HOGWARTS PLACE (LES TROIS BALAIS) – 20h15 – 18.08.22

Nolan Sorrento patiente depuis dix minutes à l’intérieur d’une Mercedes-Benz vintage de 1963 couleur gris métallique. Un ancien modèle, une 190 SL Roadster. (oui il a encore changé de voiture, c’est pour se remettre de l’enterrement) Un iPhone 13 Pro Max coloris bleu alpin (qu'il va bientôt remplacer encore comme le 14 vient de sortir, c'est juste pas possible il est déjà has been) dans le creux d’une main et le volant de la voiture dans l’autre, Sorrento est pris d’une soudaine bouffée d’angoisse, au moment de quitter son véhicule. Il n’arrive pas à croire ce qu’il s’apprête à faire. Rentrer dans un bar, – pas n’importe quel bar – un établissement style vieux pub irlandais, qui se trouve réputé pour ses soirées étudiantes chaque jeudi soir, mais apprécié de certains membres du corps enseignant de l’université en semaine. (allez on plante le décor entre futurs potos, manque plus que ce soit la St Patrick) Nolan observe silencieusement le volant de sa voiture allemande, celui-ci est habillé d’un très beau cuir clair. Il le regarde presque obsessivement, en espérant se fondre dans ce dernier afin de ne pas se confronter à la réalité. C’est dur, beaucoup trop dur. Sorrento n’est pas sorti depuis… depuis l’enterrement. Par exemple, son dernier entretien professionnel avec une étoile montante dans le milieu des affaires et des nouvelles technologies, il l’a même réalisé entre les murs de son propre appartement à Baker Street Avenue. Nolan, si familier des sorties, de ses soirées au BMC,  – son club privé – de sa présence multi-quotidienne sur les réseaux sociaux, de ses cours magistraux interminables, de ses journées entières passées dans sa précieuse université prestigieuse, s’est transformé en un véritable loup solitaire. Terminé les réseaux sociaux. Il a muté tous ses comptes. Quant à l’université, il ne s’y rend qu’une fois par semaine pour récupérer une pile de copies à corriger chez lui, des dossiers administratifs et pour modifier son planning. La majorité de ses enseignements ont été réduits au strict minimum sous ses propres recommandations, et pour la première fois, Sorrento les a délégués à ses confrères du département de droit et de sciences politiques de l’université. Il n’est plus en état d’assurer l’ensemble de ses cours, et encore moins de remplir ses fonctions de doyen de manière efficace. Il déserte son bureau, en privilégiant le recours au télétravail à temps quasi complet depuis maintenant deux mois. (non, il n’y a pas eu le covid sur l’île) Sorrento erre, tel un fantôme dans les couloirs de sa bonne vieille université, si bien que ses passages entre ses murs sont considérés comme le fruit d’une intervention divine. Sorrento espère ne jamais croiser ses collègues plus que nécessaire, ou même pas du tout. Il lui est toutefois arrivé de croiser à quelques reprises le professeur Albus Dumbledore – pas plus de quatre fois.

