(1) L’ASCENSION D’UN FANATIQUE. Nolan Sorrento a grandi dans la banlieue de Colombus, située dans l’Ohio, aux États-Unis d’Amérique. Il est le fils aîné d’une famille d’immigrants italiens, arrivée sur le sol américain cinq ans avant sa naissance. Quelques années après sa venue au monde, une petite fille prénommée Charlotte Sorrento, fit le bonheur de ses parents. Elle est très vite devenue la prunelle de ses yeux, la cerise sur son gâteau, la poupée parfaite. Il l’a adoré dès que ses beaux yeux bleu océan se sont posés sur les siens. Charlie, une enfant merveilleuse, curieuse de tout ce qui l’entoure et pétillante de vie. Charlie est une enfant au teint pâle, aux yeux bleus et aux cheveux blonds comme les blés. Une enfant parfaite. De son vivant, elle a été le bijou de la famille Sorrento. Nolan et Charlotte ont développés en grandissant une relation fusionnelle. Charlotte n’a jamais imaginé sa vie loin de l’ombre protectrice de son frère aîné. Il a veillé sur ses premiers pas, ses premiers amours, ses premiers chagrins et ses premières colères. Il a toujours été là pour elle, quoi qu’il se passe, rien n’entache un lien aussi puissant qu’un lien unissant un frère et une sœur. Aux yeux de Nolan, elle représente son monde entier. Ils partagent tous les deux un amour presque fanatique pour les jeux vidéo. C’est même grâce aux jeux vidéo que leur relation s’est à ce point entortillée au point d’être destructrice. Ils ont joué ensemble pendant des heures et des années. Nolan regrette aujourd’hui d’avoir initié sa sœur aux plaisirs des jeux vidéo. Sans cette passion commune, Charlotte serait encore de ce monde. Les jeux vidéo ont causé la naissance et la chute de Nolan Sorrento.

En véritable fanatique, c’est un garçon ayant été éduqué dans la foi catholique. Nolan a toujours prêché le bien contre le mal. Fort d’une bonne éducation de la part de ses parents, deux honnêtes travailleurs, Nolan porte sur ses épaules la survie de sa famille. Il s’est toujours positionné en faveur d’une forme extrême de méritocratie, dans laquelle seuls les travailleurs acharnés méritent d’arriver au sommet de la société. Seuls les plus persévérants, les plus brillants et les plus audacieux doivent recevoir richesse et honneurs. C’est ce qu’il a toujours cru, avant de se heurter à ses premières désillusions. Des déceptions qui lui seront fatales, puisqu’elles le transformeront en homme d’affaires sans scrupules, que ce soit pour les vies humaines ou pour les dommages collatéraux. Durant toute sa vie, Nolan Sorrento a été un très bon élève. Il a fait la fierté de ses parents en intégrant un cursus universitaire spécifique et en ressortant titulaire d’un doctorat en sciences des jeux vidéo. Sorrento est un vrai passionné de jeux vidéo. C’est pourquoi il s’est orienté sur cette voie, en-dehors du fait qu’il s’agisse d’un milieu relativement porteur sur le plan financier.

