[Terminé] The Hopeless Maze (pv Sherlock)

Parfois, il se demande s'il ne se contente pas de rêver en continu. Peut-être qu'il est encore coincé dans un lit d'hôpital, et que son cerveau l'illusionne du mieux qu'il peut pour lui conférer un sentiment factice de liberté, au fond très peu efficace. Ou bien il n'a jamais été dans cet institut psychiatrique ? Au point où il en est, il pourrait aussi bien se trouver dans son lit, à Wolf Trap, ou dans l'inconfort d'une cellule de prison. Ou au fin fond de l'océan... Rien n'a de sens. Cette ville n'a pas de sens.

Depuis sa sortie, il a cherché à comprendre où il est. Dans ses errances presque somnambuliques, il a voulu traverser la ville de bout en bout... mais la ville n'a pas de fin. Un piège, un labyrinthe, il n'en sait rien. Dans ce dédale, il a besoin d'un guide. Dans ce dédale, il sent qu'Hannibal devrait être son guide. Mais aucune trace de lui. Aussi insaisissable que les mystères qui enveloppent cet endroit que Will est presque tenté de prendre pour un purgatoire excessivement élaboré. Encore eût-il fallu qu'il croie à la vie après la mort. Ou en un Dieu quelconque. Lui parlait beaucoup de Dieu, mais ce n'était jamais que dans l'intention farouche et orgueilleuse de le défier. Will préfère ne pas se tromper sur la question. Il est plus simple de s'estimer humilié par l'humain que par le divin. Plus simple aussi d'envisager de mettre un peu d'ordre dans ce chaos total si rien de surhumain ne s'y oppose.

Au hasard d'un kiosque, il a acheté tous les journaux à sa disposition dans l'espoir de trouver la moindre information dans l'un d'entre eux. Il a cherché un guide, un plan de la ville, en vain, il se contentera de ça. Les journalistes n'ont pas vraiment son affection. Il faut dire qu'en retour, ils n'ont pas été tendres avec lui par le passé, mais qui sait s'il ne pourrait pas dénicher, ne serait-ce qu'entre les lignes, une ou deux informations qui sauront avoir plus de sens que celles qu'il a obtenues ou cru obtenir jusqu'alors. Il veut comprendre, apprivoiser cet endroit. Et entre les lignes, aussi, bien sûr, toujours, il le cherche.

Il s'est attablé à un café, le premier qu'il a trouvé sur sa route, presque trop convivial pour lui. Il a toujours eu une préférence pour les lieux moins fréquentés ceux où l'on s'entend plus facilement réfléchir, mais il fait vite abstraction. Il s'est trouvé une table isolée, et il ne prête aucun semblant d'attention à ce qui l'entoure. Depuis combien de minutes, peut-être d'heures, est-il là, à isoler quelques articles, à ignorer la plupart, à s'agiter ? Ce qui est certain, c'est qu'il vient de finir sa deuxième tasse de café, et qu'il est temps de s'en servir une troisième, tant qu'on ne décidera pas de le déloger de là. Il espère que non, il n'a pas vraiment d'endroit où aller.

Il abandonne un instant ses recherches à sa table et tend sa tasse sans dire un mot à une serveuse au comptoir qui le ressert avec ce qui passe pour un léger agacement à ses yeux. Il faut dire qu'il ne s'est pas montré franchement affable. Ni envers elle, ni envers qui que ce soit depuis qu'il a mis un pied dans ce café. Dans cette ville. Sa tasse à la main, il veut rejoindre sa table, mais distrait comme à son habitude, un faux mouvement fait basculer le contenu de sa tasse sur la personne juste devant lui, et à la présence de laquelle il n'avait pas prêté la moindre attention jusqu'ici.

"Navré...", s'excuse-t-il plus pas commodité qu'autre chose.

L'homme lui attrape le bras, pas longtemps, une fraction de seconde, puis semble se raviser. Will l'observe plus attentivement que ne devrait le tolérer la bienséance. Cet homme le rend immédiatement, instinctivement curieux. Il est fébrile, agité. Il a déjà eu ce genre de sentiment. De voir en quelqu'un d'autre, en une fraction de seconde seulement, comme un reflet déformé de lui-même. Les quelques fois où ça a été le cas, ça n'a jamais été bon signe pour lui.

