos qu’elle ne se sent vraiment menacée par eux. Elle aime la posture assurée, détendue, qu’elle affiche une fois ses paroles prononcées, alors qu’elle vient, purement et simplement, de discuter de la manière dont elle lui plantera un pieu en plein cœur. Elle aurait difficilement pu entendre discours plus excitant, surtout prononcé par qui est la plus susceptible d’éveiller en elle de telles pensées.

« Le problème, Eve, c’est que le jour où tu accepteras ton sort à mes côtés, et crois bien que ce jour arrivera plus vite que tu ne le penses, il sera déjà trop tard pour toi. » Elle sourit. « Le pieu en plein cœur, c’est classique, poétique… intime. »

Elle laisse passer un temps de silence, songeuse, et durant ce temps, elle ne dit absolument rien. Elle se contente de fixer Eve avec la plus grande des intensités. Elle la détaille, elle essaie de peser les risques qu’elle se sent prête à prendre au nom de la fascination grandissante qu’Eve lui inspire… Et le fait est que c’est beaucoup… Elle est sans doute bien plus vulnérable en présence d’Eve qu’en présence de qui que ce soit d’autre. Elle sait qu’elle est ici en présence de la seule personne qui l’aura jamais. Si elle ne l’a pas en premier. Mais c’est cela, justement, qu’elle trouve terriblement excitant, comme elle trouve excitant qu’elle se sent capable de prendre parce qu’Eve est impliquée.

« Si tu veux que nous soyons seules, il suffit de le demander », ajoute-t-elle alors à voix plus basse, sur le ton de la confidence.

Suggérer qu’elles se retrouvent seule, c’est prendre le risque de mettre fin à toute tension en décidant, d’un côté comme de l’autre, de passer des menaces à leur exécutions, et le temps des menaces (qui ressemblaient à des promesses plus qu’autre chose) était si agréable qu’il n’était guère simple d’y renoncer complètement, à la vérité. Car en dépit de sa fierté et de toute l’assurance dont elle est capable, Villanelle n’ignore pas le fait qu’Eve pourrait tout à fait être capable de la tuer… Elle est sans doute la seule, du moins à ses yeux, à en être capable… Et Villanelle est loin, bien loin, de vouloir partir de sitôt. Alors ce désir d’isolement et d’intimité pourrait bien se traduire par une issue fatale, mais qu’importe, si elle devait agir en fonction de la seule raison, de la seule prudence, Villanelle ne serait pas Villanelle.

La vampire se redresse à son tour et se positionne face à la chasseuse, le regard toujours ancré dans le sien. La suite pourra se décider très vite, et elles le savent toutes deux. Tout dépendra, en réalité, de leurs capacités, à l’une comme à l’autre, à faire preuve de finesse, ou à lutter contre des instincts qui entraient par moments en contradiction totale autant avec leurs convictions qu’avec leur nature. Elles ont bien plus en commun que le désir d’être seules l’une avec l’autre, mais en voilà un au moins qu’elles pourront exaucer sans trop de difficultés.

« J’ai réservé une chambre à l’auberge, juste au cas où », dit-elle en tirant de sa poche une clé qu’elle agite à présent sous les yeux de son interlocutrice. « On sera tranquilles », précise-t-elle en la toisant toujours avec une égale intensité. Elle tire encore quelques pièces qu’elle jette nonchalamment sur la table. « Tu me suis ? »

Elle n’attend pas la réponse de la chasseuse pour ouvrir la marche. Tourner le dos à un chasseur, bien sûr, est une démarche bien dangereuse, et qu’il est préférable de s’épargner à tout prix, c’est un fait connu. Elle est, dans cette position, vulnérable, et Eve pourrait l’attaquer et la prendre en traître à tout moment, que ce soit en la suivant à travers la pièce bondée, on encore dans ces escaliers dont elles montent les marches jusqu’à atteindre la porte de la chambre louée par les bons soins de Villanelle.