Avant d’atteindre les portes de l’IOI, Nolan Sorrento s’est illustré dans la conception de jeux vidéo bien connus, comme des RPG tiers au sein de l’OASIS. Il s’est évertué à se construire un nom à la sueur de son front, dans l’optique de grossir son CV. Fier d’une très bonne réputation dans le milieu, Nolan Sorrento a ainsi pu travailler quelques années pour Gregarious Simulation Systems, la société ayant produit l’OASIS. Il a même été l’assistant de James Hallyday dans le seul but de satisfaire sa passion pour les jeux vidéo. Les jeux vidéo sont cools. Nolan est le premier à chanter leurs louanges, fort d’une expérience technique dans leur conception et de connaissances pointues sur les années 80. Jusqu’à quel point sont-ils cools ? Nolan n’a jamais pensé que quelque chose puisse s’immiscer entre sa foi et les jeux vidéo. Jusqu’à ce que sa sœur, Charlie, en paie le prix fort. Le prix d’une obsession dévorante qui l’a littéralement coupée du vrai monde pendant des années. Lorsque le concepteur du jeu vidéo, James Hallyday est mort, il a laissé derrière lui un testament d’un tout nouveau genre, aussi fantasque que son créateur. Celui qui trouve l’Easter Egg dissimulé dans l’OASIS grâce à trois clés hérite d’une fortune estimée à 240 milliards et de dollars et du contrôle total de l’OASIS. Ce fut immédiatement une course poursuite effrénée pour tous les joueurs et les joueuses de l’OASIS. Presque immédiatement après cette terrible annonce, Charlie a complètement disjoncté. Elle n’a vécu que pour l’OASIS, en y passant ses journées et ses nuits, au point d’en oublier de dormir ou de manger. Afin de tenir la distance, elle s’est mise à consommer des méthamphétamines. Nolan regrette aujourd’hui amèrement d’avoir sous-estimé l’état de santé mentale de sa jeune sœur avant qu’il ne soit trop tard. Lui qui s’est juré de toujours la protéger et de lui venir en aide, s’est montré impuissant face à sa détresse. Il n’a malheureusement rien vu venir. Tout le monde n’en avait que pour l’OASIS. Un jeu merveilleux permettant de s’évader, d’oublier tous les problèmes de sa véritable vie, pour quelques instants d’euphorie et d’insouciance. Lui-même a joué longtemps à l’OASIS sous le pseudonyme de « Lacero ».

Pour sa sœur, Nolan Sorrento est prêt à tous les sacrifices. Il a même placé sa part de l’héritage de leur père dans une assurance-vie au nom de Charlie. Cet argent, ce sont les économies de toute une vie. Leur père a saigné durant toute sa vie pour leur offrir quelque chose après sa mort. Nolan a sacrifié sa propre part d’héritage à cause de l’obsession de Charlie. Elle est obsédée par l’OASIS au point de sacrifier sa part de l’héritage de leur père. Profondément heurté par cette situation, Nolan s’est alors assuré qu’en cas de décès, elle ne se retrouve pas seule et sans-le-sou. Tous ses efforts n’ont malheureusement servi qu’à retarder le processus d’autodestruction de la jeune femme. Elle a été retrouvée morte, encore branchée au jeu vidéo, son casque de réalité virtuelle sur le visage, trois jours après avoir fait une surdose de méthamphétamines. Les épreuves de la vie ont entaché progressivement sa foi, que ce soit en l’être humain ou en son amour pour les jeux vidéo. Il a appris à mépriser profondément ce qui a longtemps fait son bonheur absolu, à la suite d’un terrible drame. Lui qui aime les jeux vidéo plus que tout, a finalement appris à les détester autant qu’il est humainement possible de détester quelque chose. L’OASIS lui a pris Charlie. L’amour de sa vie, sa précieuse petite Charlie. Hallyday, le créateur de l’OASIS lui a pris sa raison d’être, de vivre, de se battre. Tout ce qu’il a bien voulu accomplir, c’est pour qu’elle en jouisse également. S’il s’est évertué à devenir quelqu’un, c’est à cause d’elle. S’il a véritablement souhaité être riche, c’est encore une fois pour Charlie. Nolan a simplement voulu lui faciliter la vie en lui donnant tout. Absolument tout. Tout, mais ce tout ne signifie plus rien désormais. Elle est partie à jamais. Elle ne pourra jamais le voir gravir les échelons du succès et de la richesse. Elle ne lui prendra jamais sa main lorsqu’il tous les magazines et les chaînes de télévision crieront son nom. Elle est partie. Par sa faute. Par sa passivité et son inaction. Il l’a définitivement perdue, et cela, Nolan Sorrento ne se le pardonnera jamais. Pire encore, il ne pardonnera jamais à l’OASIS et aux jeux vidéo d’avoir pris la vie et l’âme de la femme de sa vie. C’est désormais une affaire personnelle.