L'homme relâche sa prise, se contente d'un "Ce n'est rien" et décide de sortir immédiatement. Will hésite. Une part de lui veut s'en mêler, l'autre devine que c'est une mauvaise idée. A chacun sa détresse... Jack ne cessait de répéter qu'il était empathique, que c'était sa force et ce qui le distinguait de ce qu'il avait peur de devenir. De ce qu'il est devenu tout de même. Est-ce l'empathie qui le pousse à vouloir sortir de ce café à sa suite ? Ou bien juste la curiosité. L'envie de voir ce qui va se passer. Il hésite encore un instant, prête à peine attention à la serveuse qui vient réparer les dégâts. Il détourne un instant les yeux de la devanture du café. Il ne songe pas à s'excuser du désordre engendré. Il regarde les débris de tasse au sol.

Parfois, je laisse tomber une tasse de thé au sol juste pour la voir se briser. Je suis déçu quand elle ne se reforme pas d'elle-même.

Ces mots lui reviennent en tête, prononcés avec cette exacte voix qu'il n'a plus entendue depuis ce qui lui semble être une éternité. Tout à coup, il sent que lui aussi doit sortir. Et qu'il doit parler à cet homme. Il a un pressentiment. Il ne saurait dire s'il est bon ou mauvais. Mais il existe. Son intuition l'a trop peu aidé dernièrement. Il doit faire avec ce qu'il trouve. Avec qui il trouve.

Alors il laisse tout en plan, y compris les coupures de journaux déposées en vrac sur la table qu'il a abandonnée un peu plus tôt. Il finira pas être persona non grata dans ce café, sur cette lancée. C'est sans grande importance. Cet endroit ne lui plaît pas vraiment de toute façon. Une fois dehors, il se rapproche prudemment de l'inconnu qu'il a bien failli ébouillanter précédemment.

"Vous avez besoin qu'on vous conduise à l'hôpital, je crois. Je peux vous emmener, si vous voulez. C'est le seul endroit que je connaisse comme ma poche, dans cette fichue ville."


Il ne sait toujours pas à quoi il s'engage. Il serait sans doute plus simple de reprendre ses propres recherches de son côté. Deux désaxés valent parfois mieux qu'un, Will en a fait le constat. Mais dans l'état de fragilité émotionnelle où ils semblent être aussi bien l'un que l'autre, il n'en tirera peut-être rien de bon.

Trop de monde. Crise d'angoisse. Will peut comprendre. Sans être agoraphobe, il a toujours eu la foule, le bruit, l'agitation, en horreur. Il s'est toujours isolé, volontairement, ce qu'il a par ailleurs estimé être un bien, autant pour lui-même que pour les autres. Les crises d'angoisse, il sait pertinemment ce que c'est, il n'y est pas étranger. Il n'a aucune difficulté à se mettre à la place de son interlocuteur, même s'il ignore s'il saura pour autant rassurer cet homme. Au moins, ce dernier est en mesure de décrire son ressenti, donc a encore une prise concrète avec la réalité, ce qui est plutôt bon signe. Si l'on veut. Will hoche la tête, hésitant quant à la marche à suivre.

L'hôpital n'est pas juste à côté. Il ne sait pas si son interlocuteur sera capable de faire le chemin où s'il ne serait pas plus judicieux d'appeler une ambulance. Est-ce que le numéro des secours est le même ici que de là d'où il vient ? Tout semble pareil et différent, il ne saurait dire... Il n'a pas forcément envie d'appeler une ambulance, peut-être, égoïstement, parce qu'il n'est pas si pressé de retrouver un endroit duquel il est tout juste parvenu à réchapper. Mais il n'est pas question de lui en l'occurrence. Et ce n'est sans doute pas plus mal. Se focaliser un peu trop concrètement sur lui-même ne mène jamais à quoi que ce soit de bon.

"Je connais ça", répond simplement Will sans se répandre pour autant en détails. "Vous pensez être en mesure de marcher un peu ou vous préférez que je fasse venir une ambulance ?"

Et qu'il lui tienne compagnie le temps que l'ambulance arrive, pour peu que son angoisse à lui ne soit pas communicative. Mais il se sent en contrôle. Si égoïste soit cette affirmation, trouver une détresse supérieure à la sienne l'aide à repousser ses propres émotions pour mieux dominer la situation. Chose qu'il sait apprécier.

"Comment vous vous appelez ?"