Albus et Nolan n’ont jamais été les meilleurs amis du monde. (ça va changer) Leurs contentieux ont toujours porté sur les méthodes d’enseignement et de direction de Sorrento, puis sur certains élèves considérés par ce dernier comme « à problème ». Le fils Jones, notamment. Albus et Nolan se sont entretenus à plusieurs reprises de manière, non pas houleuse, – Dumbledore n’étant pas d’un tempérament colérique, contrairement au doyen Sorrento – mais plutôt glaciale et réprobatrice. Ils ne se sont jamais véritablement trouvés d’atomes crochus permettant autre chose que des rapports professionnels froids, hypocrites et faussement amicaux pour sauvegarder la bonne cohésion dans l’équipe pédagogique de l’université. Depuis le décès de la femme du doyen, Qi’ra Sorrento, dans des circonstances tragiques et cruelles, l’universitaire s’est comme métamorphosé. S’étant clairement isolé du reste du monde, et n’ayant presque pas d’amis, à l’exception de quelques visages qui se comptent sur les doigts d’une seule main, Nolan s’est retrouvé dans une situation propice à quelques introspections sur sa manière de gérer les situations de crises. Il s’est questionné plusieurs fois, après avoir rencontré Albus dans les couloirs, ou dans la salle des professeurs. Ils ont pu échanger quelques mots, sans plus. Ces quelques discussions entre un café volé et un cours magistral en suspend l’ont sérieusement fait réfléchir sur celui qu’il a longtemps considéré comme un obstacle dans sa gestion disciplinaire et élitiste (tyrannique) de l’université. Albus Dumbledore n’est finalement pas un ennemi pour Nolan Sorrento. Contrairement à ce que le doyen s’est évertué à croire durant ces trois dernières années, Albus Dumbledore est… un homme profondément empathique, à l’écoute des difficultés des personnes qui l’entourent. Malgré leurs différences et leurs contentieux, Albus Dumbledore ne lui a pas jeté la pierre. Albus Dumbledore ne s’est pas moqué de son état, il a simplement prêté une oreille attentive – que Nolan a immédiatement décliné une ou deux fois, avant de craquer sous la pression, une après-midi. Il a confié quelques mots, sans trop rentrer dans les détails, mais suffisamment pour donner envie à son confrère de poursuivre cette conversation en-dehors des vieux murs en brique de l’université. Cette conversation a pourtant très mal commencé. « Savez-vous au moins ce que cela fait de perdre quelqu’un de cher ? » Nolan s’est exprimé agressivement, comme d’habitude. Par l’attaque, afin d’anticiper les réactions des autres. Des actions qu’il présume dangereuses pour lui, alors que ce n’est pas toujours le cas. Une fois calmé, il a admis souffrir de cette situation, sans vouloir toutefois s’étendre sur le question. « Vous savez, le deuil est une épreuve coutumière chez moi depuis toujours. Celui-là est pourtant le pire de tous. » Ils n’ont pu développer ce débat plus longtemps, d’autres enseignants étant rentrés dans la salle de repos entre temps. Sorrento s’est éclipsé avec la promesse de revenir vers lui, plus tard. Aujourd’hui.

Quelques jours plus tard, presque une semaine après cette conversation de couloir, Nolan a décidé de recontacter son collègue avec un message vocal, dans lequel il le convie à boire quelque chose en extérieur. Quelque peu nerveux à l’idée de se prendre une fin de non-recevoir, quelle ne fut pas se surprise de lire une notification encourageante d’Albus Dumbledore. Le doyen a sélectionné le jour et son collègue l’endroit. Un vieux pub populaire. Nolan s’y est déjà rendu par le passé, et en garde de bons souvenirs. C’est en tout cas l’un des rares endroits de la ville où il ne s’est pas rendu avec sa défunte femme. Le doyen remercie intérieurement Albus, même s’il y a peu de chance pour qu’il puisse disposer de cette information. (ou pas, va savoir, s’il utilise la légilimencie omg) Après de longues minutes d’hésitation, Sorrento décide d’enfin quitter son véhicule pour traverser le trottoir d’en face, se dirigeant d’un pas lourd et traînant jusqu’à l’entrée du pub irlandais. Étrangement, ce dernier donne l’air de l’extérieur d’être peu fréquenté. Probablement parce qu’ils se trouvent en période de vacances scolaires. En plein mois d’août, l’université est fermée et les étudiants en congés chez leurs familles. Nolan semble se détendre à cette simple constatation. Il erre entre les tables, jusqu’au comptoir. Seul. Cela lui rappelle de douloureux souvenirs malgré lui, comme sa première rencontre avec Qi’ra. Il était seul aussi, attablé au comptoir, un whisky en main, le soir où elle est venue le trouver. « Une bière. » ordonne mollement Sorrento, sans grande conviction, avec une étrange mélancolie dans ses orbes glacés. Il jette un coup d’œil de chaque côté, Albus Dumbledore n’est pas encore arrivé. Alors que le barman acquiesce silencieusement, en reconnaissant le doyen, Sorrento se met à fixer avec nervosité le cadran de sa montre de marque. Il craint qu’Albus ne lui fasse finalement faux-bond. Non… Albus est un homme de parole. Il viendra. En attendant, c’est dans le fond de sa bière ambrée que Nolan Sorrento trouve un peu de réconfort. Ne serait-ce qu’un instant, seul dans le comptoir de ce bar. Seul avec ses pensées sinistres, seul avec un énorme verre de 50cl, seul avec son téléphone pour seul ami. (VIENS ALBUS)