Puisque les jeux vidéo lui ont tout pris, Nolan Sorrento a décidé de les détruire à tout jamais. Voilà comment sa haine contre l’OASIS est née. Une haine qui le poussera loin, très loin, pour parvenir à ses fins. Jusqu’aux frontières du bien et du mal. Jusqu’aux pires atrocités et crimes. Contrôler l’OASIS, c’est contrôler le futur. Nolan Sorrento ne voit aucune autre solution pour forcer les êtres humains à faire enfin face aux responsabilités qu’ils laissent derrière eux en se déconnectant de la vie réelle. Nolan Sorrento veut les forcer à refaire surface, à abandonner ces excuses médiocres faites dans le seul but de fuir leurs responsabilités, de trouver des solutions à leurs vrais problèmes, et d’enfin, abandonner toute tentative de fuite constante de la réalité. Le monde s’écroule autour d’eux à cause de leur obsession malsaine pour les jeux vidéo. Des jeux vidéo idiots. Des pensées déchirantes pour quelqu’un qui a passé toute sa vie à jouer à des jeux vidéo, à les étudier dans le cadre de son doctorat, et finalement en concevoir quelques-uns une fois sur le marché du travail. Pour Nolan Sorrento, le monde entier va droit en Enfer à cause d’eux. Il ne les porte plus dans son cœur, ils doivent périr de ses propres mains. Il compte être l’arme de destruction massive qui fermera à tout jamais l’accès à l’OASIS. Ce jeu est une véritable drogue. Les membres de la société Gregarious Simulation Systems sont des dealers, des meurtriers. Ils doivent chacun payer le prix du sang versé, celui de sa sœur, si innocente et si jeune.

(2) UN GAME OVER SANS RESTART. Suite au décès du créateur de l’OASIS, James Hallyday, Nolan Sorrento s’est fait une place dans la grande famille de l’IOI. Une entreprise concurrente, puissante et spécialisée dans les nouvelles technologies. Un conglomérat de communications et de fournisseur de services Internet. Numéro d’immatriculation IOI-655321. Il a vanté ses connaissances de la pensée d’Hallyday pour être recruté comme PDG. Un moyen supplémentaire de parvenir à ses fins en intégrant la course à l’Easter Egg d’Hallyday. Nolan Sorrento est irrésistible et particulièrement brillant. Petit, il est impossible de résister à ses grands yeux bleu océan très expressifs. En vieillissant, la teinte de ses yeux s’est durcie et glacée au rythme de ses déconvenues et de ses désillusions. De beaux yeux profonds, aussi froids que la glace. Ils tranchent l’air et les âmes de ses interlocuteurs comme l’acier de la lame d’un couteau. Ils expriment une perte inconsolable, celle de l’amour de sa vie, sa chère et tendre petite sœur. Il raconte que la vie l’a endurci en faisant de lui un homme adulte dévoré par les plaisirs que l’argent procure. Sans pitié, sans état d’âme. Pourquoi en avoir alors que la vie est si cruelle. Il s’est retrouvé plongé dans une tourmente obsessionnelle de vengeance. Malgré toute la cruauté et le sadisme dont Nolan Sorrento est capable, c’est un homme foncièrement aimant et généreux avec les personnes qui lui sont chères. Il est prêt à tout pour protéger le monde entier des dangers que représentent les jeux vidéo, notamment le célèbre jeu de l’OASIS. Nolan Sorrento justifie ses actions en expliquant simplement à ses détracteurs que le destin du monde est en jeu. La chasse à l’Easter Egg de James Hallyday n’est pas un jeu, c’est une véritable guerre pour le contrôle du futur.