Avoir un minimum d'informations sur son interlocuteur pourrait bien ne pas être un mal, ne serait-ce que si la sélection choisie de mots que ce dernier réussit à lui adresser devait se réduire à peau de chagrin si la crise d'angoisse de son interlocuteur devait venir à s'intensifier.

Will ne pense pas que ce sera le cas. S'il est en mesure de mettre des mots sur son état, c'est qu'il arrive déjà à s'en distancier. Mais ça ne veut pas forcément dire grand-chose, et Will ne se servirait pas de sa propre expérience pour l'appliquer obstinément à celle des autres. C'est d'autant plus préférable qu'il n'estime pas pouvoir servir d'exemple dans aucun domaine quel qu'il soit.

D'accord, d'accord, pas d'ambulance. Will se demande de plus en plus s'il est vraiment très avisé d'insister. Peut-être qu'il devrait juste se contenter de poursuivre sa route (même s'il ne sait de toute manière pas dans quelle direction il va, en grand paumé qu'il est), et de laisser ce type en plan. Il n'est pas sûr d'apprécier la manière dont il présume que son interlocuteur, même dans le pire des états, cherche à l'analyser. Très hypocrite de sa part, qui a tendance à faire de même avec les autres, mais ce n'est pas parce qu'il en a l'instinct qu'il  apprécie qu'on fasse de même avec lui, surtout au vu de ce qu'il redoute que l'on puisse découvrir chez lui. Et ce n'est pas spécialement ses nombreuses séances de psychanalyse qui l'auront convaincu d'autre chose, en l'occurrence.

Car oui, cet homme l'analyse, à sa manière, il ne peut qu'en être assuré au moment où, sans transition aucune, et le prenant parfaitement de court, il lui pose une question qui semble presque sortie de nulle part. Police ou psychologue ? Il a vu ça sur sa tête ou... Bon, psychologue, certainement pas... il est beaucoup trop instable pour ça. Même si tous les psychiatres qu'il a côtoyés - et mine de rien, il y en a eu beaucoup -, qu'il s'agisse d'Alana, de Bedelia, ou bien évidemment d'Hannibal, n'étaient clairement pas sains d'esprit eux non plus. Un peu déstabilisé, et un chouïa agacé, il laisse couler malgré tout tandis que l'homme se présente sous le nom de Sherlock Holmes, un nom qui aurait trouvé une résonnance dans son esprit dans son autre vie, mais ici et maintenant ne lui dit rien. Il a presque envie de lui rendre la pareille, de jouer aux devinettes, mais en vérité, il cerne davantage une dépendance qu'une profession chez cet homme, encore qu'à sa manière de vouloir le déchiffrer, lui aussi pourrait bien être de la police, ou frayer avec elle, en tout cas.

"Enchanté", répond Will sans le penser complètement.

Les circonstances n'y prêtent pas spécialement, ceci dit, vu la situation, ce n'est pas si mal qu'il connaisse bel et bien le nom et le prénom de son interlocuteur... Même s'il n'est même pas sûr qu'un acquis aussi certain que son identité même ait encore une quelconque importance en ces lieux. Il se serait présenté sous une autre identité que personne n'aurait rien trouvé à y redire sans doute. Il aurait pu saisir cette opportunité, d'ailleurs, de recommencer, de partir sur des bases plus neuves, plus saines. Mais ce n'est pas ce qu'il veut. Il avait trouvé la paix après avoir été en lutte avec lui-même presque toute sa vie. Juste une fraction de seconde. Et c'est ce qu'il a envie de retrouver.

"J'étais consultant pour le FBI, profiler... avant d'atterrir ici", répond Will qui n'a pas vraiment de raisons de répondre mais le fait quand même.

Ce n'est pas un secret d'Etat, après tout. D'autant moins qu'au fond, son métier lui manque. Un comble quand on sait combien il a lutté pour s'en détacher, conscient du mal que chaque enquête lui faisait... sans succès manifestement.

"Vous êtes de la police ?"

Et lui ? Quoi, et lui ? Ah oui, Will ne s'est pas présenté, c'est vrai... Il a envie de dire que son nom n'a pas la moindre importance dans ce contexte, mais son interlocuteur pourrait bien lui rendre la pareille. Si décliner son identité peut passer pour quelque chose d'anodin, quelque chose laisse penser à l'ancien profiler que n'importe quelle information personnelle, même la plus classique, peut devenir un redoutable objet d'analyse entre les mains de cet homme. Il est de toute évidence en très mauvais état, mais pour peu qu'il recouvre sa santé, Will n'est pas certain de vouloir attiser plus que nécessaire la curiosité de son interlocuteur... C'était un double standard, bien sûr, car lui-même, de son côté, ne se prise pas réellement de se montrer curieux à l'égard de celui duquel il continue de se demander ce qu'il doit penser.