HOGWARTS PLACE (LES TROIS BALAIS) – 20h15 – 18.08.22

Enfin, alors qu’il s’étonne de ne pas voir arriver le professeur, et que ses yeux dévient de la moitié de sa bière au cadran de sa montre, – une somptueuse Rolex – voilà que son collègue fait surface. Il s’approche de lui dans son dos et prend rapidement place, s’étonnant du choix de sa boisson, et finit par lui recommander leur spécialité à base d’hydromel vieilli en fût de chêne. Nolan ne répond pas, cela le réconforte, tout en l’effrayant à la fois. Une drôle de contradiction. Les paroles d’Albus lui procurent une douce chaleur dans le corps, car enfin, quelqu’un se tient à ses côtés et lui exprime une compassion qui ne s’apparente pour une fois pas à une forme de pitié. Nolan ne bouge pas d’un cil, en sentant Dumbledore s’installer sur le siège à côté du sien. Il le surveille toutefois du coin de ses yeux bleus, légèrement voilés par l’humidité et le désespoir. Jamais Nolan Sorrento ne s’est trouvé dans un état de profonde amertume et de désarroi. Il garde même un visage inexpressif et sévère, alors que les premiers mots du sorcier sont plutôt encourageants. Jusqu’à ce qu’il lui rappelle leur fameuse conversation d’il y a quelques jours, et confesse avoir lui-même perdu un membre de sa famille. Ariana, sa sœur. Nolan se sent comme pétrifié devant cette étrange confidence – si poignante et dite avec une telle légèreté à la fois. Son cœur manque deux ou trois battements. Sa sœur… Il ne peut s’empêcher de se répéter cette phrase, comme une ritournelle. Nolan a également perdu une sœur, avant de perdre une femme. Il comprend alors s’être fourvoyé sur toute la ligne. Albus Dumbledore a également connaissance du chagrin, du désespoir. Il est à même de comprendre. Il veut en savoir plus, connaître tous les détails macabres, mais… il reste silencieux.

Lorsque Dumbledore déguste sa boisson, et constate que celle-ci n’est plus à la hauteur de ses espérances, le doyen ne répond rien. Il se contente d’hausse les épaules, l’air amusé. Il les gigote légèrement, avant de se fondre en un rire nerveux – dissimulant une détresse émotionnelle monstrueuse. « Ma foi… » soupire-t-il, un peu exagérément. Nolan marque un temps de pause, afin d’observer longuement les fûts en chêne qui se trouvent à l’arrière du comptoir, qui regorgent de ce fameux hydromel. « Il n’est pas trop tard pour vous donner mon avis sur cet… hydromel. » souffle le doyen d’une voix grave, en claquant des doigts pour attirer le tavernier vers lui. Il commande un verre de cet hydromel vieilli en chêne – apparemment plus aussi excellent que dans les souvenirs du professeur Dumbledore, mais Nolan désire s’en assurer personnellement. Ce qu’il fait là, c’est une marque de confiance, de sollicitude même. Nolan désire faire un pas vers Albus. Un pas amical. Le début de quelque chose de nouveau entre eux, d’une complicité imprévisible. En acceptant la proposition de Dumbledore, même tardivement, c’est un geste, non pas de soumission, mais d’acceptation qu’il dépose à ses pieds. Il offre son attention, son humour, sa complicité, son amitié à Albus. Nolan a cruellement besoin d’amis, quoiqu’il dise ou fasse. Son orgueil refuse de le laisser le verbaliser de manière claire, mais son comportement ne laisse subsister aucun doute sur ses vraies intentions.