Depuis la perte tragique de sa sœur, Nolan Sorrento a révélé une nouvelle facette de sa personnalité. Certains vous diront qu’il a toujours été aussi despotique, et que cette perte n’a fait que précipiter l’apparition d’un monstre sans scrupules, obsédé par les richesses et les plaisirs que celles-ci procurent. D’autres vous diront au contraire que c’est un homme foncièrement bon que les épreuves de la vie ont brisé. Quelles que soient ses raisons, Nolan Sorrento s’est illustré à partir de ce moment comme un homme d’affaires tyrannique et impitoyable. Nolan n’a plus eu aucune considération pour autrui. L'Enfer, c'est les autres. Au cours de ses années comme PDG de l’IOI, Sorrento s’est vautré dans l’illégalité, bouffi d’orgueil en se croyant intouchable. Comme un Dieu tout puissant. Un aigle qui vole toujours plus haut, sans craindre qu’on vienne lui brûler les ailes. Personne ne peut détruire un homme aussi puissant, personne ne peut percer ses magouilles au grand jour. Personne ne peut lever le voile sur l’ampleur de sa cruauté et de son mépris des vies humaines. Personne, vraiment ? En véritable esclavagiste, Sorrento a bénéficié de l’appui de personnes de confiance pendant des années. Avec l’aide de son associée F’Nale Zandor, l’ambitieux et cruel PDG de l’IOI s’est retrouvé à maintes reprises impliqué dans des crimes et délits innommables. En manœuvrant dans l’ombre, Nolan a débloqué a pu débloquer des fonds pour le service de F’Nale Zandor. Tous les deux ont ainsi eu l’opportunité de polluer la ville entière de Colombus avec leurs centres de loyauté, ces infâmes centres qui emploient des âmes faibles et fragiles en rachetant leurs crédits pour mieux les plonger dans une boucle d’endettement sans fin. Les centres de loyauté tuent, mais Nolan Sorrento n’en a cure. Il se moque bien que ses employés fassent des burnout ou des crises cardiaques sous la charge de travail qu’ils sont forcés d’endurer tous les jours. Il se moque bien des pertes humaines ou matérielles comme de sa première cravate en soie Hugo Boss. Pendant qu’il s’enrichit, d’autres s’enrichissent également grâce à lui. Il aime penser que tout n’est qu’un échange de bons procédés. Il a enrichi le conseil d’administration de l’IOI avec ses idées brillantes et illégales. En récompense, Nolan a pu fièrement arborer un zéro supplémentaire sur sa fiche de paye. Seule ses quêtes personnelles de destruction et de richesse n’ont de l’importance aux yeux de Nolan Sorrento.  


Pris dans un engrenage, nulle personne en ce bas monde n’est capable de le dissuader d’aller jusqu’au bout de sa vengeance. Il est littéralement aspiré dans un tourbillon d’émotions intenses, de fougue dévastatrice et de penchants clairement autodestructeurs. Cette obsession va causer sa propre perte, vers une somptueuse descente aux Enfers dans la déchéance et l’humiliation publique. Lorsque toutes ses tentatives se sont révélées infructueuses, Nolan Sorrento a décidé de prendre le contrôle de l’OASIS par la force. Là est sa première et monumentale erreur. Autant le fait d’avoir commandité l’explosion de l’un des bidonvilles de Colombus en est une, Nolan possède le bras incroyablement long, les choses peuvent encore se goupiller favorablement pour lui avec une armée d’avocats à son service. En prenant une simple décision irréfléchie sous le coup de l’impulsivité, c’est le travail de toute une vie qu’il vient de détruire. Tous ses privilèges, sa notoriété, toutes ses richesses, mais surtout, sa liberté, ont fondus comme neige au soleil. Nolan Sorrento a commis l’irréparable en pourchassant de pauvres et innocents adolescents dans toutes les rues de Colombus, armé d’une arme à feu, avec la ferme intention de réduire au silence ceux qui se positionnent entre lui et l’héritage de James Hallyday. Une erreur qui va lui coûter cher, excessivement cher. Une erreur qui va briser toutes ses possibilités d’avenir et va finalement lever le voile sur des années de malversations financières, de corruption, de délits et de crimes. Tout ce qu’il s’est évertué à construire ces dernières années lui a littéralement explosé en pleine figure. Il est le commanditaire de sa propre déchéance. Ce n’est pas faute de l’en avoir dissuadé à plusieurs reprises. F’Nale, son associée fidèle envers et contre tout, l’a bien dissuadé de s’en mêler personnellement. Qu’importe, Nolan Sorrento n’obéit qu’à ses pulsions dévorantes. Ce jour-là, il est devenu comme fou. Alors qu’il a toujours prôné le retrait stratégique et la patience, voilà qu’il craque complètement en