"Will Graham", consent-il donc simplement à reprendre avant que Sherlock ne fasse quelques observations au sujet de son ancien métier.

Will ne sait pas vraiment, entre ce qui est dit et ce qui se trame dans l'esprit de son interlocuteur, ce qu'il a à l'esprit. Il est peut-être satisfait d'avoir su le cerner en quelques mots. Il peut l'être sans doute. D'autres, comme Jack ou Alana, qui l'avaient pourtant fréquenté pendant des années, n'auront jamais été capables d'en dire autant, et ne manquaient pas de le lui rappeler à l'époque. Un esprit de déduction aiguisé, même dans des conditions physiques éprouvantes, et l'intention de le cerner en dépit des circonstances, Will prend des risques, peut-être, en accordant du temps et de l'attention à une personne si susceptible de le percer à jour... Bon, il n'a rien à se reprocher. Techniquement. Pas dans cette vie-là, du moins. Mais... Il reste, pourtant. Peut-être parce qu'il est intrigué, peut-être aussi parce qu'un peu de lui se reconnaît dans son interlocuteur, en vérité. Et leurs parcours plutôt similaires le confirment.

"Et vous exercez, en ce moment ?"

Dans cet état, personne ne devrait lui en donner l'autorisation, mais peut-être a-t-il l'esprit plus clair le reste du temps ? Vu dans quels états on l'avait lui-même laissé faire son métier, ce n'est après tout pas si incohérent que ça. La question n'a pas forcément de raison d'être, elle est peut-être même indiscrète, mais Will est curieux. Peut-être un peu intéressé aussi. Il serait sans doute temps qu'il cesse d'errer comme une âme en peine et qu'il trouve à travailler... même si ce serait comme admettre devoir rester ici et se plier aux règles - si tant est qu'il y en ait - de cet endroit. Et aussi et surtout, il veut continuer d'essayer de mieux comprendre son interlocuteur.

L'état de son interlocuteur ne s'arrange pas, au contraire, il semble empirer. Plus agité que jamais, il ne manifeste plus tant les signes d'une crise d'angoisse (même s'il est bien possible qu'il s'agisse d'un symptôme parmi d'autres de ce qui l'agite véritablement) que ceux d'un manque pur et dur. Une addiction plus concrète que celles, moins dicibles, qui peuvent agiter l'esprit de Will...

L'homme est en plein sevrage, pas forcément volontaire, et visiblement, il le vit mal. Un junkie en manque, parfait. Il n'a pas le profil attendu du drogué classique, mais bien des clichés ont été usés jusqu'à la corde à ce sujet. Puisqu'il est dans la police - Will ne remet pas en cause cette affirmation, il la pense effectivement vraie, même si, pour une raison obscure, son interlocuteur pourrait tout à fait lui mentir -, il ne sera pas le premier, ni le dernier, dans ce milieu, à consommer. C'est plus fréquent que ce que l'on peut présumer.

"Etant donné l'ampleur de vos symptômes, je doute que vous obteniez ce que vous cherchez sans une ordonnance", répond Will quand Sherlock suggère de trouver une pharmacie, ce qui semble confirmer ses suppositions précédentes. Ce n'est pas forcément d'un séjour à l'hôpital mais d'une cure de désintoxication qu'il a besoin. Est-ce qu'il y a seulement des centres de désintoxication dans cette satanée ville ?

Le tout avant de lui demander une cigarette. Will devrait se défaire de bien des mauvaises habitudes, et par certains aspects, il vaudrait mieux pour lui qu'il soit un fumeur invétéré que tout ce qui le travaille autrement, mais non, il n'est pas fumeur.

"Je ne fume pas."

Il hésite. Si une cigarette, ou même un médicament classique achetable sans ordonnance est susceptible de le calmer un peu, il est peut-être préférable de lui céder que de le laisser dans cet état d'instabilité totale, pour lui-même mais pas seulement. Impossible de présumer de ses réactions alors que le manque, de toute évidence brutal, le rend particulièrement fragile, potentiellement agressif. Décidément, il ne sait pas pourquoi il prend la peine de lui tenir compagnie... Sans doute parce qu'il a l'impression de se retrouver face à une version encore plus brisée de lui-même... ce serait presque reposant si ce n'était pas un peu alarmant, par la même occasion. Will pousse un soupir. Pourquoi il s'inquiète du sort de cet homme, au final, qu'il fasse ce qu'il voulait, non ! En quoi ça le regarde ?