Il termine sa bière cul sec, et dépose le verre désormais vide, avec les restes d’une mousse aérienne dans le fond, à l’attention du propriétaire des Trois-Balais. Ce dernier s’en empare, non sans un discret coup d’œil furtif vers les deux professeurs. Nolan ne parle plus, durant quelques minutes seulement, le temps que le verre d’hydromel lui soit rapporté et porté à ses lèvres délicates. Son palet est exigeant, alors dès l’instant où la fameuse mixture se propage sur sa langue, il prend consciencieusement le temps de la savourer, avant d’arriver au même constat que son confrère. « En effet. C’est assez décevant. » Un coup d’œil vexé de la part du barman dans sa direction le fait lentement hausser un sourcil, mais Nolan ne s’en excuse pas. Il toutefois garde son verre dans la paume de sa main, car le fait de maintenir quelque chose facilite le contrôle de ses tremblements. Il rit ensuite, quelques secondes seulement, avant de marquer un blanc sinistre entre eux. Le moment de divertissement passé, la réalité reprend peu à peu possession de lui. Grâce à l’insouciance calculée de son confrère, Nolan a pu oublier durant un instant l’ampleur de ses pensées obscures et tristes. Albus vient de confesser quelques minutes plus tôt avoir perdu un être cher. Ariana, sa sœur. Cela lui donne presque l’impression de recevoir un poignard en plein cœur – lui aussi a perdu une sœur, des décennies plus tôt. Et maintenant, sa chère et tendre épouse. Ne dit-on jamais deux sans trois ? (AH NON)

Après avoir laissé courir un léger silence presque solennel, Nolan déroule alors ses doigts épais le long du verre, avant de les refermer plus fortement dessus. Il entrouvre ses lèvres minces, et inspire une profonde bouffée d’air plein de vapeurs d’alcool, de mets apéritifs. « Ariana… Vous dites. C'est un joli prénom. Je suppose qu'elle était d'une grande beauté. » Il reprend sur un ton grave, loin du ton léger qu’il a préalablement emprunté au moment de parler du goût infâme de cet hydromel. Pas de toutes mes condoléances, Albus. Non, c'est inutile. Après toutes ces années, Nolan est conscient que cela ne sert à rien. Albus ne veut pas entendre de bonnes condoléances. Albus veut très certainement... oublier. Tout comme lui désire oublier Charlotte et Qi'ra. La douleur, en tout cas. Pas les bons souvenirs, eux, doivent rester. « Charlotte. » grommèle Nolan. « J’ai eu une sœur, à mon tour. Elle est partie il y a très longtemps, avant que je fasse vraiment carrière. Elle s’est droguée. Elle est morte seule, dans son appartement. On a mis des jours avant de la retrouver, ce sont les voisins qui ont alerté les autorités à cause de… l’odeur. » Il déglutit péniblement en se remémorant les détails sordides de la mort triste de sa pauvre sœur, Charlie. « Je vous l’ai dit, Albus. Je suis familier de la mort. » Cette fois, c’est avec une voix presque inaudible qu’il lui confesse ces quelques mots. La mort. Il en est effrayé, terriblement, tout en étant attiré par elle – la mort le suit depuis toujours. Comme une ombre. Nolan a bien envie de connaître ce qu’il s’est passé à Ariana. Il n’insiste toutefois pas, Albus doit se sentir prêt à lui confier des détails intimes et sordides de son plein gré. Pour l’une des rares fois dans l’histoire de leur relation ou de leurs échanges – bien souvent houleux –, Sorrento ne force pas la main à son collègue. Il ne force pas les confessions, il ne cherche pas à obtenir ce qu’il veut. Il apprend enfin le respect de l’autre, et exprime son changement, en laissant le soin à Albus de lui donner de bon cœur ces précieuses informations.