Mais la buveuse de sang est confiante, elle sait qu’Eve n’attaquera pas, et pour cause, elle la croit sur parole quant à ses intentions. Si elle devait être capable de mener ses plans à bien, elle le ferait en la regardant droit dans les yeux, pas dans des conditions qui ne feraient guère honneur à leur relation, peu importe la manière dont on décidera de la considérer. Ce n’est qu’une fois avoir refermé la chambre à clé derrière elle qu’elle reporte enfin toute son attention sur son interlocutrice.

« Et maintenant ? »

Villanelle accueille la réflexion d’Eve avec le plus charmant et le plus satisfait des sourire alors qu’elle lui fait remarque combien présomptueuse peut être sa démarche. Elle en a tout à fait conscience, et elle n’est, quoi qu’il en soit, que cela : présomptueuse au possible, et ce peu importe les circonstances. C’est là, pour ainsi dire, son mode de fonctionnement, et elle n’a pas prévu d’en changer de sitôt… Pour peu qu’elle survive à cette nuit du moins, mais elle continue de se convaincre du fait que ce sera forcément le cas.

Présomptueux, son comportement l’est tout autant tandis qu’elle fait dos à Eve et se rend donc jusqu’à cette chambre qui ne les accueillera peut-être que le temps de quelques minutes, ou beaucoup plus longtemps. Quelques heures ? Toute la nuit ? Villanelle est incapable de prédire ce qui se passera dans les heures qui viendront, et elle aime terriblement cela. Elle abandonne son sort aux circonstances, du moins en partie, pas complètement non plus, et c’est là une chose tout à fait plaisante, et même grisante à vrai dire.

Une fois à l’intérieur, la porte fermée à clé derrière elle, les deux femmes se toisent un instant. Dans la pénombre, la vampire détaille la silhouette de la chasseuse du regard. C’est ce qu’elle attendait depuis bien longtemps. Se retrouver véritablement seule avec elle, sans aucune irruption extérieure qui viendrait gâcher ce moment, ce moment qui doit être leur moment, qu’importe ce qu’en sera l’issue.

La question que lui pose alors Eve fait naître un nouveau sourire sur ses lèvres. Est-elle si pressée ? Oui et non. Elle attend ce moment depuis si longtemps qu’elle brûle d’envie, c’est un fait, de griller les étapes. Et en même temps, parce qu’elle a attendu si longtemps, elle a aussi envie de prolonger la chose plus longtemps encore.

A son tour, elle lui tourne le dos, avant de venir s’installer sur le bord du lit, et à son tour, Villanelle n’en profite pas pour l’attaquer, à la place, elle observe, elle laisse son esprit multiplier le nombre des scénarios imaginaires qu’elle a à l’esprit quant à ce qu’elles pourraient faire toutes les deux.

« Si je n’ai pas répondu à certaines de tes questions tout à l’heure, je n’y répondrai pas plus maintenant. », dit-elle avant de venir tout de même s’installer juste à côté de la chasseuse. Elle rapproche sa main du visage d’Eve, caresse doucement sa joue du bout des doigts. « Je sais que tu n’as pas vraiment envie de me tuer », dit-elle doucement tout en laissant maintenant sa main glisser le long de son cou, sans jamais cesser de la contempler. Si belle. Plus accessible que jamais. « Qu’est-ce qu’il te restera, si je meurs ? »

Villanelle ne prend même pas la peine de répondre, quand Eve l’interroge sur le silence qu’elle tient à garder quant aux questions qu’elle se pose. Ce qu’elle n’apprendra pas à Eve, ce sont des choses qu’elle ne dira à personne dans tous les cas, ni ce soir, ni jamais. Elle aime beaucoup Eve, pas à ce point-là, pas au point de se repaître de quelques confidences que ce soit. Elle ne s’en estime pas capable. Elle porte ses secrets depuis des décennies, non, depuis des siècles, en réalité… Elle ne se voit pas se décharger de ce fardeau de sitôt.

A la place, donc, en guise de réponse, elle continue de caresser son cou du bout des doigts, avec sensualité, avec envie, savoure la chaleur de sa peau, peut sentir son sang pulser contre la pulpe de ses doigts.