prenant le risque de révéler aux yeux de tous sa véritable personnalité. Une personnalité déviante, dangereuse et sans pitié. Tous les habitants de la ville de Colombus ont découvert, ce jour-là, le vrai Nolan Sorrento. Il est comme un enfant capricieux, orgueilleux, qui refuse de se voir imposer un Game Over. Et pourtant, c’est ce qu’on lui a flanqué sans merci. Un Game Over. Un de ceux que l’on ne peut effacer, un de ceux que l’on ne peut réduire au silence d’une simple pression sur la console. Lorsqu’il s’est retrouvé au beau milieu de cette masse d’adolescents, une arme à feu en main et la porte de la camionnette des amis de Perzival, ou plutôt Waide Watts, dans l’autre main, Nolan Sorrento a enfin pris conscience de la gravité de ses erreurs. Arrêté pour ses crimes, disgracié par le conseil d’administration de l’IOI, réduit au silence en uniforme orange dans l’une des prisons fédérales du pays. Alors que les forces de l’ordre s’emparent de lui, Nolan Sorrento ouvre enfin les yeux sur la réalité de la situation. Il espère à plusieurs reprises que ce ne soit qu’un foutu cauchemar. Il lui arrive même de prier le Seigneur que cela ne soit, encore une fois, qu’une manœuvre de ces satanés gamins. Il prie, tout ce qui est possible et envisageable de prier, pour qu’il ne se trouve pas dans la vraie vie, mais dans le jeu vidéo. Il espère pour la première fois depuis des années, que cela ne soit qu’une partie dans l’OASIS. Cela ne peut être vrai, cela ne peut être réel. Sa vie parfaite, son poste de PDG, son coiffeur particulier, sa baignoire pleine de dollars, ses draps en soie sauvage, ses assistants serviles, ses costumes hors de prix, ses cours de musculation, ses chèques et ses comptes offshore, ses propriétés immobilières et ses actions en bourse…Tout ne peut ainsi s’évaporer d’un simple claquement de doigt. Impossible. Il ne peut retourner au point de départ, non pas après toutes ces années de dur labeur et de sacrifices. Et pourtant… Voilà ce qu’est devenu Nolan Sorrento, lui, qui a souvent été admiré et jalousé. Lui, qu’on a même récemment élu l’homme d’affaire de l’année, se retrouve incarcéré dans l’étroitesse d’une pièce pas plus grande qu’un cagibi. Une foutue cage à hamster. Une de celle qui évoque douloureusement les cages de ses satanés centres de loyauté. Elle ne fait pas même le tiers de la salle de bain de son propre appartement de luxe, situé dans l’hyper-centre de Colombus. C’est le prix de son karma, c’est le prix à payer pour des années d’illégalité et de condescendance. Les méchants ne l’emportent jamais à la fin. Malheureusement… Enfin, peut-être bien que les choses puissent être différentes, cette fois-ci.

(3) LA POSSIBILITÉ D'UNE ÎLE. La lune rouge a emporté beaucoup de monde sur son passage, dont l’impitoyable et tyrannique homme d’affaires Nolan Sorrento. Est-ce un monde parallèle ou bien une malédiction ? Nolan Sorrento n’en a fichtrement aucune idée. Dans un premier temps, une idée saugrenue a traversé son esprit tourmenté. Il a bien cru pendant une fraction de seconde d’avoir été maudit par des forces extérieures qui refusaient d’être corrompues par ses chèques bancaires. Une idée plus rationnelle s’est ensuite imposée à son esprit si brillant, mais non moins terrifiant. Nolan a pensé avoir été drogué au cours de son incarcération et piégé de manière définitive dans l’OASIS. Les poils de ses bras s’hérissent à cette simple constatation funeste, à mesure qu’elle se dessine implacablement dans son esprit. Un cauchemar éveillé, voilà ce que cette possibilité représente pour Nolan Sorrento. Une fin de vie digne d’une tragédie grecque. Quel comble que de se retrouver piégé dans un endroit entièrement fait de pixels, un endroit maudit, qu’il a voué à détruire pendant une bonne partie de sa vie. Tout ce qui a fait sa réussite sociale, financière et professionnelle lui a été cruellement enlevé à cause d’un jeu vidéo. Pour un homme avec un égo aussi conséquent, il y a de quoi frôler la folie furieuse. En reprenant peu à peu conscience, Sorrento a réalisé que ce monde parallèle, ou plutôt cette île, est tout ce qu’il y a de plus réelle. Elle est faite exactement de la même manière que toutes les autres villes des États-Unis d’Amérique. Elle sent l’océan, le sable et l’herbe fraîche. On est loin d’être en plein rêve ou au beau milieu d’une hallucination provoquée par la consommation d’un quelconque stupéfiant. Non pas que Nolan soit habitué à ce genre de substances illicites, une drogue, qu’elle soit douce ou dure, reste exactement la même saloperie.