Quelque chose dans leurs échanges le surprend vraiment. Nolan Sorrento se sent désarçonné par la facilité avec laquelle ses murs de glace se mettent à fondre en présence du professeur. Lui, qui  a tant bataillé pour créer un fossé entre eux pour des raisons, bien souvent égoïstes et nombrilistes, souhaite plus que tout le rapprocher. « Je ne pensais pas que nous avions tant en commun. » admet-il, avec l’ombre d’un rictus au coin de la bouche. Pourquoi n’ont-ils finalement jamais eu une véritable discussion à cœur ouvert ? Ses pensées obscures s’éclairent un instant, dans la perspective d’avoir quelqu’un sur qui compter. Un ami. Quelqu’un qui s’y apparente, en tout cas.

HOGWARTS PLACE (LES TROIS BALAIS) – 20h15 – 18.08.22

Qui l’eut cru ? Albus et Nolan, tous les deux attablés dans un vieux pub, en plein Hogwarts Place, à quelques mètres de l’université ? Lui-même peine encore réaliser ce qui est en train de se passer. Il a presque envie de se pincer la peau de son avant-bras. Nolan a longtemps diabolisé le sorcier, craignant pour sa réputation. Il l’a senti comme une menace, dans un premier temps. Une menace pour son poste, pour sa politique à l’université, pour ses étudiants. Il n’a d’ailleurs jamais cru pouvoir s’entendre avec lui un jour. Il l’a jugé à l’emporte-pièce, sans s’attacher aux nuances, aux points de ressemblance pourtant évidents entre eux. Ils ne se sont jamais vraiment parlé. Ils n’ont jamais vraiment cherché à se connaître. Il faut une bonne dose de drame à Nolan Sorrento pour réaliser ce qui se trouve juste sous son nez. Lorsque la voix de Dumbledore s’élève dans le pub, quelque peu bruyant à cette heure – les clients de plus en plus jeunes entrent et s’attablent de plus en plus. Il lui verbalise toutes ses pensées, sans même le savoir. Ou peut-être bien qu’il le sache. Au fond. « L’on est plus facilement surpris par ceux que l’on croit connaître que par ceux dont on ignore tout. » Une parole sage, pleine de bon sens et de vérités, qui lui hérisse les poils. Sorrento ne retient pas un frisson, qui roule le long de sa colonne vertébrale. Oui, il est surpris. Agréablement surpris. Albus Dumbledore est depuis quelques semaines, et particulièrement ce soir, une véritable surprise. Il bouscule toutes ses convictions, ses aprioris. Il le rend presque chancelant, tant l’optique d’une amitié entre eux lui a longtemps semblé relever du domaine de l’absurde, voire du cauchemar.

L’apparente complicité qui se dévoile entre eux le laisse sans voix. Nolan boit quelques gorgées de l’hydromel, avant de s’humidifier les lèvres. Infecte. Passons, c’est de l’alcool, et il a besoin de boire. Nolan est prêt à fermer les yeux sur le goût d’un très mauvais alcool, tant que les effluves de ce dernier lui permettant de s’oublier momentanément. D’oublier toutes ses responsabilités, toutes ses souffrances, toutes ses angoisses. Dumbledore reprend, peu de temps après. « Puisque vous admettrez que ma compassion n’est ni opportuniste, ni superficielle, sachez que vous pouvez vous épancher comme bon vous plaira. Parler de ceux qui nous manquent est loin d’être un exercice évident, mais il peut être salvateur. » Encore une fois, le professeur s’exprime avec une sagesse qui émeut malgré lui le doyen. Nolan Sorrento dévie instinctivement son regard de son verre à celui d’Albus, avant d’y retourner, apparemment pris de stupeur. La gêne se lit dans ses yeux. Nolan Sorrento a bien trop négligé, au cours des années, ses sentiments. Il n’a jamais cherché à s’épancher avec qui que ce soit, sur qui que ce soit. Qi’ra fut la première avec laquelle il s’est à ce point abandonné. Celle qui est devenue sa femme. Celle qu’il a perdue. Même avec Pansy, sa plus proche amie, certains secrets demeurent encore verrouillés. Par honte, par culpabilité, par fierté, par orgueil. Comme Peter, son élève modèle, pour lequel Nolan éprouve une réelle sympathie et même un sentiment de familiarité plus que troublant. (mon petit peter) Il désire avoir constamment le beau rôle, celui du plus fort, du plus sage, du plus courageux. Sorrento est un homme de la vieille époque. Machiste, viril. Persuadé, en tout cas, que la virilité ne peut que s’exprimer sous cette forme. Un tort, puisqu’il s’angoisse pour des absurdités, et s’emprisonne avec ses conflits intérieurs depuis des décennies.