"Je crois qu'il y a une pharmacie à quelques mètres, si elle s'y trouve toujours."

Tout bouge constamment dans cette ville maudite, si bien qu'il en est presque impossible de se repérer, ça n'aiderait aucune santé mentale fragile, ni aucun esprit tourmenté par le manque d'il ne sait quelle substance psychotrope.

Voilà donc maintenant qu'il porte secours à un junkie en pleine crise de manque, et une fois encore, Will n'a aucune idée de pourquoi. Il a ses propres problèmes à régler sans avoir à, qui plus est, s'embarrasser de cet homme qui par ailleurs ne se soucie pas d'être aimable ou de lui être agréable. Pas que cela changerait grand-chose, sans doute, mais cela n'aide pas, en tout cas. Pourquoi faut-il donc que ce type l'intrigue ? Il n'y a sans doute rien de plus à savoir de lui au fond que la façade peu amène qu'il affiche.

Mais sans doute parce que Will discerne le contraire, parce qu'il s'intéresse à ce que pourrait être ce Sherlock quand il n'est pas sous emprise - ou manque d'emprise en l'occurrence - ou en partie parce qu'il est curieux de savoir ce qui pourrait se passer, il pousse donc le vice jusqu'à accepter de conduire cet homme jusqu'à cette fichue pharmacie, pour peu qu'il la retrouve.

Ils s'égarent un moment dans un dédale de rue qui semblent toutes similaires. Cette ville labyrinthique et ses présumées subtilités ne font définitivement aucun sens. Combien de fois Will s'y est-il égaré. Il veut bien être fragilisé par les circonstances, il veut bien supposer ne pas avoir toute sa tête, mais il ne veut pas penser être complètement fou non plus, pas quand il affirme que ces lieux évoluent et muent au gré des circonstances, au point parfois de se demander s'ils ne se paieraient pas votre tête. Alors il leur faut tout de même marcher un peu. En compagnie du très agité Sherlock, ça peut être toute une expédition. Mais finalement, elle est là, la croix verte et présumément salvatrice.

"Qu'est-ce qu'il vous faut ?" demande-t-il devant la devanture de l'établissement.

Il peut bien laisser Sherlock s'y rendre et se débrouiller tout seul, ce serait même mieux, d'ailleurs, mais il faut croire qu'il veut terminer ce qu'il a commencé, même s'il ne sait pas du tout de quoi il peut bien s'agir, en l'occurrence. S'il laisse l'homme faire ses "emplettes" dans son coin, bien possible qu'on le renvoie dehors aussi vite qu'il sera rentrée tant la nature de son état semble crever les yeux. Quoique les pharmaciens auront peut-être le bon sens d'appeler une ambulance ou la police, eux, va savoir.

Par ailleurs, il y a aussi un peu de curiosité en vérité dans les questionnements de l'ancien profiler. Il se demande de quelle manière son interlocuteur a l'intention de pallier son état. Entre autres questionnements. Cet homme l'intrigue tout de même, c'est la seule explication qu'il sait donner au temps qu'il daigne lui consacrer. Et il ne sait pas encore s'il exaucera toutes ses exigences, si son interlocuteur doit en formuler et non pas forcer le passage jusqu'à la pharmacie.

Will écoute les consignes de son interlocuteur avec un hochement de tête. Soit, il ne sait pas exactement ce qu'il cherche à obtenir, en l'occurrence. Mais quelque chose, certainement, sans quoi il n'insisterait pas à ce point. Des réponses, peut-être, parce qu'il en a cruellement besoin et qu'il a tendance à se rapprocher de ceux qui recherchent les mêmes. Ou autre chose, va savoir.

A la vérité, il n'a pas la moindre idée, ou pas entièrement, de ce qui dicte sa ligne de conduite. C'est un sentiment qu'il n'apprécie pas, mais un désoeuvrement qui lui deviendrait un peu trop familier à mesure qu'il s'égare dans les dédales de cette ville sans nom avec un unique objectif qu'il n'est pas certain d'atteindre un jour, et que surtout il redoute d'avoir créé de toutes pièces. Bref, un objectif, même à court terme, même absurde, vaut toujours mieux que rien. Et quoi qu'il en soit, oui, il reste curieux. Curieux de ce qui pourrait se passer.