Il se remémore les premiers éclats cramoisis qui ont percé les nuages, ce soir-là. Des couleurs tamisées et contrastées qui ont capté toute son attention, alors que seule la date de son procès occupe toutes ses pensées depuis des jours. Il réalise enfin que sa date d’arrivée, au 1er janvier 2019, est une vaste blague. Il pense spontanément à l’hypothèse d’avoir réalisé un bond gigantesque dans le passé, comme dans l’un de ces stupides films de science-fiction. Une sorte de retour vers le futur en version améliorée. Nolan Sorrento est un homme capable de nager à contre-courant. Il accepte toutes les possibilités que la vie s’offre à lui, du moment que ses intérêts sont préservés. Ce qu’il déduit des nouveaux souvenirs qui affluent dans son esprit, c’est qu’il est loin d’être le PDG d’une multinationale spécialisée dans les nouvelles technologies et les jeux vidéo, comme l’IOI. Il est passé d’homme d’affaires à doyen d’université et professeur de droit. Nolan Sorrento ne peut faire autrement que de rire devant cette ironie cruelle. Lui, qui a passé sa vie à fuir et enfreindre la loi, se retrouve propulsé au rang d’homme de loi et fervent défenseur de ses nobles intérêts. Une leçon de vie karmique. Contrairement à beaucoup d’autres arrivants sur l’île, Nolan Sorrento conserve des souvenirs parfaitement limpides de sa vie passée. Il se souvient de tout ce qui a entraîné sa chute malheureuse, ses souvenirs sont restés miraculeusement intactes après avoir basculé vers qu’il appelle « sa nouvelle chance ». Et c’est là son véritable drame. Sa propre malédiction. Il est conscient de ses échecs et de ses malheurs, cela ne cesse de le hanter jour et nuit. Ces scènes se répètent inlassablement dans ses pires cauchemars, cette disgrâce sociale et professionnelle hante chacune de ses pensées jusqu’à le faire tomber dans un état de pure démence et de paranoïa. Nolan Sorrento n’est pas quelqu’un de lâche, lui qui s’est toujours battu pour forcer quiconque à se confronter aux vrais problèmes de la vie au lieu de se consumer dans les plaisirs et l’insouciance d’un jeu vidéo comme l’OASIS. Pour la première fois de sa vie, Nolan Sorrento a décidé de mettre de côté tous ses beaux principes sur l’importance de faire face à la réalité. Il refuse de faire face à la sienne, sa propre réalité l’effraie plus que tout au monde. Il décide alors de fuir tout ce qui le ramène à sa vie d’avant. Il fuit tout ce qui le ramène à l’IOI. Il fuit ses anciennes relations, comme les fantômes d’un passé considéré comme bien trop encombrant. Tout ce qu’il espère, c’est d’avoir été le seul que les éclats sanglants de la lune rouge ont emporté sur leur passage. Il fuit en espérant n’être jamais rattrapé par son passé.

L’île représente une nouvelle réalité. Une possibilité de faire les choses bien mieux que la dernière fois. En prenant peu à peu conscience de l’endroit qui est le sien, Sorrento décide de voir les choses du bon côté, le seul qui est susceptible d’arranger ses affaires. Nolan Sorrento ne veut pas être retrouvé par ses proches. Après tout, en a-t-il vraiment eu ? Il a perdu le seul être important dans sa vie, il y a de cela des années, et c’est ce qui a précipité sa descente aux Enfers. Charlie, sa sœur bien-aimée. Elle a été tuée par ce stupide jeu vidéo. L’OASIS. Nolan n’a eu de cesse à vouloir venger cette perte, sans aucune considération pour les victimes collatérales de sa folie meurtrière. Il pense que cette île est son point de salut. Une chance de recommencer les choses à zéro, loin de ce qui l’inculpe dans son véritable monde. Loin d’un renvoi sans sommation de son prestigieux poste de PDG d’IOI. Loin des forces de police qui veulent son incarcération. Loin des débats interminables avec ses avocats. Loin de la pression des juges. Loin d’un procès assommant et hors de prix. Loin de la prison. Cette île est son unique moyen de vivre en homme libre et de voir ses délits et crimes impunis. Il se montre finalement reconnaissant pour ce que beaucoup considèrent comme une malédiction. Ce n’en qu’à moitié une pour Nolan Sorrento. Cette île est son nouveau départ et il ne