Après un court silence, il décide de rompre avec ses propres démons. Albus l’encourage à se confier à lui, aussi incongru cela puisse être, c’est également ce que désire Nolan. Son collègue dégage une aura d’incroyable bienveillance. « Je dois dire que… Je n’aurais jamais pensé me confier à vous. » C’est une bonne manière de commencer son histoire par ces propos introductifs. « Vous êtes bien la dernière personne… » Il s’interrompe presque naturellement, en prenant un timbre de voix beaucoup plus hésitant. « …mais vous êtes la seule. » Oui, la seule avec laquelle il a envie de s’épancher sur ses malheurs. Pour la première fois depuis des semaines, c’est avec Albus Dumbledore qu’il désire commencer à faire son deuil. Albus le comprend. Il a perdu une sœur, quelqu’un de proche. Sans doute la femme de sa vie, sa chair et son sang, sa famille, tous ses repères. Exactement comme lui. « La seule avec laquelle… Je m’en sente capable depuis bien longtemps. » Nolan apporte cette précision, de peur qu’Albus pense qu’il ne le fait qu’en désespoir de cause. Ce n’est pas le cas, loin de là. Il ne se confie pas parce que Dumbledore est le premier à recueillir ses confessions, il se confie à lui, parce qu’il éprouve une impression de familiarité. Une douceur insoupçonnée.

« Lorsque j’ai perdu Charlotte, ma vie s’est effondrée. Je voyais le monde différemment, avant son départ. Ma vision de ce dernier a radicalement changé ensuite. Je me suis endurci. Je suis devenu quelqu’un. Je n’avais plus que… ce but dans la vie. Plus aucun parent, aucun proche. Je n’avais que moi. J’ai compris qu’il y avait deux types d’individus dans ce monde. Ceux qui s’effondrent et qui finissent par mourir de manière… médiocre, et d’autres… qui retiennent leurs émotions, qui écrasent tout obstacle se trouvant sur leur route, et qui deviennent quelqu’un, au prix de très lourds sacrifices. Je ne suis pas nécessairement fier de toutes les atrocités que j’ai bien pu commettre, que ce soit… chez moi ou sur cette île, mais… » souffle Nolan, en jouant avec la pulpe de ses doigts sur les bords de son verre. « Tout ce que j’ai fait, c’est dans le seul but de… me protéger. Après Charlotte. » La douleur est encore présente en lui, Charlotte est dans chacune de ses pensées. On ne se remet jamais totalement d’une perte aussi violente. « Qi’ra m’a aidé à trouver un équilibre. Elle m’a fait renouer avec l’homme que j’ai longtemps été, avant ce premier drame. » Elle l’a ouvert aux émotions, aussi vives et tragiques qu’elles puissent être. « Et maintenant… J’ai peur de basculer une fois encore. » Oui… Basculer. Ne plus jamais être capable de se relever, de ne plus être capable de croire en l’être humain une troisième fois. « Je ne suis plus sûr… de pouvoir... Je ne sais pas si je pourrais… » Aimer à nouveau. « Plus rien ne sera comme avant. » conclut-il, en terminant son verre d’une traite, tout en grimaçant au contact de la saveur de l’hydromel dans le fond de sa gorge. Nolan repose le verre désormais vide un peu trop brutalement sur la surface en bois lisse du comptoir, et se tourne lentement vers Albus. Ses jambes s’agitent sous la table, le bout de ses chaussures vernies cogne de temps à autres.