Alors il prend les billets que son interlocuteur lui tend, et il pénètre dans la pharmacie. Le genre d'endroit qu'en plus du reste il exècre. Il a plus d'une fois dû se médicamenter, évidemment, c'était même une nécessité à une période, mais la perspective d'être à la merci de quelque substance que ce soit, de se démunir volontairement d'une certaine forme de contrôle sur son propre corps, il déteste définitivement ça. Il attend un moment, prend commande et sort de la pharmacie avec le précieux Graal de son interlocuteur. Tout en lui tendant son dû, il songe aux circonstances dans lesquelles il aurait préféré le rencontrer. En peu de mots, il a su se rendre plus intéressants que beaucoup de ceux dont il a croisé la route. Beaucoup d'histoires intrigantes, certes, mais pour beaucoup une sorte de laisser-vivre qu'il n'a su que trouver affligeante.

Dans le cas de son interlocuteur, il y a autre chose, il le sait. Un autre chose dissimulé derrière un manque manifeste. Quelque part une autre chose qui saurait lui être familière. Mais Will, de son côté, s'est façonné d'autres sortes d'addiction. Dans tous les cas, il lui tend le sachet en question, lui rend sa monnaie et l'observe un instant.

"Où est-ce que vous habitez ?"

Est-ce qu'il va pousser le vice jusqu'à proposer de le raccompagner jusque chez lui ? Peut-être pas. En revanche, il s'interroge sur la capacité de son interlocuteur à faire quelque pas supplémentaire que ce soit pour se retrouver en lieu sûr. Même en compensant avec ce qu'il vient d'obtenir de sa part.  

Will en vient à se demander si son interlocuteur ne va pas littéralement tourner de l'oeil sous son nez, au beau milieu de la rue. Si tel doit être le cas, il regrettera définitivement de lui avoir accordé un temps et une attention qu'il aurait certainement dû consacrer à des fins autrement plus utiles - comme comprendre où il est et ce qu'il fait là. Si Sherlock possède les réponses à ces questions, il le cache sacrément bien, mais Will en doute plus que fortement.

Non, il est face à un homme instable, paumé, déphasé. Encore plus instable, paumé et déphasé qu'il peut déjà l'être lui-même, ce qui n'est pas peu dire dans ces circonstances. Il aurait été préférable pour eux sans doute de se rencontrer en étant l'un et l'autre dans de meilleures dispositions... encore que cela ne leur aurait peut-être pas rendu le meilleur des services. En somme, Will a le sentiment de se retrouver en présence d'une version immensément diminuée de lui-même, et ce n'est pas la version de lui-même à laquelle il préfère être confronté. Raison pour laquelle il se demande de plus en plus s'il doit insister.

L'homme le remercie. De sa part, c'est presque inattendu, en vérité. Will devine, ou soupçonne du moins qu'il ne doit pas être dans les habitudes de son interlocuteur de remercier à tout va même ceux qui lui viennent en aide, sans doute parce qu'il n'est pas non plus dans les habitudes de cet homme de quémander de l'aide tout court. Chose que Will, une fois encore, peut aisément comprendre. L'ancien profiler réprime son agacement quand son interlocuteur lui apprend qu'il habite sur Baker Street avenue. On ne fait pas plus vague, comme localisation. Ceci dit, il est difficile de dépasser le stade du moins vague dans cette ville de malheur.

"On est sur Baker Street avenue", répond Will d'un ton qui demeure relativement neutre mais où perce tout de même un soupçon d'impatience qu'il saurait difficilement dissimuler. "Vous sauriez rentrer chez vous depuis ici ?"

Même si ça doit être le cas, Will ne sait toujours pas s'il le laissera faire sans envisager de l'accompagner tout de même tant son interlocuteur semble à peine à même de tenir sur ses deux jambes. Ne serait-ce que le laisser seul chez lui dans cet état n'est d'ailleurs pas, déjà, une démarche très héroïque en elle-même, mais Will n'aura pas spécialement de scrupules à l'abandonner dans le confort - ou l'inconfort va savoir - de son appartement plutôt qu'en pleine rue, qu'importe que cela n'ait une logique que très relative.