« Tu es déjà morte, Eve », répond-elle doucement, d’une voix si basse qu’elle ressemblerait presque à un murmure, imposant entre elles une intimité, une sensualité qu’elle prend le plus grand des plaisirs à accentuer. Elle apprécie sentir les doigts d’Eve recouvrir les sien. « Tu fais semblant de vivre, mais tu existes à peine. A quoi ça sert de vivre si c’est pour te gâcher. » Elle rapproche doucement ses lèvres de son oreille, pour y déposer son souffle, puis quelques mots supplémentaires. « Je pourrais t’offrir tellement plus qu’une simple vie. »

La vie, la mort, ne sont pas des notions tout à fait dérisoires, mais du moins beaucoup plus complexes qu’on ne l’imaginerait. Quand on avait vécu la mort sans mourir tout à fait, on en sait forcément quelque chose. Ce que Villanelle veut offrir à son interlocutrice, c’est bien davantage qu’une simple vie, c’est une éternité, un second souffle en la privant du sien. Qu’elle ne soit pas prête à accepter ce sort ne signifie pas que ce ne soit pas une chose qu’elle désire au plus profond d’elle-même. C’est une chose que Villanelle lit, devine, dans les trémolos de sa voix. Elle refuse d’imaginer qu’elle puisse se tromper à ce sujet.

Non, elles savent, autant l’une que l’autre. La solution d’Eve ne serait satisfaisante pour aucune d’entre elle. La décision de la vampire, en revanche… A bien y regarder, le choix devrait être rapidement fait, mais pour cela, il faudrait qu’Eve cesse de lui opposer cette résistance qu’elle lui devine encore. Si superflue. Si peu nécessaire.

Villanelle, finalement, se rapproche encore davantage, ses lèvres ne sont plus qu’à quelques millimètres de la peau du visage de la chasseuse, qu’elle caresse de son souffle glacé, avant de venir finalement embrasser franchement la commissure de ses lèvres.

Villanelle s’attendait à une Eve figée, voire faussement offusquée par sa propre audace, mais il n’en est rien. En lieu et place de laisser cette esquisse de baiser sans réponse, ou même de faire mine de protester, elle vient glisser ses doigts sur sa joue. La chaleur de cette main contre son visage glacé est une sensation que Villanelle trouve terriblement exquise. Mais pas autant néanmoins que le baiser qu’elles échangent alors, passionné, passionnel. En cet instant, elles sont à la merci l’une de l’autre. Villanelle a complètement baissé sa garde, et si Eve n’avait pas fait de même, elle aurait définitivement pu, et sans la moindre difficulté, l’abattre de ce fameux pieu en plein cœur. Mais si cet échange possède un délicieux parfum de violence, il est vrai, l’une comme l’autre ne semble que vouloir le savourer.

Et Villanelle aurait pu embrasser encore longtemps ces lèvres qui semblent avoir été taillées pour les siennes. Mais finalement, leurs lèvres se détachent l’une de l’autre, et les paroles de la chasseuse atteignent la buveuse de sang bien plus qu’elle n’a envie de l’admettre. Son existence est-elle meilleure ? Elle a envie de répondre oui, à coup sûr, avec cette assurance insolente qui la caractérise, mais la vérité, c’est que la vampire mentirait forcément à ce sujet. Est-elle satisfaite de cette éternité ?

Dépendre du sang humain ne la dérange pas, séduire et tuer ses victimes est à peu près la seule chose susceptible de lui apporter une quelconque forme de divertissement. S’en est-elle lassée, néanmoins ? Peut-être bien. Ce ne sont pas les chasseurs qui la traquent depuis des décennies changées en siècles qui sont le pire ennemi de Villanelle, c’est bien cet ennui qui sans cesse la heurte et rend son éternité vertigineuse de vacuité. Mais elle a su se convaincre – peut-être à raison, peut-être à tort – que tout changerait si elle avait Eve Polastri à ses côtés. C’était une conviction à laquelle elle ne voulait pas renoncer, quelque chose qu’elle n’avait pas envie d’ignorer ou de nier. Oui, elle est soumise à ses besoins, mais pas plus qu’un humain banal qui doit bien manger pour vivre… Mais les barrières morales sont un tel frein à tout amusement.