compte jamais plus la quitter. Il ne veut pas être retrouvé par les membres de son entourage, pas même ses soutiens. En pensant à eux, un prénom lui vient presque immédiatement à l’esprit : F’Nale. Elle a été son soutien le plus fidèle pendant toutes ces années. Elle l’est probablement toujours, leur relation est indéfinissable. Il est incapable d’expliquer clairement leurs motivations communes, en-dehors de l’appât du gain. Elle mérite depuis toujours sa confiance, ses confidences, ses sautes d’humeur. Elle est toujours là, se pliant à ses caprices d’enfant pourri-gâté sans discuter le moindre de ses ordres. Il ignore ce qu’elle est devenue, et si elle aussi, a été frappée par ce mystérieux phénomène lunaire. Que peut-il bien dire à elle ou aux autres ? Bien conscient de les avoir entraînés dans sa chute, Nolan n’est pas adepte des règlements de compte. Parfois, il lui arrive de repenser à leurs derniers échanges. Il repense souvent à elle et à ce qu’elle peut penser de cette situation. Elle lui manque, dans ses pires moments. Il a longtemps considéré son associée comme son unique bouée de sauvetage. Elle est sa partenaire de crime, la seule prête à la plonger tête la première dans les ténèbres au rythme de ses mots. Toutefois, il s’interdit toute pensée pouvant le ramener à elle, il se refuse de repenser au monde réel. Dans son véritable chez-lui. Hors de question. Son monde, c’est désormais cette île merveilleuse. Sa vie d’avant n’est qu’une blague cruelle. Elle est rayée et gommée définitivement de la surface de la terre. Rien de bien ne l’attend là-bas, il n’y a que des complications et des problèmes inextricables. C’est ici, sa nouvelle demeure, sa nouvelle vie, ses nouvelles fréquentations, son nouveau travail prestigieux et financièrement rentable. Ici, il est réputé pour ses travaux, admiré par ses pairs dans le milieu scientifique, financièrement « bankable » comme disent les jeunes. On s’arrache ses ouvrages et ses participations à des conférences pluridisciplinaires. Nolan est attaché au charme de son quartier aisé, aux couloirs de son université jusqu’à ses salles d’amphithéâtre. Aujourd’hui, tout ce qui l’intéresse, c’est la possibilité de retrouver une réputation et beaucoup d’argent. Et pour cela, Nolan Sorrento est prêt à endurer tous les supplices.

La seule chose qui horripile le plus Nolan Sorrento dans son nouveau train de vie, ce sont ses élèves. Ces étudiants, satanés de gamins, qui lui rappellent ceux qui ont causés sa perte à Colombus en 2045. Quelle ironie, lorsqu’on y pense. Cette île est finalement une sorte de cauchemar éveillé, peuplée de gosses qui arpentent ses couloirs, qui respirent son air, qui braillent et qui plaisantent sur leurs fascinantes soirées d’étudiants. Des enfants ennuyants et insipides auxquels il doit signifier un semblant d’intérêt pour leur avenir universitaire, et pour leur avenir tout court. Il est obligé de les prendre dans son bureau, de dispenser de sages et judicieux conseils en feignant de s’intéresser à leur bien-être, sous peine d’être attaqué en justice une horde de parents d’élèves. Parce que ces enfants ont des parents qui ont nécessairement des avocats. En y repensant, doyen d’une université, cela avait l’air bien merveilleux sur le papier. Brillant, puissant, riche. Nolan Sorrento n’a pourtant jamais signé pour ce supplice. Tous les jours, ses étudiants le ramènent à ses pires échecs. Ils le confrontent à ce qui a complètement merdé dans sa vie. Il est bien conscient qu’il doit payer un lourd tribut pour retourner à son ancien train de vie, ce qui est la seule chose qu’il compte bien conserver de son passé. Des sentiments contradictoires tourmentent Nolan Sorrento depuis son arrivée sur l’île, il ne sait quoi penser de cette nouvelle réalité. Il l’aime tout en la méprisant pour subir quotidiennement des piqûres de rappel. Cette île malheureuse fait son nouveau bonheur, tout en faisant sa dépression, elle est en tout cas, sa seule porte de sortie. Elle est comme la possibilité d’un restart dans un jeu vidéo, lui, qui a bien cru vivre son propre game over jusqu’à la fin de ses jours.