« J’ai besoin de toi, Eve, c’est comme ça que mon existence sera parfaite. Et tu as besoin de moi. Pour la même raison. »

Est-ce qu’elle a raison ? Possible que non. Villanelle est une enfant, au fond, une enfant vieille de plusieurs siècles. Elle est capricieuse, et même si elle veut croire qu’Eve est complètement différente, et qu’elle ne se soumet pas, avec elle, à un simple caprice de son cœur, ni plus ni moins, rien ne lui garantit que ce soit véritablement le cas. Comme d’autres choses auparavant, il se pourra qu’elle se lasse et abandonne Eve à son sort. Ou, pire encore, qu’une fois transformée, Eve estime qu’elle n’aura plus besoin d’elle. Mais faute d’admettre cette possibilité, elle fait face à ce qui lui semble être une évidence ce qu’il y a de plus pure. Elles pourraient tout changer à l’existence l’une de l’autre.

Villanelle observe Eve sans rien dire tandis que cette dernière observe qu’elles ne seront certainement jamais en paix. La vampire voudrait le nier, mais ce serait mentir. Non, en effet, elles ne seront jamais en paix, mais elles seront ensemble, et la paix à laquelle elles pourraient bien aspirer les lasserait sans doute bien rapidement, alors, quelque part… est-ce que ce n’est pas mieux ainsi ? Villanelle veut sincèrement croire que oui, ce n’est pas juste un jeu auquel elle se livre, comme elle pourrait le faire avec ses autres proies. Ses promesses sont intéressées, elles n’en sont pas moins sincères. Elle veut bien éternellement ne plus avoir la paix si c’est pour garder Eve à ses côtés, et en cet instant, peut-être naïvement, Villanelle croit la chasseuse sincère, elle pense vraiment que cette dernière accepte doucement son sort.

Et comment ne pas en être convaincu quand elle sent ses lèvres se plaquer contre son visage, contact chaud, brûlant contre sa mâchoire. Chaque fois que ses lèvres rencontrent son épiderme, Villanelle se sent frissonner. Elle a possédé tant de corps, tant de femmes sont passées dans son lit, et pourtant, elle n’a aucun souvenir d’un tel frisson. C’est quelque chose qui la submerge, qui la transcende. Elle sourit doucement quand Eve finit par lui demander à l’oreille si elle a déjà fait ça.

Cette question est sujette à bien des interprétations, et Villanelle fait le choix de s’arrêter sur celle qu’elle préfère… transformer une autre femme, chasseuse ou non. Elle l’observe un instant. Elle n’a pas besoin de mentir parce que la réponse à toutes les questions que pourrait contenir celle qu’elle pose restera la même : non, elle n’a jamais fait ça. Elle a pu s’amuser à tester son pouvoir de séduction sur certains chasseurs, juste pour le plaisir de les humilier, mais jamais avoir été séduite en retour. Et jamais, non, elle n’a transformé qui que ce soit. Personne ne lui avait jamais semblé digne d’un tel intérêt avant elle… Elle a de quoi se poser des questions. Pourquoi elle ? Et après tant de siècles ? Elle n’a pas vraiment d’explications. Elles sont les mêmes en étant diamétralement opposées, et c’est une pensée grisante, réconfortante.

« Jamais… », répond-elle avec douceur.

Contre elle, Villanelle ressent le mouvement d’Eve, mais la sent s’interrompre dans son geste… Elle aurait sans doute réussi. Si Eve avait encore eu la volonté de la tuer, là, tout de suite, elle y serait clairement parvenue tant la vampire avait baissé sa garde. Mais Eve ne le voulait pas réellement. Villanelle, doucement, glisse les mains à la ceinture d’Eve pour entreprendre de la détacher.

« Je crois que tout ça va être de trop, tu ne penses pas ? » suggère-t-elle dans un murmure.

Et alors qu’elle s’applique à retirer sa ceinture avant de s’attaquer au reste de ses vêtements, ses lèvres retrouvent d’office celles de la belle humaine.